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Pour un horizon jaune flamboyant ! Cathy Jurado et Laurent Thinès, FEU (poèmes jaunes)

Pour un horizon jaune flamboyant !

Tels les Fragments d'une Poétique du Feu de Gaston Bachelard, les « poèmes jaunes » explorent les versants tant concrets qu'utopistes du mouvement des Gilets Jaunes qui se révèlent héritiers d'un humanisme de combat aussi discret sur ses vertus que lucide face à l'amplitude de l'avenir auquel frayer le passage…

En citations, les figures du XXème siècle annonciatrices de luttes et de rêves mêlés, désirant un même matin solaire pour chacun, respectivement Albert Camus et René Char, s'avèrent particulièrement éclairantes pour mesurer toute la portée que représente cette insurrection populaire dans le paysage social et politique, des protagonistes à la fois solitaires et solidaires, et dont la formule du poète résistant sied tant à leurs instigateurs qu'à ceux qui veulent encore prolonger ce temps inédit : « Notre héritage n'est précédé d'aucun testament. »...

Le poème liminaire des deux voix contemporaines en échos aux clameurs des nuées jaunes explore la symbolique du FEU, brasier entre destruction et création, que l'on a vu déployé sur les ronds-points, FEU des commencements et des fins, du passé, du présent et du futur pour qu'advienne, extrait de l'alchimie du temps, l'or d'un avenir, où nous serions tous égaux et libres, sans que cette égalité ne devienne injuste, ni cette liberté, menacée, dès lors les deux écritures sous-jascentes scandent l'anaphore des comparaisons de ce FEU initial et initiatique où chacun, en prise avec l'âpre affrontement contre l'ordre établi, se fait initié à élargir les flammes de ce vaste embrasement appelé de nos vœux, non pour un chaos déchaîné, mais pour une aube réparatrice : « FEU – rebelle et Jaune, comme le soleil. »

Cathy Jurado et Laurent Thinès, FEU (poèmes jaunes), Le Merle moqueur, 80 pages, 10 euros.

Dès lors, de même que les deux écrivains n'éludent pas l'ignominie de l'épreuve : « FEU – comme des tirs de flash-ball, de LBD40, d'OFF1, de GLIF4, de GMD, de DMD, de GM2L ou de lacrymogènes, et les poumons suffoqués, les yeux éborgnés, les mains amputées, les visages fracassés », de même leur regard convoque la riposte, la beauté, la poésie personnifiée, toute place offerte : « FEU – comme tir de barrage face aux oppresseurs, comme réplique du beau face à l'horreur, comme salve de mots face à l'indicible, comme bordée de poésie face à la peur, comme une insurrection »

Cet astre levé, poing serré qui redeviendrait une main ouverte, l'ensemble des poèmes tracés en forme le vœu opiniâtre, véritable volonté d'un « Soleil jaune » à réchauffer nos âmes d'enfants n'ayant pas renoncé aux rêves d'un monde meilleur : « Au-delà de l'espace de la ville / un soleil Jaune indocile / joue encore / inspire / et danse / en marquant le temps / de part et d'autre / de la tour de France ». Ainsi le jaune fluo quotidien devient l'alphabet de toutes les couleurs portées par les « Combattants de l'arc-en-ciel », ces « sensibles » négligés dans l’indifférence, ces « indicibles » dont la parole se trouve si souvent bafouée, ces « invisibles » dont l'existence même porte la remise en cause de tout un système : « Nous sommes tous des Rimbaud-warriors » !

Le langage lui-même alors, valeur d'échange et valeur d'usage de cette parole incandescente à porter au-delà de nous-mêmes, se fait le sésame de cette autre terre possible, braises d'un univers nouveau sous la cendre de notre monde déjà ancien, fût-il présenté comme le plus technique et nec-plus-ultra, envol régénérateur du Phénix de ce Feu, que nous gardons en partage, et qu'invoque le dernier poème de ce recueil à quatre mains, en hommage au « Poète-Phénix » que chacun porte en soi : « N'enterrez pas le poète / c'est un Phénix / dans ses poumons circule le souffle du monde / et son cœur est sans grimace / ses mots sont des flèches lancées vers tout ce / qui brûle encore » ! Cette renaissance d'un feu-primordial en un oiseau-archétype emblème de tous, voilà le cœur de l'analyse philosophique, déjà, de Gaston Bachelard, dans le chapitre premier de son ouvrage inachevé : « Le Phénix phénomène du langage » : « Le Phénix est un archétype de tous les temps. C'est un feu vécu, car on ne sait jamais s'il prend son sens dans les images du monde extérieur ou sa force dans le feu du cœur humain. »                                  

Présentation de l’auteur

Cathy Jurado

Cathy Jurado, originaire d’Aix-en-Provence vit aujourd’hui à Besançon.

Elle est agrégée de lettres et anime des ateliers d'écriture.
Les Forges de Vulcain ont édité son premier roman, "Nous tous sommes innocents", et elle a publié en revue divers textes de critique d’art, de fiction ou de poésie.

Sa poésie prend racine dans un rapport intime avec la peinture et la photographie (collaborations avec le peintre marocain Hassan Echair, le plasticien Max Partezana, travaux sur les gravures de Gerard Palézieu ou sur les photographies de Marie Baille, Serge Assier). Mais l’écriture est pour elle, par nature, éminemment politique. Qu’il s’agisse de réhabiliter les voix des marginaux et des fous (Nous tous sommes innocents, 2015), d’évoquer la question douloureuse des réfugiés (Ceux qui brûlent, janvier 2021 aux éditions Musimot) ou du mouvement des Gilets jaunes (Feu, poèmes jaunes, décembre 2020 au Merle Moqueur), elle interroge les pouvoirs de la poésie sur le réel. Sa recherche actuelle porte sur le domaine de l’écopoétique.

 Recueil Ceux qui brûlent, janvier 2021 aux éditions Musimot

- Recueil Feu, poèmes jaunes, décembre 2020 aux éditions Le Merle moqueur/ Le Temps des Cerises. (Recueil co-écrit avec Laurent Thinès)

- Recueil Vulnéraires, L’Harmattan, mars 2020.

- Livre d’artiste Nébuleuses infractueuses avec Pascale Lhomme-Rolot, plasticienne. (Février 2020)

- Mangrove, livre pauvre avec des collages de Max Partezana (Collection Daniel Leuwers). Novembre 2019.

