Guillaume Métayer, Mains positives

Mains positives  est un livre de poésie et de délicatesse. L’auteur, Guillaume Métayer, est un traducteur prolixe et polyglotte. On lui doit entre autres la traduction complète des poèmes de Nietzsche, du  Verdict de Kafka… Il traduit, depuis le hongrois, des poètes et écrivains modernes et romantiques (Gyula Krúdy, Attila József, Sándor Petőfi…), mais aussi contemporains, comme István Kemény ;  des poètes slovènes, comme Aleš Šteger. De ce dernier, un article d’En attendant Nadeau a récemment présenté Au-delà du ciel sous la terre, traduit par : Guillaume Metayer. Il a consacré un livre à la traduction :  A comme Babel, qu’on peut lire avec bonheur comme des notes d’atelier. Il est aussi spécialiste de Voltaire, d’Anatole France, chercheur... et poète. 

C’est assez de classer mes papiers », écrit-il, ce qui donne le ton, l’un des multiples tons de ce livre.  Comme si la lecture critique tenait le milieu - entre éternité et classement - il faudrait  dire ici combien la traduction est au centre de son travail de poète ou comme ceux qu’il traduit influencent  ce qu’il écrit.  Plus simplement : un certain esprit de l’Europe centrale a forcément soufflé sur lui… ou de « lEurope, centrale », pour reprendre le titre de deux numéros de la revue Po&sie qu’il a dirigés.

Il est sûr en tous cas que l’humour de Dezsö Kosztolànyi a rencontré le sien ; l’humour, comme une échelle possible où se mesure le grand sérieux. De cet auteur hongrois, « Le contrôleur bulgare » ou  « Le traducteur cleptomane » sont, on en est sûr, deux nouvelles encourageantes et d’heureuses nouvelles, pour un lecteur traducteur, comme pour un qui ne l’est pas.

Un portrait de Guillaume Metayer en traducteur et une évocation de la poésie, comme essentielle traduction… si l’on continuait sur cette lancée, on en arriverait vite à cette chute ou ascension : qu’il soit poète. Or, il l’est, sans doute déjà  en ce que son livre redoute le cadre, le portrait, la définition de ce qu’est un poète. Un texte intitulé « rôle » le dit, transposé au théâtre. Comme dans un mauvais rêve, « je n’ai appris que mes répliques », écrit-il. « Je dépose délicatement mon manteau sur un fauteuil du premier rang, le long des leurs ( ceux de la metteuse en scène et de l’actrice), mon fantôme, et nous partons ». 

Guillaume Métayer, Mains positives, Éditions La rumeur libre, Février 2024. 104 pages. 17 euros.

Un danger est de « faire poète » au sens de ne pas l’être en le voulant trop ; simplement, en tenant le rôle. On voit même l’idéal virer au suicide. Imaginez :« Une vie soumise à l’anagramme ». La proposition se trouve dans un poème intitulé « Roulette ». Russe, bien sûr.

Mains positives est une suite de poèmes en prose. Dans ses deux précédents recueils, Guillaume Métayer écrivait en vers. « Faire n’est pas refaire ». Et le troisième est sans versification. Sauf que… l’on y retrouve des alexandrins clandestins, avec effet immédiat de souvenir. Et échange de bons procédés : dans le livre précédent, Libre jeu, la versification dépaysait le prosaïque. Imaginez un poème en vers intitulé « CIC », qui reprend « Ce sont souvent les actions / qui apportent le plus de satisfactions », auxquelles il oppose sa propre action. Dans ce recueil-ci, le vers, la cadence, le sens de la chute pour clôturer un texte ont le même effet de trouble. La prose et le vers ont trouvé d’autres placements.

Il y avait dans le précédent recueil des lieux de prédilection : rue, café, parc, toits… On les retrouve ici mais le temps a changé. Le temps qu’il fait  et le temps qui est. Le premier est à dominante grise ou brumeuse. D’ailleurs, « il y a rarement eu plus brume que moi », dit l’auteur. Le second, explicite  dans « Trotteuse », n’est pas celui qu’on croit. Certes, il est ce qui grise, au sens de ce qui vieillit :

Allongé aussi longtemps face au silence du plafond, le corps se jette dans la seule issue            
possible, la vieillesse. L’âme le suit comme son ombre et pour un peu on la verrait passer                     
comme un cambrioleur entre les deux fenêtres si au siècle dernier la radiographie avait              
mieux progressé.

 Mais le temps est aussi ce que dit le poème « Minute » :

Une minute peut durer soixante ans sous l’espèce d’une louche dans le bouillon. De grandes     
histoires d’amour tiennent en une minute.

La suite joue l’œil sur la soupe. Après un passage lyrique, rupture de ton :

Mais quand la minute a été bien étirée, c’est toujours la même histoire. L’élastique claque, la    
longue minute vous revient au nez.

 La dérision, la possible image clownesque rééquilibre et dégrise ; à plus forte raison, une possible auto-dérision le fait-elle. Une certaine légèreté est une réponse, parfois de sur-vie, parfois de vie ; une réponse authentique dans un contexte général hostile où il ne s’agit surtout pas de participer aux entreprises d’où «  on… sort plus gris ».

Le gris du temps météo et politique rencontre le gris de la vie amoureuse. Et Guillaume Metayer ne s’interdit pas de parler à la première personne, de s’adresser à une femme - rencontrée, ou/ et s’éloignant - : « Ne pose jamais sur nous ce beau sourire gris ». Le « tu » est aussi présent, qui   renvoie à un être aimé ou à soi-même dans un dialogue intérieur, comme dans « Chenil » où un moment de colère noire rencontre Juvénal et Anubis. La violence d’un moment passe par l’Antiquité et  disparaît sur ces mots : « fin de la version ».

 Il faut le dire, en pensant sans peser, le gris est celui du monde comme il va : « l’antivol au volant pourrait être à la gorge ». Ou encore, « on peut tuer quelqu’un en lui enfonçant un soufflet dans le coeur ». Ou : « il nous faudra bientôt importer autant d’armes que de douceurs. Introduire le droit de tirer à vue, pour protéger le sucre et augmenter la peur ». Mais, attention au survol, à un « bien-entendu » de connivence. «  Il ne s’agit pas de faire de l’air du temps une allusion ».

Une veine satirique traverse le livre, avec des formules saisissantes : « Certains assoient sur vos yeux leurs grosses fesses grises. Ils vous couvent, disent-ils… » ou encore « rien de tel pour bloquer une entrée qu’être le château gonflable ». Cours et courtisans sont toujours là. Et le poème est accessoire. « Mes poèmes ressemblent à des cravates » et la cravate est « tolérée uniquement chez quelques dignitaires du parti ».

Sur ce fond gris, il y a des retournements héroïques. Une lucidité propre au poème dégrise des crédos faussaires. Ainsi, sur un ton satirique - l’époque l’a bien cherché - :

Les scientifiques sont formels : il est possible de tout revoir passer, sans la moindre                   
nostalgie, dans un tout autre confort lin
éaire que la mort… 

Le poème conclut :

 Seules resteront douloureuses les arrivées et leurs chignons .

Les arrivées et les départs ont un rôle majeur. Cela donne le très beau poème « trains » et ce cadre, « la porte des trains ». « Les arrivées et leur chignons », c’est un enchaînement poétique, comme « chignon » est  une chaîne de montagnes. Un jardin, avec « le lent mouvement de taïchi », recueille les paroles de celle qui vient de s’éloigner et inspire cette conclusion :

 Je ne saurai jamais pourquoi choisir ces allées pour figurer un départ.

Répond au gris la joie possible. Il y a déjà de l’amusement à signaler quelques marottes et inventions de l’époque, à écrire un poème sur le « Dimsum », à  comprendre la playlist, où « le retour redevient départ » ; à  s’arrêter au jeûne, « grossesse messianique d’autrefois d’où tout à chacun peut renaître ». C’est un livre qui fait sourire et rire, ce qui ne peut être sans la peine : « au moment du chagrin l’oreille s’ouvre ». « Et le deuil (est) notre dictionnaire favori ». Un décalage très singulier, une sorte d’apparent mouvement de côté avant l’impact de l’émotion permet de regarder en face ce qui la provoque.

 Il y a une joie possible à voir les choses telles qu’elles sont. Comme dans ce très beau poème « Piscine » où l’on revient au sujet principal « Le temps qui passe dans les piscines n’est pas le même. »Et des rampes d’émotions : « la neige. Sa gangue fait date », la présence du passé, la force de « il y avait », l’enfance,  et le rappel du Temps qui joue en poussant des pions. On croise ici des jeux, le bonneteau, les cartes, le bréchet, et même le petit os de poulet en forme de Y, avec lequel on fait un vœu…Traversent aussi des éléments de conte.

On ne finira pas sans évoquer la rencontre poème-récit, une forme libre, une réussite, qui rebat les cartes et accueille la fantaisie. Deux exemples : le poème Her, avec sa trottinette connectée :

 Je l’appelai Her et elle me nommait early bird.

Et « Wishbone », où se raconte une guerre projetée sur la plage, pendant l’enfance. Une sorte de Guerre des boutons, avec des ennemis…

Mais au moment de ravager leur oasis de posidonies  et de barbelés, une voix nous arrêta,        
comme d’un décalogue.

 C’est la voix d’un pêcheur admiré, un malheureux… Convergent ici une expérience forte, une scène, un événement de son et de sens (impossibles à séparer) où condensent le mystère « les oasis de posidonies et de barbelés ».

Pour le poème aussi « le son est l’un des treuils des choses mais il n’est pas le seul ». Et la distance qu’il parcourt et révèle, il la voit à même les choses sensées rapprocher ; ainsi, le portable.

