Edito et sommaire du numéro spécial Mémoire — n. 209

Ce numéro de Recours au Poème est un numéro spécial, consacré à la « mémoire » ; nous avons choisi d’accompagner votre été en vous permettant de retrouver en ligne une sélection de poèmes et d’articles publiés dans les débuts de la revue, en mettant à l’honneur nos collaborateurs les plus anciens (Recours au Poème a vu le jour en 2012…) dont certains ont depuis quitté ce monde matériel, mais pas celui de la poésie, pas plus que nos coeurs . (les articles sont par ailleurs toujours disponibles en cliquant sur les onglets de nos archives, et nous vous invitons à poursuivre vos lectures en les parcourant).

photo : Marilyne Bertoncini

Nos lecteurs fidèles se souviennent sans doute qu’en 2017, un piratage nous avait amenées à changer de logiciel et de maquette – l’aide de Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, nous avait permis de sauvegarder les archives, parfois dans des conditions d’étiquetage telles qu’il ne nous a pas été facile de remettre en ligne des textes dépourvus de leur auteur. Carole Mesrobian a systématiquement remonté des fonds les articles et poèmes identifiables, mais ils avaient été pour certains si longtemps enfouis, qu’il nous a semblé important de leur redonner une nouvelle jeunesse, sous le soleil retrouvé de l’été, et dans l’espérance suscitée par la pause de la pandémie, et la fin de la longue période de claustration que nous avons subie.

Parmi les articles et poèmes exhumés, ceux de notre collaborateur, Michel Host, disparu le 6 juin dernier, de la Covid-19, à l’âge de 79 ans. Ecrivain discret, il avait été enseignant, traducteur de l’espagnol (notamment du poète Nuno Judice et des sonnets de Gongora)  chroniqueur à la Revue des Deux Mondes et à Révolution, il avait fondé la revue l’Art du Bref, était président d’honneur de la revue numérique La Cause Littéraire, et il accompagnait Recours au Poème depuis sa création, revues auxquelles il confiait ses « carnets d’un fou ».

Auteur de poèmes, de nouvelles et romans,  il avait obtenu le Grand Prix de la nouvelle de la SGDL en 2003 et le Prix du livre de Picardie en 1996.  L’Ombre, le Fleuve, l’Eté, chez Grasset, en 1983, fut couronné du prix Robert-Walzer en 1983 , et il obtint le Goncourt en 1986, pour son roman, chez Grasset encore, Valet de nuit.

De Michel Host, vous pourrez donc redécouvrir la suite poétique Les Jardins d’Atalante et le premier numéro Scalp en feu , chronique irrégulière et intermittente, dont le seul sujet, en raison du manque et de l’urgence, est la poésie, ainsi qu’un article sur la poésie de Marc Kober, L’ours des mers.

A l’honneur également, parmi les poètes, nos collaborateurs de longue date : nous vous reproposons les extraits de Pépins de pastèque, d’Eric Pistouley, qui de 2015 à 2017 codirigea la revue avec Marilyne Bertoncini  - dont sont republiés des extraits d’Aeonde, et le poème Les Noms d’Isis, - et Vincent Motard-Avargues, membre du comité de rédaction, ici présent avec Là ou ici.

Parmi les collaborateurs de toujours, Béatrice Machet, dont les chroniques sur la poésie amérindienne a fait découvrir en France un très grand nombre de voix native-american féminines, ici présente à travers la poésie de Diane Clancy, et  à retrouver également en tant que poète avec Best If  used by .

Parmi nos collaborateurs-poètes fondateurs de la revue à l’honneur en tant que poètes sont aussi Gérard Bocholier, dont la revue Arpa fait référence, ici présent avec Les Fleurs de l’amandier, Xavier Bordes, avec Poème de l’irréversible, Denis Heudré, et des extraits d’Une couverture noire,  Pierre Tanguy qui se posait la question Ai-je tout dit ? et Lucien Wasselin, membre du comité de rédaction, pour un Saint-Didier.

