Marc Dugardin, La vierge au dieu manquant

2018-01-07T19:50:58+01:00

Là, assise, les mains posées sur les genoux, les paumes tournées l’une vers l’autre, l’enfant, son enfant, elle le tient, mais il n’est pas là, elle ne tient qu’une absence de dieu.

L’enfant-dieu, le nour­ris­son, elle, la vierge, elle nous le présente, elle nous le présente qui manque, depuis des siè­cles, ce geste figé d’une présen­ta­tion en creux.

Mère dont le jeune vis­age laisse toutes les ques­tions en sus­pens… L’enfant a‑t-il été volé ? Un ange l’a‑t-il pré­maturé­ment ramené au ciel ? Une autre femme, ailleurs, en prendrait soin ?

Vis­age qui préserve son mys­tère et ce n’est pas à l’usure du temps, à la pein­ture qui s’écaille que l’on doit ce trou­ble. Non, c’est à ce regard accordé à l’absence, ce regard qui nous met en présence de ce qui n’est pas là.

A‑t-elle seule­ment jamais porté un enfant dans son ven­tre, cette femme, cette jeune fille, que sait-elle du poids du monde, elle dont les mains depuis si longtemps por­tent l’invisible ?

Ses mains écartées, mais les bras tout près du corps, elle n’accueille que son enfant, que son roi, que son dieu, n’allez pas vous sub­stituer à lui, elle est mère de cette absence, c’est tout !

Triste ? Peut-être… mais elle n’ouvrira pas la bouche, elle restera muette, si un cri de mère éplorée jail­lit en elle, vous ne l’entendrez pas.

Ou s’il y a un désir, ou s’il y a un espoir, ou si son geste n’est qu’attente, vous ne le saurez pas, vous ne saurez rien.

Mère de l’enfant invis­i­ble, mère de l’enfant qui manque, mère du nom qui n’a pas été don­né, et vous ne poserez pas votre tête sur ses genoux, non quelque chose vous arrête, car sa ten­dresse même est réservée à ce qui manque, ô cette mère de la ten­dresse, ô ce manque tou­jours au cœur de toute tendresse…

Et ce reproche, léger certes, tout de même, ce reproche dans son regard, elle, inno­cente, elle, pure dit-on de toute faute, sommes-nous coupables, est-ce nous qui provo­quons, ce manque, est-ce nous qui con­damnons toute présence à l’absence ?

Qu’est-ce qui est arrêté dans les plis de sa robe, qui trem­ble au bord de ses lèvres, qui se dis­simule sous la pein­ture blessée de son vis­age ? Une parole qui ne peut être dite, une absence sur laque­lle nous fon­dons notre parole ?

Seule­ment ain­si, dieu pou­vait être présent dans notre mai­son : comme le manque que tient cette mère dont l’image est accrochée au mur.

Mère de tout ce qui nous manque, mère de ce qui, au fond de notre mémoire, nous inscrit dans l’oubli.

 

Extrait de Un pas pour l’éphémère un pas pour l’éternel, Rougerie, 1993

Vierge romane

Présentation de l’auteur

Marc Dugardin

Marc Dugardin est né à Water­­mael-Boit­s­­fort le 27 novem­bre 1946. Habite actuelle­ment à Namur. A tra­vail­lé comme édu­ca­teur spé­cial­isé puis dans l’Enseignement de Pro­mo­tion Sociale. Mem­bre du comité de rédac­tion du Jour­nal des Poètes. Lau­réat de la Bourse Spes de poésie en 2005. A pub­lié, unique­ment en poésie, une dizaine de titres depuis 1982. Une poésie nour­rie par l’écoute de la musique, un chem­ine­ment d’homme entre désar­roi et émer­veille­ment, une soli­tude qui entre en réso­nance avec le chœur des vivants.

Marc Dugardin

 

Bib­li­ogra­phie

  • Con­nivences, Flé­malle, Vérités, 1982
  • Itinéraires de la patience, Brux­elles, Le Cormi­er, 1984
  • Ricer­care, Flé­malle, L’Arbre à paroles, 1984
  • Poème des matins exigeants, Mortemart, Rougerie, 1986
  • Une par­en­thèse pour le vent, Mortemart, Rougerie, 1989
  • Un pas pour l’éphémère, un pas pour l’éternel, Mortemart, Rougerie, 1993
  • La peur la pléni­tude, Amay, L’Arbre à paroles, 1994
  • L’écoute infin­i­ment, Mortemart, Rougerie, 1999
  • Adieux, en col­lab­o­ra­tion avec Lucien Noullez, Brux­elles, Edi­tions de l’Ours, 2000
  • Soli­tude du chœur, Mortemart, Rougerie, 2002
  • Hov­e­nieren in ver­getel­heid / Jar­diner dans l’oubli, Leu­ven, Edi­tions P, 2002
  • Stances, Amay, L’Arbre à paroles (col­lec­tion Tex­tim­age – avec deux gravures de Jean Ver­ly), 2004
  • Frag­ments du jour, Mortemart, Rougerie, 2004
  • Een­zame samen­zang en andere gedicht­en / Soli­tude du chœur et autres poèmes, Leu­ven, Edi­tions P, 2005
  • Soupi­rail d’enfance, Mortemart, Rougerie, 2007
  • A la escucha, Mex­i­co, Edi­tions Fos­foro, 2009
  • Voyageurs que nous sommes  (avec des pho­togra­phies de Muriel Claude), Brux­elles, La Ravine, 2009
  • Dans l’oreille pro­fonde, Châte­lin­eau, le Tail­lis Pré, 2010
  • Over en weer/ De part et d’autre  (en col­lab­o­ra­tion avec Mar­leen De Crée, gravures de Goedele Peeters), Leu­ven, Edi­tions P, 2011
  • D’écluse en écorce (en col­lab­o­ra­tion avec Alexan­dre Valas­sidis), Paris, L’herbe qui trem­ble, 2011
  • In memo­ri­am, tirage lim­ité à 20 exem­plaires avec des col­lages de Max Partezana, édi­tions Cen­trifuges, 2011
  • Quelqu’un a déjà creusé le puits, Mortemart, Rougerie, 2012

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