Philippe Tancelin, Ces mots sans chair

Déplacement...déplacement...déplacement… !
L'expérience tragique de la première et la seconde Guerre mondiales semble bien ne pas avoir fait leçon de sorte que l’on continue à ne pas mesurer la signification profonde et réelle de ce qu’implique humainement le terme « déplacement ». Il atténue jusqu’à leur banalisation les actes d’expulsion, d’expatriation, de déportation objectivement contraintes et forcées du peuple Gazaoui, comme nous assistons depuis des mois à la normalisation du meurtre de dizaines de milliers de civils dont femmes et enfants, sur la terre de leur patrie.

La 4e Convention de Genève de 1949, (article 49), pose les interdictions qui limitent tout déplacement contraint. Elle précise que « les transferts forcés en masse ou encore individuels ainsi que les déportations de personnes protégées, hors du territoire occupé, dans le territoire de la puissance occupante ou dans celui de tout autre État occupé ou non, sont interdits quel qu'en soit le motif... »

Aujourd’hui, glissant au plan mondial de la référence au droit, à celle des  rapports de forces, la situation d'occupation meurtrière de Gaza et le projet d’expatriation des Gazaouis vers l'hypothétique Égypte ou quelque autre refuge, voudraient apparaître comme une simple modalité de règlement de conflit.

Les femmes, les enfants, les hommes de tout un peuple ont encore le droit (internationalement reconnu) d'exiger qu'on entende leur voix, leur cri articulant clairement qu'ils ne sont pas des choses, de vulgaires objets qu'on déplace, dont on se débarrasse selon le bon vouloir des acteurs du remplacement, opéré par une occupation illégale autant que illégitime.

Quel est donc ce monde prétendument libre et qui n'a retenu des déportations génocidaires du passé que des conventions, des principes, qu’il laisse à sa libre transgression. De quoi les mots sont-ils faits ? Que véhicule le langage ? De quelle perte souffre ce jour le vocabulaire des Hommes, sinon du sens de la chair qu’il n’habite plus jusqu’à se poser la question : a-t-il seulement jamais laissé la chair l’habiter ?

Plus encore qu’un exil forcé, le « déplacement » massif, contraint par la force militaire écrasante de l’occupant colonial,  renvoie à un  impérialisme et ses diktats qui en la circonstance précise, bénéficient du sourd consensus d’une part criminelle de la communauté internationale.

Déplacement…déplacement… doit être entendu dans toute l'acception de ce terme c'est-à-dire, d'arrachement à la terre, à la patrie, à la mémoire des ancêtres et oblitère toute perspective d’un retour  des Palestiniens à Gaza. (sauf renversement des rapports de force internationaux).

Qu'advient-il du sujet humain une fois qu’il est arraché à tout ce qui l’a édifié comme personne singulière dans et avec sa communauté d'origine ?

Que  devra-t-il souffrir dans sa chair pour se reconstruire avec ses congénères, lorsque de sa terre, de sa patrie qui sont culturellement son métier à tisser les relations humaines, il est dépossédé ?

Quel devenir quand les cinq sens de tout Homme sont soudain privés, séparés du jardin qui les a cultivés, et que les morts enterrés dans ce jardin du pays d’origine, sont eux-mêmes effacés par la cruauté de l'occupant ?

Vieux-nouveau monde : de quelle amnésie l'envahisseur s’est-il frappé lui-même, jusqu’à nier en l'autre ce qu'on a jadis nié en lui d'appartenance à une humanité sensible et son verbe : ce verbe qui de toute histoire de civilisation, ne saurait être dissocié de la chair qu'il imprègne autant qu'elle l’abrite pour construire langage entre les hommes ?

Jour comme nuit
l’histoire met à la gorge du palestinien
un collier de serrage bigarré
Soir et Matin  la sagesse de l’oiseau chante
à chacun chacune le pays de sa naissance
jusque parmi les astres

Quand le colon met entre les yeux de sa victime
l'occupation de l'horizon
Lorsqu’il veut que son prochain soit disparu de sa vue
Il lui faut faire savoir qu'il ne pourra dérober
ni effacer la mémoire des enfants de la terre
qu’il ne parviendra jamais à anéantir la clarté de la source
ni à posséder la chaleur d'un rayon de soleil
ni à dissuader un carré de ciel bleu
de réchauffer toujours le pourchassé

Toutes choses sont liées
Les cendres en lesquelles l'occupant veut réduire la terre
sont celles de toutes et tous mêlés à travers les temps

Sans la mémoire des uns comme des autres
ces cendres inséparables ne peuvent que mourir de solitude 

L'humus charrie les souvenirs des Palestiniens
il féconde l'herbe sauvage qui lève entre les pierres
sur la route de décennies de non reconnaissance

Puisse un jour le pourchassé
respirer dans les fleurs du jasmin
l’ivresse d’un matin libéré

Sache un jour l'oiseau
voir dans les yeux de l'arbre abattu
l'ombre de son vol préservé

Entende un jour chacun
crier les mots d'amour qui ne se perdent pas
goûter le calme du baume
enveloppant le rêve qui n'a pas fui

Cherchons le visage d'antan éclairer demain
Entendons l'appel montant des puits de l’abandon
Regardons par des yeux de voyants
Touchons par des doigts de chair
Réalisons que ce qui devrait être dit
sera scellé
que ce qui voudrait être tu
sera proclamé

Toute conscience historique détourne la censure du temps
Entre les pages d’énigmes elle pressent la saison de printemps
que dresse son verbe  dans la traversée de l’infini à la chair
tandis que la parole dessine la porte qui ouvre
sur le site du sens
d’un radical surgir

Présentation de l’auteur

Philippe Tancelin

Philippe Tancelin est né Le 29 mars 1948 à Paris. Docteur d’Etat en Philosophie-Esthétique. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont :

  • Ecrire, ELLE 1998 ;
  • Poétique du silence, 2000 ;
  • Cet en-delà des choses, 2002 ;
  • Ces horizons qui nous précèdent, 2003 ;
  • Les fonds d’éveil, 2005 ;
  • Sur le front du jour, 2006 ;
  • Poétique de l’étonnement, 2008 ;
  • Poétique de l’Inséparable, 2009 ;
  • Le mal du pays de l'autre ;
  • L’ivre traversée de clair et d'ombre, 2011 ;
  • Au pays de l'indivis aimer (…) éd. l’Harmattan, 2011. 
  • Tiers-Idées, Hachette 1977; En collaboration avec G. Clancy ;
  • Fragments-Delits,  Seghers 1979 ;
  • L'été insoumis, 1996 ;
  • Le Bois de vivre, l'harmattan, 1996 ;
  • L'Esthétique de l'ombre, 1991 ;
  • La question aux pieds nus ;
  • En passant par Jénine, 2006 (éd. l''Harmattan) ;
  • Le Théâtre du Dehors, Recherches, 1978 ;
  • Manoel De Oliveira, Dis-voir I987 ;
  • Théâtre sur Paroles, Ether Vague 1989 ;
  • Entretiens avec Bruno Dumont, Dis-voir, 2002.

 

Philippe Tancelin

Autres lectures




Jean-Paul Gavard-Perret, Peau d’Anne

Un certain « nous » existe en ce « je-tu ». Il soulève du au féminin au masculin l'histoire du labyrinthe de deux êtres. S'y perdre est à la fois un plaisir et une angoisse et accepter le risque dans la proximité troublante de nos mots juste au-dessus d’une ligne de flottaison. Avançons à tâtons, surnageons. Je deviens le berger de ton cosmos et souffle dans la corne d'ivoire et ta clochette rose blanches pour titiller tes nuits. Et quand je prends mon bain avec toi tu brilles en pépite dans l'eau bleue, en feu blanc d'étoile.  Tu n »as plus peur de notre parcours labyrinthique. 

Nous y sommes engagés ?  Sois Ariane et moi Thésée. Il faut avancer car nous allons vers le mystère. D’abord j’ai imaginé avec ce que j’ose t’enlever. J’hiberne loin de ta robe et de ton chemisier.  Tu es comme dans un hôtel couchée dans toutes les chambres et tu possèdes le sens de la connivence jusqu’au moment où le jour se lève. Nos moiteurs remuent dans nos moussons du cœur. Que l'urgence nous dépêche afin que nous voulions la lenteur. 

Tu n'es pas là. Tu es toujours là. J'ai voyagé avec toi. Loin de toi. Sache que les heures opalines ne parlent qu'aux oiseaux de tes lagunes. Je rejoins ton royaume retranché dans quelques creux de sable et de rochers. Tu es Calypso nymphe et reine d'Ogygie. Tout 'amour tu le tiens dans tes rets. Et tu tires le présent le passé. Et lorsque les arbres cherchent leur ombre, tu ouvres l’espoir de nous rencontrer. Attends de mes mots ce qu’ils ignorent de ton énigme. Mais je m’y engouffre et ne garde plus le silence. Va désormais jusque-là où tu te retenais d'aller. Nos secrets font des jardins d’Eden. Sa houle porte jusqu’à ton écume ? 

Qu’est-ce qui a commencé ? Quand as-tu commencé ? L’un est prisonnier aveugle, l’autre, mains liées dans le dos. Mais tu es à nouveau plus libre que la mer.  Imagine la carte du ciel avec dans la tête des oies sauvages. Plus proche de toi ma pensée te touche. Elle est douce, émerge de la nuit. Le dedans est dehors. Le dehors est dedans.

Photo de Robert Mappelthorpe.

Présentation de l’auteur

Jean-Paul Gavard-Perret

Né en 1947 à Chambéry, Jean-Paul Gavard-Perret poursuit une recherche et une réflexion littéraires ponctuées d'une vingtaine de livres de textes brefs - dont « La mariée était en rouge » (éditions du Cygne), Cyclope (Editions de L'atlantique) - ou d'essais dont "Samuel Beckett, l'imaginaire paradoxal et la création absolue", (Minard).