Miguel Angel Real, également traducteur de l’espagnol et collaborateur pour les chroniques, Ghislaine Lejard, artiste et critique, Marie-Hélène Prouteau, Marilyse Leroux, et bien sûr Carole Mesrobian qui codirige la revue, complètent notre sélection hommage à nos fidèles compagnons de route ! De Carole Mesrobian, on lira aussi l’originale réflexion La quatrième dimension du signe

L’un des focus permet de relire un article du fondateur de Recours au poème, Gwen Garnier-Duguy, que nous remercions de nous avoir permis de poursuivre après son départ : c’est L’honneur des Poètes.

Nous redonnons aussi le premier numéro du Grenier du bel amour, du regretté Michel Cazenave, inoubliable mythologue et homme de radio, lui aussi compagnon des débuts de la revue, et le deuxième volet des Livres en vie de Thomas Demoulin, consacré à Pierre Dhainaut. A redécouvrir également un article de Christophe Dauphin sur Jacques Simonomis, de Mathieu Hilfiger à propos d’Yves Bonnefoy, et une lecture d’ Isabelle Lévesque qui tint cette rubrique  Rouge contre nuit  de novembre 2014 à novembre 2016. Parmi les traducteurs, nous avons le plaisir de vous redonner l’article de Joelle Gardes, dans sa chronique « Nos aînés », sur Roger Caillois, et l’une des denses contributions de Jean-Charles Vegliante, dans le domaine de la poésie italienne avec Amont-dévers. Nous retrouvons le premier épisode du feuilleton inachevé de Jean Migrenne, Un Américain à Séville, et l’une des premières apparitions de la rubrique « ping-pong » consacrée aux échanges très forts et souvent occultés entre auteurs et traducteurs, avec les trois poèmes de Finlande de Shizue Ogawa, par Rome Deguergue, rubrique à laquelle appartient également la traduction des poèmes de Shuhrid Shahidullah, auteur du Bangladesh, qui confia également à sa traductrice, Marilyne Bertoncini, un entretien ici reproposé à la suite, sur la situation de la poésie dans son pays.




Angelo Tonelli, Chants du plus grand fleuve (extraits)

Ces poèmes font partie d'un échange prévu par Marilyne Bertoncini entre l'auteur et Georges de Rivas, organisateur du Festival de Solliès-Pont,  annulé cette année. En lien avec les poèmes de Georges de Rivas publiés dans ce numéro et la thématique de l'orphisme, les poètes auraient dû s'entretenir avec l'aide de la traductrice, à l'occasion d'une vidéo conférence organisée pour évoquer ce sujet, mais aussi la Poésie, bien sûr. Cet échange entre le poète et celle qui est le lien entre lui et la Francophonie n'a pas eu lieu. Ce travail démontre combien nombre de ceux qui défendent et illustrent la Poésie avaient préparé les manifestations qui auraient dû avoir lieu. Malheureusement, tout comme le Marché de la Poésie de Paris, il a fait l’objet d’un arrêté préfectoral et a été annulé au dernier moment. Nous avons  voulu honorer le travail de son organisateur Georges de Rivas, et de tous ceux qui avaient prévu de venir pour certains de très loin, afin de porter témoignage de ce qu'est vive la Poésie, et porter sa parole. Nous ne sommes qu’un modeste relais, et nous remercions l’auteur pour sa contribution.

 

Canti del fiume più vasto

Traduction de Marilyne Bertoncini

II

Il tempo dell’abisso è rosa mistica
e il tempo delle cose è suo riflesso.
La colonna di marmo che precipita
dall’alto sprofonda nella cenere
sottomarina del Golfo-Meraviglia.
Ascolta rombi assorti di conchigilia
ronzare in pieno etere quando le ciglia
la Grande Dea dischiude che si erge
ridente, gigantesca, ineludibile
in controcielo, la Sorgente
delle cose visibili : la spiga
mietuta nel silenzio allora a Eleusis
e adesso rotearta in pieno sole
intona il mantra cieco ma rovente
della vita sorgiva, la morente
mai. Ho visto
la Nave dei Morti scivolare
lungo il Nilo e intanto stormi
di pellicani blu accoccolarsi
nella Baia dei Delfini tutti d’oro.
Tende l’arco
un Apollo distratto e già ci sfiora
sibilando in controluce il dardo aureo.

