Avec ce nou­veau recueil com­posé de cinq suites de poèmes, Alain Dan­tinne com­mence par ten­ter de cern­er ce qu’est la poésie. Cette “Parole abrupte” brouille les pistes, à moins qu’elle ne donne tout son sens au titre du livre. Alain Dan­tinne se place très rapi­de­ment sous l’aile tutélaire d’Achille Chavée. Si l’al­lu­sion au poète, ancien des Brigades Inter­na­tionales, est claire (un poème est dédié à sa mémoire), le reste de la suite désori­ente le lecteur, le place dans une cer­taine incer­ti­tude… En effet, un autre poème est écrit à la mémoire d’Alain Bertrand (que je n’ai jamais lu : une vie entière ne suf­fi­rait pas à lire tous les poèmes qui se pub­lient !), un autre est dédié à Christophe Mahy (que j’ai lu). Donc, l’al­lu­sion à Chavée est claire (on se sou­vient de l’af­fiche de la vit­rine de la librairie “La Jeune Par­que” de Brux­elles en 1968 : l’apho­risme de Chavée, “Je suis un vieux peau-rouge qui ne marchera jamais dans une file indi­enne”, per­met de com­pren­dre le poème de Dan­tinne (la flèche, l’archer, le car­quois, le bassin minier dans lequel Chavée pas­sa une par­tie de sa jeunesse) 1Voir le vol­ume de la col­lec­tion “Poètes d’au­jour­d’hui”, n° 190, Seghers, Paris, 1969, page 153. Mais l’in­cer­ti­tude est établie, même si Alain Dan­tinne avoue se méfi­er de la métaphore.

Alain DANTINNE, Pré­cis d’in­cer­ti­tude
L’Herbe qui trem­ble édi­teur, 144 pages, 17 €. 
Pein­tures d’Alain Dulac. 

Com­mande chez l’édi­teur.

La deux­ième suite, “Errance”, se car­ac­térise par un vif con­traste entre les des­ti­na­tions touris­tiques (com­ment dire autrement ?) et les poètes de prédilec­tion emportés lors de ces voy­ages. Alain Dan­tinne sem­ble avoir beau­coup par­cou­ru le monde et il a le sens de la protes­ta­tion et de la révolte à fleur de peau. S’il écrit un long poème lors de son voy­age dans le désert d’At­a­ca­ma, le hasard veut que j’aie lu, peu avant, le recueil que Gué­nane a con­sacré au même désert. Je retrou­ve le même sen­ti­ment d’é­trangeté mais les aspects his­toriques et poli­tiques sont bizarrement absents…

La Laponie est une région septen­tri­onale à cheval sur plusieurs pays européens, Dan­tinne y con­sacre la troisième par­tie de son recueil. Il con­naît bien cette terre et procède par petites touch­es. On y trou­ve des apho­rismes (?), des haïkus (?) mais sou­vent le texte se réduit à un empile­ment de vers brefs ou de sim­ples mots : cela ne fait pas poème.

Le qua­trième ensem­ble, “La Frise de la vie”, est con­sacré à l’œu­vre d’Ed­vard Munch. On sait que “Le Cri”, (sans doute l’une des pein­tures les plus célèbres de Munch, dont il existe plusieurs ver­sions) n’est qu’une pièce de “La Frise de la vie” que le pein­tre a assem­blée à la fin du XIXème siècle/au début du XXème… Alain Dan­tinne con­naît bien cet ensem­ble de toiles, ça donne de brefs poèmes bien sen­tis mais qui lais­sent le lecteur inter­ro­gatif s’il n’est pas fam­i­li­er du tra­vail de Munch (en dehors du “Cri”). C’est l’une des lim­ites de ce livre.

Enfin, il faut abor­der la cinquième et dernière suite; “Tumulte invis­i­ble”, qui est tra­ver­sée par l’é­mo­tion et qui est sans doute la plus attachante du recueil : il suf­fit de lire des poèmes comme Entre par­en­thès­es ou Cré­ma­tion… Alain Dan­tinne relit soigneuse­ment Georges Perec ou Zéno Bianu, ce qui vaut au lecteur de beaux poèmes…

Au total, ce “Pré­cis d’in­cer­ti­tude” donne l’im­pres­sion d’un livre man­quant d’u­nité de ton, par la mul­ti­plic­ité des musiques abor­dées. Peut-être Dan­tinne aurait-il intérêt à resser­rer son écri­t­ure ou ses choix ; mais je ne veux pas paraître incertain !

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Lucien Wasselin

Il a pub­lié une ving­taine de livres (de poésie surtout) dont la moitié en livres d’artistes ou à tirage lim­ité. Présent dans plusieurs antholo­gies, il a été traduit en alle­mand et col­la­bore régulière­ment à plusieurs péri­odiques. Il est mem­bre du comité de rédac­tion de la revue de la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Tri­o­let, Faîtes Entr­er L’In­fi­ni, dans laque­lle il a pub­lié plusieurs arti­cles et études con­sacrés à Aragon. A sig­naler son livre écrit en col­lab­o­ra­tion avec Marie Léger, Aragon au Pays des Mines (suivi de 18 arti­cles retrou­vés d’Aragon), au Temps des Ceris­es en 2007. Il est aus­si l’au­teur d’un Ate­lier du Poème : Aragon/La fin et la forme, Recours au Poème éditeurs. 

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