© Crédit photo Bissey

Bibliographie

Fictions et textes brefs

  • Toile Peinte, Argo, Lausanne, 1976, (Sous le pseudonyme d'Annie Renaud).
  • Dans ses gestes, l'Attente, L'Incertain, Paris, 1991.
  • La Partition, Garenne, Lyon, 1991.
  • La Répétition, La Demeure, Courtaud, La Souterraine, 1992.
  • Ici en l'obscur, Ecbolade, Nœux, 1993.
  • Comme un voyage, Édition Philippe Morice, 1° édition 1993, 2e édition revue, 1994.
  • Le jour où j'ai tué Papa, Exquis-Cadavres, Virgin-Calman-Lévy. Paris, 1995.
  • L'Œil du Cyclope, en collaboration avec le graveur Marc Pessin, La Main Courante, La Souterraine, 1995.
  • Le jardin des délices, Le flâneur des deux rives, Juvinas, 1996.
  • Art, Légende, Réalité, Barré-Dayez, Paris, 1996.
  • Douce, techniquement. en collaboration avec le peintre Marcel Warmenhoven, Ecbolade, Nœux, 1996.
  • Le froid, Éditions La Dérive, Verviers, 1996.
  • Nécessaire sacrifice aux étoiles, Éditions le Givre de l'Éclair, Troyes, 1998.
  • Généalogie vénitienne, Rafael de Surtis, Chèvres, 1998.
  • L'Araignée de feu, Éditions du Non Verbal, Bordeaux, 1998.
  • Drawing by embers, La Main Courante, La Souterraine, 1998.
  • Trois faces du nom, L'Harmattan, Paris, 1999.
  • Venise, Éditions de L’Heure, Pry, Belgique, 1999.
  • Le cycle des vanités, Éditions Pierron, Sarreguemines, 1999.
  • Passager de sa pluie, Éditions de l’Heure, Pry-lez-Walcourt (Belgique), 2000.
  • Demain, hier, Éditions on @ faim, Saint Étienne de Rouvray, 2001.
  • Cielle, Éditions Clapas, Aguessac, 2001.
  • La maison de l’être, Éditions Clapas, Aguessac, 2001.
  • Soul-Eyes, Éditions à Demeure, Vals, 2001.
  • La descente ; absence et crue, Éditions à Demeure, Vals, 2001.
  • Une manière noire - fragments sur Jeanne, in «Cuisine et cuisines», Éditions La Dérive, Verviers, 2001. Premier Prix Georges Simenon 2001
  • K, Véronique Van Mol éditeur; Orgeo (Belgique), 2001.
  • Soir (de Paris), Atelier-Éditions Vincent Rougier, Port de Couze, 2002
  • Chants de déclin et de l’abandon, Éditions Pierron, Sarreguemines, 2003.
  • Neige suivi de l’immobile, coll. Ficelle, Atelier Vicent Rougier, Port de Couze Lalinde, 2005.
  • L'image est une chienne, l'Ane qui Butine, Belgique, 2005.
  • Fil rouge, éditions Regard; Petite revue d’Art, Le Grand Abergement, 2005.
  • Porc épique, éditions du Petit Véhicule, Nantes, 2006.
  • A perte de vue : Manhattan Transfert, coll. Pamphlet, Éditions L'Âne qui butine, Mouscron (Belgique), 2007.
  • Mon ex a épousé un Schtroumpf (sous pseudonyme de Garr Gammel), Éditions Chloé des Lys, Barry (Belgique) 2008.
  • E muet, éditions du Trident Neuf, photographie de Marie Bauthias, Toulouse, 2008
  • La jeune femme qui descend l'escalier, Éditions du Cygne, Paris, 2008.
  • La mariée était en rouge, Éditions du Cygne, Paris, 2008.
  • L'appel de la forêt, avec des peintures de Jacques Barry, Éditions Jean Villevieille, Saint Étienne, 2010.
  • Je veux, La dictée-poésie sans faute, 60e "ficelle", Atelier d'art Vicent Rougier, .
  • Dissemblance et figuration, avec une intervention plastique de Mariette, Éditions Le verbe et l'empreinte, Saint Laurent du Pont, 2011.
  • Portraits Singuliers avec et pour les peintures de Claudine Loquen, Éditions Lelivredart, Paris 2011.
  • Cyclope, Éditions de L'Atlantique, Saintes, 2011.
  • Eugène Leroy ou les apparitions, Almagra Éditions, Nantes, 2011.
  • Labyrinthes, éditions Marie Delarbre, Grignan, .
  • 25 courts textes dans le recueil de photographie de Nath-Sakura Fatales, Éditions Victoria.

Autres recueils de textes brefs :

    • Another – Hormoz photographies, Corridor Elephant Editions, Paris, 2016.
    • "Le Faubourg" avec encres de Danielle Berthet, Voix Editions, Richard Meier, 2019.
    • Fluidification des éc(r)oulements, Editions Furtives, Besançon, 2019.
    • Fornikatord, Editions Furtives, Besançon, 2019.
    • La lettre d'amour qui ne s'écrit pas, Editions Furtives, Besançon, 2019.
    • Le bal des mots dits, Editions Furtives, Besançon, 2019.
    • Le boxon de X, Z4 Editions, 2019.
    • Univercités, Editions Jacques Flament,  2020.
    • Patience dans la boîte noire - Jean- François Dalle-Rive, avec M-P Deloche, Folazil, Grenoble, 2020.
    • Joguet, Joguette, Z4 Editions, 2020.
    • Phare d'eau, éditions Constellations, octobre 2022
    • Toussa pour ça & Firmaman, éditions Constellations, décembre 2022
    • Pro Loques, éditions Constellations, février 2023
    • Région humaine suivi de Zébulon Comète et sa maîtresse, éditions Constellations, mai 2023

Poésie

  • Corps de Pierre, Le Pont de l'Épée, Paris, 1976.
  • Elle, Écrite, Hautécriture, Nouaillé, 1990.
  • La main le Désert, Vague Verte., Wagnarue, 1991.
  • Le délit d'Absolu, L'Arbre à Paroles, Amay-Bruxelles, 1991.
  • L'effacement, L'Arbre à Paroles, Amay-Bruxelles, 1992.
  • Suite intempestive, en collaboration avec René Quinon, Le Flâneur des deux rives, 1996.
  • Ibériques, Interéditions, Paris, 1996. (Grand Prix de poésie du Val de Seine).
  • Avalée, Avalanche, Le Chant de l'Aleph, Paris, 1997.
  • Fermeture en fondu sur la lumière du soir, "Conduite forcée", (Éditions à tirage limité, Eric Coisel Éditeur, Paris, 1998.
  • Arachnéenne, Éditions de L'Agly, Saint Paul de Fenouillet, 1998.
  • Pêcheur d'Islande, (Grand Prix de poésie de la Ville de Dunkerque)
  • Verbes suivi de Anglaises, Éditions Clapas, Aguessac, 1998.
  • Bonjour Monsieur le Facteur, sur des collages de Éric Coisel; Éric Coisel Éditeur, Paris, 1999.
  • Visages, en collaboration avec la plasticienne Charlette Morel-Sauphar, Éditions Passage d’Encres, Romainville, 1999.
  • Noire sœur, écrit et illustré en hommage à S. Beckett, Vincent Courtois éd., 1999.
  • Clé de l’abyme, Le scarabée d’or, en collaboration avec le plasticienne Charlette Morel-Sauphar, Passage d’encres, Romainville, 2000
  • Incisions de lumière, en collaboration avec la plasticienne Charlette Morel-Sauphar, Passage d’encres, Romainville, 2000.
  • Primitives du futur, Éditions de La Porte, Laon, 2000.
  • Final Cut & Survivance, en collaboration avec la plasticienne Ch. Morel-Sauphar, Gech Mosa éditions d’art, Mâcon, 2001.
  • L’Injonction, en collaboration avec Annie Frédéric, coll. Tête-à-tête, Éditions Alain Benoît, Rocheford du Gard, 2001.
  • Les carrés de Charlette, coll. Encres Blanches, Éditions Encres Vives, Colomiers, 2001.
  • Rouge Sang, Charlette Morel-Sauphar ed., Bussières-Macon, 2002.
  • Dons de Mélancolie – A l’épreuve du temps, avec des photographies de Georgette Glodek, Éditions Dumerchez, Creil, 2003.
  • Déchirures, avec des peintures de Bernard Quesniaux, Éric Coisel éditeur, coll. “ Mémoires ”, Paris, 2004.
  • Ethernitée, avec des dessins de Mylène Besson, coll. “à la Main”, édition l’Attentive, Paris, 2004.
  • Araba, Éditions du Contentieux, Toulouse, 2004.
  • Donner ainsi l’espace, Éditions La Sétérée, Crest, 2005.
  • Les blés d’or, Aquarelles de Nicole Pessin, coll. Le fil à retordre, Atelier Marc Pessin, Saint Laurent du Pont, 2006.
  • Voyages immobiles, avec des peintures de Chantal Brischoff et des photographies de René Auger, RC Création, Thorissey.
  • Les paroles de neige, Aquarelles de Nicole Pessin, coll. Le fil à retordre, Atelier Marc Pessin, Saint Laurent du Pont, 2007.
  • Gisante, Eden et après, avec des illustrations de Mylène Besson, Éditions Chloé des Lys, Barry (Belgique), 2007
  • Le voyage, avec une intervention originale de Alain Quercia, Jean Pierre Huguet Éditeur, Saint Julien Molin Molette, 2007.
  • Vertical Duo, avec Marie Bauthias, Éditions du Trident Neuf, Toulouse, 2008.
  • Sillage de Lumière, avec des dessins de Nicole Pessin, Le Fil à retordre, Saint Laurent du Pont, 2009.
  • Faire parler le jour, avec des dessins de Nicole Pessin, Le Fil à retordre, Saint Laurent du Pont, 2009.
  • Odyssée, Raymond Chabert entrée en matière, avec des peintures de Raymond Chabert, photographies de René Auger, RC Création, Thorissey, 2009.
  • Stations christiques, avec des encres de Nicole Pessin, Le Fil à retordre, Saint Laurent du Pont, 2009.
  • & - livret 19, avec les photos d'EOle, EOle éditions, La Batie Montgascon, 2009.
  • Miss Fitts et autres Histoires Ceintes, avec des dessins de Jean-Marc Scanreigh, Éditions Atelier Vincent Rougier, Soligny la Trappe, 2010.
  • L'alphabet des primitifs du retour, avec des aquarelles de Nicole Pessin, Le Fil à retordre, Saint Laurent du Pont, 2010.
  • Les boîtes à A, coll Matchboox, Éditions Voix, Elne, 2010.
  • Le Dictionnaire des Âmes, avec des aquarelles de Nicole Pessin, Le Fil à retordre, Saint Laurent du Pont, 2010.
  • Musikâa, éditions Marie Delarbre, Malissard, 2010.
  • Les enfants de la mer, avec des Aquarelles de Nicole Pessin, Le Fil à retordre, Saint Laurent du Pont, 2011.
  • Noël en alphabet, avec des Aquarelles de Nicole Pessin, Le Fil à retordre, Saint Laurent du Pont, 2012.
  • Les Seins d’Abeille , Editions Jean-Pierre Huguet, St Julien Molin Molette, 2014.
  • "Autre huche" Coll. Apostille Danielle Berthet, Aix Les Bains 2016
  • "Chéri( e)s ou le sexe se met en dernier", coll. Apostilles, Danielle Berthet, Aix Les Bains, 2017.
  • Chambéry en alphabet dessins de Nicole Pessin, Edition Varia Poetica, Saint Laurent duPont,2017
  • "Clavecin des brumes" avec des peintures originales de Andelu, Editions du Geste, 2016.
  • Tu me vois - Sylvie Aflalo-Haberberg", Paris, Sylvie Aflalo-Haberberg, 2019.
  • "Cui cuit" Coll. Apostilles Danielle Berthet, Aix Les Bains, 2018
  • "Lionne va", avec encres Danielle Berthet Le Livre Pauvre, Daniel Leuwers, 2019.
  • "Anna-Base", Editions Furtives, Besançon, 2019.
  • "Pâle haie des spores", coll. Apostilles, Danielle Berthet, Aix Les Bains, 2019.
  • "Le retour sans l'aller", Editions Furtives, Besançon, 2019.
  • "La maison de ma mère" livre d'artiste dessins Danielle BERTHET, 2022
  • "LICHENS sur la neige" livre d'artiste encres et gravures Danielle Berthet, 2022