 

II

Le temps de l'abîme est une rose mystique
et le temps des choses son reflet.
La colonne de marbre qui s'écroule
du sommet s'engloutit dans la cendre
sous-marine du Golfe des merveilles.
Écoute la méditation vrombissante des coquillages
qui bourdonne dans l'éther lorsque les cils
ouverts, la Grande Déesse  se dresse
riante, gigantesque, incontournable
à contre- ciel, Source
des choses visibles: l'épi
récolté dans le silence jadis  à Eleusis
tournoie désormais en plein soleil
entonnant le mantra aveugle mais brûlant
de la vie jaillissante, la mourante
jamais. J'ai vu
la Nef des Morts glisser
le long du Nil tandis que des nuées
de pélicans bleus se blottissaient
dans la Baie des Dauphins toute d'or.
Il tend  son arc
l'Apollon distrait dont nous effleure
le  bruissement en contre-jour  du dard doré.

 

III

Il mare è sterminato, sterminato
il computo delle viventi e delle morte
creature : pullulano
infinità di mondi a ogni sguardo : è questa
la prima certezza. La seconda
il lampo di sangue nella cornea
della Dea : ogni fiorire
nasconde uno sfiorire, ogni bellezza
un orrore, ogni cosa
si converte nel contrario, non riposa
mai ; La terza certezza
è il sole allo zenith,
fermo, nel suo splendore.

 

 

III

La mer est illimitée, illimité
le nombre des vivants et des morts :
les créatures pullulent
et une infinité de mondes à chaque regard : voici
la première certitude. La seconde
est l'éclair de sang dans la cornée
de la Déesse: chaque fleurir
cache un  défleurir, chaque beauté
une horreur, toute chose
devient son contraire, sans répit
à jamais ; La troisième certitude
est le soleil à son zénith,
fixe, dans sa splendeur.

 

 

L’isola non ha nome, né memoria
di grappoli, licheni e balaustre
macchiate di mirtillo o profumate
distillano parole di sapienza
gli dei dell’autunno, da oltre le foglie
rosse, oro che separano lo sguardo dalle acque
torbide dentro, lucenti in superficie
del fiume, nel crepuscolo incipiente.
Gli argini sussurrano di amori
un tempo rifulgenti, voli
di falene incontro a luci
non divine come quelle che brillavano negli occhi
accesi della Ninfa mattutina. L’anima
vuole guizzi notturni e gesti rarefatti,
per vie poco battute dagli umani. La città
diviene Ade trasparente
e dolce, ma esiziale
come ogni Ade, quando il tempo
si chiude su se stesso, e spezza il volo
dei gabbiani in controcielo. Miete foglie
e anima, novembre, se Lucina
si apparta oltre il sole, e la collina
diventa un monte nero, nella sera.
restiamo accovacciati nella vita
che la Morte ci insegna con la falce,
la Mietitrice, da sempre
sulle nostre tracce, anche nel culmine
della forza giovane, dell’amore,
che già spiava da dietro la porta socchiusa
al primo ingresso del seme nel solco
genitale della mater, al primo
vagito del nascente, sempre presente
al fianco del vivente, da sempre :
conviene abbandonarsi al suo fendente
rapido o infinitamente
lento, come l’argine
cede al fiume in piena, la foglia
d’oro dell’autunno al vento
forte di tramontana che si slancia
dalle fole spigolose della Apuane
verso la valle tenera della Magra, fiume
benevolo, quasi Eden
dell’anima. Poesia
è sapienza martoriata, sguardo fermo
o tremante sull’abisso della vita
che sempre cova in sè la dipartita
per dischiudere le soglie dell’altrove :
restiamo accovacciati nell’attesa
e cogliamo i fiori della sera
e del giorno, come bimbi
che la madre li sveglia, e ancora un poco
si attardano nel caldo del lettino
consacrato dal sonno, ancora un poco…