En m’étirant vers lui chaque matin j’approche la mesure du chagrin.

Le poème est la mesure vraie.

On terminera cette présentation trop sommaire, qui trace, incertain, un contour du livre, quand le poème, lui, est main positive, plein, plénitude… dans l’émotion d’un poème très singulier, intitulé « Aujourdhui (virgule) ». Il finit sur un deuil. Ce texte est une suite d’images, réelles et rêvées, sans séparation possible. Une suite de phrases comme des pièces d’or. Guillaume Métayer arrive à ce comble : une prouesse de formalisme - au lieu d’inscrire la ponctuation, il l’écrit en toutes lettres (point), (virgule) et cela fait un rythme -  et l’éclat du simple. Dans cette étrange Dictée ( d’école, de poésie),  il ne prononce pas et cependant dit  « point final » comme jamais on ne le fit entendre.

 

 

Armelle Cloarec

Présentation de l’auteur

Guillaume Métayer

Né à Paris en 1972, Guillaume Métayer est chercheur au CNRS, traducteur et poète. À côté de poèmes (notamment Libre jeu, Caractères, 2017, préface de Michel Deguy), et d’essais critiques (tels que Nietzsche et Voltaire, Flammarion, 2011 ; ou, sur la traduction, A comme Babel, préface de Marc de Launay, La Rumeur libre, 2020), il traduit du hongrois, tant les poètes et écrivains contemporains (István Kemény, Krisztina Tóth…) que modernes et romantiques (Gyula Krúdy, Attila József, Sándor Petőfi…), ainsi que de l’allemand (Poèmes complets de Nietzsche, Les Belles lettres, 2019 ; Kafka ; poésie contemporaine autrichienne) et du slovène (Aleš Šteger). Il est membre du comité de rédaction des revues Po&Sie et Place de la Sorbonne et anime un atelier d'écriture poétique à Sorbonne université.

Photo © Gyula Czimbal.

Bibliographie

poésie

  • Fugues, Aumage, 2002.
  • Libre jeu, préface de Michel Deguy, Caractères, 2017.

essais

  • Nietzsche et Voltaire. De la liberté de l’esprit et de la civilisation, préface de Marc Fumaroli, Flammarion, 2011, Prix Émile Perreau-Saussine.
  • Anatole France et le nationalisme littéraire. Scepticisme et tradition, Le Félin, 2011, Prix Henri de Régnier de l'Académie française, Prix de l'essai de la Revue des Deux Mondes.
  • A comme Babel. Traduction, poétique, préface de Marc de Launay, La rumeur libre Éditions, 2020.

choix de traductions

du hongrois

  • István Kemény, Deux fois deux, Caractères, 2008, Prix Bagarry-Karátson de traduction du hongrois.
  • Attila József, Ni père ni mère, Sillage, 2010.
  • Sándor Petőfi, Nuages, Sillage, 2013.
  • Gyula Krúdy, Le Coq de Madame Cléophas, avec Paul-Victor Desarbres, Circé, 2013.
  • Krisztina Tóth, Code-barres, Gallimard, "Du monde entier", 2014.
  • Budapest 1956. La révolution vue par les écrivains hongrois (dir.), Le Félin, 2016.
  • János Garay, Háry János, le vétéran, préface de Karol Beffa, Le Félin, 2018.

de l’allemand

  • Franz Kafka, Le Verdict, Sillage, 2011.
  • Friedrich Nietzsche, Poèmes complets, Les Belles lettres, 2019.
  • Andreas Unterweger, Poèmes, avec Laurent Cassagnau, Printemps des poètes & La Traductière, 2019.
  • Ágnes Heller, La Valeur du hasard. Ma vie, éd. G. Hauptfeld, Rivages, 2020.

du slovène

  • Aleš Šteger, Le Livre des choses, avec Mathias Rambaud, Circé, 2017.

bande dessinée

  • Ravel, un imaginaire musical, avec Karol Beffa et Aleksi Cavaillez, Seuil-Delcourt, 2019.

éditions de textes & préfaces

  • Anatole France, Le Livre de mon ami, Rivages, 2013.
  • Bernardin de Saint-Pierre, Éloge historique et philosophique de mon ami, Rivages, 2014.
  • Balzac, Stahl [Hetzel], Nodier, Scènes de la vie privée et publique des animaux, Rivages, 2017.
  • Friedrich Nietzsche, Hymne à l’amitié, traduit par N. Waquet, Rivages, 2019.

Autres lectures

A comme Babel

A comme Babel est un ouvrage tout à fait réjouissant, par la profondeur de sa réflexion à la liberté rhizomique, qui nous mène comme son titre l’indique d’une lettre de l’alphabet, en l’occurrence celle [...]

Guillaume Métayer, Mains positives

Mains positives  est un livre de poésie et de délicatesse. L’auteur, Guillaume Métayer, est un traducteur prolixe et polyglotte. On lui doit entre autres la traduction complète des poèmes de Nietzsche, du  Verdict [...]




Cécile Guivarch, Si elles s’envolent

L'auteure de ces beaux livres de mémoire ("Renée en elle", "Sans Abuelo Petite", "Cent au printemps", "Sa mémoire m'aime") prolonge sa réflexion humaniste avec ce bouquet de textes adressés à ses mère, grand-mère, grand-tante, aux poètes (Marina Tsvetaeva), aux vedettes de l'écran (Marilyne, Brigitte, Françoise, Simone) et à toutes ces femmes qui ont tant oeuvré pour que leur sort soit moins funeste.

On retrouve la grâce, la finesse, et l'empathie de la poète qui sait si bien parler du temps révolu, de toutes les tâches ingrates, de tous ces corps appelés à travailler sans peur de suer ni de courber le corps sous la peine.

En brèves inflexions, sous la bannière de Denise Desautels ou de Denise Le Dantec, Cécile honore le labeur sous toutes ses formes, au temps où les moissons se faisaient à la main, et "recommençaient chaque printemps/ les mêmes gestes d'élan et de coeur", quand "c'était dur" de vivre, de travailler, femmes ou hommes même combat.

"Ma grand-mère comptait ses couches/ comme un oignon" : que de lessive à couler en rivière, que de linge à curer au soleil pour qu'il soit plus blanc.

Les usages du temps, les affres du corps, la splendide mémoire des corps : tout ici relève d'une ethnographie singulière, menée par une poète qui ne fait pas fi de ce qu'elle a vu des anciens, mais en garde rigoureusement les traces.

D'ailleurs, elle se niche, petite, dans certains fragments : "mes jambes comme des ailes/ j'avale le vent bouche ouverte" (p.18).

Cécile Guivarch, Si elles s'envolent, éd. Au Salvart, 2024, 74 p., 12 euros.

L'écriture fluide, nerveuse, qui ne s'embarrasse pas d'images, retrace avec force la période ("ce village sous Franco/ cinquante ans en arrière") .

Un très beau livre.

Présentation de l’auteur

Cécile Guivarch

Cécile Guivarch est franco-espagnole, née près de Rouen en 1976. Elle vit actuellement à Nantes où elle anime le site de poésie contemporaine Terre à Ciel.

Bibliographie

Prix Yves Cosson 2017 pour l’ensemble de l’œuvre

  • Terre à ciels, Les Carnets du Dessert de Lune, 2006
  • Planche en bois, Contre-Allées, Poètes au potager, 2007
  • Te visite le monde, Les Carnets du Dessert de Lune, 2009
  • Coups portés, Publie.net, 2009
  • La petite qu’ils disaient, Contre-Allées, Collection Lampe de poche, 2011
  • Le cri des mères, La Porte, 2012
  • Un petit peu d’herbes et des bruits d’amour, L’Arbre à paroles, 2013
  • Vous êtes mes aïeux, éditions Henry, 2014
  • Du soleil dans les orteils, La Porte, 2013
  • Regarde comme elle est belle, Le petit flou, 2014
  • Le bruit des abeilles, La Porte, 2014 (avec Valérie Canat de Chizy)
  • Gestes printaniers / Xestos primaverais, Amastra-n-gallar, 2014 (traduction Emilio Araúxo)
  • Felos au galop / Felos ao galop, Amastra-n-gallar, 2014 (traduction Emilio Araúxo)
  • Renée, en elle, éditions Henry, 2015
  • S’il existe des fleurs, L’Arbre à paroles, 2015, prix des collégiens Poesyvelynes 2017
  • Sans Abuelo Petite, Les Carnets du Dessert de Lune, 2017
  • Cent au printemps, Les cahiers du loup bleu, Les lieux dits éditions, 2021
  • C’est tout pour aujourd’hui, La tête à l’envers, 2021, Sélection Prix francophone international du Festival de la poésie de Montréal 2022
  • Tourner rond, Petit Va !, Centre culturel de la poésie jeunesse Tinqueux, 2023
  • Sa mémoire m’aime, Les carnets du dessert de lune, 2023
  • Partir, L'atelier des Noyers, 2023

Participation à des anthologies et recueils collectifs :

  • Avec tes yeux, éditions en forêt, em verlag
  • La fête de la vie n°5, éditions en forêt, em verlag
  • Creuser les voix, éditions Samizdat, 2012
  • Métissage, L’arbre à paroles, 2012
  • Momento nudo, L’arbre à paroles, 2013
  • DUOS – 118 jeunes poètes de langue française né.e.s à partir du 1970,
    Anthologie dirigée par Lydia PADELLEC, Bacchanales, 2018
  • Sidérer le silence – poésie en exil, dirigée par Laurent Grison, éditions Henry, 2018
  • La Beauté - Éphéméride poétique pour chanter la vie, Editions Bruno Doucey, 2019
  • Le Système poétique des éléments, 118 poètes, éditions invenit, 2019
  • Polyphonie pour Antoine Emaz, Hors série 2019 N 47 Revue de poésie, 2019
  • Nous, avec le poème comme seul courage – 84 poètes d’aujourd’hui, éditions Le Castor Astral, 2020
  • Le désir en nous comme un défi au monde – 94 poètes d’aujourd’hui, éditions Le Castor Astral, 2021
  • Quelque part, le feu, éditions Henry, 2023

Autres lectures

Cécile Guivarch, Renée en elle

« Renée, mon aïeule », ce sont les premiers mots du récit bouleversant que nous livre Cécile Guivarch et déjà avec ce titre Renée, en elle, toute la présence puissante de cette aïeule dans le corps [...]

