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Claudine Bertrand, La poésie s’abreuve

la poésie s’abreuve
à la cruche trouée
en gouttelettes de vie
chaque seconde

vie et mort toujours
sur le même sentier
collant à chaque pas
comme sable aux semelles

les peaux saignent
sur terre orange brûlé
ne respirant plus
entre chair et air

un vieillard tire sa révérence
c’est une bibliothèque
qui disparaît de l’humanité
de toutes mémoires

chacun ses musiques
ses temps primitifs
odes abandonnées
pulsation de la marche

faire le guet
sur la potence
révélation des sages
offrant certains mots

qu’on laisse sécher
deux jours deux nuits
s’il sont encore là
d’autres mots se déposent
pour un nouveau poème

confronté
à l’arbre fétiche
l’écrivain enfante
de grands bouleversements

Extrait de Émoi Afrique (s), Éditions Henry, 2017.

 

 

Présentation de l’auteur

Claudine Bertrand

Claudine Bertrand est une poétesse canadienne née en 1948 à Montréal, au Québec.

Elle est l’auteure d’ouvrages poétiques et de livres d’artiste au Québec et à l’étranger, dont Une main contre le délire (finaliste en 1996 au Grand Prix du Festival international de la poésie de Trois-Rivières), L’amoureuse intérieure (Prix de poésie 1998 de la Société des écrivains canadiens), Tomber du jour, Le corps en tête (prix Tristan-Tzara 2001), L’énigme du futur (Prix Saint-Denys Garneau en 2002 livre d'artiste avec la plasticienne française Chantal Legendre). Elle a été lauréate du Prix Femme de mérite 1997 et médaillée d’or du Rayonnement culturel.

Elle est Fondatrice de la revue Arcade, elle la dirige de 1981 à 2006 et a créé le Prix de la relève Arcade (1991).

Depuis les années 1970, elle collabore à plusieurs revues littéraires: Montréal now !, Intervention, La nouvelle barre du jour, Les écrits, Hobo-Québec, Possibles, Rampike, Doc(k)s, Mensuel 25, Moebius, Estuaire, Écritures, Tessera, Bacchanales, et Acte Sud, Jardin d'essai, Pourtours et Travers (France).

[Source : Wikipédia]

© photo Isabelle Poinloup

© Josée Lambert

Recueils de poésie

  • Idole errante, récit poétique, Montréal, Éditions Lèvres Urbaines, 1983.
  • Memory, scénario poétique, Montréal, la Nouvelle Barre du Jour, 1985.
  • Fiction-nuit, poésie avec quatre dessins de Monique Dussault, Saint-Lambert, Éditions Le Noroît, 1987.
  • La Dernière Femme, poésie avec une linogravure de Célyne Fortin, Saint-Lambert, Éditions Le Noroît, 1991 (tirage épuisé) 2e édition bilingue tchèque et française, traduction de Jana Boxberger, Prague, Protis, 2000.
  • La Passion au féminin, entretiens, coauteur avec Josée Bonneville, Montréal, XYZ Éditeur, 1994.
  • Une main contre le délire, poésie, avec une illustration de Roch Plante, Montréal/Paris, Le Noroît/Erti éditeur, 1995.
  • L'Amoureuse intérieure, suivi de La montagne sacrée, poésie, avec quatre originaux de Roland Giguère, Montréal/Paris, Le Noroît/Le Dé Bleu, 1997, * Prix de la Société des Écrivains Canadiens, Prix de la Renaissance française; 2e édition traduite en catalan par Anna Montero, Barcelone, Tandem Edicions, 2002.
  • Tomber du jour, poésie avec une illustration de Marcelle Ferron, Montréal, Éditions Le Noroît, 1999.
  • Le Corps en tête, poésie, l’Atelier des Brisants, France, 2001, prix Tristan-Tzara.
  • Jardin des vertiges, poésie, illustration de Chan Ky-Yut, Montréal, Hexagone, 2002.
  • Nouvelles épiphanies, poésie, Montréal, Trait d’Union, Autres temps, France, 2003.
  • Chute de voyelles, poésie, Trait d’Union, Montréal, Autres Temps, France, 2004.
  • Pierres sauvages, poésie, Édition de l’Harmattan, coll. « Poètes des 5 continents », France, 2005.
  • Ailleurs en soi, poésie, Éditions Domens, France, 2006.
  • Autour de l'obscur, poésie, Éditions de l'Hexagone, 2008.
  • The Last Woman, poésie, Éditions Guernica, 2008. Choix de poèmes publiés de 1991 à 2002, traduits par Antonio D'Alfonso.
  • Autour de l’obscur, poésie, illustration Anne Slacik, Édition de l’Hexagone, 2008.
  • Passion Afrique, poésie, illustrations Michel Mousseau, Éditions Rougier, collection «Ficelle», France 2009.
  • Au large du Sénégal, poésie, illustrations Michel Mousseau, Éditions Rougier, collection "Plis urgents", 2013

 

Poèmes choisis

 




Luce Guilbaut, Demain l’instant du large

Il y a chez Luce Guilbaud une emprise de la mer. Elle est à la fois une passion et un élément qui forgent profondément sa sensibilité. Elle est chantée dans nombre de ses recueils. Dans celui-ci paru aux Editions Lanskine, quelqu’un, une femme, reste debout près des flots et pense à celui qui est en mer. Le titre à lui seul concentre la teneur du recueil. En une même formulation lapidaire, il rassemble le temps, le lieu et une invite à une expérience libératoire suggérée par le « large ».

Lieu d’abord non nommé, situé par référence à l’estuaire de la Charente, mi-réel, mi-rêvé. Le recueil ensuite prend du champ et s’ouvre à une autre mer, sans marées celle-là, le temps d’une croisière près de Rhodes. Et dans « la mer de vos absences », on passe à un véritable lieu mental. Tel est bien le signe d’une composition très fluide du recueil, comme l’attestent aussi les variations de tonalité. Tantôt grave, en mineur, lorsque la poète évoque les êtres chers disparus, tantôt majeure, à l’humour léger offert en partage au lecteur, dans « Armement minimum conseillé (pour rire) ».

 

Luce GUILBAUD, Demain l’instant du large, Editions Lanskine,

Luce Guilbaut, Demain l’instant du large, Editions Lanskine, 51 pages, 12 €.

Chez Luce Guilbaud, la mer sépare mais elle « renoue » aussi :

 Celui qui part sur la mer me renoue
revient
le même                    et plus.

 Peu d’êtres sont évoqués mais chez la poète, le sentiment de la mer n’est pas séparable de la relation à l’autre. Compagnon parti en mer : « Face à toi je suis femme de proue ». Ou la grand-mère, figure marquante déjà présente dans d’autres recueils, en particulier dans Comme elle dirait la mer.

Comme si la mer était le lieu des contraires, à la fois lieu de séparation en même temps que lien puissant entre les êtres.

Le recueil foisonne de notations, d’impressions : l’air du large, la lumière des nuages, les lignes qu’on laisse traîner au fil de l’eau, le bois flottant à la dérive, la lune très présente dans ces pages. L’air, la terre, l’eau, les trois éléments sont offerts dans ces vers pour dire les rythmes et les mouvements du vivant océanique.

