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Présentation de la revue VOCATIF

Créée en décembre 1982, cette revue, portée par la poète et artiste Monique Marta perdure, mais cherche des soutiens et des abonnements, comme la plupart des revues papier, à notre époque plus que jamais. 

Pour sa directrice de publication, il s'agit d'une vocation :  dès l’âge de huit ans, elle écrit des histoires, en faisant de véritables petits livres avec un nom de « maison d’édition » : Le Petit Chien. Editée à quatorze ans, dans une revue, pour une chanson : Coquelicot, elle  réalisait également un journal, typographié, destiné à la famille et aux amis. Il comprenait un feuilleton, des jeux, des « nouvelles ». A dix-huit ans, au cours de vacances d’été en Bretagne, elle participe à un concours de nouvelles, organisé par Hachette, pour les « auteurs en herbe » ,  Son texte, Une Petite Bulle de Verre, parut dans la fameuse Bibliothèque Verte et lui valut des interviews dans la presse et à la télé. 

Vocatif, "portes et passages", 9 euros.

Devenue professeure de français en lycée, elle met en place des  clubs de poésie, de théâtre ainsi qu’un petit journal, Baladêt, où étaient publiés des textes d’élèves. Dans le même temps, elle écrivait une pièce de théâtre, qui fut jouée à Nouméa, et de la poésie et pratiquait la peinture sur soie ; sur bois également. 

De retour en Métropole à la fin des années ’70, elle prépare une Maîtrise (sur l’enseignement du français en Nouvelle-Calédonie) et un D.E.A (sur la poésie contemporaine dans la région niçoise) Son directeur de recherche, Michel Sanouillet, était assisté du poète Jacques Lepage qui la mit en contact avec tous les poètes d’importance, vivant à Nice ou aux environs : Alain Lambert, Ben, Fabienne et Arnaud Villani, Jean-Louis Maunoury, Maryline Desbiolles (qui, plus tard, obtiendra le Prix Femina), Christian Arthaud, Daniel Biga, Jacques Kober, Christian Jacomino, Katy Remy, Numa Sadoul…  

Il y avait alors, à Nice, deux revues : celle d’Arnaud et Fabienne Villani, qui publiait un peu toutes sortes de poésies et celle de Maryline Desbiolles, Offset, beaucoup plus élitiste. Pour laisser place à un autre type d’écriture et à la spiritualité, elle crée en 1983la revue Vocatif, qui, bientôt, devint la seule revue niçoise. Dans un Manifeste, figurant dans le premier numéro, elle soulignait que l’important était le « vivant », l’ « authenticité » et que la revue se voulait ouverte à tous domaines d’expression : théâtre, philosophie, histoire… La revue, d’autre part, s’associait à des artistes. Elle se présentait alors sous forme de feuilles volantes, photocopiées, en couleurs et donnait lieu à des tirages de tête ainsi qu’à des vernissages, où intervenaient poètes, artistes, comédiens…  

Le 24 octobre 1985 décédait la jeune poète et amie Laurence Duval dont la dernière lettre la bouleverse au point d'entreprendre l'édition de sa Correspondance -  trois volumes,  d’une correspondance s’étalant de 1976 à 1985, et un livret, Le Journal de Lunaison, contenu du dernier carnet de Laurence. Ces publications donnèrent lieu à des lectures en bibliothèques. Suivent une anthologie poétique en 1989, la publication de  son Journal, avec des encres de  Yoko Gunji, à partir desquels elle fit un cadavre exquis, deux livres aux éditions Tipaza, et la remise du prix des Arts et Lettres de France en 2000, dans la section Humour. 

Ce furent des années difficiles, nous dit Monique Marta. La revue fut interrompue jusqu'en 2003, où elle reprit sous sa forme actuelle (un livret de 80 pages sous couverture cartonnée couleur), à raison de deux publications par an. La revue s’ouvrit alors à des auteurs et artistes de la France entière et du monde entier : Espagne, Belgique, Portugal, Irlande, Italie, Suisse, Chili, Allemagne, Bulgarie…, reprenant les rencontres et vernissages. Parmi les numéros parus : « Le Symbolisme », « Le corps », « Ombre et lumière », « Retour aux sources », « Le poète dans la cité », « Erotisme »…

Elle a régulièrement participé au Printemps des Poètes, avec des numéros hors série (format A4) et avec la collaboration de Martine Kaisserlian, chorégraphe, donnant lieu à des spectacles danse-poésie à la médiathèque Louis Nucéra, à Nice. 