il fiume è generoso, il dio del fiume, che distilla
una quiete da aurora primordiale
quando il sole trionfa, nell’estate
serena delle ali dispiegate
in piena libertà tra acqua e cielo,
azzuri, conciliati in perfezione
di anima e di spirito, musica
vivente
creature delle altezz e degli abissi.
Il fiume è generosoo, il dio del fiume,
con il poeta che soggiorna ore e giorni
a contemplare il flusso senza fine
che trabocca, all’orizzonte, in altre acque.
Guizzano uccelli blu cobalto in controsole.
Già si placano
le grida dei gabbiani, si avvicina
dalle gole dei monti la notturna
madre dei viventi, golfo sacro
per il palpito lontano delle stelle.
e si occulta nella tenebra anche il falco
sguardo diritto, tragitto silenzioso,
contro l’ultimo sole. Potente
è vita, potente sara morte
come fiume che scorre in piena luco e poi si ingorga
in vertigini notturne, botri, abissi
graditi a Kronos, agli dei
della materia disfatta, che è riverbero
della luce primigenia. Perfino la latrina
del corpo marcescente è vasta musica
di obeo barbarici, accordati
al deforme, all’inumano.
Ogni corpo vivente, infulgidito
dalla linfa del sangue che trascorre
ha meta nel vento che ne scortica
l’involucro di carne, libera le ossa
per lo sguardo calcinante della luna.

 

IV

L'île est sans nom, ni mémoire
de grappes, de lichens et de balustrades
tachées de myrtille ou parfumées
ils distillent des paroles de sagesse
les dieux de l'automne, par-delà les feuilles
rouges, or qui séparent le regard des eaux
troubles en profondeur, brillantes en surface
du fleuve,  au naissant crépuscule.
Les berges  bruissent  d'amours
jadis  resplendissants, vols
de phalènes vers des lumières
non divines  comme celles qui brillaient dans les yeux
vifs de la Nymphe matinale. L'âme
veut des éclairs nocturnes , des gestes raréfiés,
le long de voies peu fréquentée des humains. La ville
devient un Hadès transparent
et doux, mais funeste
comme chaque Hadès, quand le temps
se referme sur lui-même et brise le vol
des goélands à contre- ciel.  Moissonne feuilles
et âme, novembre, si Lucine
s’éloigne par-delà le soleil, et  la colline
devient, le soir, une montagne noire, le soir.
nous restons blottis  dans la vie
que la mort nous enseigne de sa faux,
la Faucheuse, toujours
sur nos pas, même au plus haut
de notre jeune force, de l'amour,
qui déjà derrière la porte entr’ouverte guettait
la première entrée de la graine dans le sillon
génital de la mater, le premier
vagissement du naissant, toujours présente
au flanc du vivant, depuis toujours:
mieux vaut s'abandonner à son tranchant
rapide ou infiniment
lent, comme la digue
cède à la rivière en crue, la feuille
d’or de l’automne au vent
puissant de tramontane qui se précipite
des gorges  anguleuses des Alpes Apuanes
vers la tendre vallée de la Magra, fleuve
bienveillant, presque un Eden
de l’âme. La Poésie
est sagesse torturée,  regard ferme
ou tremblant sur l'abîme de la vie
qui toujours en soi couve le trépas
pour dévoiler les seuils de l’au-delà :
nous restons blottis dans l’attente
cueillant les fleurs du soir
et du jour, comme des enfants
que leur mère réveille, et qui encore un peu
s'attardent dans la chaleur du lit
consacré par le sommeil, encore un peu ...