L’écriture est habitée par une respiration qui traverse les vers dans un grand souffle poétique. Luce Guilbaud, comme Jules Supervielle qu’elle évoque à travers L’Enfant de la haute mer, sait ouvrir un espace imaginaire en mobilisant des images singulières. Telles ces « ciels brûlés cousus à la carène », ce « lavis de larmes ou ciel échoué ». Ce qui frappe, c’est que les termes de la vie maritime sont transposés aux sentiments en un superbe échange langagier. Ainsi :

 le sourire tresse ses cordages
si tu tiens le trident
pour récolter l’écume

 Écriture traversée aussi par les mythes, celui de Méduse, d’Ariane ou des sirènes.

La promeneuse de mers est captive de cette exploration du regard, de ce tête-à-tête avec l’illimité :

vagues sans cesse        
dès l’origine
et nous à l’heure des marées
prenons le pouls du temps

 Et la mer prend ici une dimension de flux éternel source de méditation. Métaphore de la vie, de l’écoulement du temps, présente dès le titre du recueil. Avec ses aléas, les moments heureux, les morts. Le rythme et la mise en forme graphique en portent témoignage : il y a des « creux », des hauts et des bas, à l’image des vagues intranquilles, qui emportent le lecteur :

                                           Ciel
ce qui s’approche tombe
brutal épais plus vite
pas d’issue […]

                                        tornade
(l’assaille une douleur remontante
tombée sur la nuque
dans la vitesse d’échappée)

 

La mer devient image primordiale, ouverte sur l’infini que le titre d’un des poèmes résume parfaitement, « La mer sans conclusion ».

Et plus encore le poème « La mer de vos absences », belle évocation des morts aimés que des fils invisibles relient aux vivants :

 Tous mes absents sont au large
cohorte de cris silence
dans la mer intérieure

 Comme Marguerite Duras, présente en filigrane ici dans le clin d’œil au Marin de Gibraltar, la poète peut dire : « Regarder la mer, c’est regarder le tout ». C’est la grâce de ce recueil de grand vent que de nous y inviter.




Alain Wexler nous parle de la revue Verso

 Tout ce que l’on doit savoir sur Verso

 La technique d’impression !

Verso a été fondé en avril 1977 par Claude Seyve et moi-même. Nous composions les pages avec des composters et des polices Freinet et les tirions à la main sur une presse à épreuves Freinet également. La reliure était faite avec du fil et une aiguille ! La revue n’était pas très épaisse. Nous tirions 5 n° par an.

Plus d’un an après nous fîmes la connaissance de Joseph Beaude qui nous proposa de taper Verso sur sa machine à boule électronique. J’achetai ma première presse offset d’occasion. Une vieille Rotaprint ! Le vendeur me fit connaître le procédé Agfa Copyrapid. Une feuille tapée à la machine à écrire, insolée reproduisait son image sur un film qui à son tour se décalquait sur une plaque offset spéciale, film et plaque passant entre deux rouleaux presseurs dans un bain de révélateur. J’ai travaillé de cette manière jusqu’au n° 107.

Le n° 109 a été le premier issu de films ou transparents tirés directement à l’imprimante à partir d’un fichier informatique. Ces films sont imprimés à l’envers de sorte que le côté émulsion du film se trouve collé contre la plaque offset au moment de son insolation par 6 lampes U.V. pendant 3 minutes environ. La plaque est développée dans une solution proche de la soude caustique, puis rincée et gommée, c’est à dire enduite de gomme arabique pour la protéger de l’oxydation. Il suffit de la rincer à l’eau courante et de l’égoutter pour s’en servir, c’est à dire de la caler sur le cylindre porte-plaque de la presse offset.

Revue Verso

Verso, revue de poésie trimestrielle

Abonnement : 22 € par an à l'ordre de Verso
Alain Wexler 547 rue du Genetay
69480 Lucenay
Prix du numéro : 6 €

Cette dernière possède de nombreux rouleaux encreurs dont un qui va déposer de l’encre sur la plaque. Celle-ci deviendrait toute noire si un rouleau revêtu d’un manchon textile, genre serviette éponge, ne l’humectait régulièrement. Cela s’appelle le mouillage. L’offset, c’est de l’encre et de l’eau. Le procédé d’imprimerie le plus souple et le plus économique qui soit.

J’ai connu 3 presses offset avant la Hamada 500 CDA que j’utilise depuis le n°108. Dans l’ordre : une Rotaprint, une Abdick et une Multilith.

La reliure

Verso a été agrafé jusqu’au n° 130. Verso devait s’agrandir. Il lui fallait un dos carré collé !

La relieuse manuelle Fastbind, matériel finlandais, allait le permettre. Faire la reliure est aussi pointu que d’imprimer. D’autant que cette relieuse laisse beaucoup de place à l’initiative personnelle ! Dans la limite des 7 secondes dans l’absolu, temps de refroidissement de la colle à partir du moment où elle est étalée sur le dos de la liasse et l’instant où la couverture est rabattue dessus et mise en pression. Vu comme ça, cela paraît simple. Cela le devient après 10 ans de pratique ! Avec du papier bambou de 250 grammes il faut 23 secondes de pression sinon gare aux grimaces diverses ! 10 secondes suffiraient avec des couvertures de plus faible grammage. Par exemple 150 grammes. Je vous fais grâce de toutes les opérations préliminaires, les différentes coupes des piles de liasses imprimées, de l’impression de la couverture qui prend une journée de travail. Du pliage des couvertures dont la réussite de la reliure dépend totalement.

La poésie

Claude Seyve voulait appeler la revue Louisa, allusion au passé ouvrier anarchiste de la ville des canuts : Lyon.  Je lui ai dit : on va ouvrir un dictionnaire au hasard plusieurs fois jusqu’au bon titre. Ce qui fut fait. Verso, l’envers des choses, de l’autre côté du miroir. J’éprouvais une véritable passion pour Lewis Caroll. Je n’ai pas changé.

Nous choisissions Claude Seyve et moi les textes reçus par la poste. Plus tard, lorsqu’un comité de lecture fut institué, nous fîmes la remarque tous deux que les textes qui nous plaisaient été évincés.

Lorsqu’en 1998 je me suis retrouvé tout seul pour réaliser Verso j’ai renoncé au comité de lecture et appliqué les règles qui étaient en vigueur les premières années de Verso. C’est à dire publier les jeunes poètes ou moins jeunes ! Sur la base de la qualité de l’écriture seulement sans aucune référence à une mode quelconque. Ce sont ces poètes-là qui seront connus demain. D’une manière plus générale j’affirme que c’est le poète ou l’artiste qui crée la nouveauté ou l’idée du moderne. Pas des instances diverses dont le pouvoir m’est de plus en plus insupportable.

Les textes sélectionnés sont rangés dans des enveloppes datées et publiés par ordre chronologique.

Dans la revue je les dispose dans un ordre qui dépend du titre. Résultat d’une analyse presque surréaliste ! Les premières pages sont celles qui répondent au plus près du titre découvert. Les textes s’enchaînent grâce à des charnières : une idée, un mot suffisent.

L’organisation de la revue

Le prologue : L’analyse des textes qui aboutit à un titre comme si un appel à thème avait été lancé se poursuit dans un prologue. C’est un méta-texte où je combine des idées relatives au titre et des extraits des textes publiés. Le produit obtenu tend vers un texte autonome. Il doit en théorie montrer une forte unité. Le lecteur ne devra pas s’étonner si des petites scènes de la vie courante s’y glissent. Non sans rapport avec les textes publiés ! Le sel de la revue !

Notes sur les auteurs :

Chaque auteur publié a droit à une présentation biobibliographique.