Essais et Catalogues

  • La Pop-music, Édition Bibliothèque de Travail, Paris.1978.
  • Jean-Luc Favre ( Reymond) : la scène primitive et l'obstination compulsive, S.G.E. Genève. 1995.
  • Jean Jacques Rousseau et retour - Catalogue du sculpteur Marcel Warmenhoven, Den Haag, 1996.
  • 91 apparitions de Marie-Madeleine, (sur les Photographies de Véronique Sablery), Centre d'Art Contemporain, Hôtel Saint-Simon, Angoulême, 1996.
  • Burroughs, le fil(s) perdu, de l'autobiographie à la scriptographie, Éditions Derrière la salle de bains, Rouen, 1996.
  • René Quinon : l'écriture & le silence, Éditions le flâneur des deux rives, Juvinas, 1997
  • Postface à La disparition Fellini de Jacques Kober, Rafael de Surtis Éditeur, La Touche, 1998.
  • Eugène Leroy ou les apparitions, Patin et Coufin, Marseille, 1998
  • La didactique du français dans l'enseignement supérieur : Bricolage ou rénovation?, coll. Sémantiques, L'Harmattan, Paris, 1998.
  • Josef Ciesla : les portes du silence ou le chant des signes, coll. les Sept Collines, Jean Pierre Huguet Éditeur, St. Julien Molin Molette, 1999.
  • Hypothèse du tableau comme clandestinité - propositions pour Gérard Gasiorowski, Éditions Patin et Couffin, Marseille, 1999.
  • Jacques Simonomis, en collaboration avec Jean Rousselot, Éditions de La Lucarne Ovale, Paris, 1999.
  • Evelyn Gerbaud, Éditions Passage d’Encres, Romainville, 1999.
  • Visages - l’œuvre de Charlette Morel Sauphar, Éditions Passage d’Encres, Romainville, 1999.
  • Filigranes-Passages, Catalogue de la plasticienne Charlette Morel Sauphar, Macon, 2000.
  • Les oubliés magnifiques, Éditions Librairie Bleue, Troyes, 2000.
  • Samuel Beckett : l’Imaginaire paradoxal ou la création absolue, Paris, Minard, 2001.
  • Nécessaire défaut de la réalité ou la lettre d’amour qui ne s’écrit pas, in «De tous les jours, photographies de J-Claude Bélégou», Éditions Photographies & Co, Sausseuzemare, 2001.
  • Suites, séries, variations. Catalogue du peintre Joel Leick, in «Suites et Séries», Éditions L’Harmattan et Tour Carrée, Paris, 2001.
  • Beckett et la poésie : la disparition des images, Éditions le Manuscrit, 2001.
  • Drawing by Embers ou la poétique du silence & Du Paradis in «Du Vide au Silence : La Poésie», Éditions Vermillon, Ottawa (Canada), 2002.
  • Théo Crassas : Songs for Distingué Lovers, Éditions Encres Vives, Colomier, 2002.
  • Catalogue de Véronique Sablery pour l'installation "L'Apparition", Salle Royale, Église de la Madeleine, Paris (Avril, mai ).
  • Thierry Tillier : Lieux et dérives du corps, Éditions de l’Heure, Charleroi, 2003.
  • Un monde toujours nouveau, CD-Rom des œuvres de Charlette Morel-Sauphar, réalisé par Ch. Baudrion, CRDP de Bourgogne & CDDP de Saône et Loire, 2003, Dijon.
  • Catalogue de l’exposition Jean Gaudaire-Thor, Bridgette Mayer gallery, 209 Walnut street, Philadelphie, USA. (sous pseudonyme).
  • Hommage à Blanchot, collection Signes, Éditions Aleph, Malissart, 2003.
  • Marcel Rist, l’étreinte ou l’épreuve des traces, Éditions Anonyme, Auvers Saint Georges, 2004.
  • Le chant des mots et la forêt des signes Préface de «Livres à l’envi - livres d’artistes et affiches de J-M Scanreigh» de Jean Paul Laroche, Éditions Mémoire Active, 2004, Lyon.
  • Catalogue Michel Butor et les peintres, Musée Faure, Aix Les Bains, février-.
  • François Bidault : le surface impossible ou le tableau qui pense in «Jeux de surface», coll. Écriture et Représentation, LLS, Éditions Université de Savoie, 2006.
  • Marie Morel, Éditions anonyme, Chambéry, 2006.
  • Ankh : sculptures et gravures, Chapelle de la Visitation, Thonon les Bains, - .
  • Franchir la frontière ou la poésie comme manuel de félixité et Théâtre de la poésie, poésie de la langue, in «Constantin Frosin, francophile roumain» sous la direction de Laurent Fels, coll. Essais/recherche, Éditions Poiêtês, Orthez, 2008.
  • Cool Memories", catalogue de l'Exposition de Véronique Sablery, «Tentation du visible», Abbaye Saint martin de Mondaye, juin-.
  • Une traversée du siècle : arts, littérature, philosophie : hommages à Jean Burgos, avec Barbara Meazzi et J-Pol Madou, Presse de l'Université de Savoie, Chambéry, 2008
  • Martine Quès : Petits bassins d'eau salée, Photographies, Ateliers des Arts Mêlés, Gargas, 2008
  • Martine Quès : Photographier les rochers, Ateliers des Arts Mêlés, Gargas, 2008
  • Il y a du froissé dans l'air, n° froissé, catalogue pour l'exposition de Vincent Rougier à L'Apostrophe - Théâtre des Louvrais Pontoise, Éditions Atelier Vivent Rougier, Soligny la Trappe, 2009.
  • La cécité n'a pas gelé mon corps il l'était avant, in «Au nom de la fragilité, des mots d'écrivains» sous la direction de Charles Gardou, Éditions Erès, Paris. 2009.
  • Jouve, la vision de la femme, in «Jouve poète européen», Cahiers P-J Jouve, no 1, Éditions Calliopée, 2009.
  • Loques et interloques : la vie dans les plis in «La surface : accidents et altérations», coll. Écriture et Représentation, LLS, Éditions Université de Savoie, 2010.
  • Mylène et Pierre in catalogue «Pierre Leloup - Mylène Besson, Face à Face», Musée Faure, Aix les Bains. Publication de la société d'art et d'histoire d'Aix les Bains, no 62, ..
  • Voies de passage et Petit dialogue intempestif in catalogue « Courto, fragments tatouant », Éditions Musées de la ville de Chambéry, 2011.
  • Miroir du déserteur, littérature, psychanalyse, miroir de l'autre in «Polars En quête de… l'Autre», collectif sous la direction de P-L Savouret, coll. "Écriture et représentation", Éditions LLLS, Université de Savoie, 2011.
  • Eugène Leroy ou les Apparitions, nouvelle version, 2011, Almagra Éditions, Nantes, 2011.
  • Nicole Valentin et la chair-voyance, catalogue de l'exposition "Autour du feu" de Nicole Valentin, espace Autour du feu, 24 rue Durantin, Paris 18e, .

Ouvrages

  • "Si j'étais moi", dans la revue d'art TROU no. XX, 2009
  • La Mariée était en rouge, Éditions du Cygne, Le Chant du cygne, 2009.
  • La Jeune Femme qui descend l'escalier, Éditions du Cygne, Le Chant du cygne, 2008.
  • À perte de vue : Manhattan Transfert, L'Âne qui butine (Belgique), 2007.
  • Les Impudiques : cratères littéraires, Éditions du Cygne, Le Chant du cygne, 2007.
  • Le Voyage, avec une intervention originale de Alain Quercia, Jean-Pierre Huguet éditeur, 2007.
  • L'Homme et l'espace, Atelier Andelu, 2007.
  • Porc épique, Éditions du Petit Véhicule, 2006.
  • Les Blés d'or, aquarelles de Nicole Pessin, Marc Pessin, 2006.
  • Donner ainsi l'espace, La Sétérée, 2005.
  • Thierry Tillier : lieux et dérives du corps, Éditions de l'Heure, 2003.
  • Dons de Mélancolie - à l'épreuve du temps, avec des photographies de Georgette Glodek, Dumerchez, 2003.
  • Chants de déclin et de l'abandon, Éditions Pierron, 2003.
  • Samuel Beckett : l'Imaginaire paradoxal ou la création absolue, Minard, 2001.
  • Le Silence de l'Ile, peint par Tony Soulier, Éric Coisel, 2001.
  • Beckett et la poésie : la disparition des images, Éditions Le Manuscrit, 2001.
  • Évelyn Gerbaud, Éditions Passage d'Encres, 1999.
  • Trois Faces du nom, L'Harmattan, 1999.
  • Le Cycle des vanités, Éditions Pierron, 1999.
  • Josef Ciesla : les portes du silence ou le chant des signes, Jean-Pierre Huguet éditeur, Les Sept Collines, 1999.
  • Hypothèse du tableau comme clandestinité - propositions pour Gérard Gasiorowski, Éditions Patin et Couffin, 1999.
  • L'Araignée de feu, Éditions du Noroît (Canada), 1998.
  • Généalogie vénitienne, Rafael de Surtis, 1998.
  • Eugène Leroy ou les apparitions, Éditions Patin et Couffin, 1998.
  • Drawing by embers, La Main courante, 1998.
  • Arachnéenne, Éditions de L'Agly, 1998.
  • Ibériques, Éditinter, 1996.
  • Burroughs : le fil(s) perdu, de l'autobiographie à la scriptographie, Éditions Derrière la salle de bains, 1996.
  • Le Jour où j'ai tué papa, Virgin-Calmann-Lévy, 1995.
  • L'œil du cyclope (en collaboration avec Marc Pessin), La Main courante, 1995.
  • Jean-Luc Favre : la scène primitive et l'obstination compulsive, SGE (Suisse), 1995.
  • Ici en l'obscur, Ecbolade, 1993.
  • L'Effacement, L'Arbre à paroles (Belgique), 1992.
  • La Main, le désert, Vague verte, 1991.
  • Elle, Écrite, Hautécriture, 1990.
  • La Pop music, Éditions Bibliothèque de Travail, 1978.
  • Corps de pierre, Le Pont de l'Épée, 1976.

Autres lectures

Jean-Paul Gavard-Perret, Joguet, Joguette

Jeux de maux d’amour   Nous parvient la nouvelle « Diagonale de l’écrivain », collection que dirige de main de maître Philippe Thireau, lui-même écrivain, et dans laquelle il convie ses auteurs à s’extriper du [...]




Ce qui reste, le ressac numérique d’une poésie en partage

Fondée par Vincent Motard‑Avargues et aujourd’hui co‑éditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud‑Marcheteau, la revue en ligne Ce qui reste s’est donné pour mission de « reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres » : chaque semaine, un poète et un artiste visuel se répondent dans un cahier numérique publié en libre accès. Ce rythme court, allié à un parti‑pris de lenteur revendiqué dans l’éditorial récurrent « Ralentir », installe un tempo singulier au sein de la constellation des revues francophones.

Dès la page d’accueil, trois onglets suffisent — Librairie, À propos, Archives — auxquels s’ajoute un discret appel au don : la navigation dépouillée fait la part belle à la page pleine, où le texte se détache sur un fond monochrome accordé aux œuvres graphiques. Ici, pas de dispersion : la lecture à l’écran mime la page du livre, tandis qu’un simple clic conduit vers la version feuilletable sur Calaméo ou Issuu, voire vers une souscription papier chez l’éditeur ami, Écheveaux éditions. 

Chaque numéro se présente comme un dossier monographique : une courte note éditoriale rappelle la raison d’être de la revue ; le bloc de poèmes alterne avec une galerie d’images ; une mention « Pour souscrire au livre papier » prolonge l’expérience hors‑ligne ; les mentions légales (ISSN 2497‑2363) ferment la marche.