- Nous tous sommes innocents, roman. Janvier 2015. Editions Les Forges de Vulcain, Paris.

- Le Syndrome écran (nouvelle noire), éditions Marsam, Maroc (2009)

A paraître :

- Recueil Hourvari à paraître en 2021 aux éditions Lanskine

- Recueil « Ni poésie ni pornographie » à paraître aux éditions Lanskine

Participations à des livres collectifs / anthologies

- Anthologie Ralentir des Editions La Chouette imprévue. (décembre 2020)

On est là ! Serge D’Ignazio, ouvrage photographique sur les mouvements sociaux. Ed. Adespote, été 2020.

- Anthologie : Gilets Jaunes : jacquerie ou révolution ?, Collectif au Temps des cerises, septembre 2019.

- Contributions au catalogue de l’exposition Quatre rives, un regard, sur les photographies de Serge Assier, en collaboration avec Vicky Goldberg (New York Times), Michel Butor et Fernando Arrabal. (Préfaces) Exposition labellisée Marseille capitale européenne de la culture exposée à Marseille ( Mai 2013) et en Arles, Festival international de la photographie, été 2013.

Participations à des revues : textes de création

- poèmes dans la revue Traversées, avec des dessins d’Hassan Echaïr janvier 2020, Ouste n°28, mars 2020, Le Capital des mots, avril 2020, A l’Index mai 2020, Europe juin 2020, Eurydema Ornata N°8 Juillet 2020, Lichen juillet, septembre, octobre et novembre 2020, Verso, Arpa et Sœurs automne 2020… Poèmes et entretien dans « Terre à ciel », janvier 2021.

- Météor n°2, décembre 2019, Ecrits du Nord, novembre 2019, Nouveaux délits, octobre 2019, Traction-Brabant septembre 2019, Comme en poésie, septembre 2019, numéro spécial de la revue Cabaret sur la Nuit, juillet 2019, Filigranes Juillet 2019. Revues Décharge et Conférence (2011). Magazine Littéraire du Maroc (2011).

Participations à des revues : textes de critique

 - Articles de critique littéraire dans Diacrititk, 2020.
- Publication de textes de critique littéraire dans le Magazine Littéraire du Maroc de 2009 à 2011
- « Les Chemins du Regard », sur les gravures de Gérard de Palézieux, in Revue Institut d’Arts Visuels, Orléans (2000)
- « L’Architecture d’une âme », sur les photographies de Marie Baille, in Revue Conférence n°9 (1999)

PRIX Littéraires :

- Prix du 1er roman du Baz’Art des mots (Hauterives) pour Nous tous sommes innocents. 2015.
- Prix de la nouvelle noire de l’Institut français de Marrakech pour « le syndrome écran » (Ed. Marsam), 2009.
- Prix de poésie de la Fondation de France, 1998.

Expositions/ Performances :

 - Lecture en scène du poème « Ceux qui brûlent, Odyssée », sur les réfugiés, à la Villa Méditerranée à Marseille, à la médiathèque de La Ciotat et à Ginasservis, au profit de l'association SOS Méditerranée. 2017-2018.

- « Le rêve dans tous ses états », exposition collective, à L’Aparté, (Hôp hop hop) Besançon. 2019. Exposition d’un texte accompagné de photographies et d’une lecture audio.

- Installation « Rêve de Reina » : participation sur sélection à l’événement « Labo démo » organisé par Le Centre Walonie-Bruxelles de Paris en lien avec le Centre international de poésie de Marseille et Montevidéo (Octobre 2020).

Autres lectures

Présentation de l’auteur

Laurent Thinès

Laurent Thines est un neurochirurgien français, né à Arras, et ayant vécu en Provence, à l’île de la Réunion, dans le Nord-pas-de-Calais et enfin dans le Doubs. Après avoir effectué ses études de Médecine à Marseille, il a rejoint Lille pour poursuivre une formation neurochirurgicale. Il a été nommé professeur des universités en 2015, à l’âge de 41 ans. Il écrit des poèmes depuis le collège.

Poèmes choisis

Autres lectures




Etty Hillesum, Ainsi parlait Etty Hillesum

Dans ce recueil de la collection « Ainsi parlait », chaque fragment et extrait des cahiers ou lettres qu’écrivit Etty Hillesum au cours de sa brève vie suivent la chronologie de leur écriture.

On y apprend que l’auteure prenait plaisir à recopier des passages lus chez ses écrivains préférés. Cependant ce qui domine et révèle le tempérament d’Etty Hillesum, c’est sa détermination et son amour à vivre et défendre la vie coûte que coûte. Ce précepte se retrouve presque en porte à faux avec son destin de sacrifiée lorsqu’elle gagne le camp d’extermination lors même qu’elle avait eu l’opportunité de fuir les nazis. Sa réflexion sur le nazisme traverse d’ailleurs ses écrits dont la barbarie finit par engendrer la même attitude chez l’adversaire.

Il y a chez cette auteure une recherche et une exigence de plénitude et de richesse intérieure qui permettent de se présenter aux autres comme un communiquant positif et généreux. Nous retiendrons par exemple cette injonction : « Vivre pleinement au-dehors comme au-dedans, ne rien sacrifier de la réalité extérieure à la vie intérieure, pas plus que l’inverse, voilà une tâche magnifique. » Cela suppose une grande attention, une tension régulière vers l’autre monde et le sien propre. La générosité est d’ailleurs ce qui porta l’auteure à rester au camp de transit de Westerbork afin de soutenir ses compatriotes. 

Etty Hillesum, Ainsi parlait Etty Hillesum, Dits et maximes de vie choisis et traduits du néerlandais par William English et Gérard Pfister, Paris : Editions Arfuyen, édition bilingue, 2020, 192 p. 14 €.

