La seule lim­ite à la vie, c’est la mort. Et après avoir rap­pelé la mort de son cousin et de son père “à deux semaines d’in­ter­valle dans le même hôpi­tal”, Chris­t­ian Vigu­ié va s’employer à iden­ti­fi­er tout ce qui lim­ite la vie et ce qu’est l’écri­t­ure poétique.

La langue dont se sert le poète est “même et autre” et vivre est sans lim­ite (on pense au mot de Paul Élu­ard : “Grandir est sans lim­ites”). Dès lors, il est nor­mal que l’écri­t­ure et la mort se mêlent : “Drôle que pour la durée / j’ai davan­tage besoin du myoso­tis / et du papil­lon  / que du rocher” écrit, page 19, Chris­t­ian Vigu­ié. Ce qui expli­querait la forme d’in­spi­ra­tion décrite à la page suiv­ante : cela ne va pas sans une cer­taine prox­im­ité (puis-je employ­er le mot pan­théisme ?) avec le réel. Une atti­tude qui coïn­cide avec une volon­té têtue de non-anthro­po­mor­phisme  :  Chris­t­ian Vigu­ié se refuse à être “le cen­tre / où rien ne se  passe” (p 26). Mais rien n’est sim­ple : “Nous avons besoin d’une réponse / sus­pendue à rien / sinon à elle-même” écrit-il un peu plus loin (p 30). Cela ne va pas sans une con­science  aiguë des pou­voirs (lim­ités ? tou­jours à repenser ?) du langage.

Christian Viguié, Limites, Editions Rougerie

Chris­t­ian Vigu­ié, Lim­ites, Edi­tions Rougerie

L’ob­scu­rité est présente dans ces poèmes car Chris­t­ian Vigu­ié affirme “Le pre­mier mys­tère du monde / est de se con­tredire” (p 39), mal­gré tous ses efforts pour aller vers plus de clarté.  Finale­ment, le poète file la poésie comme d’autres filent la métaphore tant la suc­ces­sion de poèmes brefs ressem­ble à un long poème : la reprise du thème de la main (pp 41, 42, 44 et 52) qui fait penser à Kijno dessi­nant ou peignant son “automain” est l’im­age de l’in­sis­tance de Vigu­ié à repren­dre les mêmes mots (cass­er, branche, arbre, pier­res…)  tout au long du livre… Quelque chose donc qui sym­bol­is­erait l’i­den­tité pro­fonde de l’artiste (pein­tre ou poète). “Com­ment s’équili­brent la présence et l’ab­sence / le nom de ceux qui entrent / et de ceux qui sor­tent / le nom de tous les morts” : écrire serait alors don­ner sens à l’ab­sence, ce qui expli­querait le poème lim­i­naire (imprimé en italiques comme pour attir­er l’œil du lecteur). Leçon de mod­estie qui s’adresse au poète, il faudrait repro­duire le poème de la page 65,  mais ce serait ris­quer de lass­er le lecteur !

Chris­t­ian Vigu­ié se refuse à voir le monde tel que lui-même est, le coqueli­cot lui dit “qu’il n’y a pas à le com­par­er / à un homme / et que son trem­ble­ment /  n’est pas le trem­ble­ment d’une âme” mais qu’il est surtout et durable­ment  “un trem­ble­ment” (p 67). Leçon de mod­estie où le vécu est roi : “Il n’y avait pas […] à expli­quer le bleu du ciel  / et de la mésange  […]   / J’é­tais dans un poème /  et dans l’œil d’une mésange”

Belle leçon d’ad­hé­sion au monde, de coïn­ci­dence avec le monde, belle leçon don­née par une con­science qui sait qu’elle n’est qu’une infime par­tie de ce monde. En même temps qu’une magis­trale leçon d’écri­t­ure poé­tique, comme on dis­ait jadis leçon de choses

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Lucien Wasselin

Il a pub­lié une ving­taine de livres (de poésie surtout) dont la moitié en livres d’artistes ou à tirage lim­ité. Présent dans plusieurs antholo­gies, il a été traduit en alle­mand et col­la­bore régulière­ment à plusieurs péri­odiques. Il est mem­bre du comité de rédac­tion de la revue de la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Tri­o­let, Faîtes Entr­er L’In­fi­ni, dans laque­lle il a pub­lié plusieurs arti­cles et études con­sacrés à Aragon. A sig­naler son livre écrit en col­lab­o­ra­tion avec Marie Léger, Aragon au Pays des Mines (suivi de 18 arti­cles retrou­vés d’Aragon), au Temps des Ceris­es en 2007. Il est aus­si l’au­teur d’un Ate­lier du Poème : Aragon/La fin et la forme, Recours au Poème éditeurs.