Quelle est la langue de l’ex­il ?  Celle qu’on aban­donne ou celle qui s’im­pose ? Com­ment le lecteur com­prend-il, fan­tasme-t-il  cette étrangeté quant à la langue ? Marc Por­cu écrit des poèmes qui sont peut-être des répons­es à ces ques­tions. “Toute phrase per­due / Con­tient une par­celle du monde” écrit-il au début d’un poème. Alors la poésie serait le signe de ce qui est per­du, serait recherche d’un monde qui, sans cesse, s’échappe. L’his­toire vient sans doute con­trari­er ce pro­jet mais “les mots demeurent” et la parole qui advient dit “une part de soi qui se perd”. Est-ce un hasard si Marc Por­cu s’in­téresse tant au poème ? Le mot poème est dans le titre de cer­tains et Por­cu par­le du poème : “Le poème est une parole où naît le monde”. Et quand ce n’est pas le poème, ce sont les mots.

    Le poème de Marc Por­cu peut être con­sid­éré com­mue la tra­duc­tion de ce sen­ti­ment d’é­trangeté qui le fait se pré­cip­iter sur les mots pour mieux maîtris­er cette langue qui n’est pas la sienne. Et même pour illus­tr­er ce mot de Gérald Neveu : “La poésie c’est sor­tir de soi pour pour y faire entre les autres”. Dès lors, le poème donne la parole aux autres, par­le des autres et c’est très net dans À mes élèves :

 

“[…]

Il manque dans l’enfance

Cette mémoire amère

Le sourire d’un père

Comme un coin de vacances.

[…]

Il manque à ce  cheval

Un fer à chaque pied

Quand le chemin de fer tra­verse son champ de blé

 

Il manque à cet Arabe une carte d’identité

Pour­tant tu le con­nais il est de ton quartier

Au cœur de son désert même les pier­res lui parlaient

Ici c’est le silence ou la pierre du rejet.

 

Il manque un ouvrier

Qui vient d’être écrasé

S’il dérange la chaîne

Il n’y a qu’à le changer

Il manque à la télé une pub pour la paix

Et des enfants sans armes qui peignent des pavés

Il manque à l’hôpi­tal du sang pour le blessé

Il y a trop de sang sur les champs de bataille.

 

    Inno­cence et fraîcheur car­ac­térisent alors l’écri­t­ure de Por­cu dès lors qu’il s’ag­it des enfants : ils sont des sourciers, ils descen­dent de la voie lac­tée ; il s’ag­it ici encore de laiss­er la parole à Marc Por­cu : “Il faut pour le savoir retrou­ver notre enfance / repren­dre le coudri­er ou bien le noiseti­er / le ten­ant à deux mains ten­ant les yeux fer­més / rede­venir sourciers et quêter la lumière…”  De l’en­fant à l’ex­il, il n’y a pas loin, un poème comme Ils ont deux ciels entre leurs mains, qui donne son titre au recueil, le dit claire­ment : “Pour les enfants venus d’ailleurs / leur pays qu’on dit loin­tain / reste longtemps une page blanche / per­dant sa langue et sa gra­phie / sous la craie blanche qui s’ef­face / comme le ciel entre leurs mains / sur le tableau noir de la nuit.” Mais c’est aus­si une leçon de fra­ter­nité et de sol­i­dar­ité que délivre Marc Por­cu : “Et les enfants qui nais­sent ici / héri­tent ain­si d’un beau jardin”. L’ex­il prend aus­si d’autres vis­ages comme celui (passé ?) de l’esclavage comme le rap­pel­lent ces frag­ments “cauchemar de fond de cale” ou “voy­age / à fond de cale”. Que ce soit dans l’émi­gra­tion ou dans le déracin­e­ment de l’esclave, le poète explore l’ex­il et retrou­ve “l’en­vers des langues / l’im­pos­si­ble chant des mis­éri­cordes”. Ce qui attire l’at­ten­tion du lecteur sur la présence des mots langue et parole qui émail­lent les vers, comme sur celle des poètes dans les vers ou dans les dédi­caces. Ou encore sur la présence du jazz que ce soit par la référence à Chet Bak­er, que ce soit par le rythme du poème (qui, par la répéti­tion, la reprise, joue de l’o­ral­ité…). Oui, Marc Por­cu est bien à la recherche de la langue de l’exil.

    Mais reste alors une part d’ob­scu­rité dont le lecteur ne vient à bout. Du sens lui échappe ain­si comme pour sig­ni­fi­er ce noy­au intrans­mis­si­ble de l’ex­il, cette souf­france intime qui ne peut se partager. On ne peut jamais pénétr­er au plus pro­fond de l’ex­il : c’est “l’œu­vre de l’ex­ilé”.

 

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Lucien Wasselin

Il a pub­lié une ving­taine de livres (de poésie surtout) dont la moitié en livres d’artistes ou à tirage lim­ité. Présent dans plusieurs antholo­gies, il a été traduit en alle­mand et col­la­bore régulière­ment à plusieurs péri­odiques. Il est mem­bre du comité de rédac­tion de la revue de la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Tri­o­let, Faîtes Entr­er L’In­fi­ni, dans laque­lle il a pub­lié plusieurs arti­cles et études con­sacrés à Aragon. A sig­naler son livre écrit en col­lab­o­ra­tion avec Marie Léger, Aragon au Pays des Mines (suivi de 18 arti­cles retrou­vés d’Aragon), au Temps des Ceris­es en 2007. Il est aus­si l’au­teur d’un Ate­lier du Poème : Aragon/La fin et la forme, Recours au Poème éditeurs.