Les chroniques : 

Quelquefois le lecteur a la chance de trouver la chronique lyonnaise de Marinette Arabian. J’ai habité pendant 15 ans le même quartier qu’elle dans le 3ème : Montchat. Ses chroniques dépassent de loin la rubrique de quartier.

Miloud Keddar assure une rubrique artistique mais tient à voir ses poèmes publiés dans ce cadre. Le point commun est une réflexion sur la création.

La revue des revues :

Christian Degoutte la nomme : En salade. La plus importante revue des revues en France. Je sais qu’elle est très lue.

Les lectures :

Valérie Canat de Chizy, Jean-Christophe Ribeyre et moi-même recensent un maximum de livres. Gérard Paris aussi.

Notes, chroniques et lectures occupent environ 30 pages de la revue.

 




Artichaut, revue de création littéraire

J’ai découvert Artichaut par hasard au Marché de la poésie 2017. Non, je ne cherchais pas des légumes, mais La moitié du fourbi et, ce faisant, j’ai trouvé Artichaut. J’ai été immédiatement frappée par les qualités éditoriales du #1 | révolutions.

Le cartouche, comprenant le logo (qui représente un artichaut stylisé) et le titre de la revue (« artichaut : revue de création littéraire »), est suspendu au centre du bord supérieur de la couverture, qui met en avant une des œuvres de l’artiste invité(e). Le long du bord inférieur, le titre du numéro. Cette géographie de la couverture fonctionne à merveille, et attire immédiatement l’œil.

Sur la première page de la revue, le MANIFESTE CHAUD, dont je reproduis ici le texte (sans sa mise en page) :

C’est un chardon brûlant que l’on a domestiqué, cultivé et mangé froid. Il a un cœur comestible deux fois l’an – trois fois les bonnes années – qui est une inflorescence sans fleurs. Il a un bon fond, généreux réceptacle des maux des autres qu’il accueille sans préjugé, encourageant toujours la mise en mots. Une après-midi mélancolique il est né, dans la chaleur d’Afrique du Nord où son nom est une épine de la terre. Il continuera d’être cultivé tant qu’il nourrira ; de l’art du chaud nous forgerons demain un cœur plus vaste - ou nous étoufferons.

Le sommaire présente le détail des œuvres des 7 auteur(e)s retenus lors de l’appel à textes, de l’auteur(e) et de l’artiste invité(e)s. Chaque auteur(e) est introduit(e) par une page biographique proposant un « accompagnement » à la lecture de son texte. Ainsi, pour Nous irons pieds nus comme l’Ire des Volcans, poème de Raphaël Sarlin-Joly publié dans le #1 (un autre de ses poèmes, Révélant sur la Grève Quelques Corps immobiles, est publié dans le #2), il nous est proposé de regarder Alphaville de Jean-Luc Godard. Les accompagnements peuvent être des livres (essais, fiction…), des œuvres picturales, des films, des séries télévisées, des chansons ou même des promenades…

Les contributions sont le plus souvent des nouvelles dans le registre du réalisme magique, mais la revue est également ouverte aux propositions poétiques. Très cohérentes, elles donnent une couleur d’ensemble, non seulement aux numéros, mais à la revue.

Un monde ouvert, absurde, à la limite du rêve et de la dystopie, symbolisé par le choix des artistes invités à ce jour : Fanny Béguély pour le #1, et Seung-Hwan Oh pour le #2. Ils ont en commun de travailler à partir du papier photosensible. Fanny Béguély réalise ainsi des Chimigrammes, ou « peinture[s] sur papier photosensible. L’artiste dessine sur des supports argentiques rares et anciens à l’aide de produits chimiques, suscitant des réactions qui se poursuivent parfois dans la durée. » Seung-Hwan Oh, quant à lui, a procédé ainsi pour sa série Impermanence : il « a déposé un champignon sur le film photographique. Après un ou deux étés d’incubation à Séoul, la pellicule dévorée révélait les silhouettes fantomatiques de ses sujets : portraits brisés, lacérés, usés par le temps. » Ces projets artistiques proposent une réflexion sur la nature de la photographie et sa matérialité, sur le temps qui passe, sur la sublimation provoquée par l’introduction d’un élément étranger (des produits chimiques, un champignon). Quelque chose disparaît, quelque chose se crée.

Les textes des auteures invitées sont positionnés l’un en fin de numéro (Le Jardin aux roses de Cristen Hemingway Jaynes, pour le #1) et l’autre en ouverture (Nom féminin d’Anne-Charlotte Husson, pour le #2). Notons que la nouvelle Le Jardin aux roses, écrite par l’arrière-petite-fille d’Hemingway, est proposée en version française (traduction par Laurent Barucq et Justine Granjard) puis américaine.

Je connaissais, par ailleurs, le travail d’Anne-Charlotte Husson à travers la bande dessinée documentaire Le féminisme, publiée chez Le Lombard dans la collection La petite bédéthèque des savoirs. Nom féminin vient participer, de manière brève et percutante, au débat actuel autour de l’écriture inclusive.

En fin de numéro, dans une sorte de mise en abîme de ce que nous avons découvert, une bibliographie sélective nous est proposée. Un jeu sur la typographie en varie les entrées qui, par leur diversité, font feu de tout bois et nous invitent à la sérendipité. On ouvre alors de nouveau le rabat du numéro, et on lit, sur la page de garde finale, « Pour participer à nos appels à textes : www.lechardonlitteraire.com/ ». L’envie est déjà là. On attend le prochain appel, et il est certain qu’on y répondra. Irrésistiblement. Et qu’on ira assister à la rencontre « Naissance et perspectives d’Artichaut », proposée dans le cadre du Salon de la Revue le dimanche 12 novembre, salle Christiane Tricoit, de 16h30 à 17h30.

Artichaut, revue de création littéraire #1 - révolutions

Artichaut, revue de création littéraire
#1 | révolutions
140x205mm, 128 pages, broché, rabat couvrant
15 €

Artichaut, revue de création littéraire #2 - personne

Artichaut, revue de création littéraire
#2 | personne
140x205mm, 128 pages, broché, rabat couvrant
15 €

