Marc Dugardin, Lettre en abyme

Par |2018-01-07T19:44:38+01:00 19 octobre 2017|Catégories : Marc Dugardin|

Quelle est l’o­rig­ine d’un livre ? Pourquoi écrit-on ? Qu’est-ce qui pousse un poète à écrire ce qu’il écrit ? Sans doute les raisons sont-elle mul­ti­ples, sans doute les répons­es à ces ques­tions vari­ent-elles d’un écrivain à l’autre. Mais Marc Dugardin, avec cette Let­tre en abyme, donne un témoignage orig­i­nal et de pre­mière main qui ne vaut que pour lui et pour ce recueil précis…

Le lecteur atten­tif remar­quera immé­di­ate­ment l’orthographe du mot abyme qui se dis­tingue de la gra­phie ordi­naire ou courante abîme… Abyme est une vari­ante désuète qu’on ne trou­ve plus guère que dans l’ex­pres­sion mise en abyme comme si Dugardin avait voulu attir­er l’at­ten­tion du lecteur sur le titre de son recueil. Ou, si l’on se sou­vient de la vari­ante pic­turale, la mise en abyme désigne la représen­ta­tion d’une œuvre dans une œuvre sim­i­laire, l’ex­em­ple le plus con­nu étant le tra­vail de Ben­jamin Rabier pour la boîte du fro­mage La vache qui rit où l’on voit une vache por­tant des boucles d’or­eilles où l’on voit etc… Tout a une fin car il arrive tou­jours un moment où l’artiste cesse de représen­ter le même motif par impos­si­bil­ité liée à la taille mais le principe est là.

Marc Dugardin, Lettre en abyme, éditions Rougerie, préface de Jacques Ancet, 80 p. 13€.

Marc Dugardin, Let­tre en abyme, édi­tions Rougerie, pré­face de Jacques Ancet, 80 p. 13€.

Jacques Ancet dans sa pré­face (très éclairante) situe par­faite­ment l’o­rig­ine de ce poème (car il s’ag­it plutôt d’un long poème en six par­ties) : Marc Dugardin écrit cette Let­tre en abyme après avoir lu le poème de Juan Gel­man, Let­tre à ma mère et en même temps il s’adresse à sa mère “mar­quée par la dif­fi­culté d’être (mal­adie, absence de ten­dresse, crainte du père, guerre, bom­barde­ments, blessure à la jambe)” comme l’écrit le pré­faci­er (p 9). Dans la pre­mière par­tie, Marc Dugardin se sou­vient de sa lec­ture de Juan Gel­man et mêle ses sou­venirs aux con­sid­éra­tions qui le font s’adress­er à la mère du poète argentin. La deux­ième par­tie est con­sacrée aux sou­venirs qu’a le poète de son enfance :

On entend le bruit des bottes
on entend hurler le père tout puis­sant
(p 36)

Et ces deux vers qui son­nent comme un aveu : “Je te cherche / au revers de la haine” (p 41). Les troisième et qua­trième par­ties voient se mêler poèmes anciens  (de Juan Gel­man ?) aux notes man­u­scrites de Marc Dugardin ( ? ) et bribes de car­nets qui retra­cent une vie et ce poème  qui avoue :

Je t’ai écrit 
comme si l’on avait inver­sé les rôles 

pour dévider un peu de tendresse 
sur l’éche­veau de ta pro­pre his­toire
(p 55)

La cinquième par­tie fait une large place à la musique et c’est là que l’on se rap­pelle avoir lu à la page 36 des deux vers :

Le piano enfonce une note obsédante 
à coups de marteau

Il y a dans le rap­proche­ment entre ce dis­tique et les notes de la page 58 (toutes con­sacrées à Schu­mann et à Glenn Gould), quelque chose de déchi­rant. La six­ième et dernière par­tie fait penser à cette remar­que de Jacques Ancet (p 8) : … écrire aurait tou­jours affaire avec l’o­rig­ine”. Et que le lecteur ne peut s’empêcher de rap­procher de ces vers : “Mères / ce corps que nous sommes / vous écrivant” (p 60) ou de ces autres  “On sort de la nuit / de son silence transper­cé d’épines” (p 66).

