Certaines figures poétiques incitent à la vénération : Sei-Shonagon, Tagore, plus près de nous, Ungaretti, Hardellet…
Vénération pour un art du peu, qui confine au sublime, expression la plus dense de ce que l’on nomme poésie, le haïku ; vénération pour un représentant insigne du genre, cet ermite de génie, voyageur hors pair, dénicheur de fleurs et de paysages afin d’en consigner la pulpe dans ses textes, Bashô, aux périples si nombreux et aux mille haïkus. Bashô, pseudonyme choisi en 1681, en lien avec l’ermitage au bananier (basho-an) qu’un ami poète lui offre et avec le sobriquet donné par ses amis visiteurs de l’ermitage, qui se rendaient chez le Maître au bananier, devenu « bananier » (« bashô »).
La nouvelle édition bilingue de février 2014 rassemble en 480 pages, depuis les vingt ans du maître jusqu’au « setsukarete » final ( 975 « Supplié /d’honorer le banquet de fin d’année — / finalement, de bonne humeur »), une traversée poétique, itinérante d’un poète hypersensible aux changements de saisons, aux vertus essentielles des paysages, aux rencontres, aux partages, à la contemplation.
Chronologiquement présentés, les poèmes éclairent un parcours, qu’une analyse bachelardienne lumineuse n’arriverait guère à épuiser tant la subtile fécondité de Bashô s’accorde à nourrir le réel sans le répéter, tant la solitude du maître est pourvoyeuse et sensationniste, tant « l’appel du voyage » happe le cœur du poète, prêt à tout entreprendre, après quelques mois ou années de répit et de sédentarisation.
Certains poèmes sont introduits par des notes de Bashô et ces préambules nous insèrent dans la vie quotidienne de l’ermite, au cœur de ses déplacements, de ses cadeaux, de ses visites – d’un ermitage l’autre.
La densité du regard et l’originalité de la vision offrent au lecteur matière insurpassable : ces vignettes dépaysent, ces poèmes de l’instantané suspendu scrutent des faits infimes, des scènes anodines, des filets brefs d’émotions, des sensations intimes et si partageables. L’humour n’est guère absent ni la cocasserie d’un maître du flash poétique, apte à saisir l’incongruité du réel :
83
Les nuages défilent –
un chien qui pisse partout
cette averse d’hiver !
Le voyage, l’exercice de piété filiale (sur la tombe de la mère à Ueno), un détour pour voir des lucioles, un autre pour admirer un lac, un saule à découvrir, en bordure d’une rivière : toutes les occasions sont bonnes pour recourir, comme à une nourriture apaisante et noble, au texte bref, à cette consigne du réel qu’il faut coûte que coûte évoquer, avec légèreté, gravité ou révérence :
373
Cette eau de source,
est-ce la pluie printanière
s’égouttant des cimes des arbres ?
598
Oreiller d’herbes –
admire les fleurs
de ton mieux !
L’indécision, le flottement, la distance donnent à certains haïkus une modernité étonnante :
951
L’ermitage de Saïgyo
doit être quelque part
dans ce jardin de fleurs
Les disciples, les évocations d’ermitages et d’écritures collectives (réunions de renku), les plaintes, les temples, les chevaux et les pieds, les sandales de paille, « l’odeur persistante des fleurs », la mélancolie : tout cela est ressenti par le lecteur comme une invite à mieux vivre au feu des éléments, des saisons et des arbres, dans une communion avec une nature qui fait partie du voyage intérieur d’un poète expert en dentelle poétique, ajourée de mélancolique patience et d’une morale sans cesse revivifiée de « l’apprends à voyager » (787).
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