Des livres consacrés à la mère, il en est de remarquables : ceux de Jules Renard, d’Hervé-Bazin, d’Annie Ernaux. Nous pouvons en ajouter désormais un autre, celui que Marc Dugardin adresse à la sienne, et au-delà à toutes les mères.
Livre terrible, si l’on veut lire, sous les mots aigus de la gravité, entre reproche, affrontement et constat, et de la mémoire ancillaire. L’architecture de l’ensemble des poèmes offre ainsi un surplomb sur le livre qui a servi d’ancrage littéraire, le livre de Juan Gelman , « Lettre à ma mère », sur la vie rappelée en quelques notes par l’auteur lui-même de celle qui lui a donné le jour, sombre et faillie, et sur la place exacte de celui qui prend la plume et distance pour rameuter, six années après, la mémoire vive et blessée.
Le titre – excellent choix – révèle à tout le moins le tact pris par l’auteur pour élever son chant à quelque signification extérieure à lui : Ecrire en est déjà l’amorce : revenir par le poème à l’évocation d’une rencontre qui ne sera pas faite.
« L’origine obscure » de chaque être tranche avec la tendresse, la douceur que le poète invite, au-delà des faits sombres : « Je t’écris/ pour te délivrer une seconde fois » ou « Je te cherche/ au revers de la haine ».
L’intensité de la langue répond à un souci de « parler de mon chantier/ là où parler creuse un trou dans la langue » : il y est question, certes, de brouillon, de ratures, d’imprononçable.
Œuvre de sincérité, « Lettre en abyme » assume complètement la difficile démarche d’analyse de soi qu’elle suppose, cette volonté d’en découdre aussi avec un passé de « rage et de tristesse ». Le « tu fus ma mère » jette à la fois glace et ombre au tableau et convainc le lecteur de l’authenticité de l’écrit.
Ecrire est une responsabilité insigne que les mots, les poèmes consignent : le scripteur s’y avance nu, fragile, tremblant, et vrai, jusqu’à la souffrance.
Un beau livre, dont le rythme épouse la réflexion, pour dire, au-delà des mots, une présence et sa blessure que le poème peine à user.
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