Depuis 2015, Monique Marta est en lien avec le mouvement surréaliste, français et international,  pour la poésie et la peinture : c'est ainsi que le numéro 34 est consacré à ce mouvement. Il a été réalisé par Patrick Lepetit, poète et essayiste, surréaliste lui-même. 

Les collaborateurs réguliers de la revue, depuis les années 2000 sont Arnaud Villani, Patrick Lepetit, Michel Capmal, David Nadeau (Canada), Jacquy  Gil, Patrick Devaux (Belgique), Alain Helissen, Frédéric Dechaux, Claude Haza et par affinité de pensée  Bruno Geneste, Paul Sanda, Silvaine Arabo. 

L'’avenir de Vocatif  est incertain : la revue continue, mais rares sont ceux qui s’abonnent. Le numérique,  beaucoup moins onéreux, aussi bien pour l’éditeur que pour le lecteur, l’emporte, . Actuellement, à Nice, Vocatif est la seule revue de poésie (revue-papier). Elle l’a d’ailleurs été pendant longtemps, ne bénéficiant d’aucune subvention. 

Autrefois, la revue possédait un blog, mais l’alimentation du blog étant particulièrement chronophage, il a fallu abandonner, regrette la revuiste.

Le dernier numéro de Vocatif est "maigre" -40 pages . Pour une fois, après quarante ans de « bons et loyaux services » de sa directrice de publication, il n'a été réalisé qu’avec le seul fond des adhésions…  Riche dans sa thématique et les textes et illustrations qu'il propose, ce numéro a été  présenté lors d'un Jeudi des Mots, et a fourni assez de motivations à d'autres artistes et poètes, dont les oeuvres se trouvent sur le site de jeudidesmots.com, en écho au beau sujet de cette revue dont le nom est tout un programme.

Coordonnées de cette revue : 

 
14, rue du Colonel-Driant 
Le Jalna A2 
F-06100 Nice 
 
Téléphone : 04 92 41 30 34 
Email : monique.marta0294@orange.fr 




La revue Le Ortique accueille Marceline Desbordes-Valmore

La très belle revue italienne Le Ortique explore la littérature féminine internationale, et propose des articles en version bilingue Italien Français. La direction artistique n'a rien à envier aux contenus, diversifiés et riches tant en matière scripturale que pour l'iconographie, le tout accompagné par la rubrique Podcast qui offre de nombreux liens sonores faisant vivre cet ensemble déjà remarquable.

Après un entretien accordé à la revue, accessible à l'adresse https://leortique.wordpress.com/2021/03/24/la-voce-fissa-le-immagini-unintervista-a-marilyne-bertoncini-poeta-bilingue-e-traduttrice/ Marilyne Bertoncini, accueillie au conseil de rédaction, inaugure sa propre rubrique, MUSARDER, consacrée à la redécouverte d'écrivaines et artistes oubliées, et signe un article sur Marceline Desbordes-Valmore. Il semble que mettre à l'honneur cette pionnière de la poésie romantique soit une juste mesure. Elle invente le vers de 11 syllabes, impair, impose un lyrisme intime. Verlaine dira qu’elle est « La seule femme de génie et de talent de ce siècle et de tous les siècles ». Marceline Desbordes-Valmore est peu connue par ses contemporains pour ses recueils, un peu plus connue dans la presse où paraissent ses « romances » et parce que ses textes sont chantés.

Elle écrit donc une poésie qui prend de l’essor hors du livre. Elle est entendue. Mais tard. Et aujourd'hui il semble nécessaire de rappeler ce parcours, et ce que lui doit la poésie. 

C'est chose faite avec cet article, Marceline Desbordes Valmore (1786-1859) eroina romantica e poeta precursore del romanticismo, richement illustré et accompagné de nombreux poèmes et liens YouTube. 

Une synthèse, entre des éléments biographiques et une poétique inédite dont Marilyne Bertoncini rend compte, permettent de découvrir des aspects souvent occultés de la vie et de l'œuvre de la poète. Nous découvrons aussi que ses vers ont beaucoup circulé, car ils sont proches  de la romance, genre en vogue au XIXème, et genre populaire qui offre l’opportunité de permettre des innovations poétiques, des variations métriques et propose une certaine souplesse. Elle invente des formes libres, forge une nouvelles parole poétique,  et loin de toutes les conventions classiques elle invente une poésie qui a la puissance de cette liberté. Elle est portée par le désir de dire juste (elle introduit même du patois dans ses textes). Marilyne Bertoncini nous rappelle les nombreuses adaptations musicales auxquelles ses poèmes ont donné lieu, et accompagne cet article de nombreux poèmes.