La rubrique Archives regroupe à ce jour près de 400 dossiers classés par auteur, consultables directement ou via Calaméo. La Librairie propose les tirages papier les plus demandés — signe qu’un lectorat fidèle accompagne la revue du pixel au papier.

Le dernier numéro, de février 2025, offre une thématique déjà éminemment poétique, La Mer entre les Terres. Il réunit la poète anglo‑israélienne Jennie Feldman (extraits de No Cherry Time, Arc Publications, 2022) traduite par Gilles Ortlieb, et les peintures atmosphériques du photographe‑peintre Jacques Bibonne. Entre l’anglais et le français circule une mémoire de la Méditerranée : ports, plages, stations ferroviaires deviennent autant de seuils où « la déferlante » menace mais n’engloutit jamais. Le cahier (26 pages) ménage de larges respirations visuelles ; une typographie à chasse élargie épouse les aplats minéraux des toiles, tandis qu’une palette de gris bleutés évoque l’écume. La notice finale annonce une version imprimée, confirmant la stratégie de la revue : tester le poème en ligne avant de le confier au papier.

À l’heure où la profusion numérique menace la lisibilité, Ce qui reste choisit le ralentissement et le cadre serré : un poète, un artiste, un cahier. Rien de plus — et c’est assez pour que le lecteur avance sans bruit « vers ce qui restera lorsque toutes les revues se seront tues ». Une promesse de durée inscrite dès le titre ; une esthétique de la parcimonie qui fait mouche ; un modèle hybride (web + papier) qui pourrait bien tracer un sillon durable dans le paysage mouvant des revues de poésie contemporaines.




Terre à ciel : constellations pour une poésie d’aujourd’hui

Fondée en 2005 par la poète et passeuse Cécile Guivarch, Terre à ciel s’est rapidement muée d’un carnet personnel en une revue collective ; aujourd’hui, elle est animée par une équipe élargie : Françoise Delorme, Clara Regy, Sabine Dewulf, Isabelle Lévesque, Florence Saint-Roch, et Olivier Vossot... tout en gardant son principe d’"hospitalité artisanale". La devise qui barre sa page d’accueil — « Poésie d’aujourd’hui » — dit bien son ambition : refléter, chaque semaine, la pluralité des voix contemporaines, qu’elles viennent du terroir francophone ou du vaste « voix du monde ».

L’interface privilégie la lisibilité : menu latéral fixe, police sans‑sérif claire, et rubriques hiérarchisées comme autant de portes d’entrée - Un ange à notre table : publication de poèmes inédits d’un auteur invité, souvent accompagné d’un bref autoportrait, Terre à ciel des poètes : fiches bio‑bibliographiques fouillées, nourries d’entretiens, Voix du monde : traductions inédites, parfois multilingues, L’arbre à parole : focus sur l’oralité (lectures, vidéos, podcasts), Hep ! Lectures fraîches ! – chroniques critiques courtes, attentives aux parutions discrètes (rubrique apparue en 2023), Paysages, Bonnes feuilles, Mille‑feuilles, À l’écoute ... autant de ramifications qui organisent la revue comme un herbier vivant plutôt qu’un sommaire figé.

Chaque page s’achève sur un bloc Terre à ciel a reçu, véritable liste de dépôts en librairie qui tient lieu de veille bibliographique.

Depuis 2019, l’équipe publie, en marge du flux continu, des dossiers thématiques numérotés. Les plus récents donnent une belle image de ce travail remarquable : La poésie ne fait pas genre (avril 2024), Le poème nous fait signe (juillet 2024), Pour que la vie jaillisse (décembre 2024).

Ces dossiers servent d’instantanés critiques : un éditorial, une brassée de textes, un bouquet d’articles critiques et d’entretiens. Le n° 21, dont le titre emprunte à René‑Guy Cadou, s’ouvre sur une méditation : « Quoi de plus intense, de plus secrètement vivant ? » avant de convoquer Ron Rash, Fabienne Ronce, Sabine Dewulf et une sélection d’éco‑poètes autour de la question du souffle vital. Le sommaire, volontairement foisonnant mais lisible grâce aux ancres internes, alterne poèmes, notes de lecture, et Lignes d’écoute — rubrique où Sabine Dewulf fait dialoguer un livre et une œuvre d’art sonore.

Enfin, et pour rendre compte de la spécificité de cette belle revue, Terreàciel se définit d’abord comme une revue‑site : son architecture arborescente privilégie la circulation par rubriques, ce qui autorise des mises à jour constantes et l’ajout d’entrées au fil de l’eau. Sa temporalité combine un flux hebdomadaire de publications (lectures fraîches, inédits, entretiens) et des dossiers numérotés paraissant deux fois par an — les n° 19 à 21 ont jalonné la période 2024‑2025. A cette richesse de contenu s'ajoute une ouverture manifeste : la rubrique Voix du monde  multiplie les traductions inédites tandis que Un ange à notre table accueille de jeunes auteurs francophones, créant un dialogue constant entre horizons linguistiques et générations. Pilotée par une équipe collégiale et bénévole, chaque section porte la signature d’un responsable (critique, traducteur, artiste sonore), gage d’expertise et de diversité de points de vue. 

Polyphonie donc (centaines d’auteurs indexés), porosité des genres (poème, essai, image, son),  chronique de l’actualité éditoriale et aventure d’un laboratoire poétique permanent : Terre à ciel compose une géographie sensible où le lecteur circule, non pas de numéro en numéro, mais « de la terre au ciel » — c’est‑à‑dire de la rumeur du monde au battement intime du poème.




Francopolis : la poésie en archipel

Créée en 2002 par un collectif international (Québec, France, Belgique, Suisse), Francopolis s’est d’emblée voulue « site de la poésie francophone » : un carrefour où se croisent écritures, arts visuels, sons et traductions, dans l’esprit d’appeler toutes les francophonies. Plus de vingt ans plus tard, la revue tient toujours ce pari d’hospitalité, portée par un comité collégial (Dana Shishmanian, Éric Chassefière, Dominique Zinenberg, François Minod, Mireille Diaz-Florian, Eliette Vialle, etc.) qui orchestre une quinzaine de rubriques foisonnantes.

Le n° 184, paru au printemps 2025, déploie un sommaire à la fois ample et équilibré : il s’ouvre sur un Salon de lecture où Gilles Lades, interrogé par Catherine Bruneau, orchestre un bouquet de poèmes en dialogue avec un entretien fouillé ; la rubrique Lectures/Chroniques consacre ensuite un dossier critique à Attentive, éperdument d’Ida Jaroschek, confirmant l’attention de la revue aux voix singulières de l’heure. Dans Créaphonie, poèmes et peintures de Catherine Bruneau et François Teyssandier explorent la fusion image‑verbe, tandis que Une vie, un poète rend un hommage sensible à Fernando Pessoa, "l'innombrable". La polyphonie s’élargit avec D’une langue à l’autre, qui propose un poème inédit de Daniel Martinez, avec traduction en italien, quatre poètes italiens contemporains, et des poèmes bilingues (persan/français) de Saghi Farahmandpour ; puis Franco‑semailles offre des poèmes inédits d'Anne Barbusse, Richard Taillefer, Patrick Joquel, etc., alors que Vue de francophonie nous propose des inédits de Flavia Cosma (Québec) et Victor Saudan (Suisse). Un Coup de cœur met en avant l'œuvre de Patrick Quiller.

Pour la diversité de ses entrées (du haïku filmé à l’essai érudit), pour sa mémoire vivante (des centaines de dossiers disponibles en ligne), et pour cette façon singulière de tisser sans hiérarchie la poésie et les arts, la création contemporaine et la redécouverte patrimoniale. Francopolis incarne, en somme, une francophonie poétique connectée, polyphonique et généreuse — un archipel que l’on explore à la manière d’un atlas hypertexte, en se laissant guider par la houle des liens.




La passe-frontière des étoiles : Rencontre avec Cécile Oumhani

Née à Namur d’une mère écossaise et d’un père français, longtemps partagée entre la France et la Tunisie, Cécile Oumhani a fait du franchissement des frontières – géographiques, culturelles et intimes – la matière vive de son écriture. Poète, romancière, nouvelliste, elle a reçu le Prix européen francophone Virgile en 2014 pour l’ensemble de son œuvre après avoir été distinguée, entre autres, par le Prix littéraire européen de l’ADELF pour Le Café d’Yllka (2009). Ses textes, nourris d’errance, d’exil et de métissage, circulent aujourd’hui dans plus d’une vingtaine de pays, portés par des traductions, des résidences littéraires et de nombreuses lectures publiques. 

Après le recueil de poèmes La ronde des nuages – finaliste du Festival de la poésie de Montréal 2023 – elle a publié en 2024 le roman Les tigres ne mangent pas les étoiles (Élyzad) et le recueil bilingue de nouvelles Like Birds in the Sky(Red River Press, Delhi), confirmant sa manière singulière de donner voix aux silences de l’histoire et aux identités plurielles.

Nous la rencontrons aujourd’hui pour explorer son art du tissage entre mémoire et imaginaire, sa place de « passe-frontières » dans la littérature francophone et anglophone, et la façon dont ses engagements – qu’il s’agisse de traduire la poésie afghane interdite ou de faire dialoguer les rives de la Méditerranée – nourrissent son travail. Avec Cécile Oumhani, chaque page devient un pas vers l’autre ; cet entretien est l’occasion de comprendre comment se construit, livre après livre, cette géographie sensible où les voix des migrants, des femmes et des oubliés résonnent comme un chant de résistance.

Tu écris indifféremment de la prose, et de la poésie. Indifféremment ? Ou bien est-ce que ces deux modalités de mise en œuvre du langage correspondent à des nécessités ?
 L’écriture nous traverse. Elle vient de très loin et implique des territoires de nous-mêmes sur lesquels nous n’avons pas toujours prise. Il y a ces paroles et ces silences qui ont franchi des générations pour arriver jusqu’à nous, sans que nous en soyons conscients. Leurs échos nous remuent, même à notre insu. D’une certaine façon, je crois que nous portons tous l’histoire de l’humanité, ses peurs, ses espérances. Tout cela s’entremêle en nous avec ce qui nous a touchés, heurtés, nourris. C’est comme si nous nous penchions au-dessus d’une rivière, captés par ces reflets mouvants, qui surgissent de très loin ou en quelques heures. C’est la profondeur de ce lit que nous ne comprenons pas toujours, parce que tant de choses d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui s’y mélangent. Tout cela pousse à tenter d’élucider, de faire résonner les mots, d’explorer leur mélodie secrète.
Oui, dans mon cas, il y a alternance de la poésie et du roman. Cela tient aux expériences que je viens d’évoquer. L’une ou l’autre m’appelle, me surprend avec ce que ce mystère a de séduisant, de puissant.
Le roman peut rejoindre par instants la densité, l’intensité du poème. Mais l’un et l’autre se déploient selon des temporalités différentes. Le poème existe selon une fulgurance qui lui est particulière. Mais l’écriture d’une manière générale n’est-elle pas vouée à déplacer ses propres frontières pour explorer plus loin de nouveaux espaces où tout se redéfinit ?

Cécile Oumhani, Les Tigres ne mangent pas les étoiles, Elyzad, 2024, 160 pages, 16€50.

