Rouge contre nuit (1) : Béatrice Marchal, La Cloche de tourmente

Par |2021-07-06T17:17:32+02:00 4 juillet 2021|Catégories : Béatrice Marchal, Essais & Chroniques|

Isabelle Lévesque offert cette rubrique à Recours au poème de novem­bre 2014 à novem­bre 2016.

∗∗∗

« La bougie brûlait, sa flamme se tor­dait, s’élevait dans une ten­sion, un effort ininterrompus. »

 

Pour renouer

En italiques, des lignes en prose pour présen­ter celle qui appa­raît comme orig­ine. Tout com­mence « dans un silence troué de san­glots » où la jeune fille de qua­torze ans voit sa grand-mère morte et, près d’elle, la flamme d’une bougie qui sem­ble s’efforcer de monter…

Alors, le poème. Des vers longs d’abord comme cette flamme dans la nuit du cha­grin, puis des vers courts, frag­iles, sus­pendus qui mal­gré tout éclairent :

 

            Source du sourire
            fontaine de force
            forme de la joie
            lumière ! 

Dernier vers : chute sur une prière exaucée qui fait naître dans le présent une capac­ité à retrou­ver, à tra­vers les mots, celle qui ini­tia une forme de perception :

On m’a dit que tu pas­sais à travers
les mots de ceux qui longue­ment contemplent
le monde […] 

Le vers, déployé sur une durée néces­saire, accueille le sou­venir devenu « rose / après tant de bleu ». Vers le soleil et le ciel, entre terre et mer, une présence. Trait d’union d’un regard qui éclaire le puits (nul dan­ger). Lumière, dev­enue anaphore sur le seuil des vers du poème IV, comme on appelle ou recon­naît ce qui, plus grand que soi, ne peut être réduit. Texte après texte, ronde autant que prière, le poème con­sacre cette présence « dev­enue invis­i­ble » pour un « chant per­cep­ti­ble », asso­ciant « lenteur » et « fer­veur » dans un hom­mage à Glenn Gould.

Long vers, à l’escalade du ciel, « arbre » devenu inac­ces­si­ble pour que de nou­velles feuilles sur « des branch­es plus rares » se nour­ris­sent de cette lumière cap­tive du ciel.

Charme du passé « où poudroient d’indestructibles pépites », un frère « troué de vide ». En automne, même les fruits arrondis et les dahlias enton­nent leur pro­pre chant « en adieu tran­quille ». Nuages blancs, échos de neige, la couleur ou son absence et la lec­ture per­son­nelle du monde : les feuilles d’érable et leur « tach­es noires », mal­adie qui les appar­ente aux « crêpes bien cuites ». Fête de partage et de sai­son, régal de vie où l’ombre présente son attrait dans un retourne­ment qui fait percevoir une douceur mal­gré la menace.

Cela retrou­vé en l’adulte qui se sou­vient de l’enfant qu’elle fut dans « le cré­pus­cule d’automne ». Un autre enfant le lui rap­pelle (Gabriel), il réclame un poème d’automne qui réveille Apol­li­naire, Lamar­tine rejoignant « [t]ant de beauté frag­ile » ou « un poème comme une flaque ». Mélan­col­ie douce et heureuse dans la lec­ture d’un reflet qu’elle offre : alors l’automne n’est plus l’adieu.

La Cloche de tour­mente, qui est aus­si le titre de l’un des poèmes proche de la fin du recueil, ne sonne plus la men­ace ter­ri­ble, elle s’accompagne d’un instru­ment de vent qui sec­ouait les ombres, fidèle au rôle à elle dévolu depuis le XIXème siè­cle. Elle guide celui (celle) qui, dans la tour­mente, a per­du « tout repère », tel un phare pour les marins, elle « redonne force ». Ce repère, sonore, voi­sine le poème, le chant. Tra­vers­er les bour­rasques, les tem­pêtes de neige, retrou­ver le nord ou l’âme, ce qui per­mit de percevoir la lumière pour encore.

chaque coup résonne
comme des mots d’homme
au sec­ours de l’autre

et devient poème. 

 

Ver­tu pro­tec­trice d’un son clair de roche, La Cloche de tour­mente. Tel est le sens du titre : après la tra­ver­sée reste le repère – lumière ou son pour renouer avec la vie.

Présentation de l’auteur

Béatrice Marchal

Béa­trice Mar­chal, née en 1956, a passé sa jeunesse dans les Vos­ges, qui ont mar­qué son imag­i­naire. Etudes de let­tres, qu’elle a enseignées jusqu’en 2011, du col­lège aux class­es pré­para­toires. Ses recherch­es sur Cécile Sauvage, la mère d’Olivier Mes­si­aen, l’ont resti­tuée dans sa vérité de femme et de poète.

