C’est au plus près du silence de la réflexion qu’écrit Claude Albarède. Non parce qu’il se réfère au silence et ce, dès le début de Dehors Intime (“Marcher à pas lents / pour prononcer / la solitude et le silence”), mais bien parce qu’il sait que “…la poésie / si confuse de loin / et de près si troublante” se laisse toujours saisir. Le poème parfois n’a pas de fin grammaticale (p 21) ou bien le lecteur se demande-t-il s’il s’agit d’un long poème ou de poèmes qui se côtoient… À moins que ce ne soit la question posée de pure forme qui n’appelle pas de réponse (p 22)… La poésie est un flux ininterrompu, comme la marche dans la campagne ou alors il s’agit d’une “invention de mémoire”. Le ton est élégiaque à souhait, l’approche du réel circonstanciée. Seul semble compter le paysage naturel ou bâti par les hommes ; même un poème dédié “à la mémoire des copains disparus” glorifie-t-il sans ambages le paysage. Peut-être la raison est-elle à chercher dans la volonté d’Albarède à traquer l’absence dans ses poèmes ; n’écrit-il pas (p 31) “Si le poème nous échappe / Présent d’absence est un beau titre”. C’est que le poète avance “vers des formes sans corps” (p 37). Les mots trajet, marche, passage, arpenter sont fréquents tout comme l’obsession de “l’échec de dire” qui transparaît, mine de rien, dans chaque poème du recueil.
Albarède est un mystique sans dieu qui se laisse envahir par le paysage campagnard dans lequel il vit. Il note au début d’un poème : “On ne sera emporté / que par le paysage / vers des confins vertigineux”. Le vertige naît du paysage (et de sa contemplation), non d’une quelconque transcendance. Et pour faire bonne mesure, quelques pages avant (p 58), il dit son goût de la chair dans un texte dédié à Christiane à mots retenus, un poème qui désigne les rondeurs du corps dans la chambre haute. Mais le plus captivant est de constater combien l’écriture poétique est “contaminée” ( ? ) par le paysage : le poème attend “que retombe l’essor / […] // pour pierrer son silence / et serrer l’écriture / d’un caillou dans la main” (p 76). Albarède est l’homme d’un lieu, d’un paysage ; il s’identifie au pays natal à tel point que, parfois, le lecteur hésite à mettre un nom sur le JE qui prend la parole dans le poème : le poète ou le Causse (p 81) ? C’est là qu’on se souvient du déraciné que fut Albarède qui dut quitter son Causse pour exercer dans la grande ville. Comme on connaît son amour pour ses ancêtres vignerons ; comment s’étonner alors de ces paysans qui montent à la vigne “avec le rêve à gagner // pour en faire / au goulot / cet automne / le contre-poids / du sang d’encre” (p 83) ? Faut-il le rappeler, le sang d’encre, c’est le souci, l’inquiétude, voire l’angoisse…
Albarède n’oublie pas ses racines, il ne condamne pour autant la modernité. Et il continue à peupler ses poèmes de villageois(e)s qui les traversent et qui sont atypiques par les temps qui courent. Ces êtres ont trouvé leur juste place entre les pierres et les sources, entre les ronces et les orfraies “et murmure(nt) trois mots / sans rompre le silence”. Belle contradiction : Albarède n’en finit pas pas d’explorer l’intime au moyen de vers comptés (le plus souvent) et non rimés (tout aussi souvent), de regroupements strophiques menés irrégulièrement. L’ancien et la modernité réconciliés ?

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