 Interview par mail de Justine Granjard, 28 octobre 2017

Quel a été le point de départ de votre projet ?
Artichaut est née d’une pratique personnelle. Je cherchais des revues susceptibles de me donner envie d’envoyer des textes. J’ai fait de jolies découvertes, mais qui m’ont surtout donné envie de créer ma propre revue ! Je travaillais déjà dans l’édition, j’avais envie de monter un projet toute seule, Artichaut en a été l’occasion. 
Je connaissais presque tous les membres du comité auparavant : ce sont d’anciens camarades de l’école, ce sont des ami·es. Je souhaitais composer un comité de lecture avec des femmes et des hommes aux personnalités toutes très différentes, aux sensibilités parfois opposées, qui se retrouvent dans le plaisir du texte et le désir d’adopter une posture bienveillante. Je ne savais absolument pas ce qu’allaient donner les premières réunions. Mais ça a fonctionné tout de suite. 
Comment vous est venue l’idée d’utiliser le concept de l'artichaut comme symbole de votre revue ?
Ce n’était pas du tout un concept. J’écrivais un texte (toujours en cours) intitulé provisoirement « Artichaut ». Les deux projets nés simultanément ont pris le même nom dans mon esprit. Et j’aimais la réaction perplexe des personnes à qui j’ai dit le nom pour la première fois. Cet objet du quotidien, humble et pourtant sophistiqué, rond et piquant, accessible et complexe… tout ce qu’évoque ce mot me plaît, et fonctionne de manière très cohérente sans que cela ait été forcément pensé au préalable. Maintenant, tout le monde vient me voir avec des histoires autour de l’artichaut, tout le monde m’envoie des photos d’artichauts : cet objet banal s’est trouvé soudain investi de sens, et de sens très variés. 
Comment ont été élaborés les principes graphiques de la revue (le travail sur la typographie, le rabat, les pages de couleur...) ? Sont-ils concomitants ou consécutifs de votre projet littéraire ? Et, question subsidiaire : quel est le profil des membres de l'équipe (au vu de la beauté plastique de votre revue) ?
Je suis éditrice et je viens du monde de ce qu’on appelle les « beaux livres » : livres d’art, livres illustrés qui nécessitent un traitement graphique et de fabrication particuliers. Dans ce monde-là, nous adorons toutes les petites originalités de fabrication ! J’ai pensé à ce rabat couvrant immédiatement, en référence à une maison indépendante appelée Les éditions du Chemin de Fer qui a publié un magnifique inédit de Claude Simon il y a quelques années. Ensuite, j’ai travaillé avec une talentueuse jeune graphiste, Mélissandre Pyot, pour la conception de la maquette et du principe de couverture. Elle a conçu le logo à partir d’un dessin qu’avait réalisé une artiste tatoueuse, Maïssa Bénallègue, qui est aussi membre du comité de lecture. Je tenais à ces jeux typographiques que l’on retrouve en ouverture et en fermeture de la revue : le jeu typographique et la typographie en elle-même sont les lieux où l’écrit et l’art graphique se rejoignent. Et, comme j’ai longtemps fait des bibliographies universitaires dans les règles de l’art (je suis issue d’une formation littéraire), je trouvais amusant de déconstruire la bibliographie à travers ces jeux typos, pour réintroduire de la vie et du mouvement dans ces formes figées. Mélissandre a donc signé la maquette du #1, qui a été reprise et légèrement modifiée par un autre graphiste, Noël Pinsard, pour le #2. Je touche moi-même de plus en plus à la question graphique, par intérêt bien sûr, mais aussi pour des questions de budget !
Les membres du comité, qui font partie de l’équipe permanente d’Artichaut, ont des profils très variés : j’ai mentionné Maïssa Bénallègue qui est tatoueuse, mais il y a aussi Cyril Barde, professeur en CPGE et doctorant en littérature, Elara Bertho, chercheuse au CNRS et spécialiste des littératures africaines ; Eléonore Devevey, doctorante et éditrice qui s’intéresse aux liens entre anthropologie et littérature ; Vladimir Hugot, danseur à l’opéra et acteur ; et Laurent Barucq, traducteur littéraire qui a une connaissance impressionnante de l’édition indépendante. 
Comment décidez-vous du thème des numéros ? Avez-vous élaboré un plan sur plusieurs numéros en prévoyant les appels futurs ? Je me pose ces questions du fait même de la cohérence des textes publiés et des thèmes des numéros.
Je travaille de manière assez intuitive, en fonction des envies, des intérêts (ou lubies) du moment. Je soumets mes propositions de thèmes au comité, qui les valide ou non. J’ai déjà les trois prochains thèmes en tête oui, ainsi que les artistes invité·es qui ont déjà été, pour la plupart, contacté·es. 
Combien avez-vous reçu de textes pour chacun des 2 numéros ? Quand un nouvel appel à textes sera-t-il proposé ? J'ai l'impression que vous concevez chaque numéro comme une méta-œuvre, collective.
Pour le #1, nous n’avions reçu qu’une trentaine de textes, et nous avions été impressionné·es par la qualité des propositions. Nous n’en avions que trente, mais nous avons eu le luxe de choisir, et même de nous confronter à quelques dilemmes dans ces choix. Pour le #2, nous en avons reçu une centaine, donc le travail a tout de suite été plus important, notamment pour répondre à tout le monde individuellement (chose que je souhaite continuer de faire le plus longtemps possible). Le nouvel appel à textes sera communiqué dans les semaines à venir, avant le Salon de la Revue.
Oui, j’aime cette idée d’une oeuvre collective, où les individualités s’expriment pourtant dans leurs différences. Chaque feuille d’un artichaut présente des teintes, des tailles, des formes diverses. Pourtant, tout se tient, autour du cœur. 
L'auteur invité ne participe pas à l'appel à textes ? Vous le connaissez déjà et lui proposez de participer ? L'artiste invité également ? Comment concevez-vous leur rôle de pivot dans le numéro ? Une sorte de fil rouge, de tamis orientant notre vision du thème ?
Les autrices invitées (car, pour l’instant, il n’y a eu que des femmes) ont eu carte blanche sur le thème. Elles n’ont pas participé à l’appel, puisque la publication de leur texte est assurée. Nous les invitons car nous les savons susceptibles de proposer des éclairages singuliers sur le thème, ou adoptant des formes, représentant des courants d’écriture qui font sens pour nous, toujours en lien avec ledit thème. Je ne conçois pas vraiment les oeuvres reproduites au centre du volume comme un pivot. Plutôt un coeur ! Je crois que l’idée du fil rouge est bonne, mais j’ai souvent eu l’impression à la lecture des numéros finis que ce fil rouge reliait les textes de manière très naturelle, très organique, et assez imprévisible. Il y a par exemple des effets d’échos entre des textes sélectionnés à l’issue de l’appel, que nous ne remarquons qu’au moment d’éditer les textes après sélection. Je pense que cela s’est produit pour les deux numéros existants, et j’espère que ça va continuer de se produire sur les prochains. Nous ne forçons pas la cohérence de cet ensemble si hétérogène : elle se dessine naturellement, et c’est très bien ainsi !
Les références mentionnées après la biographie des contributeurs sont-elles proposées par l'équipe et/ou par l'auteur ? Quel rôle joue pour vous la bibliographie en fin de volume ? Et l’édito ?
Les accompagnements sont proposés et choisis par les autrices et auteurs, en accord avec l’équipe éditoriale. La bibliographie permet de définir l’univers qui a accompagné les membres du comité tout au long de la conception du numéro. L’édito est le seul endroit où je m’exprime en mon nom (mais toujours « pour Artichaut ») sur le projet : je ne le voulais pas forcément si personnel au départ, mais c’est ainsi qu’il est né et lorsque j’essayais de l’écrire de manière moins intime, ça ne collait pas. Alors je me suis faite à l’idée d’y écrire « je ». 
Parlez-moi de la rencontre prévue pour le salon de la revue.
C’est une grande chance pour nous, et je remercie encore André Chabin et Yannick Keravek d’Ent'revues qui nous ont proposé cette tribune pour présenter la revue. Nous pensons dire quelques mots du projet, répondre à quelques questions sur le fonctionnement, sur l’avenir de la revue et les développements que nous envisageons, et, surtout, laisser à deux auteurs que nous avons publiés (Raphaël Sarlin-Joly et Vanya Chokrollahi) l’occasion de lire leurs textes. Souvent je dois faire face à des réactions mitigées lorsque je parle de "jeunes auteurs et autrices » : les gens ne s’attendent pas à lire des textes aussi bons. J’aimerais que notre intervention lors du Salon de la Revue soit l’occasion de déconstruire ces a priori !




Poésie en Péril ?