Le prix Yves Cosson 2017 : Cécile Guivarch

La rencontre de Cécile Guivarch avec l’écriture du poète argentin Roberto Juarroz a été fondamentale, ce fut pour elle la découverte de la poésie contemporaine facilitée ensuite grâce à des sites comme celui [...]

Cécile Guivarch, Sans abuelo Petite

Cécile Guivarch dans nombre de ses recueils creuse la question de la lignée, des transmissions d’une génération à la suivante. Comment existe-t-on dans ce mouvement ? Comment à partir des absences ,des silences,  des [...]

Cécile Guivarch, Cent ans au printemps

Se souvenir nous met au monde Pour Cécile Guivarch Comment garder ceux qui partent à jamais, si ce n’est en voyageant encore avec eux, les invisibles, dans « la barque » des [...]

Cécile Guivarch, Cent ans au printemps

C’est presque rien. Pendant trente pages, avancer la main dans la main de Dédé Guivarch, ou plutôt : Grand-père marche vers moi me cueillir dans le verger C’est son souvenir [...]

Cécile Guivarch, Sa mémoire m’aime

Le livre, de totale empathie, eût pu s’intituler « Le livre de ma mère » car ici respire l’hommage d’une fille à sa mère, dont l’attachement précieux a subi, en fin de parcours, le travail [...]

Rencontre avec Cécile Guivarch : De la terre au ciel

Cécile Guivarch est poète, et créatrice d'une revue de poésie incontournable, qu'elle diffuse généreusement, et où elle crée le lieu d'u. travail pluriel, et de publications ouvertes à de multiples voix, Terre à [...]




Danielle Terrien, L’âge du regard, dessin de Marie Alloy

J’aime en ce moments les formes courtes. Foin des bavardages enthousiastes, des fastidieuses illuminations toujours entachées de bondieuseries, des élans qui s’évaporent dans le firmament.

J’aime que chaque mot compte, que chacun d’entre eux soit un objet de méditation. Voilà pourquoi, d’abord, j’aime L’âge du regard de Danielle Terrien. Dans ce poème elle file en sourdine la métaphore d’un mythe ancien. Voilà ce qu’elle nous propose :

Lire entre les lignes
Voir dans les silences :
Entendre sa voix

Tel est son art poétique, qui nous invite à sous-entendre. Donc entre les lignes je lis :

Danielle Terrien, L’âge du regard, dessin de Marie Alloy, Cahiers du Loup bleu, éd. Les Lieux-Dits, 2024, 7 €.

Dans une première partie titrée Infinitifs, qui est une scène d’exposition, Thésée tue le Minotaure dont le sang colore la mer, il s’embarque, délaissant Ariane qui l’avait par amour guidé dans le labyrinthe.

Dans la partie L’âge du regard 1, le Minotaure est amoureux de la voix d’Ariane, Thésée tient son fil entre ses doigts.

Dans la partie L’âge du regard 2 : le Minotaure pleure l’amour d’Ariane, il sait que Thésée au beau visage le vaincra, il l’accepte, lui qui souffre de sa bestialité...

… Mais voilà que je tente de pister, à la manière de Charles Mauron, les métaphores obsédantes de l’auteure au lieu de laisser agir sur moi le poème… serai-je atteint du mal universitaire ? Ou d’une curiosité malsaine qui me conduirait à interroger Danielle Terrien : quelle est cette histoire d’amour impossible ? Cet amant bestial sacrifié ? Ce beau ténébreux volage ? Cette Ariane abandonnée ? Quel événement est à la source du drame ? Qui furent les protagonistes anciens qui, tels Pasiphaé et le taureau blanc, pratiquèrent un monstrueux accouplement ?

…  au lieu de laisser agir sur moi le mystère du poème, alors que  c’est ce mystère qui m’a attaché à sa lecture. Qu’on en juge, s’il vous est possible de capter l’impalpable :  

1

Rouge
le sang
éclabousse le bleu
jusqu’au lointain rivage.

2

Remontant les marches 
brûlées de soleil
le sacrifice
encore visible
dans les vagues.

Tout est dit, comme rien. Tout est vu, perçues les couleurs, la chaleur, les vagues… Leur présence reste intacte, brute, hors du temps. Tel est le miracle du poème, qui parfois oublie la gratuité du signe (puisqu’on sait que le mot ne réfère pas à la chose dé-signée). Qui serait comme une pierre remontée du noyau d’une terre :

Mourir encore une fois
afin que l’écrit vive.
Écrin granitique
surgi du souterrain.

Je pourrais répéter le poème en entier, comme si le dire et le redire renouvelait à chaque fois le miracle.  

Présentation de l’auteur

Danielle Terrien

Danielle Terrien est auteure et poète, docteur en littérature française. 

© Crédits photos ens

Bibliographie 

Auteure d'une thèse sur Victor Segalen (Le Double dans l'oeuvre de Victor Segalen, sous la direction de Mireille Sacotte, Paris, 2000), écrivain auquel elle a consacré plusieurs articles ("Victor Segalen, journal de voyage et avant-texte", 2006) ou encore Genèse du poème « Trahison fidèle » dans Stèles de Victor Segalen, avec Jean-Jacques Queloz (2014), elle est également poète. Elle a commencé à publier en 1993 dans la revue La Sape puis dans d'autres revues ( Le Cri d'Os, Décharge, Les Nouveaux Cahiers de l'Adour, Encres Vives, Arpa, Le Matin Déboutonné, Poésie/première, Le Journal des Poètes, Liqueur 44, Voix d'Encre ainsi que Lieux d'Être). Elle a notamment publié Poèmes à l'Incertaine (Encres Vives, 1999), Les voies de l'Incertaine (La Bartavelle, 2001), L'éclat du papillon (Pré # Carré, 2006), Bleu (La Porte, 2007), Neuvième couleur (La Porte, 2009), Portrait ovale (La Porte, 2010), Traces vertes (Ficelle, 2010).

Poèmes choisis

Autres lectures




Antonia Pozzi, Un fabuleux silence

 Voix majeure de la poésie italienne, Antonia Pozzi (1933-1938) est aujourd’hui publiée intégralement en France grâce à une traduction de Thierry Gillyboeuf chez l’éditeur Arfuyen. Voici après La vie rêvée (Arfuyen, 2016), la deuxième partie de son Journal de poésie, publiée sous le titre Un fabuleux silence et couvrant la période 1929-1935.

Si l’on devait résumer en deux mots le contenu de l’œuvre poétique d’Antonia Pozzi, on dirait « Montagne » et « Amour » (mais un amour désespéré). La montagne parce que la poétesse italienne lui a voué un véritable culte. Fidélité à l’enfance, elle qui connut ses premiers émois d’alpiniste à partir du village de Pasturo, dans la vallée de Valsassina, non loin du lac de Côme, où sa famille avait une résidence. On la découvre ainsi, dans ses poèmes, ardente arpenteuse des Dolomites où elle trouve un véritable refuge spirituel. « Oh ! Les montagnes/ombres de géants, / comme elles oppriment/mon petit cœur ».

La montagne, donc, mais aussi l’amour (coup de foudre) qu’elle portera très tôt – elle n’avait que 15 ans – à son professeur de latin et de grec, Antonio Cervi, de quatorze ans son aîné. La liaison prendra fin en 1934 sous les coups de boutoir d’une famille peu disposée à accepter ce genre de liaison. « Tu étais le ciel en moi/le grand soleil qui transforme/en feuilles transparentes les mottes de terre », écrit Antonia Pozzi dans un poème du 11 novembre 1933. « Je ne verrai donc plus jamais tes yeux/purs comme je les vis/le premier soir, blonds/comme des cheveux – et clairs/comme de faibles lampes ».

Ce chagrin amoureux sera-t-il à l’origine de sa tentative de suicide par barbituriques les 2 décembre 1938 ? On peut le penser quand on la découvrit inconsciente dans un fossé de la banlieue de Milan. Elle devait mourir le lendemain et fut enterrée dans le petit cimetière de Pasturo.

Antonia Pozzi, Un fabuleux silence, Journal de poésie, 1933-1938, édition bilingue, Arfuyen, 275 pages, 22 euros.

En présentant ce Journal de poésie d’Antonia Pozzi, Thierry Gilliboeuf fait opportunément le lien entre cet amour contrarié et l’appétit qu’elle avait pour les versants abrupts. « Antonia Pozzi, écrit-il, avait fait de la montagne un refuge spirituel où il lui était possible de s’affranchit d’un monde où la place qu’elle recherchait lui était toujours refusée ».

Des poètes italiens, parmi les plus grands, et notamment Vittorio Sereni et Eugenio Montale ne manqueront pas de souligner la force et l’originalité d’une œuvre placée sous le signe de la limpidité, de la pureté et probité d’esprit.

Présentation de l’auteur

Antonia Pozzi

Antonia Pozzi est une poétesse italienne  morte prématurément à l'âge de 26 ans. Elle a laissé une oeuvre considérable dont la publication posthume a été saluée par  Vittorio Sereni, Eugenio Montale, T. S. Eliot... 