le fleuve est généreux, le dieu du fleuve, qui distille
un calme d’aube primordiale
quand le soleil triomphe, dans l'été
serein des ailes déployées
en pleine liberté entre l'eau et le ciel,
azurs réconciliés dans la perfection
de l’âme et de l’esprit, musique
vivante
créatures des cimes et des abîmes.
Le fleuve est généreux, le dieu du fleuve,
pour le poète qui des heures et des jours demeure
à contempler le flux sans fin
qui se déverse, à l'horizon, dans d'autres eaux.
Des oiseaux bleu cobalt scintillent à contre- soleil.
Déjà se calment
les cris des goélands s'approche
des gorges des montagnes la nuit
mère des vivants, golfe sacré
pour la lointaine palpitation des étoiles.
et se cache dans les ténèbres le faucon même
regard droit, silencieux trajet,
vers le dernier soleil. Puissante
la vie, puissante sera la mort
comme un fleuve qui coule en pleine lumière puis s’engorge
en  vertiges nocturnes, fossés, abîmes
qui plaisent à Kronos, aux dieux
de la matière défaite, réverbération
de la lumière primitive. Même le cloaque
du corps en décomposition est une vaste musique
de  barbares haut-bois, accordés
au difforme, à l'inhumain.
Chaque corps vivant, resplendissant
de la lymphe sanguine qui le parcourt
trouve destin dans le vent qui écorche
son enveloppe de chair, libère les os
sous le regard calcinant de la lune.

 

Final musical de la lecture des Canti del Fiume più grande,
festival du Fiume Magra (août 2020), organisé par Angelo Tonelli,
musique de et par Daniele Dubbini : pour écouter, 
cliquer ici

Présentation de l’auteur




Laura Domingo Aguero, poèmes

 

Poemas en Español y traducción al Francés y al Italiano

 

Laura Domingo Agüero

Traducción: Gianni Ruocco

 

De invocaciones y otros límites (2014)

Nota al pie

 

Vivo en un país de despedidas.

 

Di invocazioni e altri limiti (2014)

 

Nota a pié di pagina

 

Vivo in un paese di addii.

 

De invocations et d’autres limites (2014)

 

 

Note de bas de page

Je vis dans un pays d’adieux.

El ácido de las fugas (2016)

 

1

Que sea otoño.

 

Que las hojas confirmen el beneficio de la muerte.

 

Que haya frío y llueva. Mucho.

 

Que las voces del silencio

se derramen.

 

Que te quedes.

 

Porque es otoño.

 

Y que sea otoño cada vez.

 

Siempre.

 

 

L’ acido delle fughe (2016)

1

Che sia autunno.

 

Che le foglie confermino il beneficio della morte.

 

Che faccia freddo e piova. Molto.

 

Che le voci del silenzio

si spargano.

 

Che tu rimanga.

 

Perché è autunno.

 

E che sia autunno ogni volta.

 

Sempre.

 

 

L’acide des fuites (2016)

1

Qu’il soit l’automne.

Que les feuilles confirment le bénéfice de la morte.

Qu’il fasse froid et qu’il pleuve. Beaucoup.

Que les voix du silence

se déversent.

Que tu restes.

Parce c’est l’automne.

Et qu’il soit l’automne a chaque fois.

Pour toujours.

 

Qué es la distancia (2017)

1

Reparto físico como poemas,

eternidad,

eternidad,

en el calor de las cosas cercanas

que están siempre a la vista.

La muerte no enfriará este rostro

donde se tuercen las alas que han volado.

Eternidad,

en la herida blanca que dibujan los aviones

cuando un atardecer ha congelado en las nubes, la sangre.

Eternidad,

aquí doblo, en la misma esquina de las aves petrificadas,

sobre tus primeros ojos

en mi memoria. Eternidad

en la comunión del sol con los hilos de espuma,

en las tormentas de verano sobre los árboles

y el sexo.

Eternidad en la célula de las visiones.

En el llanto y la espera.

Eternidad en la espera

y en la desesperación.

 

 

Cos’è la distanza (2017)

1

Ripartizione fisica come poesie,

eternità,

eternità,

nel calore delle cose vicine

che sono sempre in vista.

La morte non raffredderà questo viso

dove si torcono le ali che han volato.

Eternità,

nella ferita bianca che disegnano gli aerei

quando un tramonto ha raggelato nelle nubi, il sangue.

Eternità,

qui giro, allo stesso angolo degli uccelli pietrificati,

sopra i tuoi primi occhi

nella mia memoria. Eternità,

nella comunione del sole con i fili di schiuma,

nelle tormente d’estate sopra gli alberi,

e il sesso.