Ses maximes de vie révèlent une réflexion charitable. On y découvre une femme qui s’émancipe progressivement de la domination par l’homme et d’un excès de mise en valeur de l’autre personne de sexe opposé. Elle considère qu’à son époque la femme n’est pas encore « être humain » et que c’est « l’émancipation intérieure » qui la fera devenir. Pour elle et à juste titre, « c’est la vie qui doit être toujours la source et l’origine, et non pas une autre personne. Beaucoup de gens, surtout des femmes, puisent leur force en quelqu’un d’autre au lieu de la prendre directement dans la vie. »

Hillesum ne connaît pas la futilité, le souci de l’apparence ou la légèreté. Elle tend sans cesse vers l’approfondissement et la profondeur. S’adressant aussi bien à elle-même qu’à son concitoyen elle ordonne de « vivre, respirer par l’âme et travailler, étudier avec l’esprit ». Les mots « âme » et « esprit » nous orientent vers ce refus de la futilité. Ces mots sont très sérieux et ont du poids, celui que Rilke peut également leur apporter et duquel Etty Hillesum est proche. Elle le lit, se passionne pour son œuvre, mais n’en demeure pas moins lucide après une lecture intense d’un auteur avec lequel elle vient se confondre pour mieux s’en détacher et voler de ses propres ailes. « […] Lire Rilke tout entier, lire tout de lui, chaque lettre, l’intégrer en moi et ensuite m’en dépouiller, l’oublier, puis à nouveau vivre de ma propre substance. » Sa grande force de vie et de caractère, de résistance et d’endurance, éclatent dans certains fragments tel que celui-ci : « Ne jamais se résigner, ne jamais fuir, tout assumer, ensuite juste souffrir, ce n’est pas grave mais jamais, jamais la résignation. » La force et la rigueur qu’elle attribue peut-être excessivement à Rilke la définissent davantage que son auteur fétiche.

Le don de sa personne côtoie de près l’inclination qu’implique l’amour au sens large du terme. « Une chose est certaine : il faut aider à accroître la réserve d’amour sur cette terre. Chaque parcelle de haine qu’on ajoute au trop plein de haine existant rend ce monde encore plus inhospitalier et inhabitable. » Toutes les pensées de cette femme convergent vers l’acte ultime de sacrifice de sa propre personne lorsqu’elle se retrouve au camp de transit. Il est y question d’abandon, de simplicité de l’Etre, de souffrance à supporter en laquelle il convient de puiser les forces positives. «  L’Occident n’accepte pas la “souffrance” comme inhérente à cette vie. C’est pourquoi il n’est jamais capable de puiser dans la souffrance des forces positives. »

Hillesum se prépare à l’exil définitif, valorisant une attitude à adopter tout comme certains livres à privilégier. Au sein même du camp, on entend un chant de vie dans une expression simple, précise et mesurée. Dans les morts c’est la vie qui parle, et dans les vivants la mort demeure en permanence.

Il faut faire taire le chaos en le domptant, être à l’écoute de toutes les mouvances en soi afin de mieux appréhender l’autre et faire fi de tout ennemi potentiel lorsque le temps est tout occupé par le travail personnel.

Présentation de l’auteur

Etty Hillesum

Esther « Etty » Hillesum, née le 15 janvier 1914 à Middelbourg, aux Pays-Bas et morte le 30 novembre 1943 au camp de concentration d’Auschwitz, est une jeune femme  mystique connue car elle a connue pour avoir tenu son journal intime (1941-1942) et écrit des lettres (1942-1943) depuis le camp de transit de Westerbork pendant la Seconde Guerre mondiale.

Bibliographie (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

Etty Hillesum et Rainer Maria Rilke

Jeune juive hollandaise, Etty Hillesum est morte en déportation à Auschwitz le 30 novembre 1943 à l’âge de 29 ans. Elle est l’auteure de carnets et de lettres dont un florilège est réuni [...]

Etty Hillesum, Ainsi parlait Etty Hillesum

Dans ce recueil de la collection « Ainsi parlait », chaque fragment et extrait des cahiers ou lettres qu’écrivit Etty Hillesum au cours de sa brève vie suivent la chronologie de leur écriture. [...]

Pour une étude de la poésie d’Etty Hillesum

Cette étude est publiée dans le dernier chapitre d'Etty Hillesum, un chant de vie par-delà les barbelés, paru aux éditions L'Enfance des arbres.   « La beauté séduit la chair pour obtenir  la permission [...]




Marie-Christine MASSET, L’oiseau rouge

Couleur du coeur, du fer, de la terre, du sable, le rouge inonde ce recueil sous la bannière de « l'oiseau » rouge aussi.

Le rouge étreint, brûle, symbole de cri, de sang versé, de guerre, de blessure, d' « aube » « dans la chair ennemie ». Le feu couve souvent, éclaire, rougeoie ; les hommes sont à sa merci. Sous le feu, la force ; les étincelles, telles des poèmes qui regorgent d'énergie et de souffle. Dans une lente traversée des éléments et des paysages, l'oiseau aussi est ressource vive :

Ce jour où j'ai rencontré
cet oiseau rouge sur unepierre,
j'ai senti que le bleu du ciel
m'offrait comme un voile
pour m'envelopper ou me faire partir.

Marie-Christine MASSET, L'Oiseau rouge, Oxybia Editions, 2020, 196p., 15 euros. Recueil bilingue français-anglais, avec des traductions d'Andrea Moorhead.

 Parfois, « un immense bûcher/ célèbre le retour/ de l'autre monde ».  Peintures, traces, reliefs, signes : la vie surmonte le désert et la violence. Le poème prime et signale les ouvertures.

Marie-Christine Masset, en des poèmes très contrôlés, sait « lever le souffle d'un chant » ou donner mémoire à « la rencontre ».

Jouant de toutes les couleurs, bleu, noir, ocre, le livre est une épopée de ce qui naît, vit, meurt, entre terre et ciel, là où « viennent boire/ des oiseaux/ que nul ne voit », sauf la poète, apte à égrener les sables du rêve ou du « silence après la pluie ».

Aux paysages parfois exotiques la poète mêle les méditations naturelles sur « l'eau, les reflets des feuilles » ou « la lumière/ de l'autre côté du monde ».

Présentation de l’auteur

Marie-Christine Masset

Marie-Christine Masset est née à Ruffec en Charente en 1961. Après avoir vécu au Maroc et en Suède, elle a longtemps habité près des Cévennes à Saint-Jean-de Buèges. Elle vit à présent à Marseille où elle enseigne les Lettres.