Bibliographie 

  • Parole. Liriche, avv. Roberto Pozzi, Mondadori, Milan, 1939.
  • Flaubert. La formazione letteraria (1830-1856), Garzanti, Milan, 1940.
  • Parole. Diario di poesia 1930-1938, Mondadori, Milan, 1943.
  • Parole. Diario di poesia, préface Eugenio Montale, Mondadori, Milan, 1948.
  • La vita sognata e altre poesie inedite, Scheiwiller, Milan, 1986.
  • Diari, Scheiwiller, Milan, 1988.
  • Parole, Garzanti, Milan, 1989.
  • La giovinezza che non trova scampo: poesie e lettere degli anni trenta (Antonia Pozzi – Vittorio Sereni), Scheiwiller, Milan, 1995.
  • L’età delle parole è finita: lettere 1923-1938, Archinto, Milan, 2002.
  • Poesia, mi confesso con te: ultime poesie inedite (1929-1933), Viennepierre, Milan, 2004.
  • Epistolario (1933-1938) (Antonia Pozzi – Tullio Gadenz), Viennepierre, Milan, 2008.
  • Flaubert negli anni della sua formazione letteraria (1830-1856), a cura di Matteo M. Vecchio, bibliografia ragionata a cura di Chiara Pasetti, Torino, Ananke, 2013.
  • Ti scrivo dal mio vecchio tavolo : lettere 1919-1938, Àncora, Milan, 2014.
  • Nel prato azzurro del cielo, a cura di Teresa Porcella, illustrazioni di Gioia Marchegiani, Firenze, Motta Junior, 2015.
  • Parole. Tutte le poesie, a cura di Graziella Bernabò e Onorina Dino, Milano, Àncora, 2015.
  • Le mimose di Antonia, Milano, Àncora, 2016.
  • Nei sogni bisogna crederci, Napoli, Paolo Loffredo, 2016.
  • Mia vita cara. Cento poesie d'amore e silenzio, a cura di Elisa Ruotolo, Latiano (BR), Interno Poesia, 2019.

Traductions en langue française

  • La Route du mourir, trad. et préface de Patrick Reumaux, Librairie Élisabeth Brunet, Rouen, 2009 (édition bilingue)4.
  • « Mots » d’Antonia Pozzi, éditeur Laura Oliva, traduction et notes par Ettore Labbate. L. E. I. A, vol. 16, Peter Lang SA, Bern, 2010.
  • Antonia Pozzi, La Vie rêvée, Journal de poésie 1929-1933, traduit de l’italien et présenté par Thierry Gillybœuf, Éditions Arfuyen, coll. "Neige", Paris-Orbey, 2016.
  • Antonia Pozzi, Une vie irrémédiable, Introduction et notes de Matteo Mario Vecchio, traduction de Camilla Maria Cederna, Éditions Laborintus, Lille, 2018.

Poèmes choisis

Autres lectures

Antonia Pozzi, Un fabuleux silence

 Voix majeure de la poésie italienne, Antonia Pozzi (1933-1938) est aujourd’hui publiée intégralement en France grâce à une traduction de Thierry Gillyboeuf chez l’éditeur Arfuyen. Voici après La vie rêvée (Arfuyen, 2016), la [...]




Claudine Bohi, Je cherche un enfant

Que penser des sociétés dont les structures sociales, qu’elles soient économiques, culturelles, ou encore religieuses, permettent que soient maltraités les enfants ? Je laisse la question en suspens et je reviens sur la première page du livre écrit par Claudine Bohi que les peintures sensibles de Germain Roesz accompagnent en proposant des images où l’on retrouve l’enfance, ses couleurs, mais aussi des nuages pleins de neige. 

Je lis : « Je marche dans la neige et je cherche un enfant ». On le sait, la neige revient souvent dans les écrits de Claudine Bohi. On se souvient de Une saison de neige avec thé, (paru aux Éditions Le Dé bleu), on se souvient surtout de L’Enfant de neige, paru en 2020 aux éditions L'herbe qui tremble. Encore une fois Claudine Bohi fait appel à la neige, matière blanche virginale, symbole de candeur, mais qui recouvre, enfouit, cache, et bien que substance capable de faire isolant, elle est froide, humide, elle est aussi linceul, drap d’hôpital. Pourtant on peut aussi imaginer la neige comme une page blanche où les empreintes de pas de l’autrice font figure de mots et finissent par inviter à lire une parole.

Claudine Bohi, Je cherche un enfant, éditions les Lieux Dits-collection bas de page. Peintures de Germain Roesz.

Et pourquoi chercher un enfant ? Quel enfant ? N’importe lequel ? Celui que nous avons été et qui continue de vivre en nous ? Celui que nous avons trahi ? Celui que nous avons accompagné en tant que parents ? Celui qu’on nous a confié à l’école ? En colonie de vacances ? En crèche, en garderie ? Celui avec lequel nous avons parfois tant de mal à nous connecter une fois arrivés à l’âge dit adulte, un âge qui nous fait traverser quelques drames personnels inévitables, sinon des drames collectifs. « Les guerres rassemblent leurs petits dans la même douleur » nous rappelle Claudine Bohi. Et immédiatement surgies de nos mémoires les images d’enfants déportés, envoyés dans des pensionnats pour amérindiens, poussés sur les routes de l’exil pour échapper à un génocide,  ou encore à Auschwitz … ceux qui étaient dirigés vers la chambre à gaz traversaient une étendue de neige … neige de cendres et de flocons mêlés. Claudine Bohi ne veut pas, ne peut pas oublier combien d’enfants ont souffert, souffrent, lors des conflits auxquels ils ne comprennent rien, et puis jusqu’à quel point un enfant peut vivre dans la peur, la terreur, le traumatisme et l’incompréhension ? Quelles sociétés sont donc celles qui ne sont pas capables de protéger leurs enfants ? Qui sont capables de sacrifier les enfants au nom d’une raison d’état, au nom d’un dieu, au nom de la loi du plus fort, au nom du patriarcat, au nom d’une supposée loi naturelle … ?

« Je cherche un enfant brisé » écrit Claudine Bohi comme une évidence, comme si on en venait toujours à cette conclusion qui rebondit à la page suivante : « je cherche un enfant tout au fond de moi-même ». Un enfant dans le sombre, où il se cache, où il se terre. Mais il a laissé des empreintes dans la neige, figure de son innocence violée, cette enfant excisée, mariée de force, cet enfant universellement perdu que la vie, comme on dit, que le pouvoir mal exercé devrait-on dire, jette sur les routes de l’exil, dans le champ de tir de snippers ou de canons ou de bombes, sur des embarcations de fortune, pour finir noyé, échoué sur des plages en pays étranger qui n’accueille pas, qui rejette, qui enferme en des centres de rétention qui n’ont rien à voir avec une résidence secondaire. Claudine Bohi amorce cette marche dans la neige sur la page afin de secourir toutes les petites filles et les petits garçons aux allumettes du monde qui « tremblent » à cause du manquement de tous et de chacun, trop faible, trop lâche, trop perdu, trop indifférent, trop égoïste ou hypocrite, trop cynique et Claudine Bohi le dit bien : « personne n’est innocent ». Au final, c’est une multitude d’enfants, de petits Mozart qu’on assassine. Il faudrait se souvenir et citer leurs noms, petits martyrs de la folie ou de la perversion des humains incapables de construire un monde où les enfants ne seraient plus les victimes d’adultes inconscients ou indifférents au mal qu’ils font, et qu’ils se font parfois aussi, en ne voyant pas comme ils compromettent leur propre bonheur en refusant aux enfants leur droit à l’insouciance, à l’amour et à la protection. Aucun espoir n’est possible s’il n’y a pas d’espoir en nos enfants, il n’y a d’espoir qu’en la lumière de leurs yeux quand ils sont heureux.

Un « petit » livre discret mais fort comme c’est toujours le cas des livres de Claudine Bohi, un livre qui résonne avec l’actualité la plus récente et le lecteur ne peut faire à la fin qu’un seul constat : l’humanité a-t-elle vraiment fait des progrès en matière de bien-être de ses jeunes ?

Présentation de l’auteur

Claudine Bohi

 Claudine BOHI vit entre Paris, Strasbourg et St Pierre des champs. Elle est agrégée de lettres et poète. Elle a publié une trentaine de recueils, elle participe à de nombreuses revues françaises et étrangères, figure dans plusieurs anthologies. Elle collabore à de nombreux livres d’artistes, est traduite en plusieurs langues. Certains de ses textes ont donné lieu à des compositions musicales.  Elle dirige actuellement la collection 2Rives aux éditions Les lieux dits. Elle est membre du jury des prix Mallarmé et Louis Guillaume. Elle est membre du conseil d’administration de la maison de poésie de Paris.

Elle a reçu les prix Verlaine, Aliénor, Georges Perros et le prix Mallarmé en 2019.

Bibliographie 

Dernières publications : Un père (Les lieux dits 2021), Regarde, avec Anne Slacik (coéditions l’herbe qui tremble et Papiers d’Art) 2022, Un couteau dans la tête,  éditions l’herbe qui tremble 2022, Parfois l’un d’entre nous,  L’herbe qui tremble, 2023.

Autres lectures

Claudine Bohi, L’Enfant de neige

Le dernier recueil de Claudine Bohi, lauréate en 2019 du Prix Mallarmé, est illustré  par sept magnifiques peintures aériennes d’Anne Slacik dont la couverture elle-même. Le blanc, mêlé à des variations de bleu et [...]

La minute lecture, Claudine Bohi, Un père

Entre le questionnement et l’appel, Claudine Bohi signe dans la délicate collection du Loup bleu un bouleversant poème, une chanson lancinante et pudique en mémoire de son père. Comme [...]