 La situation de la poésie et de ses acteurs est loin d'être paradisiaque, et sa survie en tant qu'activité culturelle et sociale est une question récurrente, qu'on peut de nouveau se poser en lisant, sur le site de Sitaudis,  la lettre "Poètes en grève!" à l'attention des organisateurs de la Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne, transmise à titre d'exemple de la situation déplorable faite aux poètes invités. Ou bien en retrouvant, sur le site de la revue Décharge la menace (elle plane depuis plusieurs années déjà) sur le traditionnel marché de la poésie, place Saint-Sulpice, à Paris, (manifestation annuelle où poètes, éditeurs et lecteurs de toute la France et d'ailleurs, se retrouvent en juin), qui risquerait bien d'être supprimé pour des raisons autant administratives qu'économiques. 

Marc Chagall, Le Paradis (détail), Musée Marc Chagall, Nice - photo mbp

Marc Chagall, Le Paradis (détail), Musée Marc Chagall, Nice - photo mbp

En 2018, le 36e Marché de la Poésie recevra le Québec en invité d'honneur et consacrera une partie de ses activités aux deuxième volet des États généraux de la Poésie #02 : le devenir du poème. En 2017, ces Etats Généraux avaient interrogé les enjeux artistiques, la place dans notre société et l’univers économique de la poésie », dressant un bilan assez sombre : malgré la multiplicité des nouvelles formes liées à internet (tweets, blogs, poésie sonore et visuelle...) il reste que dans beaucoup de librairies, le rayon dédié à la poésie est anémié au point d'en être inexistant, que les ventes de recueils ne représentent que 0,1 pour cent du marché, et que de nombreux éditeurs, exangues, ont de moins en moins de visibilité. Trop souvent, la seule occasion institutionnelle de rencontre, notamment avec le public, sont les marchés et fêtes de la Poésie qui se tiennent autant à Paris qu'en province – pour mémoire, le Festival Voix Vives de Sète, qu'anime Patricio Sanchez-Rojas, publié dans ce numéro de novembre, le festival Poésie dans la rue, à Rouen, dont nous avons relayé il y a peu l'information dans notre fil d'actu (qui fait régulièrement écho aux très nombreuses manifestations, lectures, rencontres... promouvant la poésie).

Peut-on espérer de la nouvelle ministre de la culture, éditrice par ailleurs, qu'elle aide à sortir la poésie de son rôle de parent pauvre de la culture ? Pourra-t-elle tenir compte des propositions faites par ces Etats Généraux: allègement des taxes pour les micro éditions, rayon de poésie contemporaine dans les bibliothèques, aides aux maisons d’édition qui souhaitent développer le secteur de l’édition numérique... Un bilan des améliorations amenées par ce dispositif devrait être dressé en 2018 – mais qu'en sera-t-il dans un contexte où la manifestation même qui les a suscités a un avenir précaire ?

 Et pourtant ! La poésie ne cesse d’être lue.

 Sa place, non négligeable,dans le paysage littéraire, et dans la société, quoi qu'en pensent les pessimistes, se lit entre autres à la multiplication, la pérennité et la fréquentation régulière et croissante des sites de poésie en ligne,  et des blogs et tentatives de néopoètes - parfois maladroits (on le serait à moins dans un contexte éducatif où la littérature la cantonne à un bref chapitre, souvent évité par les enseignants talonnés par des programmes). On la mesure également au nombre de revues de qualité, papier ou sur le web qui donnent à de nombreux poètes, confirmés ou débutants, l’occasion de s’exprimer. C'est ainsi qu'en novembre, nous donnons la parole à de jeunes auteurs - Pauline Moussours, Thierry Roquet et Hans Limon -  dont les poèmes côtoient les inédits que nous offre Tristan Félix, les poèmes engagés de Charles Akopian, et les forêts norvégiennes d'Estelle Fenzy.

Avec la conviction qu'il n'est d'avenir que dans l'échange inter-culturel, à travers l'espace et le temps, Recours au Poème continue d'œuvrer aussi pour qu'existe un réseau poétique international : ce mois-ci, nous donnons la parole à Sevgi Türker , qui nous présente sa conception de la traduction, et nous lit un poème de Fuzûlî en langue turque et en français (l'enregistrement est à écouter sur notre nouveau site Soundcloud via le lien de l'article).

Nous citerons Claude Luezior poète suisse dont Nicolas Hardouin présente deux recueils, Nimrod présenté par Xavier Bordes, ou Claudine Bertrand, poète, essayiste et éditrice, qui vient d'être distinguée par le prix européen « Virgile 2017 », à l'honneur dans notre nouvelle rubrique sur la poésie du Québec, qu'elle inaugure  avec des textes engagés et ouverts sur le monde, comme toute son œuvre...

Jean Migrenne, spécialiste de la littérature anglaise, nous propose une délicieuse promenade à travers les siècles, autour du dialogue amoureux – et puisqu'on parle de dialogue, nous donnons la parole ce mois-ci au dramaturge Mathieu Hilfiger, qui se confie à Anne-Sophie Le Bihan.

Nous n'oublions pas l'oeuvre de diffusion des revuistes qui se lancent dans l'aventure ou qui poursuivent leurs publications papier : vous lirez ce mois-ci une présentation de la revue Verso, dont il est le fondateur et l'âme, par André Wexler lui-même, ainsi que la présentation de la nouvelle et jeune revue Artichaut, avec l'interview de sa créatrice, Justine Granjard, mais aussi des notes sur le Journal des poètes, et les Cahiers du sens... on nous pardonnera de ne pas toutes les citer ici, elles sont souvent à la une de notre page facebook. Nous n'oublions pas davantages les éditeurs dont la résistance courageuse permet la publication de nouveautés et de textes ignorés par les « grandes maisons »  et dont notre rubrique « critiques » se fait l'écho.

 Il faut espérer que se réduise l'écart entre un marché économique en perte de vitesse, accompagné des baisses et suppressions de subventions qui maintenaient à peu-près à flot ce secteur où sont de rigueur la bonne volonté, le bénévolat, la prise de risque et l'insolente inconscience de ceux qui sont libres et promeuvent  coûte que coûte ce en quoi ils croient, et l'essor dont témoignent la fréquentation des pages internet et des manifestations dédiées à la poésie. On peut supposer – on doit croire ! - qu’un revirement est à l’œuvre, et qu'elle peut reprendre la place qui a été la sienne jusqu’au dix-neuvième siècle : c'est tout le sens de notre action et ce que nous vous souhaitons, auteurs, éditeurs, et fidèles lecteurs de poésie !

 




Sandra Lillo, Les Bancs des parcs sont vides en mars

Extraordinaire ! Vraiment... J'ai fait là une rencontre avec une écriture superbe, simple et profonde, authentique et douée d'empathie pour la vraie vie malgré les difficultés de chacun pour la vivre, et usant d'un étonnant "tour de passe passe" stylistique pour le décrire !..

Poèmes et vers s'étalent (s'étagent) dans toute la hauteur de chaque page (on y respire), multitudes d'impressions qui nous rejoignent et dites (en apparence) sans le détour, la "complication-médiation" de la pensée, comme directement "surgies" du cœur, avec des raccourcis étonnants qui ''fulgurent'' l'expérience décrite dans laquelle nous nous reconnaissons tous si bien : vie, nuit, jour, fenêtre, perte, absence de l'être aimé (est-ce une séparation ? Un deuil?), étonnement, le chat, les enfants, le désir – un désir énorme - niché dans notre quotidien quand il est à la fois si riche et si limité !..