Bibliographie

  • Diaclase de nuit, Hors Jeu Editions, 1994
  • Parole Brûlée, L’arbre à parole, Belgique, 1995
  • L’Embrasée, Editions Jacques Brémond, 1998, prix Ilarie Voronca
  • Le seul oiseau ou le secret des Cévennes, Edition Lacour Ollé, Nîmes, 2005
  • Ile de ma nuit, Encre Vive, 2006
  • Et pourtant elle tourne, L’Harmattan, 2007
  • Visage de poésie, anthologie, Jacques Basse, Editions Raphaël de Surtis, 2009
  • Yarraan, La Porte, 2012
  • Terre de Femmes, anthologie poétique , Angèle Paoli, Terres de femmes, 2012
  • Une fleur jaune dans la montagne, L’Harmattan, 2012
  • Livres d’artiste avec Joëlle Jourdan, photographe et plasticienne
    • Entre feu et cris, 2007
    • Trêve lumineuse, 2008
    • Partage des eaux, Editions Trouvailles, 2008
    • Eau Constellée, 2009
Marie-Christine Masset

Autres lectures

Marie-Christine MASSET, L’oiseau rouge

Couleur du coeur, du fer, de la terre, du sable, le rouge inonde ce recueil sous la bannière de « l'oiseau » rouge aussi. Le rouge étreint, brûle, symbole de cri, [...]




Anne-José Lemonnier, Au clavier des vagues

Le nouveau recueil de Anne-José Lemonnier est une variation en bleu. Après sa belle méditation contenue dans Polyphonie des saisons (éditions Diabase, 2018) autour de la figure d’une grand-mère aimée, la voici de nouveau face à l’immense : un océan qui lui donne le sentiment de vivre, chaque jour, un matin du monde.

La parole d’Anne-José Lemonnier est rare. Son précédent recueil de poésie (Archives de neige, éditions Rougerie) date de 2007.  On accueille donc avec d’autant plus de curiosité et de sympathie ce qu’elle a à nous dire sur son propre univers (« Ame ravitaillée/à la table de la beauté »). Car nous sommes, ici, en permanence, dans l’exercice de contemplation scrupuleusement arrimé au passage des saisons. La poétesse sculpte avec des mots toutes les variations saisonnières qu’elle saisit sur la baie au bord de laquelle elle vit. Nous sommes en presqu’île de Crozon, au bout du bout du Finistère, et quelques lieux surgissent au détour des pages : Pentrez, plage de Goulien, Cap de la chèvre, pointe de Dinan, Les Tas de pois…

Anne-José Lemmonier, Au clavier des vagues, éditions Diabase, 92 pages, 12 euros.

     

Si elle sculpte ses phrases, Anne-José Lemonnier leur donne aussi une couleur. A la manière des peintres, elle rehausse le tableau en jouant sur le bleu. Car de même qu’il y a le bleu de Delft ou le bleu de l’artiste Geneviève Asse (dont elle parle à la fin de son livre), il pourrait y avoir, au niveau de son écriture, la révélation d’un bleu particulier : le « bleu réfléchi des anses », le bleu serein » de la baie, « le bleu translucide ». Et même, sous sa plume, « les chats ont les yeux bleus/pour voir au diapason du ciel et de la mer ». Bleu encore, celui des jacinthes du jardin. Et quand vient l’hiver, « le gel arrime/le bleu/à sa pureté/originelle ».

C’est ce bleu qui lie la poète à une nature dont elle s’abreuve quotidiennement. Nature familière, nature complice, nature consanguine. La voilà, en effet, le printemps venu, qui s’en va « demander/à chaque lieu aimé/comment il a vécu l’hiver/aux hordes sauvages de vent ». Et pour mieux souligner l’amplitude de ces lieux qu’elle arpente fidèlement, elle a ces mots : « Entre le quotidien et l’infini/il y a du bleu et rien d’autre/myosotis et atlantique ».

Face à la mer, saisie par l’amplitude des lieux, Anne-José Lemonnier nous parle d’une « pureté de Genèse », « d’accents bleus et blancs de résurrection », de « quatrain de lumière ». Elle nous laisse entrevoir un paradis dont il importe, comme le disait le poète Novalis, de « réunir les traits épars ».

Présentation de l’auteur

Anne-José Lemonnier

Anne-José Lemonnier est une poétesse française née à Angers le . Bibliothécaireà Châteaulin, elle réside à Saint-Nic dans le Finistère

Poèmes choisis

Autres lectures

Anne-José Lemonnier, Au clavier des vagues

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Russie. L’Immense et l’intime

La revue États provisoires du poème dresse, dans son numéro 19, un panorama rapide de la poésie et de la littérature russes, depuis l’extraordinaire floraison poétique qui a marqué ce que l’on a appelé l’Âge d’argent (du début du XXe siècle aux années vingt) et enregistre en quelque sorte l’acte de naissance d’une nouvelle poésie russe en ce début de XXIe siècle.

C’est peu dire qu’un volume de 125 pages paraît a priori modeste, et bien fluet, en regard de l’importance à la fois littéraire, historique et symbolique de la matière abordée.

C’est pourquoi les éditeurs ont vraisemblablement, d’abord, choisi de privilégier quelques figures, dont certaines connues, voire légendaires : Marina Tsvetaeva, Ossip Mandelstam, Daniil Harms, Elsa Triolet. La revue se donne un rôle à la fois « patrimonial », en réactivant la légende associée aux noms de Tsvetaeva et Mandelstam, et, « pionnier », en évoquant, en dépit de son ancienneté (il est mort dans les années trente, pendant l’époque stalinienne), la voix de Daniil Harms. D’autres encore viennent compléter, nouvelles, un panorama que l’on nous invite implicitement à considérer comme celui des poètes actuels de la langue russe : Eugen Kluev, Marina Skalova, Ivan Viripaev.

Le volume est pris en charge, dans l’ordre alphabétique, par Caroline Bérenger, Marie-Thérèse Eychart, Jean-Philippe Jaccard, Venus Khoury-Ghata, Eugen Kluev, Marina Skalova et Ivan Viripaev.

Russie. L’Immense et l’intime , États provisoires du poème, Numéro 19, Théâtre national populaire & Cheyne éditeur, 2019, 125 pages.

