Marc DUGARDIN, Notes sur le chantier de vivre

Par |2018-04-06T15:28:22+02:00 6 avril 2018|Catégories : Marc Dugardin|

Pour avoir suivi un peu l’auteur de ce « jour­nal » de vivre depuis une bonne quin­zaine d’années, les champs d’investigation pro­pres au poète éclairent un par­cours mar­qué au sceau de plusieurs fil­i­a­tions esthé­tiques et humaines : l’amour de la musique, la fer­veur pour les amis, la quête inces­sante d’un peu de lumière au « soupi­rail » des enfances, le vœu d’une rigueur qui lui fasse éviter les roman­tismes courts ou la pose facile.

Les titres des derniers ouvrages (« Let­tre en abyme », « Table sim­ple », « D’écluse en écorce »,  « Dans l’oreille pro­fonde », « Soli­tude du chœur », « Frag­ments du jour », « Soupi­rail d’enfance ») dis­ent assez cette recherche d’une poésie essen­tielle, aus­si éloignée que pos­si­ble des pon­cifs et des lois du genre. Ecrire en poésie, c’est d’abord un choix dic­té, rigoureux, et la volon­té d’y inscrire l’éclairage d’une vie, tant il est pos­si­ble de par­ler en vrai de soi.

Le titre choisi, qui doit autant au « méti­er » de vivre du grand Pavese qu’aux chantiers sou­chonesques de Cater­pil­lar, bien moins anec­do­tiques qu’on le croirait, rameute les grands échos autour du tra­vail d’un Hen­ry Bauchau, dont la cor­re­spon­dance avec l’auteur des « Notes » illus­tre le grand âge, les lim­ites du vivre et le tra­vail de scribe autour d’ »Antigone ». Les ombres de Noullez et de Kinet valent aus­si leur pesant d’âme dans ce « réc­it » de soi où s’allient con­nivences et fratries spirituelles.

Dans ce « jour­nal », qui relève les activ­ités du poète sur la péri­ode 2009–2013, je retrou­ve aiguë cette rigueur qui car­ac­térise le poète et lui fait même écrire qu’il faut “nuancer” des pro­pos un peu for­cés du grand Bernard Noël à l’é­gard des dérives de notre siè­cle, et des manquements.

 

Marc DUGARDIN, Notes sur le chantier de vivre, Rougerie&Centrifuges, 2017, 196p., 13€.

Marc DUGARDIN, Notes sur le chantier de vivre, Rougerie&Centrifuges, 2017, 196p., 13€.

Surtout, ce qui me touche, dans ces “car­nets” (ou “jour­naux”), c’est la sub­tile présence de per­son­nes pour­voyeuses d’é­clair­cies au milieu du noir : cette “mam­my” qui a, dans un lap­sus éton­nant, après écoute d’une belle musique, “joui”; ces infir­mières qui trou­vent bien “douce” la musique que le poète écoute “dans un monde de brutes”; ces moments partagés dont il n’y a rien d’autre à dire comme le dit Per­ros d’être là tout sim­ple­ment (“table simple”?).

De 2009 à 2013, de brefs éclats des vies qui s’é­coulent, des morceaux choi­sis dans les pages lues des autres. Les bon­heurs. Les rêves par­fois bien inquié­tants (ou d’inquiétude).

Haydn, Brahms, Barthes (« mon énigme, c’est-à-dire ce qui de moi ne peut être vu que des autres »), les voy­ages au Rwan­da (et le réseau sub­til autour des poèmes et des gravures en grisé, pp.7 et 141, du témoin, poète et ami Nico­las Gré­goire), l’ « entrain  irré­sistible de Djan­go Rein­hardt », la pres­sion con­stante et presque « réfléchie » du monde onirique pour « déblay­er » le monde de soi, voilà le fretin intense d’un livre qui dit pas­sion­né­ment ses fer­veurs, accor­dant par­fois autant d’importance à ce que peut dire un Michaux ou un Gri­ot, tout « le tra­vail de la nuit » tran­spire ici (p.177) et ce « sen­ti­ment d’une men­ace » sur l’estomac – trace aus­si d’une con­science aiguë de la mal­adie au tra­vail (l’infarctus)…

Un livre d’une âpreté sourde, né d’une con­science haute d’écrire pour apporter un peu de lueur dans un lacis de con­tra­dic­tions, d’effervescentes ques­tions sur le monde, tou­jours en reste, tou­jours en chantier, dif­fi­cultueux domaine des hommes vig­i­lants, et qui en souffrent.