Eternità nella cellula delle visioni.

Nel pianto e l’attesa.

Eternità nell’attesa

e nella disperazione.

 

Qu’est-ce que c’est la distance (2017)

1

Répartition physique comme des poèmes

éternité,

éternité,

dans la chaleur des choses voisines

que sont toujours devant moi.

La mort ne refroidira pas ce visage

où se tordent les ailes qui ont volé.

Éternité,

dans la blessure blanche que les avions dessinent

quand un crépuscule a gelé dans les nuages, le sang.

Éternité,

ici je tourne, dans le même coin des oiseaux pétrifiés,

sur ton premier regard

dans ma mémoire. Éternité,

dans la communion du soleil avec les fils d’écume,

dans les tempêtes d’été sur les arbres

et le sexe.

Éternité

dans la cellule des visions,

dans le pleurs et l’attente.

Éternité dans l’attente

et le désespoir.

 

 

 

Présentation de l’auteur




Isabelle Lévesque, Ossature du silence

Arriver aux Andelys, c’est d’abord être capté par un panorama auquel rien, au cours d’un calme voyage, n’avait préparé. Avant de voir émerger les Andelys, rien n’indiquait que nous tomberions nez à nez avec un paysage de failles, de falaises, un méandre du fleuve dominé par un château de rocailles, une ruine isolée battue par le temps, où l’enfant conduit par ses parents pourrait enfin jouer au chevalier, mêler ses rêves à cette réalité de pierre, de vents et de terre.

Mais quel chemin avait amené là ? Par quels tours et détours depuis ces berges d’asphalte, étalées pour drainer une circulation automobile le long d’un fleuve que l’on croyait depuis toujours domestique ?

Aborder Ossature du silence réactive ce choc de l’enfance : le lecteur aura d’abord été désorienté. La volonté de rationaliser doit baisser les armes au profit d’une immersion complète dans l’émergence d’un paysage. Le lecteur doit accepter de recevoir cette présence, maintenant maintenue par les mots, au moins si peu que ce soit : des strophes non ponctuées, libres, ordonnancées sur les pages intérieures, épousant les traces d’encre laissées par un père en ce même lieu, et d’autres pages encore, ponctuées cette fois, en vers mais aussi en prose, corps massifs ou disloqués, de chaque côté. Ces bords promontoires sont, pour l’ensemble,

Ce qui tient. La craie, l’encre.

Isabelle Lévesque, Ossature du silence, Les Deux-Siciles, 2012, 48 pages, 12 €

Isabelle Lévesque, Ossature du silence, Les Deux-Siciles, 2012, 48 pages, 12 €

Les voilà donc, les falaises, « l’altitude » des Andelys. Mais déjà ce haut domaine est friable. « En gouttes, chemin de notes », le minéral n’est que de l’eau qui la traverse et se déverse dans le cours de la Seine, à ses pieds. Aux Andelys (le pluriel le dit bien), entre les phases et les dispositions de la matière, tout n’est que transitions, échanges, transformations et passages. Devenir. C’est parce que les eaux et les vents s’infiltrent et perforent que l’invisible peut sonner et s’offrir en présence sensible au visiteur comme au lecteur. Le domaine des falaises constitue en réalité la caisse de résonnance de la « fibre musicale » qui en est le cœur, le « bâton de pluie » : une « Ossature du silence ».

 C’est ainsi que le poème, toujours composé, percé de blancs, modelé d’arêtes parataxiques, ne se surimpose pas au site. Fidèle aux leçons de Pierre Dhainaut mises en exergue ((Pierre Dhainaut signe la préface : elle sera notre guide.)), il en surgit, émanation nécessaire

des notes. La pluie dévale, je ne retiens pas

précise Isabelle Lévesque. Au discours qui voudrait s’emparer du paysage avec les armes de la rhétorique, elle préfère le non-agir, la fusion dans l’universalité de l’écoute. Allez donc dire à la poétesse enfant que « l’écriture naît aux Andelys », alors elle vous dira :

la Seine aux Andelys
écrit.