Il est clair que certains de ces auteurs parlent en leur nom propre, puisque la revue publie certains de leurs textes, alors que d’autres se font principalement les « passeurs », les « commentateurs » les « apologistes » ou les « interprètes » de l’œuvre d’un poète, ou d’une poétesse, à qui ils rendent hommage, quitte à donner un tour personnel à cet hommage.

La revue associe donc une ambition critique à une volonté de participer à l’entreprise de découverte et de promotion d’une nouvelle littérature, peu connue en France.

Et, d’emblée, ce qui frappe le lecteur, c’est avant tout le formidable drame de l’histoire russe. Il est question d’exil, de déportation, de folie, de mort ; et ce cortège de cruautés et d’exactions ne semble pas faiblir en ce début de troisième millénaire.

Caroline Bérenger accompagne Marina Tsvetaeva dans son itinéraire terrestre, de son exil parisien à son retour en Russie, jusqu’à son suicide « dans un village de Tatarie le 31 août 1941 » (p.37). Le récit de cette vie est jalonné d’extraits tous issus de la traduction récente des Éditions des Syrtes (Poésie lyrique, 2015).

Jean Philippe Jaccart nous convie à lire un poème de Daniil Harms, donné en version bilingue, texte russe sur la page de gauche et traduction en regard (p.24-25). Le critique s’attache à donner un sens politique à un poème où revient dans chaque strophe l’ensemble de vers suivant : « le concierge aux moustaches noires […] sous la porte cochère / se gratte de ses mains sales / la nuque sous son bonnet sale / et l’on entend par les fenêtres des cris joyeux / des bruits de pas et le tintement des bouteilles » (p.25). Le temps passe, la tyrannie demeure, le concierge (associé à la plupart des perquisitions) reste en place : est-ce le même, ou un autre qui lui ressemble à s’y méprendre ? Le critique évoque par ailleurs le destin de ce poème, depuis sa création jusqu’à l’époque contemporaine, et conclut de manière pseudo-sibylline en disant que le concierge est toujours là, surveillant « peut-être aussi la fête du centenaire de Harms qu’ouvrait Tomochevski du haut de son balcon en 2005 — an V du règne d’un certain concierge » (p.33).

La poétesse Vénus Khoury-Ghata, s’attache, presque en miroir, à évoquer les destins tragiques de Marina Tsvetaeva et d’Ossip Mandelstam, en miroir, car, non seulement elle traite conjointement des deux poètes, mais a eu elle-même à vivre, en France, l’expérience douloureuse de l’exil, amplifiée par le caractère si particulier, selon elle, du monde des Lettres en France, puisque l’auteur déclare, à ses débuts et même après, avoir « subi comme Tsvetaeva le rejet et l’ostracisme d’un certain milieu littéraire parisien qui prend les écrivains francophones de l’étranger pour des intrus » (p.37). De fait l’article accompagne les deux poètes dans leur marche à la mort, Mandelstam pour avoir écrit, avec un rare courage : « On n’entend que le paysan du Kremlin, L’assassin, le mangeur d’hommes », Tsvetaeva en raison de la participation de son mari aux combats de l’armée blanche.

 Marie-Thérèse Eychart publie quant à elle un texte en prose d’Elsa Triolet, qu’elle assortit d’une introduction (p.73-103). Il s’agit de « La maison dans laquelle nous habitons », extrait de Colliers. Le texte nous plonge dans le quotidien d’Elsa et de Louis, dans le petit appartement qu’ils occupent au début de leur vie commune. Le récit vaut par son pittoresque, dans la mesure où il met en scène la vie d’une communauté bigarrée de simples gens au sein d’un ensemble immobilier aux allures de labyrinthe. Marie-Thérèse Eychart détaille avec bonheur et perspicacité les circonstances entourant la rédaction du texte. Par ailleurs Aragon, dans un de ses poèmes, cité p. 73, célèbre l’époque où, pour gagner de l’argent, Elsa fabriquait des colliers.

Les poèmes d’Eugen Kluev (p. 46-59) extraits du recueil Terre verte, sont donnés en version bilingue. Le poète semble nous convier à lire de « petits mystères » dans la mesure où, la plupart du temps, on ne sait qui parle, et même de quoi il est question. Les poèmes s’acharnent à s’entourer d’un halo de mystère et de menace : « La nuit était un champ de ruines ; / dans la cour ravagée / à l’aveugle trainait le salut / de toutes les lanternes » (p.51). Et encore : « Deux orages se sont rencontrés à la fenêtre / et périssent dans leur duel » (P.49). Le paysage tel qu’il apparaît dans ces textes semble investi par la présence d’une forme de menace ou de violence. Notons également la présence d’un univers imaginaire à tonalité germanique.

Marina Skalova, dans un long poème intitulé « L’Air » (p.63-68), exprime une forme de panique : « j’avais besoin il fallait que j’ouvre / la fenêtre fasse entrer de l’air / respire de l’air » (p.63). Cette impression d’urgence, d’étouffement accompagne la vision d’un monde en décomposition, où tout a changé, que l’on ne comprend pas, ou plus : « des années durant ces pages / étaient Aufklärung lumières / éclairant la Pravda du comportement / […] maintenant elles ne disent plus rien / les pages ont avalé leur langue » (p.64). La poétesse nous accompagne ensuite dans une déambulation aux dimensions de la Russie, où apparaissent les indices d’une catastrophe généralisée, notamment écologique : « sur ces territoires il n’y a personne / peut-être seulement quelques éternelles colonies / pour veiller sur la disparition / du gel éternel » (p. 65)

Pour finir, la revue, qui prend ainsi une allure d’anthologie, consacre seize pages au poète-dramaturge Ivan Viripaev. L’auteur, selon toute apparence, compose une sorte de pièce de théâtre sous forme poétique. Les voix se mêlent, d’un texte à l’autre, composant un univers parfois déroutant, comme peut l’être celui de Lewis Carroll : « - Et s’il n’y avait rien / qu’est-ce qu’il y aurait alors ? / - je m’envolerais / en montgolfière. Loin, loin. / je m’envolerais. Et je volerai jusqu’à l’endroit / de ma mère d’où je suis venue au monde. / D’où les enfants viennent. Et après je commencerai / à devenir plus petite, plus petite / et plus petite jusqu’à ce que je devienne / cette chose que j’étais / avant de devenir moi. Et la montgolfière / aussi deviendrait petite, petite / jusqu’à ce qu’elle se change en cette chose / qu’elle était avant / de devenir montgolfière » (p.109).