Ton engagement humaniste t’a conduite à venir en aide à des auteur-e-s en danger, à porter leur voix, à veiller à ce que leur vie soit sauve. Est-ce que pour toi cet engagement va de pair avec l’écriture ? Est-ce qu’écrire c’est combattre ? Comment t’a-t-il été possible de prendre position et de lutter ?
Écrire un poème ou un roman, ce n’est pas écrire un manifeste ou un pamphlet. La part de l’imaginaire et sa liberté échappent au raisonnement, à la prise de position délibérée. Elle est plus vaste, voire insaisissable. 
Alors où intervient l’engagement, le cri de protestation ? J’écris aussi parce que je suis interpellée, bouleversée par des personnes, par les situations qui leur sont faites. Ce sont des moments spécifiques sur mon chemin d’écriture.
Être écrivaine, poète ne signifie en aucun cas que je ne suis pas aussi une citoyenne, une citoyenne du monde. Être lu donne potentiellement un poids aux mots que nous écrivons. Nous avons une responsabilité, une place à donner à ces mots-là. Oui, ils peuvent avoir leur effet. Sinon pourquoi tant d’écrivains, de poètes seraient-ils depuis toujours et un peu partout empêchés, réduits au silence, voire emprisonnés ? C’est donc que les mots que l’on écrit peuvent dire, voire changer les situations. Ils ont en tout cas le pouvoir de rendre une visibilité à celles et ceux que l’on voudrait effacer.
Peux-tu évoquer ton dernier roman, Les Tigres ne mangent pas les étoiles ? Quelle place occupe-t-il dans ton œuvre ?
Il s’agit de deux femmes, qui a priori n’avaient pas de raison de se rencontrer. La narratrice européenne est en route vers l’Inde, où son père, récemment décédé, a passé les premières années de sa vie, pendant le Raj britannique. Elle rate sa correspondance au Moyen-Orient et croise par hasard une Afghane, exilée en Allemagne, en chemin vers Kaboul, pour voir son père malade. C’est une rencontre entre les langues et les lieux. L’une et l’autre sont assombries, mais parvenir à se parler va les aider à traverser les ombres.
Ce roman est né de la conviction que cette humanité qui est la nôtre peut nous rapprocher, parfois dans les circonstances les plus inattendues. J’ai délibérément donné une place à la poésie en ponctuant les chapitres de citations de poètes du monde entier. L’Irakien Es-Sayyâb, l’Afghan Majrouh, Rose Ausländer, Rabindranath Tagore… Est-ce dans la mélodie secrète de la poésie que se rejoignent les imaginaires ? J’ai été souvent étonnée de constater dans les festivals internationaux que j’étais touchée par des poèmes dits dans des langues que je ne parle pas, mais dont la musique portée par une voix me touchait.
J’évoque aussi Berlin, à l’époque du Mur qui séparait la ville en deux. Le roman paraît bientôt en allemand et ce que m’ont dit ma traductrice et mon éditeur de cette partie allemande du livre m’émeut beaucoup. J’ai ressenti en écrivant l’urgence de faire vivre ces bribes gardées  de mes fréquents séjours à Berlin dans les années 1980.
Penses-tu que la parole romanesque touche plus que la parole poétique ? Ou bien est-ce différent, et en quoi ?
Je ne dirais pas que l’une touche plus que l’autre. Elles le font différemment et chacune dans la temporalité qui lui est propre. Ce qui prime, c’est le rapport à l’écriture, l’incandescence que l’on cherche à donner aux mots, les variations d’intensité que l’on cherche. De plus, les frontières entre l’une et l’autre sont en constante redéfinition. L’écriture est aussi une expérimentation avec les mots que l’on fait bouger, migrer,  pour qu’ils vivent, pour en explorer les zones inconnues.
Penses-tu que la littérature permette de fédérer, de former une communauté planétaire capable de lutter contre les injustices criantes et les exactions commises dans de trop nombreux pays aujourd’hui ?
Merci !
La littérature nous rapproche. Les mots ont le pouvoir de franchir les frontières. Leur souffle nous ouvre sur ce que nous ignorions, au-delà de nos indifférences, de nos aveuglements. On rejoint ici à nouveau l’intimité que les mots créent avec des expériences que nous n’avons pas vécues directement. Un poème, un roman ont parfois la force de pulvériser les cloisons qui nous séparent les uns des autres. Oui, en ce sens, la littérature peut changer le monde et c’est pourquoi elle fait peur. C’est pourquoi des livres ont été brûlés, interdits et le sont encore, avec des écoles, des bibliothèques, où des titres sont bannis du jour au lendemain.
Écrire, lire sont des espaces de liberté irremplaçables, à défendre coûte que coûte.

Présentation de l’auteur

Cécile Oumhani

Poète et romancière, Cécile Oumhani a grandi entre l’anglais et le français. Auteure d’une thèse de doctorat en littérature britannique consacrée à Lawrence Durrell, elle a été enseignant-chercheur à l’Université de Paris-Est Créteil. Son écriture aime à investir des lieux et des cultures autres. Elle participe à de nombreuses rencontres et festivals en France et à l’étranger. Elle est membre du comité de rédaction de la revue « Apulée ».

Parmi ses recueils de poèmes : Passeurs de rives, Mémoires inconnues et le dernier, La ronde des nuages, paru chez La Tête à l’Envers en 2022.  Elle collabore aussi avec des artistes, comme Maria Desmée, Wanda Mihuelac, ou encore Daphné Bitchatch, pour des ouvrages en tirage limité, dont des livres pauvres chez Daniel Leuwers.

Parmi ses romans : Une odeur de henné, Les racines du mandarinier ou encore Tunisian Yankee chez Elyzad.

Elle a reçu le Prix européen francophone Virgile 2014 pour l’ensemble de son œuvre.

Parfois traductrice, elle a récemment traduit une partie des poèmes de l’anthologie réunie par la poète afghane Somaia Ramish, protestation poétique de poètes issus de nombreux pays, contre l’interdiction de la poésie et des arts en Afghanistan. À paraître prochainement aux édition Oxybia.

@Thierry Hensgen/Institut français

Bibliographie 

Poésies
1995 : A l’abside des hêtres, Centre Froissart, Paris
1996 : Loin de l’envol de la palombe, La Bartavelle
1997 : Vers Lisbonne, promenade déclive, Encres Vives
1998 : Des sentiers pour l’absence, Le Bruit des Autres
2003 : Chant d’herbe vive, poèmes, avec des dessins de Liliane-Eve Brendel, Voix d’Encre
2005 : Demeures de mots et de nuit, Voix d’Encre
Automne 2008 : Chant d'herbe vive et Demeures de mots et de nuit, traduction en russe par Elena Tounitskaïa, aux Editions Kommentarii à Moscou.
2008 : Au miroir de nos pas, Encres Vives
2009 : Jeune femme à la terrasse, prose poétique, bilingue anglais-français, livre d'artiste avec trois originaux de Julius Balthasar, Al Manar
2009 : Temps solaire, avec des peintures de Myoung-Nam Kim, Voix d'encre
2009 : Los instantes silenciosos, traduction espagnole de Rodolfo Hasler, Pen Press, Ediciones, New-York/Buenos Aires
2011 : Cités d'oiseaux, accompagné des monotypes de Luce Guilbaud, La Lune bleue
2013 : La nudité des pierres, Al Manar
2015 : Passeurs de rives, La tête à l'envers (2ème édition en 2017)
2018 : Marcher loin sous les nuages, éditions APIC, Alger

Obtention du Prix Naji Naaman 2012, Liban, (poésie)

Nouvelles
1995 : Fibules sur fond de pourpre, Le Bruit des Autres
2008 : La transe et autres nouvelles, Collection Bleu Orient, Éditions Jean-Pierre Huguet

Romans
1999 : Une odeur de henné, Paris-Méditerranée (Paris) et Alif (Tunis)
2001 : Les racines du mandarinier, Paris-Méditerranée
2003 : Un jardin à La Marsa, Paris-Méditerranée
2007 : Les racines du mandarinier, traduction en croate de Mihaela Vekaric, Éditions Lvejak à Zagreb (Croatie)
2007 : Plus loin que la nuit, Éditions de l’Aube
2008 : Le Café d'Yllka, éditions Elyzad (Prix littéraire auropéen de l'ADELF 2009)
2009 : Koreni Mandarine, traduction serbe des Racines du Mandarinier par Olivera Jezdimirović, Stylos Art, Novi Sad
2010 : Il caffe di Yllka, traduction italienne de Francesca Martino, Barbes Editore, Florence.
2011 : Plus loin que la nuit, collection poche, Chèvre-Feuille Etoilée
2012 : Une odeur de henné, collection poche, Elyzad, (Prix Grain de Sel 2012)
2012 : L’atelier des Strésor, Elyzad, (Mention spéciale du Prix franco-indien Gitanjali, Prix de la Bastide 2013)
2013 : Café d’Yllka, traduction grecque par Barbara Papastavrou, Koukkida, Athènes
2013 :Tunisie carnets d’incertitude, Elyzad
2016 : Tunisian Yankee, Elyzad
2017 : Prix Maghreb-Afrique Méditerranéenne de l'ADELF pour "Tunisian Yankee"
2017 : Tunisian Yankee, finaliste du Prix Joseph Kessel
2018 : parution d'une traduction allemande de "Tunisian Yankee" par Regina Keil-Sagawe chez Osburg Verlag

Essais
2004 : À fleur de mots : la passion de l’écriture, Chèvre-Feuille Étoilée

Collectif
2007 : À cinq mains, nouvelles, avec Emna Belhaj Yahya, Rajae Benchemsi, Maïssa Bey et Leïla Sebbar, Éditions Elyzad (Tunis).

Prix
Prix européen francophone Virgile 2014 décerné pour l’ensemble de son œuvre.

Autres lectures

Cécile OUMHANI, La ronde des nuages

Romancière (huit romans à ce jour), nouvelliste, et surtout poète, Cécile Oumhani propose  un seizième recueil. La poète consacre tout un livre, dans l'accompagnement d'oeuvres de W. Turner, créées [...]




Au fil des mots : Rencontre avec Catherine Pont-Humbert

Catherine Pont-Humbert est une voix singulière dans le paysage poétique contemporain, dont la sensibilité et l’engagement se révèlent à travers une écriture à la fois raffinée et audacieuse. Figure incontournable pour ceux qui, comme nous, cherchent à redécouvrir le pouvoir des mots, elle a su conjuguer tradition et modernité, explorant avec finesse les méandres de l’âme humaine et les reflets de notre monde en perpétuelle mutation. Elle est également une figure essentielle dans la transmission de la poésie, qu’il s’agisse d’émissions radiophoniques ou d’animation de débats dont les invités, découverts ou mis en lumière par son professionnalisme, ne se comptent plus.

Dans cette Rencontre, nous aurons le privilège d’aborder avec elle les sources de son inspiration, son cheminement artistique et les questions essentielles qui traversent sa pratique poétique. Passionnée par la capacité du langage à transcender le quotidien, Catherine Pont-Humbert nous invite à repenser notre rapport à la poésie, à explorer ses dimensions sensibles et à célébrer la beauté des mots dans leur plus simple expression. Elle évoquera particulièrement son dernier recueil, Quand les mots ne tiennent qu'à un fil, épopée poétique,  prix Venus Khoury Ghata 2025.