Auteure de nom­breux arti­cles, elle col­la­bore à dif­férentes revues (Diérèse, Frich­es, Arpa, le Jour­nal des poètes) et a rédigé plusieurs pré­faces, dont celle du Poésie/Gallimard con­sacré, en 2015, à Richard Rognet.

Elle est prési­dente du Cer­cle Aliénor depuis jan­vi­er 2013.

 

 

Œuvre poé­tique :

Aux édi­tions Les Lieux-Dits, Cahiers du Loup bleu, Inquié­tude de l’autre et des mots, 2020
Aux édi­tions Al Man­ar, L’ombre pour berceau, 2020
Aux édi­tions Le silence qui roule, Élargir le présent, suivi de Rue de la source, 2020
Aux édi­tions L’herbe qui trem­ble, Au pied de la cas­cade, 2019 ; Un jour  enfin  l’accès suivi de Pro­gres­sion jusqu’au coeur, 2018 (Prix Louise Labé 2019) ; Réso­lu­tion des rêves, 2016, Aux édi­tions Dela­tour France, D’Absence et de lumière, 2016
Aux Cahiers de Poésie Verte, La Cloche de tour­mente, (Prix Trou­ba­dours 2014)
Aux édi­tions Edit­in­ter, Équili­bre du présent, 2013
Aux Edi­tions de l’Atlantique, Une Voix longtemps cher­chée, 2011, La Remon­tée du courant, 2010, L’Epreuve des lim­ites, 2010
Aux Edi­tions La Porte, La Baguette de coudri­er (2010), Tant va le regard  (2007)

 

Livres d’artiste : 

Un poème extrait  D’Absence et de lumière, illus­tré par cinq gravures sur bois d’ Eva Gallizzi,
Buchgestal­tung, Holzschnitte und Kün­st­lerisches Konzept : Eva Gal­lizzi, Zürich 2010.
Où va la route, illus­tré par qua­tre gravures de Dominique Pen­loup, Le Galet bleu, décem­bre 2013.
La neige comme un appel, livre pau­vre Béa­trice Marchal/Dominique Penloup
Ban­nières de mai, Béa­trice Marchal/ Dominique Penloup
Insai­siss­ables mes­sages, Béa­trice Marchal/ Agnès Delat­te, Revue Ce qui reste, jan­vi­er 2017
Quelque chose d’enfoui, Béa­trice Marchal/ Sarah Wiame (éd. Céphéides, mai 2017)
Tout un monde, Béa­trice Marchal/ Maria Desmée (octo­bre 2017)
Lumière préservée, Béa­trice Marchal/ Dominique Pen­loup (éd. du Galet bleu, 2018)
Oser la chute, Béa­trice Marchal/ Dan Stef­fan (Ban­des d’artistes, Les Lieux-Dits, 2018)

 

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

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Isabelle Lévesque

Isabelle Lévesque a pub­lié en 2011 Or et le jour (antholo­gie Triages, Tara­buste), Ultime Amer (Rafael de Sur­tis), Terre ! (éd. de l’Atlantique), Trop l’hiver (Encres vives). Elle a fait paraître en 2012 : Ossa­t­ure du silence (Les Deux-Siciles), en 2013 : Un peu de ciel ou de matin (Les Deux-Siciles), Va-tout (Éd. des Van­neaux) et Ravin des nuits que tout bous­cule (Éd. Hen­ry). En 2013 égale­ment un livre d’artiste en français et en ital­ien a été édité : Neve, pho­togra­phies de Raf­faele Bon­uo­mo, tra­duc­tion de Mar­co Rota (Edi­zioni Quaderni di Orfeo). En 2015 : Tes bras seront (poèmes traduits en ital­ien par Mar­co Rota – Edi­zioni Il ragaz­zo innocuo, coll. Scrip­sit Sculp­sit) Sont parus à L’herbe qui trem­ble : Nous le temps l’oubli (2015), Voltige ! prix inter­na­tion­al de Poésie fran­coph­o­ne Yvan-Goll 2018 (2017), et La grande année, avec Pierre Dhain­aut (2018), Chemin des cen­tau­rées (2019), En découdre (2021) et Je souf­fle, et rien. (2022). En 2022, les édi­tions Mains-Soleil ont pub­lié Elles, de Fab­rice Rebey­rolle et Isabelle Lévesque. Isabelle Lévesque écrit des arti­cles pour plusieurs revues : Quin­zaines / La Nou­velle Quin­zaine Lit­téraire, Europe, Ter­res de Femmes, Recours au Poème, Terre à ciel, Diérèse, Poez­ibao … Sur inter­net : https://lherbequitremble.fr/auteurs/isabelle-levesque.html https://fr.wikipedia.org/wiki/Isabelle_L%C3%A9vesque https://www.nouvelle-quinzaine-litteraire.fr/articles-par-critique/isabelle-levesque
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