Claudine Bohi et Anne Slacik, Regarde

C’est lors d’une visite d’une exposition des œuvres d’Anne Slacik qu’ « un certain bleu », nous dit la poète, « a foudroyé en moi toute résistance. / Très vite, une parole est venue, une sorte [...]

Claudine Bohi, Un couteau dans la tête

Pour ce 31e recueil, la poète s'est jetée coeur et âme dans la déchirure incommensurable des familles qui ont connu la perte, l'absence, la séparation, à cause de l'effroyable guerre, à cause de [...]

Claudine Bohi, Je cherche un enfant

Que penser des sociétés dont les structures sociales, qu’elles soient économiques, culturelles, ou encore religieuses, permettent que soient maltraités les enfants ? Je laisse la question en suspens et je reviens sur la [...]




Etienne Paulin, Le Bourriquet Vlan-Vlan, Jacques Reda, Le Trot-du-renard

Les étoiles filées d'Etienne Paulin

Entre passagers et passages du destin. L'auteur parle au besoin de dorures et de malfaçons et il est avant tout manique avec un accent aigu moins de la dérision sue l'humour sous cape.

Par exemple un arbitre a quittté le rectangle vert pour des monuments funéraires. Le réel a battu les cartes, de l'arènevtant il a perdu et vigueur et audace. Pour autant les natures dites mortes sont rares dans ce livre là où des versions voire même par défaut sont emportés sous un swing qui devient le vecteur d’harmonie d’un ensemble a priori disparate.
Un tel opus ne peut pas laisser indifférent : un tel voyage vaut le détour. Il est euphorisant et paradoxal par rapport à la poésie banale et vade mucum. Un tel style est impeccable et fait d'un tel oiuvrage un véritable ovni.
A partir de l'orange jusqu’àu canasson repus dans un pré mousseux (de peinture) tout devient double, euphorisant. Même l'absence au besoin prend une réalité. D'autant que des choses et être vus Etienne Paulin tranche et qui plus est étonne. 
Tout idée, après tout de ce qui pourrait rester des procès verbaux sont rafistolés au fil d’où de l'imaginaire. Bref ici nous touchons du doigt le réel différemment. Quitte à le coincer dans une bielle a&vant qu'avec les autres il peut préparer des gaufres à fon marin quitte à les transformer en contes ou odes.
Le réel est donc toujours en fuite, mais ici il n'est jamais dans le silence et ne connaît pas les vacances. Pas plus qu'un tel auteur connaisse ne l'oubli. Il a dû apprendre la musique. Pas n'importe laquelle : celle du verbe là où l'existant (même mort) n'est jamais émondé .
Etienne Paulin, Le Bourriquet Vlan-Vlan, Les écrits du Nord, Editions Henry, 2024, 80 p., 13 €.

∗∗∗

Jacques Reda en derviche

Surprise : Jacques Réda joue ici le mélomane là où, et pour cause, la question du rythme est essentielle. Elle ne se limite pas ici à la musique classique et officiel. Pour preuve – et non ici sans ironie (dont l’auteur est spécialiste) - : le Trot-du-Renard.

Il garde encore son importance puisque saisissant l’opportunité de nous rappeler que la Terre, sphérique et tournoyante, il  "n’en est pas moins comme un boulevard, certes accidenté, qui se déroule plutôt sous nos jambes et n’a d’autre fin brutale que notre propre épuisement". 
 
D’autant que, plus généralement, la valse est une preuve et une démonstration. Avec elle  « nous vivions dans une immense salle de bal où la Gravité fait en effet valser toute une population de corps célestes et autres, étroitement enlacés ». Dès lors et ici le rythme est cosmique. Selon Réda il dirige tout :  des atomes aux grandes figures astrales. Bref le mouvement de l’univers est une scansion. 
Dès lors our les bipèdes terrestres que sont les hommes, la danse, profane ou religieuse qui est célébré et libère les corps. Du  fox-trot du Jazz, des envolées de la valse, des acrobaties du Hip-hop et des cadences battantes du Rock, Réda rappelle que comparables aux vers des poètes, la danse reste de l’ordre du sacré là où dans de tels rites l’élémentaire et le naturel sont restés toujours présents et évolutifs. Face au progrès scientifique et aux hauts rendements des êtres, sous chacun de leur pas se révèle un principe premier et absolu  de l’existence.
Il y a là pourtant un véritable retour au premiers temps selon une ironie et une virtuosité exceptionnelle. L’auteur fait resurgir de manière volcanique, ample et dérisoire au sein des danses une approche aussi imprévue, drôle que sublime. Une nouvelle aventure poétique recommence avec lui.

Jacques Réda, Le Trot-du-renard, Fata-Morgana, Fontfroide le Haut, 2024, 64 p., 16 €.

Présentation de l’auteur

Jacques Réda

Jacques Réda est poète, auteur de récits en prose, éditeur et chroniqueur de jazz. Passionné en effet de jazz, il découvre cette musique, adolescent, à la radio.  Membre du comité de lecture des éditions Gallimard, il collabore régulièrement avec Jazz Magazine depuis 1963, et a été directeur de la NRF (Nouvelle Revue Française) de 1987 à 1995.

© Crédits photos Christophe Maout

Bibliographie

Prix

  • 1970 : prix Broquette-Gonin (littérature) de l’Académie française pour l'ensemble de son œuvre poétique.
  • 1983 : prix Valery-Larbaud pour l'ensemble de son œuvre.
  • 1983 : prix François Coppée de l’Académie française pour Hors les murs... de Paris
  • 1988 : grand prix de poésie de la SGDL (Société des gens de lettres) pour l'ensemble de son œuvre.
  • 1995 : prix Maïse Ploquin-Caunan de l’Académie française pour L’Incorrigible
  • 1997 : grand prix de poésie de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre.
  • 1999 : prix Goncourt de la poésie.
  • 2013 : prix Roger-Kowalski-grand prix de poésie de la ville de Lyon.
  • 2019 : prix Roger-Caillois.