Ainsi ce numéro d’États provisoire du poème remplit pleinement une fonction de « veille poétique », en suggérant au lecteur de s’engager sur les voies de la poésie russe, un des pays au monde où, il y a peu encore, on lisait le plus de poésie. La revue réussit la gageure de susciter la curiosité au cours d’une lecture stimulante, où l’on oscille entre la sensation rassurante du connu, mais du connu évoqué avec art, et passion, et celle, piquante, de la découverte et de la nouveauté.




La revue Cunni lingus

Un article de Solenn Real Molina et Miguel Angel Real

 

La première question que pose la revue cunni lingus est “mais que font le genre et la langue à la poésie”. Dans leur accueil-manifeste, cette publication revendique son intention de “déconstruire le phénomène de naturalisation des rôles femme-homme, qui conditionne la reconduction de la domination hétéro-patriarcale”.

Il s'agit en effet de créer un espace où la réflexion sur le langage soit le point de départ pour arriver à transformer, retourner et renverser les normes de genre hétéro-sexistes et binaires. Cunni lingus  se définit donc comme une revue poétique, queer et féministe pour laquelle le corps, la langue, la poésie émettent des messages éminemment politiques que personne ne peut ignorer.

On peut y trouver des objets textuels à lire, à écouter, des textes critiques, théoriques, d’auteur·e·s vivant·e·s ou mort·e·s ainsi que des textes de création. Ces productions littéraires à dominante poétique peuvent également revêtir un caractère pamphlétaire, expérimental, post-pornographique, ou de toute autre nature propre à bousculer la langue qui invisibilise la présence, la place et le rôle dans la sphère publique et privée des personnes qui ne rentrent pas dans la catégorie homme hétéro-sexuel cisgenre et celles qui sortent des catégories de genre : personnes trans, intersexe, agenrée, non-binaires.

Parmi les articles qui figurent dans la publication, réunis sous l'onglet « à lire-à écouter », on peut trouver des essais, comme celui d'Eliane Viennot, extrait de son œuvre « Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! : petite histoire des résistances de la langue française » (Editions Ixe). Sur la même tonalité, nous lisons « Femmes, poésie et démasculinisation » de Chloé Richard.

Par ailleurs, Flora Moricet, retrace l'histoire de Danielle Collobert, écrivaine bretonne (1940-178) qui « a écrit des textes avec peu de mots, dans une langue chargée de sensations, minimale et concise », avec « une écriture dense et moderne sur les limites du langage ».

Le langage poétique a toute sa place dans la plume de Murièle Camac, qui présente un extrait de son recueil inédit « Pas d'histoire », ou dans l'intensité de la voix de Josée Yvon qui lit « filles-commandos-bandées ». Citons aussi le poème « Le e muette », de Marie Pierre Bipe Redon, qui s'inscrit pleinement dans l'objectif de la revue avec ses vers percutants :

Nous montrons nos seins pendants
Nous montrons nos langues à vif
Nous mettons nos mains en cornet devant nos bouches
pour crier encore plus fort
Nous relevons nos jupes,
Baissons nos pantalons
et pissons debout


Nous nous clamons d’abord
Et nous calmerons après.
Peut-être. 

 

De belles trouvailles graphiques apparaissent dans « La Ronde, en française dans le texte », qui à l'intérieur d'un calligramme rond explique que « La réveil a sonné tôt cette matine, elle y a des journées comme celle-là . » Notons aussi la performance vocale de Béatrice Brérot « QQOQCCPP sur le féminin »

La revue recueille aussi des textes d'auteur·es comme Paul B. Preciado (« Féminisme amnésique »), qui nous parle de la domination du langage dans la modernité, Gertrude Stein ou Virginia Woolf.

Cunni lingus est en définitive une publication à suivre, qui propose de mettre en lumière des points de vue historiquement et socialement minorisés, invisibilisés ; ceux-ci apportent leur pierre à l'édifice d'une réflexion tout à fait nécessaire sur le langage comme outil poétique mais surtout comme catalyseur de changement social.




Naissance d’une revue : POINT DE CHUTE

Animée et réalisée par Lénaïg Cariou, Victor Malzac  et Stéphane Lambion (deux jeunes poètes dont Recours au poème avait accueilli les premiers écrits), nous est arrivée la jeune revue « Point de chute » - entreprise courageuse que nous saluons, en cette époque trouble où plus que jamais il nous semble important que se diffuse la poésie. 

Sobrement présentée sous une couverture sépia illustrée d'une œuvre énigmatique signée Murphy Chang, évoquant une couronne ciliée, comme on imagine la lumière absorbée par un « trou noir » de l'espace, le numéro 1 de la revue présente, selon le vœu de ses fondateurs, des textes, rien que des textes, portés par des voix qui n'ont pas encore eu la chance de se faire connaître, espérant aussi toucher un public « amateur de poésie jeune et vive »... Projet que nous ne pouvons que soutenir. 

Ce numéro avait été précédé d'un banc d'essai, sous couverture blance, marquée d'une série de points de chute, et annonçait le souhait  de l'équipe de devenir une revue biannuelle paraissant au printemps et à l'automne : nous engageons nos lecteurs à s'y intéresser, s'ils veulent découvrir de nouveaux territoires.

Point de Chute, 66p, 5 euros, contact : revuepointdechute@gmail.com

Au sommaire du numéro 1, cinq voix françaises, donc, et trois traductions – de l'anglais, de l'espagnol et du lituanien. Des poésies plutôt narratives pour les trois premiers poètes :  avec les souvenirs d'enfance chez Loréna Bur, et un regard décapant, notamment sur sa mère dans le savoureux « La Racaille », et chez Hortense Raynal, dont le rythme des vers libres, ample et souple, supporte une thématique liée à la vie rurale et à la langue :  

 

 La paille c'est pour les veaux mais c'est aussi pour la gamine qui 

voit le placenta au fond de la cour de la grand-mère 

Sabiez que léu...               si tu le touches.  

 

Et des souvenirs de voyage avec Pierre Bégat, entre « Upper Alma Road » et « A une éthiopienne ». 