L’amour fil­ial (ou ce qui en tient lieu) n’a jamais été exprimé aus­si juste­ment. Tout en s’interrogeant :

Là où vivre 
pour­tant a commencé 

Et aimer.

Présentation de l’auteur

Marc Dugardin

Marc Dugardin est né à Water­­mael-Boit­s­­fort le 27 novem­bre 1946. Habite actuelle­ment à Namur. A tra­vail­lé comme édu­ca­teur spé­cial­isé puis dans l’Enseignement de Pro­mo­tion Sociale. Mem­bre du comité de rédac­tion du Jour­nal des Poètes. Lau­réat de la Bourse Spes de poésie en 2005. A pub­lié, unique­ment en poésie, une dizaine de titres depuis 1982. Une poésie nour­rie par l’écoute de la musique, un chem­ine­ment d’homme entre désar­roi et émer­veille­ment, une soli­tude qui entre en réso­nance avec le chœur des vivants.

Marc Dugardin

 

Bib­li­ogra­phie

  • Con­nivences, Flé­malle, Vérités, 1982
  • Itinéraires de la patience, Brux­elles, Le Cormi­er, 1984
  • Ricer­care, Flé­malle, L’Arbre à paroles, 1984
  • Poème des matins exigeants, Mortemart, Rougerie, 1986
  • Une par­en­thèse pour le vent, Mortemart, Rougerie, 1989
  • Un pas pour l’éphémère, un pas pour l’éternel, Mortemart, Rougerie, 1993
  • La peur la pléni­tude, Amay, L’Arbre à paroles, 1994
  • L’écoute infin­i­ment, Mortemart, Rougerie, 1999
  • Adieux, en col­lab­o­ra­tion avec Lucien Noullez, Brux­elles, Edi­tions de l’Ours, 2000
  • Soli­tude du chœur, Mortemart, Rougerie, 2002
  • Hov­e­nieren in ver­getel­heid / Jar­diner dans l’oubli, Leu­ven, Edi­tions P, 2002
  • Stances, Amay, L’Arbre à paroles (col­lec­tion Tex­tim­age – avec deux gravures de Jean Ver­ly), 2004
  • Frag­ments du jour, Mortemart, Rougerie, 2004
  • Een­zame samen­zang en andere gedicht­en / Soli­tude du chœur et autres poèmes, Leu­ven, Edi­tions P, 2005
  • Soupi­rail d’enfance, Mortemart, Rougerie, 2007
  • A la escucha, Mex­i­co, Edi­tions Fos­foro, 2009
  • Voyageurs que nous sommes  (avec des pho­togra­phies de Muriel Claude), Brux­elles, La Ravine, 2009
  • Dans l’oreille pro­fonde, Châte­lin­eau, le Tail­lis Pré, 2010
  • Over en weer/ De part et d’autre  (en col­lab­o­ra­tion avec Mar­leen De Crée, gravures de Goedele Peeters), Leu­ven, Edi­tions P, 2011
  • D’écluse en écorce (en col­lab­o­ra­tion avec Alexan­dre Valas­sidis), Paris, L’herbe qui trem­ble, 2011
  • In memo­ri­am, tirage lim­ité à 20 exem­plaires avec des col­lages de Max Partezana, édi­tions Cen­trifuges, 2011
  • Quelqu’un a déjà creusé le puits, Mortemart, Rougerie, 2012

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Lucien Wasselin

Il a pub­lié une ving­taine de livres (de poésie surtout) dont la moitié en livres d’artistes ou à tirage lim­ité. Présent dans plusieurs antholo­gies, il a été traduit en alle­mand et col­la­bore régulière­ment à plusieurs péri­odiques. Il est mem­bre du comité de rédac­tion de la revue de la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Tri­o­let, Faîtes Entr­er L’In­fi­ni, dans laque­lle il a pub­lié plusieurs arti­cles et études con­sacrés à Aragon. A sig­naler son livre écrit en col­lab­o­ra­tion avec Marie Léger, Aragon au Pays des Mines (suivi de 18 arti­cles retrou­vés d’Aragon), au Temps des Ceris­es en 2007. Il est aus­si l’au­teur d’un Ate­lier du Poème : Aragon/La fin et la forme, Recours au Poème éditeurs. 
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