Œuvres

  • Les Inconvénients du métier8, Proses, Paris, Seghers, 1952.
  • All Stars8, Poèmes, Paris, René Debresse, 1953.
  • Cendres chaudes8, Poèmes, La Rochelle, Librairie Les Lettres, 1955.
  • Laboureur du silence8, Poèmes, Vitry-sur-Seine, Cahiers Rochefort, 1955.
  • Le Mai sombre8, Poèmes, Luxembourg, Origine, 1968.
  • Amen, Paris, Gallimard, coll. « Le Chemin », 1968.
  • Récitatif, Paris, Gallimard, coll. « Le Chemin », 1970.
  • La Tourne, Paris, Gallimard, coll. « Le Chemin », 1975.
  • Les Ruines de Paris, Paris, Gallimard, coll. « Le Chemin », 1977.
  • L’Improviste, une lecture du jazz, Paris, Gallimard, coll. « Le Chemin », 1980.
  • Anthologie des musiciens de jazz, Paris, Stock, 1981.
  • P.L.M. et autres textes, Cognac, Le Temps qu’il fait, 1982.
  • Hors les murs, Paris, Gallimard, coll. « Le Chemin », 1982.
  • Gares et trains, A.C.E., coll. « Le Piéton de Paris », 1983.
  • Le bitume est exquis, Fata Morgana, 1984.
  • L’Herbe des talus, Gallimard, coll. « Le Chemin », 1984 (reprend les textes de P.L.M. et autres textes, 1982).
  • « Le XVe magique » in Montparnasse, Vaugirard, Grenelle, photographies de Bernard Tardien et Pierre Pitrou, Fanlac, 1984.
  • Celle qui vient à pas légers, Montpellier, Fata Morgana, 1985.
  • Beauté suburbaine, Fanlac, 1985.
  • Jouer le jeu (L’Improviste II), Paris, Gallimard, coll. « Le Chemin », 1985.
  • Premier livre de reconnaissances, Montpellier, Fata Morgana, 1985.
  • Châteaux des courants d’air, Proses et poèmes, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1986.
  • Un Voyage aux sources de la Seine, Fata Morgana, 1987, 88 p.
  • Album de la Pléiade : Maupassant, bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard, 1987.
  • Recommandations aux promeneurs, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1988.
  • Ferveurs de Borges, Montpellier, Fata Morgana, 1988.
  • Un paradis d’oiseaux, Montpellier, Fata Morgana, 1988.
  • Retour au calme, Paris, Gallimard, 1989.
  • Le Sens de la marche, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1990.
  • L’Improviste, une lecture du jazz, édition revue et définitive, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1990.
  • Sonnets dublinois, Montpellier, Fata Morgana, 1990.
  • Canal du Centre, Poème, Montpellier, Fata Morgana, 1990.
  • Affranchissons-nous, Montpellier, Fata Morgana, 1990.
  • Lettres sur l’univers et autres discours en vers français, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1991.
  • Aller aux mirabelles, Gallimard, coll. « L’un et l’autre », 1991.
  • Un calendrier élégiaque, illustrations de Nicolas Alquin, Montpellier, Fata Morgana, 1991.
  • Nouveau livre des reconnaissances, Montpellier, Fata Morgana, 1992.
  • Aller à Elisabethville, Paris, Gallimard, coll. « L’un et l’autre », 1993.
  • L’Incorrigible, Gallimard, coll. « Blanche », 1995.
  • La Sauvette, Verdier, 1995.
  • Abelnoptuz, Théodore Balmoral, coll. « Le monde est là », 1995.
  • La Liberté des rues, Gallimard, coll. « Blanche », 1997.
  • Aux buttes, illustré par Jean-Marie Queneau, éditions de la Goulotte, 1997.
  • Le Citadin, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1998.
  • Le Méridien de Paris, Montpellier, Fata Morgana, 1997.
  • Rue de Terre-Neuve, 27 p., Paris, Gallimard, Editions Hors Commerce, 1998.
  • La Course : nouvelles poésies itinérantes et familières (1993-1998), Gallimard, 1999.
  • Moyens de transport, Montpellier, Fata Morgana, 2000.
  • Modèles réduits, Fata Morgana, 2001.
  • Le Lit de la reine, Verdier, 2001.
  • Accidents de la circulation, Gallimard, coll. « Blanche », 2001.
  • Aller au diable, Gallimard, coll. « Blanche », 2002.
  • Les Fins Fonds, Verdier, 2002.
  • Autobiographie du jazz, Climats, 2002 ; édition revue et augmentée, 2011.
  • Treize chansons de l'amour noir, Fata Morgana, 2002.
  • Les Cinq points cardinaux, Fata Morgana, 2003.
  • Nouvelles aventures de Pelby, roman, Gallimard, 2003.
  • La Ville blanche, Fata Morgana, 2003.
  • L'Affaire du Ramsès III, roman, Verdier, 2004.
  • Le vingtième me fatigue suivi de Supplément à un inventaire lacunaire des rues du XXe arrondissement, Dogana, 2004.
  • Europes, Fata Morgana, 2005.
  • Un bouquet d'épitaphes, A Bastiano, 2005.
  • Ponts flottants, Gallimard, 2006.
  • Toutes sortes de gens, Fata Morgana, 2007.
  • Papier d'Arménie, Théodore Balmoral, 2007.
  • Une théologie des oiseaux, avec Enan Burgos, Fata Morgana, 2007.
  • Démêlés, Gallimard, coll. « Blanche », 2008.
  • La Physique amusante, Gallimard, coll. « Blanche », 2009.
  • Battement, Fata Morgana, 2009.
  • Battues, Fata Morgana, 2009.
  • Autoportraits, Fata Morgana, 2010.
  • Le Grand Orchestre, Gallimard, coll. « L’un et l’autre », 2011.
  • Moana, Fata Morgana, 2011.
  • Lettre au physicien (La Physique amusante II), Gallimard, coll. « Blanche », 2012.
  • Sur le versant avare (avec Philippe Hélénon), Fata Morgana, 2012.
  • Petit lexique amoureux, Fata Morgana, 2013.
  • Prose et rimes de l'amour menti, Fata Morgana, 2013.
  • La Nébuleuse du songe suivi de Voies de contournement (La Physique amusante III), Gallimard, coll. « Blanche », 2014.
  • Tabacs d'Orient, Fata Morgana, 2015.
  • Des écarts expérimentaux, Fata Morgana, 2015.
  • Tiers livre des reconnaissances, Fata Morgana, 2016
  • La Fontaine, « Les auteurs de ma vie », Buchet/Chastel, 2016
  • Le Tout, le Rien et le reste (La Physique amusante IV), Gallimard, coll. « Blanche », 2016
  • Une Civilisation du rythme, Buchet-Chastel, 2017.
  • Accidents de toilette, Fata Morgana, 2017.
  • Rythme, chaos, mythologies (La Physique amusante V), Gallimard, coll. « Blanche », 2018.
  • Quel avenir pour la cavalerie? Une histoire naturelle du vers français, Buchet Chastel, 2019.
  • Éloge du champignon, (avec les dessins de Philippe Hélénon), Fata Morgana, 2019.
  • Entretien avec Monsieur Texte, (co-auteur avec Alexandre Prieux) éditions Fario, coll. « Théodore Balmoral », 2020.
  • Le testament de Borée, Fata Morgana, 2020.
  • Quart livre des reconnaissances, Fata Morgana, 2021.
  • Le Chant du possible, Écrire le jazz, éditions Fario, coll. « Théodore Balmoral », 2021.
  • Restons timbrés, Timbres de Jacques Réda et Dominique Pagnier, Fata Morgana 2022.
  • Mes sept familles, éditions Fario, coll. « Théodore Balmoral », 2022.
  • Leçons de l'Arbre et du Vent (poèmes), Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2023.

Poèmes choisis

Autres lectures

Présentation de l’auteur

Étienne Paulin

Etienne Paulin est un poète français Né à Angers en 1977. Il vit aujourd'hui en Bretagne.

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Bibliographie

Il a publié une dizaine de recueils de poésie, parmi lesquels Voyage du rien en 2011 qui a reçu le Prix Thyde Monnier Poésie de la SGDL en 2012, Extrême autrui (2012), Le Derrière du ciel (2015) et 30 poèmes (2017" aux éditions Henry ainsi que (2019) et Poèmes pour enfants seuls (2023) aux éditions Gallimard.

Poèmes choisis

Autres lectures




Milène Tournier, Cent vies vagues

Cent vies vagues… pas sans vie ! Cent moments de vie. Une seconde de vie ; un souffle en vie. Ou bien la mort, aussi ; la sienne, celle de l’Autre, des Siens. La vie, la mort : indissociables, hein !

Cent vies jeunes ou pas, de femmes ou d’hommes – parfois on ne sait pas, bon, on sait juste qu’il y a une vie, oui, y a eu une vie, des vies ; vies dans l’attente de quelque chose qui arrivera ou pas, ou/et de quelqu’un qui n’arrivera pas ou peut-être, va savoir ! On ne sait rien de l’avenir. A peine un peu du passé, et encore… pas sûr… si peu qu’on se demande si, parfois, ce ne serait pas une histoire que se raconte le personnage, tiens, un de ces cent personnages qui n’ont pas de nom, souvent pas même de lieux, d’époques : ils vivent, point. Ils ont vécu, plutôt. Car ce n’est pas la vie, leur vie, pas vraiment, mettons l’empreinte du vivant, sur laquelle on tombe, on butte, on sourit, on s’attriste, on se souvient, on se questionne, on se reflète. Une image du vivre.  

Cent filaments de vies, issues du tissu du réel. Cent poussières de vies, dans la propreté du jour. Cette banalité, parfois singulière, de vies qu’on croise, qu’on frôle, qu’on évite, qu’on élude, qu’on ignore, qu’on aimerait connaître, qu’on ne sait nommer… qu’on n’oublie pas, pourtant. On n’oublie pas les oubliables, étonnamment, oui, parce qu’il y en a plein les cimetières – pour (mal) paraphraser le dicton –, et aussi parce que, dans le fond, on est soi-même un.e de ces sans-forme, un.e de ces visages sans image, qu’on croise, frôle, évite, élude, ignore, aimerait connaître ; innommables même si pas ignobles, petits dans leurs grandeurs – petitesse de la quotidienneté… « la vie, quoi, le bordel », gazouillait Higelin.

Milène Tournier, Cent vies vagues, Lurlure éditions, 16 €.

Cent vies vaguent, que Milène Tournier égrène comme un chapelet, aux grains qui roulent et déroulent des pages sobres, à la poésie sans emphase, sans exagération, sans pathos, mais assurément pas sans profondeur, pas sans émotion, pas sans élégance. La sobriété, cette vraie beauté ! On est dans le vrai, quoi, dans la vie, dans cent vies, dans le ressac, vagues venues, puis reparties… non, là.   

  1. Il a de la semoule dans la tête, disent de lui les femmes et les hommes. Il n’a pas sa graine toute bien cuite. Certains jours, tous essayent de lui donner une menue tâche. Les autres, où il y a trop à faire pour qu’on aie de la patience, on le laisse faire ne pas faire. Les femmes sont dans la cuisine, le dos baissé sur d’énormes cuves. Dehors, les hommes taillent les légumes. Une femme arrive, la plus vieille, la plus forte et la plus douce, elle n’est à aucun d’eux, elle est à la lumière du pays, et à tout ce qu’elle a vu du monde et des hommes, elle est à l’espoir, un espoir un peu las, à l’optimisme laborieux de se lever pour vivre le jour – même celui où les mollets tirent. Les hommes ne font pas comme il faut. Il faut couper en rondelles les oignons. Elle leur montre. Son couteau passe, fluide comme feuilleter les pages d’un livre. La femme part, les hommes font. Sauf lui. Il met ses oignons mal coupés dans le grand plat et mélange. Parfois, sur un oignon, sa découpe est belle comme un squelette ou un accordéon. Le suivant, ça ne marche pas, c’est parce que ce n’est pas le même oignon. Il trie dans le tas les plus belles lamelles et les met sur le dessus, à la fin. Ronds, lamelles, gros ou fin, ça change, ça finit que ça se mange. Il ne voudrait quand même pas trop, se faire crier.

  1. La jeune fille au lyçée répond, lorsque la professeure lui demande si cela lui arrive d'écrire, qu'elle écrit le journal intime de son père. Le journal intime de ton père ? Oui, elle écrit les journées de son père, ce qu'il a fait du matin au soir. Mais tu dis "je" ? Oui, la fille dit. Je dis je pour lui.

Présentation de l’auteur

Milène Tournier

Milène Tournier, née en 1988 à Nice, est une dramaturge et poétesse française.