Les propositions de Zsofia Szatmari et Joep Polderman explorent d'autres pistes, d'autres rythmes, la première plus proche d'une poésie sonore, la seconde analysant, ainsi que l'annonce le titre, l' (E)motion créative, dont une strophe me semble donner sens à l'illustration de couverture :  

 

peut-être un abîme attractif 

un tunnel parallèle 

au creux des yeux 

 

La poésie traduite de Christopher A.K Gellert pose la question du genre avec un extrait du poème hirondelle – elle est suivie par la poésie plus métaphysique d'Elisa Chaïm, dont le dernier texte, une « lettre à Alfonso Reyes » indique la filiation revendiquée, et Gabia Enciuté, poète lituanienne ferme la sélection de ce numéro, pour lequel nous remarquerons l'importance accordée aux voix de femmes poètes, et saluerons aussi les traducteurs : Lénaïg Cariou, Inés Alonso Alonso et Thibault jacquot-Paratte .  

 

L'appel à textes final est largement ouvert, et c'est avec plaisir que nous le répercutons :  

 

Nous faisons feu de tout bois. Nous recevons tous les textes poétiques, longs ou brefs ; des poèmes, des histoires, en prose ou en vers, des intermittences de blanc, des planches mal ajustés, du matériau brut, du béton, de l'argile, tout ce qui sonne, résonne. Peu de notes, des percussions surtout – à peine le bruit des mots qui chutent. 

 




La minute lecture : Samantha Barendson, Alto Mare

Pour écrire ce récit du désir, constitué d’une suite de textes courts comme autant de chapitres ou tableaux, Samantha a choisi l’italien, et confié le soin à Mélissa Verreault d’en traduire la finesse et les mouvements en français.

Des premiers regards à Genève à la chaleur d’un été romain, d’une chambre d’hôtel à un jardin de cœur de ville, l’auteure relate une passion fébrile et dévorante. Ces étreintes transforment les nudités en pays, révèlent chacun des amants dans les jeux de la chair, pleinement conscient de ce qu’il vit et de ses sensations. De parenthèses en rendez-vous, l’histoire se prolonge sur plusieurs mois, et laisse entrevoir une suite possible vers une relation amoureuse stable. Mais dans la dernière des quatre parties de ce livre, l’amante se retrouve subitement seule, quittée sans doute, véritablement « en manque » de ce corps aimé, désiré. Dans une écriture directe et crue, jamais vulgaire, Samantha nous entraîne dans les flux et reflux d’un amour physique qui est, avant tout, un amour tout court.

En attendant de commander ce beau livre chez ton libraire ou auprès de l’éditeur, tu peux en écouter un extrait ici :

Samantha Barendson, Alto Mare, éditions La Passe du Vent, 2020




Dominique Sampiero & Joël Leick, L’Autre moitié de ton corps

La poésie, qu'est-ce que c'est ? Certains semblent le savoir, qui la font alors disparaître  comme l'innocence sous le poids accablant des certitudes. Parce que la poésie est ce qui s'échappe, est ce qui reste hors de toute parole. Alors comment évoquer ce recueil de Dominique Sampiero, L'autre moitié de ton corps ? Je ne sais pas. C'est La Poésie qui est là dans ces quelques pages si denses, abouties parce que jamais ailleurs que là, dans  l'immanence jaillissante  des mots avec les mots. Rares sont les poètes.

Arbre, juste avant d'être moi dans le feuillage de mes veines, quel langage as-tu appris, debout entre ciel et terre, de quelle mémoire as-tu dévoré les oiseaux posés sur toi, puis les mains, le cœur du voyageur, de quel élan entre l'ici et le lointain t'es-tu gorgé, donnant au mouvement de tes branches un direction vers la lumière qui toujours se retire ?

 

Dominique Sampiero & Joël Leick, L'Autre moitié de ton corps, Al Manar, Poésie, 2019, 67 pages, 16 euros.

Livre poème en prose, celui de l'homme face à l'immensité d'exister. Livre du voyage intérieur, de l'accueil de ce qui traverse la peau, l'âme, dans l'entièreté de la posture d'être humain. L'écriture ondule comme un son cosmique, un chant de la forêt, là où tout recommence sans jamais cesser.

L'arbre est une présence retrouvée entre le nuage et l'ombre de la montagne. Ses larmes attachent le ciel et la terre par des lianes aux longs cils bruns couverts de nuit et de promesses. Ses larmes attachent le ciel pour qu'il ne dévore pas la terre. Dans son écorce on entend crisser la sève des prophéties, des grincements de légendes, des prières imprononçables. Dans son écorce on meurt et on guérit. On traverse toutes les parois de toutes nos peurs. On comprend que la vie et la mort se touchent dans l'imprononçable de leurs racines.

Là dans le corps, dans le souffle, dans le feuillage où tout s'attache et se délite, est le poète. Sa matière est celle-ci, et celle du poème, confondues dans le tracé des lignes de ce livre qu'accompagnent des collages de Joël Leick. Ce texte écrit en novembre 2016 "à la Réunion entre Saint-Pierre, Saint-Denis, La Rivière, Saint Leu, Saint Philippe, L'entre Deux et Cialos" est un instant d'infini présent qui se dévoile peu à peu comme un papier japonais plongé dans l'eau, grâce à l'écriture.

Ce n'est plus moi qui écrit ces phrases posées comme des amulettes sur le gouffre de vivre. Aucune diversion n'est possible. Ce qui remue dans le texte comprend ce que voudrait dire la lumière.

Dans la case où le poète s'éveille, se réveille, laisse les images le traverser, comme un nom qui s'efface au profit d'une disparition dans la texture de l'arbre, dans le bleu qui entoure l'île, le velouté du sable, la femme, les gouffres et les aspérités, le tout insécable de ce qui se présente plus loin que la conscience, sur cette île qui est la pays de la femme aimée,  le poème s'écrit, constitué de cette mosaïque qu'est la matière de la vie, de toute vie.

Puis mes pieds mangent les traces d'une femme sur le sable, j'enfonce mes orteils sur les siens, j'appuie ma voûte sur le creux de son passage, le mouvement de sa chair remonte doucement le long de mes jambes, de mes muscles, dévore mon sang, mes nerfs, elle me possède et je mange cet anima mot à mot, ma vie crève alors comme un abcès, j'entre dans le royaume lumineux de l'île, mon âme est une noix de coco tombée dans la chair blanche du livre.

