Le « rien » revient d’une manière lanci­nante dans ce petit livre. L’auteur le per­son­ni­fie, le den­si­fie pour­rait-on dire jusqu’à évo­quer son som­meil au milieu des choses. Sommes-nous par­fois con­quis, hap­pés par ce « rien » qui tremble ?

Mais il suf­fit d’une ren­con­tre for­tu­ite, d’une décou­verte de fleurs subites, d’un « ciel qui change » ou de « grelots tin­te­ments velours » pour énon­cer autrement la vie.
Celle-ci, sou­vent brûlée de « douleur », celle-ci martelée des « riens » qui s’accumulent ?

Alors, « écrire » peut sans doute, en dépit des « mots pau­vres », recoudre un peu le fil de ces riens, « juste écrire/ entre ces bor­ds immenses » ; la poète con­signe avec grav­ité, sans aucun pathos, l’immobilité  fan­tôme du réel qui con­tre­vient à la vraie vie, comme un « jour (qui) s’achève sans avoir commencé » ?

Énonçant les beautés et dans le même geste d’écrire leurs revers, âpres, dis­cor­dants, Véronique Wau­ti­er assigne à la lit­téra­ture le devoir d’éclairer les pau­vres vies qui nous habitent, vœu que tant d’écrivains se don­nent (qu’il suff­ise de penser aux derniers ouvrages de Sal­lenave et Ernaux).

Véronique Wautier, Continuo, L’herbe qui tremble, 2017, 64p., 13€. Peintures d’Anne Slacik.

Véronique Wau­ti­er, Con­tin­uo, L’herbe qui trem­ble, 2017, 64p., 13€. Pein­tures d’Anne Slacik.

Est-il seule­ment pos­si­ble de con­tr­er le « silence », de don­ner quelques ailes aux « mots (qui) tombent/ ils n’ont pas d’infini » ?

Le mot est tombé : pas d’infini, pas de croy­ance au-delà (« cer­tains croient moi pas/ je marche sur cette jambe fantôme/ un bon appui en poésie/ nos poignées de main sont réelles »).

La réal­ité tan­gi­ble, le recours à la poésie-étai, la force de l’  « aujourd’hui c’est le jour de la plus longue lumière » : le rien sem­ble par­fois lui-même comblé…

Mais la soli­tude, cette guet­teuse, veille, et les vers sont terribles :

le poème capturé
on écrit seul
on finit par écrire à sa solitude

être absent et ter­ri­ble­ment concentré
ici et ailleurs
ailleurs et ici

Dans une écri­t­ure sobre, qui ne se paie guère de mots ni de métaphores clin­quantes, la poète tient sans doute reg­istre de ses peines pro­fondes, dans un jour­nal qui soit la juste dis­tance entre ses mots, « le sec­ours », entre « douleur et lumière ».

Par­tant de la lumière des « mâts de Nico­las de Staël » et celle des couleurs rafraîchissantes, bar­i­olées et diluées d’Anne Slacik, Véronique  a cir­con­scrit la sienne pro­pre, toute de con­stats sans appel, de brefs bla­sons qui mor­dent sur le réel, effrangeant le « rien », « la soli­tude » de quelques éclairs consentis.

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Philippe Leuckx

Né à Havay en 1955. Etudes de let­tres romanes.
Mem­bre de l’As­so­ci­a­tion des Ecrivains belges.
Cri­tique dans plusieurs revues et blogs (Jour­nal des poètes, Fran­coph­o­nie vivante, Bleu d’en­cre, poez­ibao, Les Belles Phras­es, revue Tex­ture…)

Prix Emma-Mar­tin 2011.

Auteur d’une trentaine de livres et pla­que­ttes de poésie : Une ombreuse soli­tude, Comme une épaule d’om­bres, Le fraudeur de poèmes, Le fleuve et le cha­grin, Touché cœur, Une espèce de tour­ment ?, Rome rumeurs nomades, Selon le fleuve et la lumière, Un pié­ton à Barcelone, Rome à la place de ton nom, D’enfances…