© Crédits photos Marine Riguet

Bibliographie 

  • Et puis le roulis, 2018, Éditions Théâtrales
  • Nuits, 2019, La P'tite Hélène éditions,
  • Poèmes d’époque, 2019, Éditions Polder, préfacé par François Bon.
  • L'autre jour, 2020, Éditions Lurlure
  • Je t'aime comme, 2022, Éditions Lurlure
  • Se coltiner grandir, 2022, Éditions Lurlure
  • Hold-Up 21, éditions Anne Carrière, 2023
  • Ce que m'a soufflé la ville, éditions Castro Astral, février 2023
  • Puisque chacun pourra partir, chacun pourra rester, Editions Unicité, Juillet 2023

            Autres publications

            Les écrits de Milène Tournier sont également publiés dans les revues ou ouvrages collectifs :

            • aux éditions Tiers Livre Éditeur On ne pense jamais assez aux escaliers en 2017, Une histoire parallèle du cinéma en 2018, Je vous parlerai d’une autre nuit en 2018.
            • aux Éditions Pourquoi viens-tu si tard, Esprit d’arbre en 2018.
            • aux numéros 8 et 9 Revue internationale de poésie de Paris-Sorbonne, Place de La Sorbonne, 2018 et 2019.

            Vidéo-poèmes

            Milène Tournier publie sur sa chaine YouTube, depuis 2015, des poèmes-vidéos. 

            Une de ses créations a été présentée en 2018 au Centre Pompidou, dans le cadre de Littéra-TUBE, une proposition de Gilles Bonnet, Erika Fülöp et Gaëlle Théval, autour des expériences de vidéo-écriture diffusées sur internet.

            Cinéma

            Automne Malade est un court métrage, de type docu-fiction, réalisé par Lola Cambourieu et Yann Berlier en 2019, produit par Réalviscéralisme.

            Distinctions

            • 2012-2013 : 1er prix de la 18e édition Prix de la Nouvelle : premier concours d'écriture de la Sorbonne Nouvelle.
            • 2018 : Aide à la création (Artcena), catégorie littérature dramatique pour Et puis le roulis.
            • 2017 : Aide à la création (Artcena), rubrique Encouragements pour Dans ma ville.
            • 2021 : Prix de la société des gens de lettres SGDL, Révélation de Poésie pour L'Autre jour.
            • 2023 : Prix Jacques-Scherer pour De la disparition des larmes.

            Poèmes choisis

            Autres lectures

            Milène Tournier, Cent vies vagues

            Cent vies vagues… pas sans vie ! Cent moments de vie. Une seconde de vie ; un souffle en vie. Ou bien la mort, aussi ; la sienne, celle de l’Autre, des Siens. La vie, la [...]




            Nohad Salameh, Jardin sans terre

            On ne peut parler du dernier recueil de Nohad Salameh sans parler du « double livre identitaire » qui s’intitule Saïda/Sidon et Baalbek/Heliopolis (Ed. du Cygne, 2024).

            Cette autobiographie de l’adolescence levantine de la poète éclaire son cheminement poétique. Dans ces deux villes dévastées par les bouleversements politiques, est ancrée sa mémoire nourrie de trois religions, langues, et cultures, chiite, juive et chrétienne, qui protegeaient paisiblement leur passé gréco-romain avant la violence des années 1970. De cette enfance baignée d’Orientalisme, suivie par un père archéologue, formée dans des écoles catholiques, vient une écriture charnelle, sensuelle, érotique à l’image des légendes et des temples millénaires que la jeune fille côtoyait depuis sa naissance. Appelant ses souvenirs « des tirelires à images . . . thésaurisant des instants particuliers et indéfinis, » la poète s’embarqua dans le voyage des mots qui pourraient réparer l’histoire, la grande, et la sienne.

             Un jardin sans terre est menacé d’une double disparition : par la couche de sable qui assourdit les sens, et par la qualité évanescente du sable, symbole d’un terroir en voie de disparition, surface instable par excellence, même si, formant une sandale, son aridité se double « de mûres violacées / plus tendres que plages d’exil » (23). La première partie de Jardin sans terre, « Sandales de sable, » invite ainsi à un voyage rééquilibrateur/déséquilibrant dans le sommeil envoûté des songes et des souvenirs. Les quatre parties suivantes du recueil représentent l’entrée dans le sommeil, puis les songes « de plein jour » et le « pays-miroir, » languide recensement de sensations et de fulgurances, puis c’est le retour vers l’aube, dans la cinquième partie intitulée « derrière un rideau de sommeil. »

            Nohad Salameh, Saïda/Sidon et Baalbek/Heliopolis, Ed. du Cygne, 2024.

            Nous sommes entrainés dans une réalité où les contrepoints et la souffrance de l’exil font basculer la réalité : « Doublés d’oracles / nous pressentons le désert / posé en nous par quelle main dévastatrice / avec un poids de fracture / et de métropoles dévastées » (25). Toutefois cet exil se compense d’amour : « Revenantes des royaumes d’outre-jour / où les voyages naissent dans le sommeil / elles possèdent des jardins sans terre / où l‘on salue à mille mains / l’aube dorée des amants » (23). Peu à peu revient « l’émerveillement de maintes nuances » (45), puis les conversations « avec des aïeux / qui lapent doucement la mort » tandis que la voyageuse « sera condamnée à se nourrir de roses de neige / et à boire l’eau des jardins sans terre » (61). D’images magnifiques en émouvantes évocations de son enfance levantine, la poète donne libre cours à un lyrisme qui abolit les frontières avant de révéler que son sommeil est « un pays proche/lointain / où l’on s’abreuve au lait frais de la mémoire / lorsque se rallument les lampes du songe / et que l’Endormie / se blottit entre deux ciels de langueur » (85). Souffrance et extase sont les deux pôles de cette poésie lancinante.

            Présentation de l’auteur

            Nohad Salameh

            L’un des poètes les plus marquants du Liban francophone.  Née à Baalbek. Après une carrière journalistique dans la presse francophone de Beyrouth, elle s’installe à Paris en 1989. De son père, poète en langue arabe et fondateur du magazine littéraire Jupiter, elle hérite le goût des mots et l’approche vivante des symboles. Révélée toute jeune par Georges Schehadé, qui voyait en elle «  une étoile prometteuse du surréalisme oriental », elle publie divers recueils dont les plus récents sont : La Revenante, Passagère de la durée (éditions Phi, 2010) et D’autres annonciations (Le Castor astral, 2012). Elle a été saluée par Jean-Claude Renard pour son « écriture à la fois lyrique et dense, qui s’inscrit dans la lignée lumineuse de Schehadé parmi les odeurs sensuelles et mystiques de l’Orient ». Elle a reçu le prix Louise Labé pour L’Autre écriture (1988) et le Grand Prix de poésie d’Automne de la Société des Gens de Lettres  en 2007. Elle est membre du jury Louise Labé.

            Nohad Salameh

            Autres lectures

            Nohad Salameh, D’autres annonciations

            Les poèmes de Nohad Salameh ici réunis proviennent de ses recueils parus entre 1980 et 2012. S’ajoutent des inédits provenant d’un ensemble intitulé Danse de l’une. Dans ce dernier titre, comme dans celui [...]

            Rencontre avec Nohad Salameh

            Comment définiriez-vous la quête poétique qui a jalonné votre vie ? Il me paraît difficile, voire impossible,  d’ôter au Poème sa légitimité, laquelle se définit par l’authenticité. C’est à l’intérieur de cette sphère vitale [...]

            Entretien avec Nohad Salameh

            ENTRETIEN avec NOHAD SALAMEH autour de Marcheuses au bord du gouffre Vous venez de faire paraître, chère Nohad, un bel essai aux éditions La Lettre volée, intitulé Marcheuses au bord du gouffre, onze figures [...]

            Nohad Salameh, Jardin sans terre

            On ne peut parler du dernier recueil de Nohad Salameh sans parler du « double livre identitaire » qui s’intitule Saïda/Sidon et Baalbek/Heliopolis (Ed. du Cygne, 2024). Cette autobiographie [...]




            Lara Dopff, Ainsi parlait Larathoustra, Viatire, Yves Ouallet, Ainsi vivait Yvan Bouche d’or

            À la recherche des écritures aux pensées libres s’interrogeant sur l’art, l’être humain, la vie, les éditions Phloème ne forment pas une simple maison mais une caravane d’édition, itinérante, glanant des fleurs précieuses pour en faire leur miel au fil des itinéraires tracés, préférant butiner la sauvagerie des pensées à la domestication des idées, traversant ainsi le désert bien pensant de la culture de masse pour mieux cueillir, dans ses marges, quelques essences rares, dans une véritable « quête de livres de vie, qui portent la sève depuis les racines les plus profondes pour la délivrer aux bourgeons tendus vers la lumière »…

            Ce double mouvement de collecte puis de déploiement, leur éditrice, poète et metteur en scène, Lara Dopff le porte à son incandescence en croisant sa propre écriture avec le chercheur, enseignant et essayiste, Yves Ouallet, par le tissage à deux voix, à travers la collection Fugue de vie, d’un dialogue dont ils semblent jusque dans la forme du livre naquis comme les deux tessons d’un même symbole, l’avers et le revers d’une même monnaie rendue à notre civilisation mortifère, pour mieux célébrer la possibilité d’autant de lignes de fuite, de fugues et de voyages en des terres de vies heureuses partagées telles les fables, les contes ou les légendes dont tous deux s’avèrent à la fois les prophètes amusés et les porte-paroles sans faconde, préférant la potentialité d’une existence libre, libérée et libératrice aux mythes eux-mêmes dont ils réinventent la tradition…

            Ainsi parlait Larathoustra se lit donc en miroir à Ainsi vivait Yvan Bouche d’or, « Janus bifrons », double visage d’une même poésie de voyage puisant, au féminin comme au masculin, aux sources livresques de mythologies sacrées pour dessiner un espace commun entre ces deux voix toutes tournées vers la célébration pourtant de la vie à l’état « sauvage », dans la prise de risque de l’engagement comme dans l’érotisme de la rencontre amoureuse, dont ils se révèlent les chantres, que l’on invoque le masque d’une nouvelle prophétesse nietzschéenne (Lara/Zarathoustra) ou l’armure d’un nouveau chevalier de la Table Ronde (Yves/Yvan/et pourquoi pas Yvain, le Chevalier au Lion ?)…

            Lara Dopff, Ainsi parlait Larathoustra, éditions Phloème, 76 pages, 13 euros.