A la rencontre entre la moitié du corps qui regarde et celle qui est absorbée par exister, là est le poème.

D'autres vérités accourent dans cette union mentale, charnelle et ce n'est pas moi qui parle, mais le fruit de cette rencontre.

Mais de quelles vérités s'agit-il ? Certainement de celles dont on ne peut pas parler, mais que seule la poésie peut tenter de laisser affleurer, la rencontre entre soi et l'autre moitié de son corps, qui est le monde,  l'union du visage et de son effacement, parce qu'il porte alors celui de l'arbre, de l'île, de la femme aimée à qui est dédicacé ce recueil, du sable, de la lumière.

L'extase cherche la langue natale des entrailles pour nous apprendre à traverser.

C'est de l'autre moitié de notre corps que vient le silence, l'évasion dans le regard, puis à travers, jusqu'à l'incorporation du monde. Là est le ferment du poème. Rares sont les poètes. Ce livre est ceci,  le témoignage d'un chemin parcouru entre soi et le monde, vers la poésie, et vers aimer, qui n'est rien d'autre que ceci. 

Présentation de l’auteur

Dominique Sampiero

Dominique Sampiero est né dans l’Avesnois, région de prairie, de forêt, de bocage du Nord de la France, l’hiver où l’abbé Pierre lance son appel pour les sans-logis, quelques jours après la mort de Matisse et le même mois que la démission de Marguerite Duras du Parti Communiste.

Instituteur et directeur en école maternelle à partir de 1970 et pendant une vingtaine d’années, militant des pédagogies Freinet, Montessori, Rudolph Steiner et de la pensée humaniste de Françoise Dolto, il démissionne de l’Education nationale en 2000 pour se consacrer entièrement à l’écriture.

Poète (Prix Ganzo 2014 pour La vie est chaude, éditions Bruno Doucey et pour l’ensemble de son œuvre), romancier (Le rebutant, Gallimard, prix du roman Populiste 2003), auteur de livres jeunesses (P’tite mère, Prix sorcière 2004) mais aussi scénariste (Ça commence aujourd’hui, Prix international de la critique à Berlin, et Holy Lola, deux films réalisés par Bertrand Tavernier) auteur de théâtre (TchatLand / Le bleu est au fond) et réalisateur de courts métrages (La dormeuse / On est méchant avec ceux qu’on aime), il reste profondément attaché à sa région natale et une grande partie de son écriture parle de la lumière des paysages et des vies minuscules en lutte avec leur propre silence et l’oubli.

Son dernier roman Le sentiment de l’inachevé paru en Avril 2016 chez Gallimard est une plongée dans l’enfance à travers laquelle il raconte une histoire d’amour qui laissera une empreinte forte dans son élan vers l’écriture. La petite fille qui a perdu sa langue (Gallimard jeunesse Giboulées. Illustrations Bruno Liance ) a été écrit avec des enfants en difficulté scolaire. Les éditions de la Rumeur Libre ont publié le premier tome de l’ensemble de ses textes poétiques.

Photo de Jacques Van Roy.

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Les Hommes sans Epaules n°51, dédié à Elodia Zaragoza Turki

Tout d'abord signaler que ce numéro du premier semestre 2021 est dédié à une grande poétesse disparue en 2020 à qui il rend hommage, Elodia Turki, dont ces quelques mots introduisent le volume :

Je n'accorde à rien ni à personne le droit de ressentir à ma place...

Quand le cœur devient l'unique occupant d'un corps et se pend au gibet de sa gorge, se fait lourd, outre veloutée et tiède qui menace de choir... alors la main spontanément se tend, s'arrondit pour recevoir, protéger, caresser, protéger, aimer. Et cette émotion suspendue, le temps d'un étonnement, comme un éclair domestiqué, abrite et habite, Hôte absolu, l'Autre, dans une reconnaissance éperdue.

Elodia Turki, Inédits.

Ce volume, comme les autres, est une somme inouïe avec cette fois-ci pour thématique "La poésie et les assises du feu". Dans son édito Christophe Dauphin évoque Pierre Chabert et La revue La tour de feu, "fédération de tempéraments, c'est à dire d'hommes-symboles". Suivent les portraits de ces Porteurs de feu : Edmond Humeau évoqué par Paul Farellier et René de Obaldia par Christophe Dauphin. Une longue présentation, contextuelle autant que littéraire précède de long extraits des œuvres de ces deux poètes. Remarquable déjà.

"Une voix un œuvre" est une des rubriques habituelles de la revue. Elle nous présente Les univers imaginaires de Matei Visniec, puis place au dossier La poésie et les assises du feu. Pierre Boujut et la tour de feu, présenté par Christophe Dauphin, accompagné par un poème de Claude Roy. Un panorama aussi bien historique que didactique, et de nombreux poèmes sont là pour accompagner le propos.

Les Hommes sans épaules n°51, Nouvelle série/premier semestre 2021, 350 pages, 17 euros.

Adrian Miatlev fait suite à Pierre Boujut. Dans un article "la mémoire, la poésie", Christophe Dauphin évoque la vie et le "feu" qui a tracé le chemin du poème pour cet homme dont l'œuvre est révélée par ces pages riches et denses.

Les articles ainsi que le dossier proposé dans ce numéro sont ponctués par des poèmes d'auteurs qui s'inscrivent dans la rubrique "Ainsi furent les WAH 1, 2, puis 3, car ces plages poétiques ponctuent le volume. Des auteurs comme  Alain Breton, Odile Conseil, Paul Roddie, Michel Lamart, Béatrice Pailler, Claire Boitel, Alain Brissiaud, Anne Barbusse, et d'autres,  enrichissent cette somme à chaque fois impressionnante. 350 pages pour ce n° 51, où le lecteur peut découvrir des auteurs, mais aussi parcourir des étendues immenses de poésie, de mondes poétiques, de lieux où se sont écrites les pages de l'histoire d'une littérature dont Les Hommes sans épaules témoignent tant il est vrai que cette revue est le lieu d'une parole exégétique sans pour autant perturber la réception des œuvres qui sont présentées par les propos qui guident la lecture plutôt qu'ils n'en restreignent la réception.

Des notes de lecture ainsi qu'une rubrique "Infos/echos" et "Tribune" viennent clore cet impressionnant volume.