Sandra Lillo,  Les Bancs des parcs sont vides en mars, Éditions La Centaurée
Valérie Ghévart 211 rue de Vern, Apt 405, 35200 Rennes

Je dis très mal toute ma reconnaissance pour la force de ces poèmes et leur style très agréable, le tout provoquant une rencontre du lecteur avec lui-même, avec ses attentes les plus profondes et la question (omniprésente) du sens de toute vie…

« Il y aura la mer derrière les rideaux
les murs
les messages du vent dans le bec
des oiseaux
la nuit se perdra dans le silence maternel de l'aube
On se racontera l'ordinaire et le champ
de bataille à l'intérieur
tout ce qu'il a fallu détruire pour continuer »

Présentation de l’auteur

Sandra Lillo

Sandra Lillo est née à Nantes en 1973. A une époque compliquée de sa vie la poésie a été une découverte, puis une curiosité jusqu'à devenir cette fenêtre ouverte, éclairée au bout du chagrin dont parle dans son poème Paul Eluard.

 Elle a publié deux recueils aux Editions La Centaurée dont un Le silence coule sous les branches avec le photographe Cédric Merland.

 Deux autres recueils sont à paraître dans l'année.

Sandra Lillo

Autres lectures

Sandra Lillo, Les Bancs des parcs sont vides en mars

Extraordinaire ! Vraiment... J'ai fait là une rencontre avec une écriture superbe, simple et profonde, authentique et douée d'empathie pour la vraie vie malgré les difficultés de chacun pour la vivre, et usant [...]




Lionel Seppoloni, La Route ordinaire

 

La route la même
toujours la même
et différente
ses points de repères
ses surprises
cette nuit qui quelquefois
traverse le jour

J’ai rêvé quelquefois de faire de ce trajet un chef-d’œuvre de l’effacement, l’artiste disparaissant dans les tours, les détours, les courbes, les plis, les replis de la route.

Cette route page blanche
page d’écriture
emportée
dans sa fragilité sa force
je donne ce que tu nommes
dit la route
qui s’efface et revient

 

Lionel SEPPOLONI, La Route ordinaire, Encres de Macha Poynder, Éditions Livres du Monde, 19,90 €.

C’est le Journal de la D207, le parcours dure vingt minutes, se fait tous les jours dans les deux sens sur l’espace de temps d’une année. Tout se passe à bord d’une voiture, appelée un char, derrière un pare-brise, sous l’action parfois des essuie-glaces, de la buée, bref ce qui empêche de voir librement, puis la vue se dégage, le voyage recommence inlassablement.

La route est ce à quoi elle conduit : paysages de saisons, passants, maisons, tournants, usagers…tout y dérive dans de multiples aspects qui s’interpénètrent. Progressivement, l’auteur s’élève vers une route mentale : La lumière de la vie. Etre en route c’est être en vie. Le paysage décrit est un prétexte à dire autre chose de plus intime, de plus général ou de plus abstrait. Mais le paysage concret finit toujours par revenir comme s’il était point de repère. C’est une voix calme et posée, posée sur le monde dans son évidence et son interprétation. Route en tant que reflets de la modernité. Beaucoup de flou et de brouillard passent par ces pages où l’accent porte le plus souvent sur l’un de nos sens qui est : voir.

Le poème n’est que
route réitérée
ressassement heureux

C’est la route du réel échappée des fausses routes de la fiction et peut-être de la raison. Elle y est parfois personnifiée. La route est : tenter d’être là. Ce journal dit le visible sans fioriture, le durable comme l’éphémère, la fixité comme le changement. Petite route secondaire, fragment de route, suivie dans la nécessité et l’habitude : route étroite de nos vies ordinaires.

La route est de l’inattendu qui veille.

Monde aux échappées tantôt claires tantôt sombres, monde limité par l’espace et le temps mesurés au rythme des jours qui s’ouvrent aux dimensions de l’univers. Monde élémentaire servant de point d’appui où toutes les formes de vie cohabitent dans une unité qui les dépasse. La route n’est pas une fuite qui nous ramène toujours au même centre, le même point d’un nouveau départ : Ce paysage apprivoisé.  C’est tout un cadre de vie que dessine l’auteur, toute une philosophie sous-jacente, une manière de dire oui au monde par ses moindres détails qui nous élèvent vers une lumière pour étreindre la taille de la terre. Journal en symbiose avec le présent de tous les jours et le déroulement des faits d’ici ou d’ailleurs dans leur objectivité. L’espace aussi fragmenté soit-il reste toujours entier, monde un.

L’accident personnel traversé, dit André Du Bouchet, la parole par sa répétition se traverse et donne sur une plénitude synonyme de néant car nous n’allons nulle part sinon au même, vers cet espoir contenu dans sa banalité qui le grandit.

La route comme devant nous, sortie d’un tunnel, ainsi le suggèrent les encres de Macha Poynder, une route de nuit éclairée par des phares d’où ressortent les tracés clairs des lignes de séparation et de protection. Route qui dans les deux dernières encres, finit par disparaître pour ne laisser que certaines traces légères et subtiles. Est-ce une route à oublier ou à recomposer à partir d’éléments épars ?




Guillaume Decourt, Le Cargo de Rébétika

 Le titre en lui-même, déjà, Le Cargo de Rébétika, c’est l’art de l’ouverture dans lequel peu sont passés maîtres, on songe à la grande Marguerite : Les Petits Chevaux de Tarquinia, Un barrage contre le Pacifique. On a envie d’ouvrir le livre.

Et puis la quatrième de couverture : « Un homme ; deux femmes ; des autochtones ; un cargo qui n’arrive pas ». C’est une accroche cinématographique. On songe à la bande annonce de La Nuit de l’Iguane de John Huston : « Un homme… trois femmes… une nuit… » Mais il s’agit du résumé du dernier livre de poèmes de Guillaume Decourt.

Si l’écriture de Decourt n’a strictement rien de cinématographique (pas de découpage scénaristique), ce Cargo constitue pourtant une œuvre filmique totale, par la pureté des images, l’inventivité picturale, le rythme narratif et la richesse psychologique des personnages, rien à voir avec ce qu’on nomme aujourd’hui le « vidéo-poème », piètre tentative de transcription du poème alors qu’il est par essence, comme le disait Gracq, « soluble dans la mémoire ».

Guillaume Decourt, Le Cargo de Rébétika, Editions LansKine, Paris, 2017.

Guillaume Decourt, Le Cargo de Rébétika, Editions LansKine, Paris, 2017.

N’imagine-t-on pas le plan-séquence de ce poème XXII :

 Je mangeais une banane sur la dune aux Outrages. Seul. 
J’avais pris mon paratonnerre préhistorique, trouvé
dans un surplus de l’Est.
C’était un temps où j’avais encore le regain nécessaire
pour me mouvoir en période de ponte.
Sur ma carapace on inscrit maintenant des graffitis.

 Et les « moineaux enjoliveurs » qui ponctuent cet épopée de leur « phti tribilibi » ou l’acupuncteur plantant ses aiguilles dans « le palais d’un patient qui ne patientait point » au rythme d’un « tsst tsst » maladif n’évoquent-ils pas les délires Felliniens de la dernière période ? Et l’homme murmurant le nom de la femme aimée « Rébétika !» dans la solitude de son île n’est-il pas le frère du jeune Nur-Ed-Din qui cherche sa compagne Zumurrud dans les Mille et une nuits de Pasolini ?