Chère Catherine, tout d'abord, pourquoi, comment, la poésie ?
Depuis toujours je dirais. Je crois que mon désir de poésie remonte à ce moment décisif où l’apprentissage du langage m’a permis de comprendre que les mots faisaient exister les choses en les désignant. Or j’ai souvent ressenti un décalage entre le mot que l’on me proposait pour désigner une réalité et la façon dont je percevais cette réalité. J’aurais volontiers choisi d’autres mots si l’on m’en avait laissé la possibilité. J’en aurais volontiers inventé d’autres. Je presentais qu’une autre histoire, avec d’autres mots, pouvait s’écrire et qu’il m’appartiendrait un jour de le faire.
De ce premier élan est sans doute née la poésie. Et puis la poésie c’est aussi une manière d’être dans le monde, c’est un rapport avec la beauté, qui aiguise une sorte de vigilance et d’attention aux choses.
La poésie c’est d’abord cette ardeur ressentie très tôt dans l’enfance qui ne m’a jamais quittée, un élan pour réduire la distance avec le monde, les êtres, les émotions, m’approcher au plus près des choses, tenter de toucher le mystère. Les mots mystère et secret reviennent d’ailleurs souvent dans mes textes. C’est l’insaisissable qui m’anime.
La poésie je crois, c’est se positionner dans le mystère.
Tu as permis de faire découvrir la voix essentielle d’Edouard Glissant, et de nombreux autres poètes. Peux-tu évoquer comment tout ceci est arrivé ?
A l’époque où je travaillais à France Culture (pendant plus de vingt ans) j’ai eu de nombreux dialogues avec des poètes. Avec des romanciers aussi, et des peintres également.
Edouard Glissant, en effet, chez qui poétique et politique sont adossées l’une à l’autre. Son œuvre s’est développée au carrefour de la pensée et de la poésie, dans un mouvement d’émancipation poétique et politique (au sens large du terme) d’une grande puissance que j’ai très vite reconnu et voulu contribuer à faire entendre au plus grand nombre.

#64secondes c'est le bonus de #64minutes avec Catherine Pont-Humbert, TV5 Monde.

Mais aussi Andrée Chédid, elle pour qui le mot fraternité était un mot de passe, elle chez qui la réconciliation entre les contraires dominait toujours, elle m’est vite apparue comme une poète du cœur et du corps. Cette dimension « incarnée » de la poésie étant une des caractéristiques de ce que j’écris.
Je crois que cette époque de la radio a tout simplement nourri et enrichi un terreau sur lequel a poussé ma poésie.
En plus des rencontres avec des écrivains qui m’ont marquée (il faudrait ici ajouter le nom d’Henry Bauchau au nombre de ces rencontres marquantes), il y a eu les voyages nombreux qui ont entretenu la nécessité de l’écriture. Partout où je suis allée j’ai gardé l’écriture avec moi (Les lits du monde). Le monde m’a appelée. Je me suis frottée aux différences, et notamment aux diversités des langues, expérience fondamentale pour moi.
Dans quelles conditions as-tu écrit ton dernier livre, Quand les mots ne tiennent qu’à un fil - Épopée poétique ?
Dans la réclusion absolue, condition indispensable pour me permettre de terminer un livre. Je dois pouvoir me détacher de tout ce qui constitue mes repères habituels pour achever un livre.
Au-delà de cette réponse factuelle, je crois que ce livre là, je le porte depuis des années. Il s’est nourri de toutes les expériences que les langues et les mots ont pu m’offrir, de toutes les « initiations » qu’ils m’ont apportées.
Il y a chez moi une sorte d’obstination à vouloir creuser, à forer sans cesse le langage, à chercher ce qu’il y a dessous que ce livre restitue bien.
L’interrogation sur les mots, sur le langage traverse de bout en bout Quand les mots ne tiennent qu’à un fil.

Pourquoi une épopée ?
Parce qu’il s’agit d’un voyage dans les mots, avec les mots, qui prend en charge aussi bien le temps que l’espace.
Le poème rejoint l’absence de temps déterminé et d’espace contenu. Il traverse le temps, le fait exploser, et enjambe les lieux clos pour ouvrir des étendues infinies.
Je tire un fil sur lequel les mots viennent s’arrimer pour entrainer dans leur sillage. Il y a un foisonnement de l’épopée qui me plait, et une vitalité aussi qui renvoie aussi bien à l’enfance qu’à l’ailleurs.
En quoi Quand les mots ne tiennent qu’à un fil constitue un tournant dans ton œuvre ?
Mais je crois que chacun des livres que je publie constitue un tournant !... parce que chacun représente une aventure. Pour répondre plus précisément, d’un point de vue formel, c’est la première fois que j’écris un livre de prose poétique. Conçu en sept chapitres avec un prologue et un épilogue, Quand les mots ne tiennent qu’à un fil déploie un récit qui le rapproche de formes littéraires hybrides, là où prose et poésie se rencontrent, se bousculent, se relient.
Pratiquer le mélange des genres, décloisonner les esthétiques est important. Je me rends disponible à chacune des formes.

Catherine Pont-Humbert, Quand les mots ne tiennent qu'à un fil, épopée poétique, éditions La Teêt à l'Envers, 2025.

Et maintenant, une autre étape sur ce chemin incontournable qu’est l’écriture ?
Oui, deux projets très différents, un livre de poésie versifié d’une part, et un récit consacré à un peintre de l’autre. Un livre qui essaie de se confronter à une question : comment mettre des mots sur une œuvre picturale, la peinture est muette ou plutôt elle est une parole qui se tait. Alors j’essaie de toucher le silence, ce silence qui donne accès à l’invisible… Mais ces deux projets sont encore trop embryonnaires pour que je puisse en parler vraiment.

Présentation de l’auteur

Catherine Pont-Humbert

Catherine Pont-Humbert est écrivaine, poète, journaliste littéraire, lectrice et conceptrice de lectures musicales.

Productrice à France Culture de 1990 à 2010, elle y a réalisé de très nombreux grands entretiens (« A voix nue ») et documentaires. Depuis, elle programme et anime des rencontres littéraires à l’occasion de festivals de littérature en France et dans des pays francophones.

Elle est titulaire d’un doctorat de lettres modernes portant sur la littérature du Québec qui lui a valu une bouse de recherche du Conseil des Arts du Canada. Elle a vécu à Montréal.

Elle est par ailleurs membre du comité de rédaction de la revue Apulée (dirigée par Hubert Haddad) depuis sa création, membre de l’équipe du Festival de poésie de Sète, et membre du comité de direction du PEN Club français.

Bibliographie 

Elle est l’auteur d’essais, de récits, et de livres de poésie. Elle a notamment publié Carnets de Montréal, éditions du Passage, 2016, La Scène (récit), éditions Unicité, 2019, Légère est la vie parfois (poésie), éd. Jacques André, 2020, Les Lits du monde (poésie), éditions la rumeur libre, 2021, Chemins (livre d’artiste avec des encres de Jean-Luc Guinamant), éditions Transignum 2022, Noir printemps (poésie), éditions la rumeur libre, 2023, Quand les mots ne tiennent qu’à un fil. Une épopée poétique (prose poétique), éditions La tête à l’envers, 2025 (prix Vénus Khoury-Ghata, première sélection du prix Mallarmé).

Sa poésie est parue en revues (Apulée, Les cahiers du sens, Siirden, Verso, Concerto pour marées et silence, Recours au poème), dans des anthologies (« Feu » éditions Henry, « Du corps du poète au corps poétique » jeudidesmots.com, « Europoesia », « l’Athanor des poètes », « Voix vives de Méditerranée » …). Elle est régulièrement invitée dans des festivals de poésie en France et à l’étranger.

Autres lectures

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 « En ce temps-là mon nom / n'avait pas encore été prononcé / La poésie dormait dans les limbes » : à cette origine dans « l'ombilic des limbes », Catherine Pont-Humbert rend grâce en renouant avec la [...]

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Rester présent aux pulsations du monde, vivre un corps à corps fébrile avec chaque instant, l’accueillir dans la subtilité de toutes ses nuances… Car chacun de nous appartient à cette vie, avec sa [...]

Au fil des mots : Rencontre avec Catherine Pont-Humbert

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Gabriela Mistral : voix une et pluri-elles

Gabriela Mistral, pseudonyme de Lucila Godoy Alcayaga, est une figure incontournable de la littérature latino-américaine. Première femme latino-américaine à recevoir le Prix Nobel de Littérature en 1945, elle incarne une voix unique qui a su transcender les frontières de son époque. Son œuvre, imprégnée d’un profond humanisme, se distingue par un engagement éthique et esthétique qui continue de résonner aujourd’hui. Cet article explore comment Gabriela Mistral s’inscrit dans son époque, sa contribution à la poésie latino-américaine, sa posture féministe, et les avancées qu’elle a apportées à la littérature chilienne.a

Une poète dans une époque

Gabriela Mistral a évolué dans une période marquée par de profonds bouleversements sociaux et politiques en Amérique latine. La fin du XIXe et le début du XXe siècle voient l’émergence de mouvements révolutionnaires et de luttes pour l’émancipation des peuples indigènes, ainsi que des revendications pour une meilleure justice sociale dans des sociétés fortement inégalitaires. Des réformes agraires, souvent conflictuelles, se mettent en place dans plusieurs pays, tandis que des révolutions marquantes, comme celle du Mexique (1910-1920), redéfinissent les structures de pouvoir. Par ailleurs, les femmes commencent à revendiquer leurs droits politiques et sociaux, dans un contexte encore largement patriarcal.

Née en 1889 dans une région rurale du Chili, Gabriela Mistral s’ancre dans cette époque de transformation en défendant des idéaux de justice sociale et d’égalité. Enseignante de formation, elle s’est engagée à promouvoir l’éducation publique comme outil d’émancipation.

Gabriela Mistral, Poème de l'enfant, lu par Sylvia Bergé.

Sa poésie dialogue avec les grandes questions de son époque, telles que la condition des femmes, les inégalités sociales, et la recherche identitaire des peuples latino-américains. Elle a écrit, par exemple : « Tout ce qui n’est pas éclatant est mon bienvenu, et tout ce qui est humble me fait monter à genoux. » Cette phrase témoigne de son attachement aux marges et aux invisibles.

Sa participation à des institutions internationales comme la Société des Nations (ancêtre des Nations Unies) témoigne de sa dimension universaliste, tout en ancrant sa plume dans les réalités locales.

Une voix unique

La poésie de Gabriela Mistral se caractérise par une profonde sincérité et une musicalité à la fois douce et puissante. Elle s'inscrit dans une tradition latino-américaine marquée par la richesse des thèmes et la diversité des styles, tout en développant une voix singulière. Ses recueils, tels que Desolación (1922), Ternura (1924) et Lagar (1954), explorent des thèmes variés : la mère, la nature, la spiritualité, la solitude et la mort.

Mistral innove en introduisant une poésie ancrée dans une spiritualité ouverte, où la douleur et l’espoir coexistent. Dans « Balada », par exemple, elle écrit : « Je vais portant ma blessure / comme une fleur d’hiver. » Cette métaphore saisissante illustre son aptitude à sublimer la souffrance en art.

Le style de Mistral renouvelle le genre par une fusion des formes traditionnelles et des éléments populaires, tout en explorant des métaphores puissantes et universelles. Ce mélange confère à sa poésie une profondeur culturelle et une modernité stylistique. En combinant des structures métriques classiques avec des thèmes enracinés dans le folklore et les expériences quotidiennes, elle a élargi les horizons thématiques de la poésie latino-américaine. Sa capacité à transcender les frontières du quotidien grâce à des images symboliques et émotionnelles universelles distingue son œuvre des conventions littéraires de son époque.

