Julien Blaine, Carnets de voyages

Par |2021-07-06T17:09:39+02:00 5 juillet 2021|Catégories : Julien Blaine|

La pre­mière cri­tique de Lucien Was­selin pub­liée en mars 2013, dans le numéro 42 de Recours au poème.

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Il y a comme un para­doxe évi­dent dans la démarche de Julien Blaine : il proclame qu’on n’a plus besoin de livres pour faire vivre la poésie mais il con­tin­ue à pub­li­er des livres inclass­ables à moins qu’ils ne soient des recueils de ce qu’il appelle la poésie élé­men­taire…  Car­nets de voy­ages est l’il­lus­tra­tion de ce para­doxe. Mais il faut se sou­venir qu’il affirme aus­si, après avoir dit que le livre n’est pas inutile ou inin­téres­sant, qu’il est résidu­el. L’aspect résidu­el de ce que le corps (a) fait ? l’aspect résidu­el de la per­for­mance ? Peut-être. Le livre (de poésie, au sens où l’en­tend Julien Blaine) serait le recueil de traces de choses vues ou de choses faites que le regard trans­forme en poésie. Reste une bib­li­ogra­phie impres­sion­nante qui oblige à se pos­er cette ques­tion : com­ment abor­der un livre de Julien Blaine ? Com­ment abor­der ces Car­nets de voy­ages ? Peut-être en se sou­venant de cet autre livre, ancien puisque paru en 1972,  Proces­sus de décul­tur­ati­sa­tion. Dans ce dernier mot, il y a dé…ratisation. Comme si appa­rais­sait un pro­gramme d’érad­i­ca­tion de la poésie au sens où on l’en­tend habituellement.

Le livre s’ou­vre sur la pho­togra­phie de l’in­térieur d’une tour médié­vale per­cée d’une meur­trière. L’im­age s’ac­com­pa­gne de ces mots : “Quand la bom­barde appa­raît pour accom­pa­g­n­er l’ar­balète, la meur­trière se trans­forme en point d’ex­cla­ma­tion ! (écrit à l’en­cre couleur ciel)”. Et  c’est vrai que la découpe des pier­res qui donne sur le ciel a cette forme  que les typographes con­nais­sent bien. On a bien ici une trace de ce qui a été vu ; mais l’in­ter­pré­ta­tion à laque­lle elle donne lieu n’est pas neu­tre. Le voy­age est pré­texte à recueil­lir “l’empreinte d’une langue orig­inelle, une langue élé­men­taire qui remon­terait aux racines du verbe, hors de toute révéla­tion divine”, comme on a pu l’écrire. Nous voilà loin du mythe de la Tour de Babel… Ce signe appa­raît dans une con­struc­tion humaine, et c’est le regard qui le trans­forme en fig­ure poé­tique. De fait, ce vol­ume recueille des signes très divers : pho­togra­phies, jeux typographiques, cro­quis, images d’autres cul­tures… Ain­si la suite qui évoque une cul­ture ori­en­tale est-elle con­stru­ite pour dire le voy­age (qui va du km 17 au km 181). L’hu­mour n’est pas absent (puisque l’im­age est par­fois retra­vail­lée) quand Julien Blaine affirme que le sol­dat Han est “revu et cor­rigé par Jack­son Pol­lock ou le plâtri­er du coin”. Pro­pos icon­o­clastes ? En tout cas le tra­vail qui est mené mon­tre que l’assem­blage de signes isolés peut don­ner nais­sance à une “phrase”, un “texte”… Les jeux typographiques, les ensem­bles de let­tres, la fig­ure du cer­cle même… s’in­scrivent dans la tra­di­tion de la poésie spa­tial­iste telle qu’ont pu l’il­lus­tr­er Ilse et Pierre Gar­nier (avec Les Poèmes mécaniques par exem­ple ou des recueils plus récents). Rien n’échappe à l’œil avisé de Julien Blaine qui sait met­tre en regard (!) pho­togra­phie du lieu et pan­neau dont la sig­nalé­tique relève alors d’un humour involon­taire ou du hasard objec­tif… Ou des pho­togra­phies d’ob­jets très dif­férents (mais pas si éloignées matérielle­ment l’une de l’autre que ça !) qui don­nent du monde une image très éro­tique… Même la carte est util­isée comme dans l’ou­vrage de 1972, ce qui mon­tre la cohérence de la démarche de Julien Blaine.

    Car­nets de voy­ages ? Oui, car les  lieux aux­quels ren­voient ces “textes” sont bien ceux tra­ver­sés, d’une manière ou d’une autre, par le “poète” dont l’œil est tou­jours à l’af­fût. Mais aus­si, peut-être, voy­ages dans le temps  car la col­lecte de signes arrachés au réel n’a pas de fin et peut don­ner lieu à d’é­ton­nants retours en arrière pour qui con­naît un peu le tra­vail passé de Julien Blaine. Ce qui tend à prou­ver la fécon­dité de cette orig­i­nale langue des signes…

Présentation de l’auteur

Julien Blaine

Julien BLAiNE est né en 1942, à Rognac, au bord de l’Étang de Berre, flaque de mer jadis bleu-azur, aujourd’hui mar­ron glacé. Il vit à , Ventabren et à Mar­seille et nomadise le plus possible.
(Dénom­mé aus­si Chris­t­ian POiTEViN (patronyme) et d’une rib­am­belle d’autres noms
ÉDITEUR de Doc(k)s et d’une rib­am­belle d’autres périodiques
AUTEUR de 13427 poëmes méta­physiques et d’une rib­am­belle d’autres livres et catalogues
EXPOSANT de du sor­ci­er de V. au magi­cien de M. et d’une rib­am­belle d’autres expositions,
a présen­té en mai 2009 une impor­tante expo­si­tion au [mac] Musée d’Art Con­tem­po­rain de Mar­seille : un Tri.
ORGANISATEUR des Ren­con­tres Inter­na­tionales de Poésie de Taras­con et d’une rib­am­belle d’autres manifestations
FONDATEUR du Cen­tre Inter­na­tion­al de Poésie de Mar­seille (C.I.P.M.) et d’une rib­am­belle d’autres espaces culturels.
CHANTIERS EN COURS : la poésie n’intéresse per­son­ne, la 5ème feuille ou l’écriture orig­inelle, le Verssicône, Chom’art, Con­fi­dences d’Églantin, Text’art, Ihali, &c.

La vie & la phrase continuent…
Pour en savoir plus :

www.documentsdartistes.org/blaine <http://www.documentsdartistes.org/blaine>

 

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Lucien Wasselin

Il a pub­lié une ving­taine de livres (de poésie surtout) dont la moitié en livres d’artistes ou à tirage lim­ité. Présent dans plusieurs antholo­gies, il a été traduit en alle­mand et col­la­bore régulière­ment à plusieurs péri­odiques. Il est mem­bre du comité de rédac­tion de la revue de la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Tri­o­let, Faîtes Entr­er L’In­fi­ni, dans laque­lle il a pub­lié plusieurs arti­cles et études con­sacrés à Aragon. A sig­naler son livre écrit en col­lab­o­ra­tion avec Marie Léger, Aragon au Pays des Mines (suivi de 18 arti­cles retrou­vés d’Aragon), au Temps des Ceris­es en 2007. Il est aus­si l’au­teur d’un Ate­lier du Poème : Aragon/La fin et la forme, Recours au Poème éditeurs. 
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