« Un homme ; deux femmes ; des autochtones ; un cargo qui n’arrive pas », donc.

Un homme, le narrateur, déchiré entre deux femmes, deux amours, condamné au choix qu’il ne peut prendre, Grupetta ou Rébétika, quand il voudrait peut-être Grupetta et Rébétika. Deux femmes aux tempéraments contrastés et dont les prénoms évoquent dans une forme féminisée le grupetto, cet ornement musical dérivé du mordant baroque, et le Rébétiko ce genre musical grec né en Asie mineure. Deux femmes que tout oppose, Grupetta l’extravagante, qui réclame, exige, et Rébétika, la femme marmoréenne, qui incarne le bien-être sûr.

Tous, ainsi que les autochtones (l’acupuncteur, le fauve sale, le tenancier de l’embarcadère, Aristide…) attendent avec espoir l’arrivée d’un cargo de bananes, mythe qui semble souder les affects des personnages et les lier par le sang, alors même qu’ils ne font souvent que se croiser, chacun condamné à sa propre camisole. C’est une sacralisation du bananier (le cargo) qui n’est pas sans évoquer avec humour l’anthropologique « culte du cargo » mélanésien.

Les lieux répondent aux idiosyncrasies des personnages : l’Hôtel de l’Existence dans lequel Grupetta traite l’homme de bouc, la dune aux Outrages sur laquelle l’homme mange une banane dans sa solitude, la fontaine aux Affins autour de laquelle le fauve tourne comme un derviche, et le Tombeau « en forme de dragée » avec « une amande en sa contenance » que lui prépare respectivement Grupetta et Rébétika :

 Le Tombeau, toujours le Tombeau ! Je la couvre
de légumes de mère et d’assurance ligaturée,
rien n’y fait. Ma petite Grupetta,
comment te faire entendre ceci ?
Tu me parles encore d’ancre et de gigot, d’arbalète pubienne ; tu t’accroches
aux tartines d’antan, aux rites des luettes. J’ai perdu aux jeux
de la phalène, je suis un bien mauvais parti, un jour, je te
conterai l’histoire de celle du dernier tour de Piste, de celle qui me fit
comme on se fait dans son entièreté, qui roulait délicatement dans ses doigts
ma barbe de maïs.

 On raconte la fin (tant pis pour les spectateurs). Après maintes péripéties, l’homme fuira ses deux femmes, son île et ses autochtones, il s’en ira seul on ne sait où - une île, encore ? - et se souviendra de ce qui fut. Le recueil se termine sur une berceuse, chanson rimée doucement cynique que le narrateur fredonne en se rappelant ses amours :

Il est tard. Je me trouve bien loin déjà. Qu’êtes-vous devenues mes
petites bougresses ? J’ai trouvé un
métier à tisser, un fusil qui flotte comme un chat dans la mer. Je me rappelle
vaguement cette berceuse : « J’ai perdu mon panama
sur le port », nos « Dam di dou da » ; ces amours astringentes
que vous partageâtes. Vos Tombeaux, les avez-vous bâtis ?
Je cultive la Joie des Apiculteurs.

 On attend qu’un réalisateur, pourquoi pas Godard - mais le dernier Godard, le plus libre -  et pourquoi pas Mocky - mais le dernier Mocky, le plus libre -, prenne le risque d’adapter - et non pas de transcrire ! - à l’écran ce Cargo de Rébétika. On aimerait Morricone pour la mise en musique, avec quelques pincements de cordes nasillardes sur ce début de berceuse qui pourrait servir de bande originale :

J’ai perdu mon panama
sur le port,
cette négligence m’a
fait du tort.
On n’est rien sans couvre-chef
aux abords
des femmes, j’ai des griefs
depuis lors.

 Silence, on tourne de la poésie…

Présentation de l’auteur

Guillaume Decourt

Guillaume Decourt est  né en 1985. Pianiste classique, il a passé son enfance en Israël, en Allemagne et en Belgique ; son adolescence dans les monts du Forez ; puis séjourné longuement à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie. Il partage aujourd’hui son temps entre Paris et Athènes. Il a publié cinq livres de poésie : 

  • La Termitière, Polder 151/Gros Textes, 2011 ;  
  • Le Chef-d’œuvre sur la tempe, Le Coudrier, 2013 ; 
  • Un ciel soupape, Sac à Mots, 2013 ;  
  • Diplomatiques, Passage d’encres, 2014 ; 
  • A l’approche, Le Coudrier, 2015 ;
  • Le Cargo de Rébétika, Editions LansKine, Paris, 2017.

Il donne des lectures publiques dans différents festivals et participe également à de nombreuses revues dont L’Atelier du romanNunc,DiérèsePhoenixPlace de la Sorbonne, Arpa, Passage d’encres, Recours au poème, 7 à dire, Les Carnets d’Eucharis, Décharge, La Passe…

© photo Isabelle Poinloup




Tristan Felix, Augures (extraits inédits)

à la vie, imprévisible 

 

 

 

En sous-titre de chaque poème,
une concrétion littérale des poèmes eux-mêmes, en italiques.

 

L’augure est l’alibi du poème 
son identité transfuge
Gwen Dhu
L’Albatroce

 

 

 

elle tenta la figure de l’oiseau
percutant le ciel

perdant tout d’elle
par morceaux
à genoux dans le vide
où tournoyaient des ailes

sans corps

(civid)

 

 

pris d’un doute
le vigile crève l'alvéole noire
d'un coup d'ergot, tac

 

qui demeurerait en sa larve
à touiller un sang d’encre ?

aussitôt elle s’envole, hilare
vers une cime d’air
avec sa mort acrobatique

(meurhil)

 

 

la pulpe d’horizon
une fois seule

s’ouvre à chair

aux hébétudes aussi
des berges où court un demi-chien
vêtu-vif

combien de bris de vie qui courent
ras la tranche
à demi vêtus-vifs !

(ubris)

 

 

flanque ta voix dehors

claque entre les pavés
où le sabot gelé trébuche
ton écho d’insomnie

quand ta viande ne pourra plus arquer
te viendra une mouche
brailler tes humeurs frelatées

des gueules de fleurs
figent en suc mortel
la sueur de la nuit

flanque ta voix dehors

(guehors)

 

 

elle est tu
d’une maison tout en paille

sous la grand’nuit d’été à respirer
trois fois les bois huants

prête à brûler quand midi
brandira la sentence

légère adossée contre un semblant
elle est têtue

(fédoss)

 

 

sans appui que l’air
la marche d’un cheval de biais

qu’en foraine idylle on surprendra
l’âme pincée

alors ne pas
dégringoler de l’arçon

revenir à tâtons
au point ferré d’oubli

(dydoubl)

 

 

dans l’antre aux aurochs

si cru de son corps
que dedans le roc
se griffe et récidive
en dix doigts écarlates

l’os pariétal cogne
se fêle et se brise
qu’il sache dedans lui
qui l’a orné de cornes

lui l’aurochs   le chantre

(rocorn)

 

 

au nœud des terres meubles
j’enfonce inexorablement

et loque à loque ruisselantes
défilent les Absentes  les Inouïs
et les Proies de la soif

que ralentisse la mort
couchée dans notre loup !

le bleu des écorces au crépuscule
quitte les bois et hisse aux cimes
une lumière prochaine

être loin de soi
où nuiter !

