Lire Alain Dan­tinne est une aven­ture revig­o­rante à laque­lle je m’abandonne de bonne grâce depuis une ving­taine d’années. Le voy­age, le vrai, celui dont on ne revient pas ou alors changé en cet autre qui nous hante, est au cœur de sa voca­tion de poète

Avec ce recueil, l’heure de se retourn­er a son­né. Sans doute est-ce le moment de mesur­er le chemin par­cou­ru, d’apprécier non les dis­tances mais les lieux et les êtres remisés dans la mémoire du poème. Alain Dan­tinne n’a pas voy­agé pour ne faire que pass­er mais vrai­ment pour par­tir et emporter la soli­tude dans ses bagages. La feuille de route ? La poésie com­mence sou­vent / je me sou­viens / par un règle­ment de compte / avec les siens. Et avec soi-même, bien sûr, sans quoi il n’est pas de départ pos­si­ble. Alors oui, par­tir con­tre le vent, vers des ailleurs tou­jours plus loin, à la ren­con­tre des mots de hasard et des amours éphémères. Par­tir pour être soi, seul / le poing ser­ré comme une cer­ti­tude, avec l’énergie de la lib­erté au cœur et l’âme brûlée par la rage d’écrire. Pour cracher sa vie à la face du monde et des hommes. Cen­drars n’est jamais bien loin, ni tous ceux qui ont sac­ri­fié à l’art sacré du vrai voy­age. Je serai voyageur / … / Voyageur utopique / Voyageur de l’éphémère. C’est chose faite, de longue date. Depuis L’exil intérieur, les recueils se sont suc­cédés comme pour témoign­er à chaque fois de l’essentiel qui se dérobe devant les mots tracés sur la page vierge. Qu’importe les Amériques, la vieille Europe, les lat­i­tudes extrêmes et les rugisse­ments du Cap Horn s’il n’est la lumière des mots pour leur don­ner vie. Sans pour autant attribuer à la lit­téra­ture et à la métaphore plus de pou­voir qu’elles n’en ont, c’est-à-dire aucun. Alain Dan­tinne n’est pas dupe. Revenu de tout sans être blasé de rien, en dépit des drames et de la som­bre beauté du monde. Bourlinguer d’un con­ti­nent à l’autre emmène aux con­fins de la poésie, dans les allées / de l’éternel, là où le cœur se répand en lam­beaux

Alain Dan­tinne, Amour quelque part le nom d’un fleuve, dessins orig­in­aux de Jean Morette, édi­tions L’Herbe qui trem­ble, 2020, 282 p, 17€.

Et de cet éloigne­ment intérieur, qui con­tient tous les voy­ages pos­si­bles, le poète fait le con­stat que si l’espoir existe, c’est du côté de l’écriture qu’il faut le chercher. Dans les brèch­es de l’être. Les fêlures de l’esprit. Pour qu’au creux de l’absence jail­lisse la poésie, dans la calme lumière des pas­sions paci­fiées.

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Christophe Mahy

Christophe Mahy est né en 1970 à Charleville-Méz­ières. Il réside actuelle­ment en Touraine, dans le départe­ment du Loir-et-Cher. C’est en 2001 qu’il intè­gre la revue Les Amis de La Grive (lit­téra­ture générale con­tem­po­raine) où il côtoie, entre autres, des auteurs tels que Franz Bartelt, Guy Gof­fette, Alain Bertrand, Alain Dan­tinne, Lam­bert Schlechter, Bertrand Degott et surtout Jean-Claude Pirotte, qui lui fait con­naître l’association des Amis d’André Dhô­tel et la revue La Route incon­nue. Pen­dant plusieurs années, il donne des poèmes, des arti­cles, des chroniques et des notes de lec­ture à ces deux revues puis il col­la­bore à Diérèse (poésie con­tem­po­raine) pour laque­lle il tient le rôle de chroniqueur réguli­er entre 2012 et 2014. Il noue des rela­tions avec plusieurs poètes au sein des édi­tions L’Arbre à Paroles et est invité en 2011 au Fes­ti­val Inter­na­tion­al de Poésie de Namur (Bel­gique). Son tra­vail d’écriture se con­sacre en pri­or­ité à la poésie libre ou en prose, mais aus­si au réc­it, à la chronique, la fic­tion et au spec­ta­cle vivant. Il a pub­lié à ce jour une trentaine d’ouvrages chez divers édi­teurs indépen­dants ou régionaux. Il est égale­ment l’auteur de plusieurs livres d’artistes, en tirages lim­ités ou hors com­merce, de pré­faces et de notices. Il est le lau­réat du prix du poème en prose Louis Guil­laume 2018 pour Paysages du vent, aux édi­tions Noires Terres.