Gabriela Mistral, Enfant mexicain, lu par Cécile Brune. Poème extrait du recueil D'amour et de désolation , traduit de l’espagnol par Claude Couffon (© ELA/La Différence 1988)

La singularité de sa voix poétique réside également dans son équilibre entre simplicité et complexité. Sa diction, souvent empreinte d’oralité, rend son œuvre accessible, mais derrière cette simplicité se cache une profondeur métaphysique. Gabriela Mistral excelle à transformer des expériences personnelles en des vérités universelles. Par exemple, son exploration de la maternité ne se limite pas à l’expérience biologique : elle devient une métaphore de l’amour, de la perte et de la résilience humaine.

Cette voix singulière est aussi marquée par son souci constant de relier l’intime et le collectif. « Mon chant n’est pas seulement pour moi : il est pour l’homme et pour la femme, pour le village et pour la montagne », écrivait-elle. Ce positionnement fait de sa poésie un espace où les frontières entre le particulier et l’universel s’effacent, offrant une résonance profonde et intemporelle.

Une voix pour les femmes

Gabriela Mistral n’était pas une féministe au sens militant du terme, mais son œuvre et sa vie incarnent une profonde revendication pour l’égalité des sexes et la dignité des femmes. Sa poésie place souvent les femmes au centre, qu’il s’agisse de la mère sacrée, de la femme aimée ou de la figure marginalisée. Dans « Todas íbamos a ser reinas » (Nous devions toutes être reines), elle chante l’idéal de femmes unies et souveraines, rejetant les rôles traditionnels.

En élargissant les rôles attribués aux femmes dans la société et la littérature, Mistral a ouvert la voie à une nouvelle génération d’écrivaines latino-américaines. Elle a également défendu l’importance de l’éducation pour les filles, affirmant qu’elle était essentielle à leur autonomisation. « Apprendre, c’est le seul chemin pour devenir une femme complète », disait-elle.

Une voix visionnaire

Le style de Gabriela Mistral est marqué par une écriture à la fois intime et universelle, alliant une diction simple à une métaphysique complexe. Sa poésie, souvent proche de l’oralité, exploite des images puisées dans la nature et les expériences quotidiennes. Cette approche, à la fois accessible et dense, contraste avec les courants modernistes dominants de son époque, qui privilégiaient une certaine herméticité.

Les courants modernistes de l’époque, tels que le modernisme hispano-américain, dominé par des figures comme Rubén Darío, recherchaient une esthétique raffinée, symboliste et souvent hermétique. Rubén Darío, par exemple, dans des œuvres comme Prosas profanas (1896) ou Cantos de vida y esperanza (1905), cultivait une poésie riche en allusions mythologiques et en métaphores complexes, éloignée des réalités immédiates. Ce mouvement privilégiait une évasion vers le sublime et le cosmopolitisme, contrastant fortement avec la poésie de Mistral, plus enracinée dans le quotidien et les préoccupations sociales.

Un autre exemple est José Asunción Silva, poète colombien dont l’œuvre, notamment Nocturno et De sobremesa, est caractérisée par un style introspectif et une quête de l’idéal, souvent inaccessible au commun des lecteurs. Ces poètes modernistes ont marqué leur époque par une recherche formelle et un certain élitisme artistique qui mettaient parfois la communication émotionnelle au second plan.

En opposition, Gabriela Mistral s’est démarquée par une poésie directe, traversée par des émotions universelles et des préoccupations humaines concrètes, établissant ainsi un pont avec ses lecteurs.

Une voix à l'écho infini

Gabriela Mistral a redéfini la littérature chilienne et latino-américaine en introduisant une perspective unique, marquée par une conscience aiguë de la condition humaine. Son engagement éthique et esthétique a non seulement enrichi le patrimoine littéraire de son pays, mais a également contribué à inscrire la poésie latino-américaine sur la scène mondiale.

Aujourd’hui, son œuvre continue d’être une source d’inspiration pour les écrivains et les penseurs qui cherchent à comprendre et à transformer le monde. En conjuguant tradition et innovation, Gabriela Mistral a su créer une poésie intemporelle, au carrefour de l’intime et de l’universel.

Parmi les voix féminines qui ont suivi ses traces, on peut citer la poétesse mexicaine Rosario Castellanos, qui a exploré des thématiques liées à la condition féminine et aux identités indigènes, ou encore la Chilienne Nicanor Parra, qui s’est imposée avec un style anticonformiste et engagé. La poésie contemporaine latino-américaine est également marquée par des figures comme Gioconda Belli, poétesse nicaraguayenne célébrant le féminisme et l’érotisme, ou la Colombienne Piedad Bonnett, dont les œuvres explorent des thématiques existentielles et sociales.

Toutes ces femmes, dans leur diversité, prolongent l’héritage de Gabriela Mistral en donnant voix à des expériences plurielles et en poursuivant le dialogue entre l’individuel et le collectif dans la poésie latino-américaine.




Les Cahiers de Tinbad : interview avec Guillaume Basquin

Les Cahiers de Tinbad : Une revue littéraire d'avant-garde

Les Cahiers de Tinbad sont une revue littéraire contemporaine qui s’inscrit dans la lignée des publications audacieuses et expérimentales, marquées par une exigence esthétique et intellectuelle rare. Fondée en 2015, cette revue incarne un espace où les mots explorent les limites de l'écriture, en dialogue constant avec la pensée et les formes nouvelles. Publiée semestriellement, elle se consacre à la littérature sous toutes ses formes : roman, poésie, essai, critique littéraire, et expérimentations hybrides.

La revue tire son nom de Tinbad, une référence à un personnage énigmatique d'Ulysse de James Joyce. Ce choix reflète l'esprit de la revue : explorer les territoires littéraires où la modernité rencontre la radicalité.

Un engagement pour une littérature hors-norme

Les Cahiers de Tinbad se distinguent par leur engagement envers une littérature exigeante, souvent marginalisée par les circuits éditoriaux dominants. La revue se consacre à promouvoir des œuvres singulières, qu'elles soient issues de figures reconnues ou de voix émergentes. Chaque numéro est conçu comme un véritable objet littéraire, abordant des thématiques variées avec une rigueur et une profondeur qui résonnent avec des lecteurs en quête d'une expérience littéraire différente.

Des auteurs contemporains comme Thomas A. Ravier, Pierre Guglielmina et Claude Minière y côtoient des analyses et des hommages à des figures tutélaires de la modernité littéraire, tels que Joyce, Kafka, ou Beckett. La revue explore également des pensées critiques et des œuvres venues d'horizons divers, en dialogue constant avec les questions esthétiques, philosophiques et politiques du présent.

À la tête des Cahiers de Tinbad, Guillaume Basquin incarne l’âme et l’énergie de cette aventure littéraire. Écrivain, éditeur et essayiste, il est une figure singulière du paysage littéraire contemporain. Son parcours est marqué par une volonté constante de bousculer les normes et de questionner les cadres figés de la création littéraire.

Auteur de plusieurs essais et ouvrages, Guillaume Basquin s’intéresse particulièrement aux intersections entre littérature, cinéma et pensée critique. Son style incisif et sa vision radicale transparaissent dans la direction éditoriale des Cahiers de Tinbad, où il met en avant des œuvres qui défient les conventions et invitent le lecteur à une réflexion approfondie.

Fidèle à ses principes, Basquin a su maintenir une indépendance rare dans le milieu éditorial. Il a accepté de répondre aux questions de Recours au poème

Quand et comment sont nés Les Cahiers de Tinbad, et surtout pourquoi ?
La maison d’édition Tinbad, fondée en 2015, a tout de suite été pensée avec une revue littéraire, sur le modèle de ce que je connaissais le mieux, comme lecteur, « L’Infini », à la fois collection de livres et revue littéraire dirigées par Philippe Sollers. Il m’a alors semblé évident qu’il fallait une revue à la fois pour être le laboratoire des publications futures et en même temps pour aider à l’autodéfense des publications, si nécessaire. Je savais, de la lecture continue de l’œuvre de Pierre Guyotat, que depuis les débuts de la modernité les écrivains doivent organiser leur autodéfense, qui ne va plus de soi dans « l’espace littéraire » resté conformiste (que dirait-il aujourd’hui ?). Pour te donner un exemple, un roman que Tinbad a publié à l’automne 2024, Le roman retrouvé d’Alain Santacreu, est passé largement inaperçu, alors que plusieurs écrivains ont éprouvé le besoin d’écrire dessus. Comme l’auteur est trop peu connu médiatiquement parlant, et que les textes critiques étaient trop longs (voire très longs), ces textes se sont retrouvés soit orphelins, soit n’ont pu être publiés que sur des sites confidentiels (blogs personnels, ou publics) ; la revue est là pour les rassembler, les sauver — dans le sens benjaminien du terme — en les publiant en un petit dossier d’une vingtaine de pages (parution dans le prochain numéro, le 18, en mai 2025).

Par ailleurs, je crois très fortement au hasard, et je compte bien publier la nouvelle Saison en enfer ou les Poésie 1 & 2, si j’en reçois le manuscrit !… (Rires.) Cela pour dire que la revue reçoit très régulièrement des textes libres, de personnes connues ou inconnues de nous, et que ce sont souvent les meilleurs textes d’un numéro, comme le très beau poème assez poundien de Julien Bielka dans le dernier numéro, Grotesque muscade. Les revues « littéraires » (entre guillemets) croulent sous les dossiers en béton-armé… (Pas de noms…)