            Yves Ouallet, Ainsi vivait Yvan Bouche d’or, éditions Phloème, 76 pages, 13 euros.

             




            Les figures se mêlent, se mélangent, s’embrassent, s’embrasent, l’écriture de l’un(e) devient la lecture de l’autre, la lecture de l’autre devient l’écriture de l’un(e), et ainsi de suite, comme des bouts mis bout à bout de ce Phloème qui unit leur aventure selon la formule caractéristique : « Le phloème est l’écorce qui porte la sève, comme le liber est l’écorce qui donne le livre, libre » et dont le mot « poème » au cœur de celui de « phloème » demeure le sésame, comme une porte ouverte sur les métamorphoses de la vie, des vies successives, telles les diverses étapes d’une expérience chamanique : « Sous chaque phloème je devinais des poèmes. »

            De ces mêmes postulats émergent les singularités des écrits-duels, duo virtuose où la sensibilité à fleur de peau qui innerve les Carnets de L’arbre de nerfs s’avérant le récit d’un corps féminin dans son rapport à soi, à l’autre, au monde, croise la sensitivité à fleur d’âme d’un autre corps masculin qui relie les essais sur l’entrelacement de L’écriture et la vie dans les relations de La Pensée errante, une forme moderne de « spiritualité » dont l’errance demeure une clé de leur pratique partagée.




            Un des derniers opus de ce grand voyage par la poète Lara Dopff reprend à son compte cette dimension de l’« erreur » à l’« errer » pour mieux réinventer ce rapport masculin/féminin à travers une réécriture du mythe fondateur de la poésie amoureuse même, celui d’Orphée et Eurydice : « la multitude des scribes l’avait épuisé. / il s’était laissé aller à l’errer / à l’errance, errer en errance. / il avait suivi sa piste, par bribes. / trois pas, si proches de son épiderme. / il la savait, vivante. / il avait entendu, ses notes. / trois pas, chaque nuit. / trois à chaque nuit. » De la « peau » pistée, retrouvée au-delà des frontières de la vie et de la mort, à la « peau » aimée aux aguets des cinq sens, c’est en définitive tout ce « primat » esthétique/éthique qui fait de la créativité des éditions Phloème une poésie résolument « première » !

            Présentation de l’auteur

            Lara Dopff est née en 1989, elle est diplômée en Arts Dramatiques et en Création Littéraire. Elle est poète, metteur en scène et éditrice. Elle a participé à de nombreux festivals et salons en France et à travers le monde, et intervient dans des Universités (Saint Louis University États-Unis, Université Bretagne Sud, Université de Normandie, Université de Sfax Tunisie). Elle anime des Classes de Maître et ateliers d’écriture de Création littéraire depuis 10 ans. Elle a publié une quinzaine de recueils poétiques, invoquant le corps, la nature, la marche, la musique, l’extinction et l’errance à travers le monde (Grèce, Inde, Iran, Turquie, Sibérie, Amérique). Lara Dopff participe à des recueils collectifs et à des revues (Voix d'encre, Bacchanales Maison de la Poésie Rhône-Alpes, La Volée Rosa Canina Edition). Ses poèmes ont été traduits et publiés en espagnol (El gallo y la serpiente, Poesia francesa actual, trad. A. Hidalgo, Cìrculo de Poesìa) et en anglais (trad. D. Morris).

            Poèmes choisis

            Autres lectures

            Présentation de l’auteur

            Lara Dopff est née en 1989, elle est diplômée en Arts Dramatiques et en Création Littéraire. Elle est poète, metteur en scène et éditrice. Elle a participé à de nombreux festivals et salons en France et à travers le monde, et intervient dans des Universités (Saint Louis University États-Unis, Université Bretagne Sud, Université de Normandie, Université de Sfax Tunisie). Elle anime des Classes de Maître et ateliers d’écriture de Création littéraire depuis 10 ans. Elle a publié une quinzaine de recueils poétiques, invoquant le corps, la nature, la marche, la musique, l’extinction et l’errance à travers le monde (Grèce, Inde, Iran, Turquie, Sibérie, Amérique). Lara Dopff participe à des recueils collectifs et à des revues (Voix d'encre, Bacchanales Maison de la Poésie Rhône-Alpes, La Volée Rosa Canina Edition). Ses poèmes ont été traduits et publiés en espagnol (El gallo y la serpiente, Poesia francesa actual, trad. A. Hidalgo, Cìrculo de Poesìa) et en anglais (trad. D. Morris).

            Poèmes choisis

            Autres lectures




            Gérard Pfister, Autre matin suivi de Le monde singulier

            Parole et naissance

            Écrit au Lac Noir entre 1990 et 1993, repris et achevé en 1996, Autre matin constitue le dernier opus du cycle intitulé Sur un chemin sans bord. Si quelques-uns de ses textes ont paru dans des revues, il est pour sa plus grande part inédit.

            Le texte final, Le monde du singulier, a été écrit en décembre 2023. Il éclaire a posteriori la démarche du cycle entier qu’il clôt et de ceux qu’il annonce », nous dit l’auteur lui-même.

            L’épigraphe (Je te fixe dans les pupilles / jeune clarté / la gorge nouée) est extraite du seul volume du poète Leonardo Sinisgalli publié en France de son vivant, en 1979, dans la traduction de Gérard Pfister.

            Les poèmes sont répartis en cinq temps en quête d’une « autre clarté » et dans un chant livré à l’ouvert au moyen d’une poésie libre où le distique est roi. 

            Celui-ci rappelle Le temps ouvre les yeux publié en 2013. Dans ce recueil, à la suite de l’ouvrage précédent, Le grand silence publié en 2011, la marche continue, aveugle, et il n'y a « rien d'autre / à dire / que l'évidence », à savoir, sans doute, la poésie elle-même. (Grâce au regard du temps, on entre dans « l'ouvert », celui dont parle Rilke et qui est donc de nouveau évoqué ici.) L'économie de moyens de la phrase unique composée de distiques très brefs est là déjà au service, cette fois, de neuf chants.

            Une spiritualité s’entrevoit dès l’incipit d’Autre matin (Roger Munier voit en Gérard Pfister, dit sa biographie, « le poète de la métamorphose spirituelle au sein du monde… »). Elle sous-tend tout un univers décrit dans un réalisme délicat. Ainsi des champs lexicaux comme celui de la lumière, des fleurs, des maisons ou, à l’opposé, des pauvres et des morts. La finitude est en effet consubstantielle de la vie et la mort, comme la pauvreté et la souffrance qui tous font partie de la vie.

            Gérard Pfister, Autre matin suivi de Le monde singulier, éditions le Silence qui roule, 2024, 96 pages, 15 €.

            Et quel fut, Silésien, ton art
            que coudre pièce à pièce

            des peaux mortes
            d’une aiguille invisible…

            et l’aigre odeur
            que les outils noircis, sans gloire

            dans l’étroite échoppe du cordonnier

            Ces vers font soudain référence à Jakob Boehme, théosophe de la Renaissance, le cordonnier (mot qui fait chute) de Görlitz.

            Puis le volet II s’ouvre sur le réalisme poétique précédemment évoqué et interrompu dès le deuxième texte par une invocation à la « présence invisible » pour celui-là seul que nous avons et dont nous retrouvons la voix dans « le silence dévasté de notre cœur ».

            De le même façon que le volet II le volet III reprend l’idée d’avant, le silence, qu’il développe au milieu encore de la lumière, celle de l’automne juste avant la blancheur de la neige qui fait attendre l’été. En attendant « l’eau royale » qu’est la glace et qui se définit ainsi :

            par tant de pureté
            mille gouttes invisibles vivifiantes

            tremblantes dans le souffle à chaque instant

            Et déjà un quatrième temps arrive, toujours léger et concis ; il nous offre le bonheur d’une marche panthéiste et rédemptrice qui ne se souvient que du parfum :

            ne reste aucune pierre
            sans louange…

            dans un autre matin

            C’est alors que l’évocation finale éponyme du titre représente l’espoir lui-même d’une naissance nouvelle dont le mystère est indicible. Et pour la présence encore magnifiée il n’y a qu’un « art » celui de « l’écoute ».

            Le volet V fait perdurer cette conscience d’une naissance dans « Cet instant d’hiver profond et pur ». Et l’apparition d’ailleurs seule compte puisque « les traces sur le sol / déjà ne sont plus rien » ; mais la parole elle-même est nouvelle née comme le clame le dernier vers du second poème. Va-t-elle l’emporter sur la mort qui est là évoquée douloureusement ? Les éléments déjà comme l’eau et le vent ont leur rôle purificateur dans le mystère encore. Grâce à eux intervient une nécessité : « un seul / un innombrable chant ». Et c’est à la neige que, très poétiquement, le narrateur confie le rôle de « l’imiter ».   

            Le monde du singulier, dont de longs versets récents occupent les deux dernières pages du recueil, fait la lumière sur l’ensemble du cycle réalisé par Gérard Pfister. Il annonce une fois encore - et ce seront ses derniers mots - « un autre matin ».

            Si ce dernier texte réitère l’importance du langage c’est pour dire celle du chant qui n’est que celui « des noms propres oubliés ». Suit une réflexion sur la précarité des choses, la mémoire et le temps dont nous avons voulu effacer l’éphémère. Il nous reste les mots mais aussi l’écoute attentive du « toujours unique », du « partout singulier ». En effet « chaque chose est une lumière, chaque chose une nuit. »

            Présentation de l’auteur