(rupucim)

 

 

 

revenue du pont suspendu
où l’insecte blanc se lançait dans l’éclair

e d’une poudre d’enfant
à la lisière de son incandescent suaire

un clown vague en sa grime

un vagabond assis par la stupeur

(nefansu)

 

 

— pourquoi tuer cet oiseau si petit ?

— il chantait dans les dunes, il frôlait de ses ailes l’écru du sable

— il n’avait pas le droit d’identifier ton désir de le savoir vivant ?

— son chant n’avait presque plus d’air, ses ailes que l’ombre pour agiter sa fin

— un oiseau t’a tué et tu ne sauras où il t’a échoué

— j’aurai donc dormi tant et tant

— à tire d’aile

(ombaile)

 

 

de ses yeux l’enfant-carbon tire
une colle noire

pâte à souiller les genoux
sculpter l’informe

il passe la nuit au bloc de sa falaise

et tout tombe au fond de soi
enraciné par les cheveux

(olloc)

 

 

on a froid vert
contre la pierre d’église

les fougères tiennent leurs crosses

et les vents de prière
paissent à mi - mots

la tiédeur de nos assassinats

(piross)

 

 

poisse et mouise en besace
tout luit hors du visible champ défécatoire

comment dire pétunia, courroux, mica

courir écervelée là-bas
brouiller sa forme
se perdre au mot

desserrer l’étreinte des joies feintes ?

(poinia)

 

 

un quart d’assise
un demi-ponton
un revers d’équilibre
cent fois la ligne de flottaison
moins la coque

la reine abyssale n’a pas quitté son roc
ni sa robe ôtée   elle pense dessous

invisible soit-elle
morte peut-être

notre hésitation juste
dans l’axe du corps défait un mystère

(ortyst)

 

 

Face
l’empreinte acéphale d’un lézard

Pile
la crête d’un roi

l’Idiot retrouvera une écaille de sa tête
entre ses doigts frotteurs d’écus

il en mourra de rire

(fadio)

 

 

entre les œillères brûlantes
sa tête cogne à sa carcasse

remorque de phrases d’abattoir
qui sonnent à cloche-fêlée

un âne blanc, hi ! la carriole pleine de têtes, han !
traverse la place à grand fracas

« cherche poète à main nue
pour taire un peu tout ça »

(pharriol)




Patricio Sanchez-Rojas, Un chapeau pour Jaroslav Seifert (et autres poèmes)

À Jean Joubert, pour son amitié et ses conseils.
Avec toute mon admiration et mon respect.

UN CHAPEAU POUR JAROSLAV SEIFERT

Les poètes meurent tôt, m’a dit un jour un magicien
que j’ai rencontré dans une rue de Prague
              il pleuvait des cordes ce soir-là dans la ville
et je voyais scintiller les lampadaires sur le miroir brisé
des pavés mouillés
nous allions manger des calamars dans un restaurant près
du Pont Charles
mais la pluie faisait frissonner les fenêtres des maisons pleines
de fumée et de daguerréotypes jaunis
l’horloge du clocher venait de sonner
il était tard à Prague ce soir-là
des mythomanes mélancoliques nous annonçaient la fin
du monde
et nous parlions d’un parapluie rouge qui s’était envolé
brusquement jusqu’à tomber sous un pont

Les prostituées nous regardaient étonnées tremblantes sous leur
manteau en fourrure
et nous cherchions ce parapluie rouge aux ailes de papillon
nous avions faim et froid dans les rues de Prague
la ville était triste comme un gant trop usé
nous voulions trinquer à la santé des clochards endormis
près des poubelles nauséabondes mais
                nos yeux se fermaient sous un rideau de pluie

Les yeux de la mort sont inscrits sur la pierre sombre
une voiture sans lumières traversait la ville : j’ai compris
que les rues étaient vides à mourir sans  pyromanes ni jolies filles
mais il fallait avoir l’espoir, il fallait avoir l’espoir

Devant une porte fermée un chien aboyait sans raison et avec haine,
les égouts distillaient leurs délices en-dessous de mes pieds
mais je passais en marchant doucement, et toi, tu passais dans
                                                                          cette ville
silencieuse car nous cherchions un restaurant où parler de la vie

Nous étions à Prague ce soir-là, debout, sur les pavés mouillés
pendant que les eaux de cette rivière nous emportaient à jamais.

*  *  *

LES DISCIPLES

Il y a longtemps, les troubadours, les poètes,
les ratés, les saltimbanques, les somnambules,
les pyromanes, les schizophrènes, les inventeurs
de tout
et de rien,
les apôtres, les disciples de Dieu (en quelque sorte)
allaient par des chemins interdits, ils allaient ouvrant
les bras (les disciples), ils allaient
sans savoir quand ni comment ni pourquoi, ils allaient
tout simplement ainsi en marchant, ils allaient
par des chemins de croix, il y a longtemps, longtemps,
ils allaient
comme si on allait
à l’abattoir, risquant leur vie chaque jour sur la corde
raide,
les troubadours, les poètes, il y a longtemps, allaient
par des chemins tracés par le vent, il y a longtemps,
le ciel comme chapeau, le soleil sous les nuages,
et tout cela sans rien dire, mais oui, sans rien dire
sur la corde raide, ils allaient
les troubadours, les poètes, les ratés, les saltimbanques,
les pyromanes, les schizophrènes, les inventeurs
de tout
et de rien, en ouvrant leurs bras, bien sûr, en ouvrant leurs bras.

*  *  *

MA VALISE

Ma valise connaît toutes les gares du monde.
Je la nettoie, je l’astique.
Elle est en cuir, en cuir
De Patagonie.

Elle m’accompagne dans tous mes voyages.
Un jour nous étions tous les deux,
Face à une rue de Valparaiso.

Je la reconnais à sa forme, à sa façon
De parcourir tous les chemins.
Elle aura bientôt une année de plus.
De trop.
Je n’en sais rien.
Elle m’accompagne depuis toujours.

Elle porte mes chemises,
Un vieux parapluie rouge,
Un chapeau offert en 1960 par mon oncle Dario.

Elle porte mes crayons et mes carnets de poèmes.

Deux ou trois souvenirs sans importance: un peigne
Et un foulard, et un vieux pyjama
Acheté un matin pluvieux au marché de Prague.

 

(Le Parapluie rouge, Domens, 2011)

Présentation de l’auteur

Patricio Sanchez-Rojas

Patricio Sanchez Rojas est poète, enseignant, traducteur et animateur d’ateliers d’écriture. Né au Chili, il passe son enfance à Talca et à Valdivia. En 1977, sa famille est expulsée du pays et s’installe à Paris. Il travaille à l’Institut Claparède de Neuilly et dit ses poèmes au Centre Pompidou. Il poursuit ses études hispaniques à Montpellier et à Madrid. Naturalisé français en 1993, il séjourne quelques années aux États-Unis.

À son retour, il enseigne l’espagnol en collège, au lycée et dans les universités de Nîmes, Avignon et Montpellier. Ses poèmes figurent dans diverses revues de littérature et anthologies françaises, hispanophones et italiennes. Il a reçu de nombreuses récompenses littéraires au Chili, en Espagne et en France. En 2014, il participe au Festival Voix Vives de Toledo, la même année il rejoint l’équipe des animateurs du Festival Voix Vives de Sète. Il est membre de la Maison de la poésie Jean Joubert de Montpellier.

© photo Isabelle Poinloup