Pour toi la littérature peut-elle aider à résister ? À résister à quoi ?
Gilles Deleuze disait que la philosophie devait nuire à la bêtise… eh bien, ma fois, je pense exactement la même chose du rôle de la littérature : une littérature qui ne nuirait pas à la bêtise ne serait pas exactement de la grande littérature. Fi des bons sentiments !
Dernier exemple en date : dans le dernier numéro, ayant constaté que dans l’espace médiatique français l’on disait à peu près n’importe quoi du réseau social X, j’ai décidé de publié le premier chapitre de mon futur livre dit tweet n°1. La tête des gendelettres français quand j’évoque ce sujet (quoi ? tu défends un « fasciste » (sic) ?), et alors qu’ils n’ont pas lu une ligne de mon texte, me montre que je suis vraiment sur le bon chemin… (« Tout est français, c’est-à-dite haïssable au plus haut point », Arthur Rimbaud.) Les écrivains français en sont encore à la diligence et au feuilleton dixneuviémiste, c’est effrayant ! Pire : ils baignent tellement dans une propagande permanente où tout est renversé, façon 1984 d’Orwell (« WAR IS PEACE / IGNORANCE IS STRENGHT », etc.), qu’ils prennent pour argent comptant ce qu’ils ont lu dans un média oligarchique, sans s’être documentés par eux-mêmes.
Donc oui, pour répondre à ta question, particulièrement en temps de déferlement totalitaire (terreur sanitaire, puis terreur climatique, sans parler de la terreur nucléaire qu’on nous ressort régulièrement), la littérature aide à résister. À résister à quoi ? Eh bien à la terreur, justement ! Dans les Cahiers de Tinbad, nous n’avons pas cédé un pouce de terrain à la terreur « sanitaire » (entre guillemets, puisqu’elle s’est avérée n’être que politique — en fait), publiant dès mai 2020 (n°11) un ensemble de textes de Claude Minière, Christophe Esnault, Axel Tufféry, Philippe Blondeau, Michel Weber et moi-même, contre ladite terreur. (Je note que cela a commencé à me valoir une mauvaise réputation dans des milieux bienpensants… c’est très bon signe !… (Rires.))
J’ai toujours su que seules les revues surréalistes s’étaient opposées aux abjects zoos humains à Vincennes, lors de l’Exposition coloniale de 1931. D’où l’urgence de résister à l’abjection politique, lorsqu’on a une revue. Jacques Henric, le directeur des pages littéraires d’artpress, renforce et complète cette idée : « Seules importent les revues qui mènent un combat. » Les autres…
Nous sommes à une époque où avec l’aide de moyens médiatiques inédits les gens ont accès à des narratifs fabriqués par un pouvoir qui dépasse nos frontières. Penses-tu que la littérature d’aujourd’hui prenne ceci en compte ? Est-ce qu’elle relaie ces discours ou bien s’édifie-t-elle en un lieu de résistance active ?
Je pense que la littérature prend trop peu cela en compte. Et qu’elle relaie beaucoup trop ces discours (voir l’indigence des publications dans les lieux « autorisés » (pour ne pas dire, « officiels ») pendant la crise Covid). Sur X, je suis un jeune philosophe qui se nomme Alexis Haupt. Son concept philosophique principal est que nous vivons dans un médiavers, monde entièrement fabriqué par les médias, et dans lesquels les gens vivent enchaînés à leur insu : c’est la caverne de Platon du 20e siècle ! C’est probablement le Étienne de La Boétie de notre époque. (Et d’ailleurs, si La Boétie vivait aujourd’hui, il publierait des travaux sur X, et sans y être censuré, n’en déplaise aux contempteurs aveuglés et automatisés d’Elon Musk.) Puisque Deleuze, encore lui, a dit que la philosophie est invention de concepts ; alors, avec cet Alexis Haupt, nous avons à faire à un véritable philosophe. Je renvoie nos lecteurs à ses travaux, facilement trouvables sur X ou sur les sites de vente en ligne de livres (Médiaversmédiathéisme et complosophisme (2024), Complosophisme — Éloge de la pensée critique (2023), et Discours de la servitude intellectuelle (2023), tous parus aux Éditions L’Alchimiste).
L’autre thèse majeur de ce jeune philosophe est que X, depuis que la plateforme ex-Twitter a été libérée de la censure par, justement, Elon Musk, est le plus vaste lieu de réinformation de l’Histoire humaine. D’où les torrents de haine déversés par les médias oligarchiques contre lui… puisqu’ils sentent bien qu’une grande parie de leur pouvoir (de nuisance) leur échappe. Quoi ? Vous n’avez pas entendu parler des Twitter-Files (censure des discours s’opposant à la doxa covidiste en 2020, 21 et 22, dont j’ai été une victime directe, soit dit en passant, et plusieurs fois) ? Vous vivez sûrement dans le médiavers
 Où en est la poésie, toi qui en publies beaucoup ? Que penses-tu de la désaffection des jeunes publics pour tout un pan de ce paysage poétique ?
Franchement, ce que je vois se publier comme poésie sur Facebook, y compris via le biais de photographies de livres de poésie aimés par untel ou unetelle, m’en dégoûterait plutôt qu’autre chose… Trop de décoration verticale avec retour à la ligne permanent, pour « faire poétique » (en général, sans aucune raison ou contrainte rythmique). Trop de papier-peint (ah ! cette poésie avec des « encres » de X ou Y…). La poésie doit rester rare… pas trop de sucre !… J’ai republié, dans la revue, le fameux pamphlet de Gombrowicz Contre la poésie, dont je partage les idées principales : une revue, comme un repas, doit comporte du salé et du sucré, des entrées, un plat de résistance, et un peu de sucré, en fin de repas.
Je « comprends » donc les jeunes, leur désaffection pour ce genre littéraire… Pourtant, j’en publie pas mal dans ma revue ; par exemple, dans le dernier numéro (17), il y a 4 textes de poésie (si l’on veut bien m’accorder que tweet n°1 en est) : Techniquement je suis vivant de Christophe Esnault, Grotesque muscade de Julien Bielka (op. cit.), La croissance exponentielle du solipsisme de Julien Boutreux, et tweet n°1 de moi-même. Ce qui m’a intéressé dans chacun d’entre eux, c’est qu’à chaque fois l’auteur a trouvé une forme originale pour exprimer sa pensée (et certainement pas de la poésie verticalisée à tout-va pour faire « genre »…). Les Moralistes français, Mallarmé, Lautréamont, « Tel Quel », le répertoire où s’inspirer est vaste ! Que le lecteur y aille voir par lui-même, s’il ne veut pas me croire sur parole !…
La poésie, c’est le rythme ! On ne peut pas échapper à cette exigence… Maintenant que l’alexandrin est mort, ainsi que toute versification, le poète doit inventer des formes autonomes, s’il veut trouver de l’inconnu. À vos plumes (ou claviers) !…

Enfin, pour clore ce tour d’horizon, toi qui es éditeur depuis des années, où en sont les « petites » maisons d’édition selon ton expérience ? Et la « culture » en général ?
Sur la 2e partie de ta question, je vais être totalement godardien : « La culture, c’est la règle ; l’art, c’est l’exception ; et il est de la règle de l’Europe de la culture que de vouloir empêcher toutes les exceptions d’advenir. » (De mémoire.) Difficile de dire qu’il a eu tort sur ce point capital…
Je remonte maintenant, à rebours, vers la première partie de ta question : les « petites » maisons d’édition étant toutes du domaine de l’exception, on peut dire qu’elles sont tout juste « tolérées »… survivant avec telle ou telle aide du CNL, ou d’une région… quand ce n’est pas d’une fondation, mais qu’il n’y a pas vraiment d’organisation collective ayant acquis une surface critique suffisante pour sa promotion et son autodéfense, et contrairement à ce qui se passe dans le cinéma d’Art & Essai. Il y a bien l’Association « L’autre Livre » (merci à elle d’exister) ; mais c’est nettement insuffisant.
La culture aussi est à détruire…

 

 

Le jeudi 22 février 2018, la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris - www.charybde.fr ) avait la joie d'accueillir une partie de l'équipe rédactionnelle du numéro 5 de la revue Les Cahiers de Tinbad, en compagnie de Jules Vipaldo, qui venait de publier son Banquet de plafond aux éditions Tinbad. Voici la première partie de la rencontre, consacrée aux Cahiers de Tinbad, avec Christelle Mercier, Claire Fourier, Gilbert Bourson, Jacques Cauda et Claude-Raphaël Samama.

Présentation de l’auteur




Modern Poetry in Translation : Un pont entre les langues et les cultures

Depuis sa création en 1965, la revue Modern Poetry in Translation (MPT) s’est imposée comme une référence incontournable pour la poésie traduite à l’échelle internationale. Fondée par deux figures majeures de la littérature anglaise, le poète Ted Hughes et le traducteur et éditeur Daniel Weissbort, cette revue a pour vocation de rendre accessibles des voix poétiques du monde entier, en mettant en avant la richesse et la diversité des langues et des cultures.

La fondation de Modern Poetry in Translation répondait à une nécessité pressante : créer un espace pour accueillir des poèmes venus d’autres horizons linguistiques, souvent marginalisés dans le canon poétique anglophone. Ted Hughes, profondément inspiré par la poésie mondiale, voyait la traduction comme une manière d’élargir les perspectives littéraires, tandis que Daniel Weissbort apportait une expertise critique dans l’art complexe de la traduction.

Depuis ses débuts, la revue a publié des traductions de poèmes provenant de plus de 100 langues, des classiques modernistes à des voix contemporaines émergentes. Parmi ses premiers numéros, MPT a introduit des poètes comme Pablo Neruda, Czesław Miłosz, et Anna Akhmatova à un public anglophone, tout en explorant des territoires moins connus, comme les traditions poétiques de l’Europe de l’Est et de l’Asie.

Chaque numéro de Modern Poetry in Translation est organisé autour d’un thème central, permettant aux traducteurs et aux poètes de dialoguer à travers les langues et les époques. Voici quelques exemples marquants de numéros récents :

  • “Clean Hands: Focus on Catalonia” (2022) : Ce numéro explore la poésie catalane contemporaine, mettant en avant des figures comme Maria-Mercè Marçal et Jaume Subirana, tout en examinant les défis de la traduction dans un contexte marqué par les tensions linguistiques et politiques en Espagne.
  • “War of the Words” (2020) : Une édition poignante consacrée à la poésie née des conflits, avec des poèmes traduits d’ukrainien, de farsi et de swahili, explorant la résistance, la mémoire et la survie.
  • “The Dialects Issue” (2019) : Un hommage à la richesse des dialectes régionaux, incluant des poèmes en gallois, en napolitain et en créole haïtien, traduits en anglais tout en conservant leurs spécificités sonores et rythmiques.

Chaque numéro est accompagné de commentaires des traducteurs, offrant un aperçu des défis rencontrés dans le passage d’une langue à une autre. Ces réflexions enrichissent l’expérience du lecteur et illustrent l’art subtil de préserver l’essence d’un poème à travers la traduction.

Au fil des années, MPT a introduit à ses lecteurs des poètes qui sont devenus des figures essentielles de la littérature mondiale. On peut citer :

  • Paul Celan, dont les traductions anglaises de poèmes comme “Todesfuge” ont révélé l’intensité et la profondeur de son écriture.
  • Forough Farrokhzad, poétesse iranienne, dont les œuvres traduites dans MPT ont permis de découvrir une voix féminine puissante et révolutionnaire.
  • Ngũgĩ wa Thiong'o, avec des poèmes en kikuyu explorant les thèmes de l’identité post-coloniale et de la résistance.

Plus récemment, MPT a mis en lumière des poètes contemporains tels que Kim Hyesoon (Corée), Natalka Bilotserkivets (Ukraine), ou Ilya Kaminsky (Russie/États-Unis), démontrant son engagement continu envers la découverte de voix poétiques fortes et actuelles.

Modern Poetry in Translation ne se contente pas de publier des poèmes traduits. La revue s’engage activement dans la promotion de la traduction comme un art vivant. Elle organise régulièrement des ateliers de traduction en ligne et en présentiel, permettant à des traducteurs débutants et confirmés de collaborer avec des poètes et des experts. Ces événements renforcent l’idée que la traduction est un acte collectif, nourri par l’échange et l’écoute.

En outre, le site web de MPT offre un accès gratuit à de nombreux poèmes traduits, accompagnés d’enregistrements audio et de réflexions des traducteurs. Ce format interactif permet aux lecteurs d’explorer la poésie mondiale de manière immersive, tout en comprenant les nuances du processus de traduction.

Aujourd’hui, sous la direction de la rédactrice en chef Clare Pollard, Modern Poetry in Translation continue de se renouveler en explorant des thèmes contemporains et en donnant une voix à des poètes issus de communautés marginalisées. Avec son format hybride, mêlant impressions papier et éditions numériques, la revue reste fidèle à sa mission d’élargir les horizons littéraires et de célébrer la diversité culturelle à travers la poésie.

Pour les amateurs de poésie et de traduction, Modern Poetry in Translation est plus qu’une revue : c’est une invitation à voyager à travers les langues, les cultures et les émotions humaines. C’est un pont littéraire qui ne cesse de connecter les voix du monde entier, prouvant que, même à travers les barrières linguistiques, la poésie reste un langage universel.