Présentation de l’auteur

Marc Dugardin

Marc Dugardin est né à Water­­mael-Boit­s­­fort le 27 novem­bre 1946. Habite actuelle­ment à Namur. A tra­vail­lé comme édu­ca­teur spé­cial­isé puis dans l’Enseignement de Pro­mo­tion Sociale. Mem­bre du comité de rédac­tion du Jour­nal des Poètes. Lau­réat de la Bourse Spes de poésie en 2005. A pub­lié, unique­ment en poésie, une dizaine de titres depuis 1982. Une poésie nour­rie par l’écoute de la musique, un chem­ine­ment d’homme entre désar­roi et émer­veille­ment, une soli­tude qui entre en réso­nance avec le chœur des vivants.

Marc Dugardin

 

Bib­li­ogra­phie

  • Con­nivences, Flé­malle, Vérités, 1982
  • Itinéraires de la patience, Brux­elles, Le Cormi­er, 1984
  • Ricer­care, Flé­malle, L’Arbre à paroles, 1984
  • Poème des matins exigeants, Mortemart, Rougerie, 1986
  • Une par­en­thèse pour le vent, Mortemart, Rougerie, 1989
  • Un pas pour l’éphémère, un pas pour l’éternel, Mortemart, Rougerie, 1993
  • La peur la pléni­tude, Amay, L’Arbre à paroles, 1994
  • L’écoute infin­i­ment, Mortemart, Rougerie, 1999
  • Adieux, en col­lab­o­ra­tion avec Lucien Noullez, Brux­elles, Edi­tions de l’Ours, 2000
  • Soli­tude du chœur, Mortemart, Rougerie, 2002
  • Hov­e­nieren in ver­getel­heid / Jar­diner dans l’oubli, Leu­ven, Edi­tions P, 2002
  • Stances, Amay, L’Arbre à paroles (col­lec­tion Tex­tim­age – avec deux gravures de Jean Ver­ly), 2004
  • Frag­ments du jour, Mortemart, Rougerie, 2004
  • Een­zame samen­zang en andere gedicht­en / Soli­tude du chœur et autres poèmes, Leu­ven, Edi­tions P, 2005
  • Soupi­rail d’enfance, Mortemart, Rougerie, 2007
  • A la escucha, Mex­i­co, Edi­tions Fos­foro, 2009
  • Voyageurs que nous sommes  (avec des pho­togra­phies de Muriel Claude), Brux­elles, La Ravine, 2009
  • Dans l’oreille pro­fonde, Châte­lin­eau, le Tail­lis Pré, 2010
  • Over en weer/ De part et d’autre  (en col­lab­o­ra­tion avec Mar­leen De Crée, gravures de Goedele Peeters), Leu­ven, Edi­tions P, 2011
  • D’écluse en écorce (en col­lab­o­ra­tion avec Alexan­dre Valas­sidis), Paris, L’herbe qui trem­ble, 2011
  • In memo­ri­am, tirage lim­ité à 20 exem­plaires avec des col­lages de Max Partezana, édi­tions Cen­trifuges, 2011
  • Quelqu’un a déjà creusé le puits, Mortemart, Rougerie, 2012

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Philippe Leuckx

Né à Havay en 1955. Etudes de let­tres romanes.
Mem­bre de l’As­so­ci­a­tion des Ecrivains belges.
Cri­tique dans plusieurs revues et blogs (Jour­nal des poètes, Fran­coph­o­nie vivante, Bleu d’en­cre, poez­ibao, Les Belles Phras­es, revue Tex­ture…)

Prix Emma-Mar­tin 2011.

Auteur d’une trentaine de livres et pla­que­ttes de poésie : Une ombreuse soli­tude, Comme une épaule d’om­bres, Le fraudeur de poèmes, Le fleuve et le cha­grin, Touché cœur, Une espèce de tour­ment ?, Rome rumeurs nomades, Selon le fleuve et la lumière, Un pié­ton à Barcelone, Rome à la place de ton nom, D’enfances…

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