Elle proposera de fonder les mots, au moins pour l’essentiel, à l’extérieur d’eux-mêmes, en l’occurrence dans « la nature épanchée de Seine ». Sa parole trouve sa source dans une altérité radicale (« racine ») autant que météorologique, sinon céleste ((Plutôt la phusis d’Héraclite, la parole morcellée et irrécupérable, que la cosmogonie d’Hésiode, l’organisation discursive concourant à la religion et à l’État.)) (« le ciel »). Native : ainsi pourrions nous qualifier l’écriture consignée dans Ossature du silence.

Alors venir, naître aux Andelys : hériter des Andelys. Y revenir. « Je reviens », annonce Isabelle Lévesque : les oiseaux aperçus en levant la tête migrent comme les âmes traversent le temps.

Quel trésor magnifique l’enfant un jour conduit là n’a-t-il pas reçu ! « Mon père m’accompagne, ses encres, harmonique essence (le temps). » Les dessins de Claude Lévesque, évoquant eux aussi Château Gaillard, sont imprimés dans le corps du texte de sa fille. Que la main écrive ou dessine, l’élan poétique laisse l’encre se tendre vers ce qui, tendrement, peut l’ouvrir : paysage, voix, geste, fille, « père et mère (même) » communiquent réciproquement. Héritant de ce qui l’engendre, le poème ne fait pas que recevoir ; il restitue de même((Ainsi le poème est-il dédié à ceux-là-même qui ont donné, pour que, ayant donné, ils aient aussi reçu.)). Écrire aux Andelys, c’est participer d’une harmonie chorale. Du fleuve et de son encaissement de pierre érigé et érodé, l’encre ne saurait être que crayeuse : « tendre », c’est à la fois la force d’un désir inextinguible et la douceur d’une précarité perpétuelle – la voix tendue et délicate d’Isabelle Lévesque. 

Plus haut maintenant, en amont de son enfance, remontant le cours de sa généalogie, l’enfant devient aussi l’héritier des temps historiques. Se ravivent par exemple les mots d’admiration de Richard Cœur de Lion abordant aux Andelys : ils sont « rendus / vivants ». Les participes passés, si présent autour des noms suscités par le poème, valent pour la vie persistante qu’ils n’ont de cesse de manifester. Ils font entendre une  parole qui semble placer les époques historiques sous le signe d’un présent paradoxal, étranger à notre grammaire habituelle. Avare de verbes au passé ou au futur, la langue d’Isabelle Lévesque ne cherche pas tant à abolir le mouvement « des aiguilles du temps » qu’à l’étaler entièrement selon l’ordre synchronique d’une immense composition récitation. Au contact des dessins du père et de l’harmonie du lieu, la chanson apprend la simultanéité des gestes qui se relient à elle, le temps vif de la mémoire plutôt que le temps fictif de la chronologie.

Mais le moindre regard jeté sur la tapisserie en révèle la fragilité. Des vers ou des dessins, des pans s’effacent, des mailles et des chaînes manquent. Les oripeaux de la mémoire tombent en lambeaux. Il nous faut compter avec les trous de l’oubli :

les noms Gambon Grand Rang rejoignent
la Seine           l’enfance engorge       une miette
rompue
le temps le songe reculent

Certains noms ne nous font plus qu’à peine écho, leur sens se perd dans le grand Léthé, ils ne sonnent plus que dans la caverne vide de la mort. Loin de s’en effrayer pourtant, la poétesse conduit son esquif plus loin encore, là où les évènements du temps deviennent des maillons de légende. La relation humaine au temps, Hugo l’avait bien vu, revêt bien un double aspect, historique et légendaire((Victor Hugo, « Préface à la Première Série » de La Légende des siècles.)). Le poème invite à explorer cette part autrement vraie du monde, l’apparition soudaine d’un silence qui soudain devise et s’enlumine. Espérons qu’à l’ombre du « géant » les enfants songeurs joueront encore longtemps, génération après génération…

Présentation de l’auteur