Cet article est fidèle à la ligne éditoriale de la revue, Le Ortique, car il offre un panorama synthétique sur cette grande poétesse qu'était Marceline Desbordes-Valmore, mais il ouvre également des voies, des questionnements. A l'heure où la poésie, sa pensée critique comme la production de la majorité des discours théoriques littéraires sont majoritairement le fait des hommes, il est bon de rappeler que des femmes ont jalonné la route de l'histoire littéraire de joyaux qui ont éclairé des générations, car malgré cet état de fait, et la puissance de sa poésie, malgré son œuvre d’une grande richesse, l’histoire littéraire a préféré attribuer la découverte et l’énonciation d’une pensée et d’un art romantique à des hommes. Les femmes qui ont non seulement contribué à l’édification du mouvement mais qui en sont, pour Madame de Staël pour la théorie et Marceline Desbordes-Valmore pour l’élaboration de formes et de tonalités novatrices, à l’origine, ont totalement disparu des instances retenues comme fondatrices de cette modernité littéraire, dont le masculin a récupéré les lauriers. 

 

 

 




Cécile Guivarch, Cent ans au printemps

Se souvenir nous met au monde

Pour Cécile Guivarch

Comment garder ceux qui partent à jamais, si ce n’est en voyageant encore avec eux, les invisibles, dans « la barque » des souvenirs qui vont et viennent au gré d’émotions plus fortes que nous et qui nous appellent à chercher les mots ? Dans ce court recueil, de Cécile Guivarch, Cent ans au printemps, paru aux éditions Les Lieux Dits, les passagers sont deux, un mort aimé qui « aurait eu cent ans au printemps » et  sa petite-fille adulte qui cherche à « faire revenir » la vie en les réunissant dans l’enfance de l’écriture.

Le poème ne serait-il pas notre seul recours à l’heure de la séparation, nous souffle la poète dans ces vers, en nous invitant à revivre le très peu immense d’un quotidien et d’une relation de tendresse vécue dans l’enfance et par-delà : «elle courait et court encore / (là où elle est ) ». Comme si au fond la mort permettait d’ouvrir au présent un vécu remonté du puits du temps, et de le revisiter. Sourcière d’images, de sensations et de sentiments, Cécile Guivarch nous entraîne dans cette revisitation.

Cécile Guivach, Cent ans au printemps, Les Lieux-Dits, collection Les Cahiers du loup bleu.

Et sa peine, grâce à l’écriture, se transforme en succédané des bonheurs, puisque la langue lui permet de ressaisir la douceur d’un réel enfui et de lui donner un prolongement dans la parole habitée de la poésie.         

La mémoire qui dure donne ainsi une nouvelle naissance à l’être. Les vingt-deux poèmes du recueil égrènent les souvenirs de la narratrice dans des strophes ordonnées en deux parties séparées par un astérisque. La première partie, construite en deux distiques et un tercet, télescope les époques en décrivant un retour vers une campagne ancienne, à la fois même et autre : «  Les champs le bruit du tracteur », la couleur vespérale des blés, la texture de la terre « sous les ongles » sont décrits sous le ciel bleu d’un hiver désormais « sans feuilles », il n’y aura pas de printemps pour le disparu. Dans la douleur de l’adieu, le cœur  a besoin de revivifier les scènes familières de l’enfance, de retrouver les bruits, les odeurs, les gestes qui l’ont faite. La poète peut ainsi dessiner le portrait de celui avec qui elle a habité cet univers aujourd’hui déserté par lui - après elle. Elle nous rend sa présence à travers une histoire de vie que content les objets qui lui ont appartenu : «  le blaireau »,  « le tabac à rouler » et  « les médailles » d’ancien combattant deviennent des témoins muets.  Les lieux partagés ensemble, la maison avec «  le carillon de la salle à manger », comme « le jardin étendu plus loin que le jardin », sont à nouveau foulés. Malgré « le vide » laissé par l’absence,  tous retrouvent leur place sensible dans le regard de la narratrice.  Nostalgique, elle observe aussi les changements du paysage, tels  « les arbres » désormais « alignés sur la crête ».

Les strophes qui se succèdent sans ponctuation donnent à voir, à entendre et à sentir tout ce qui assaille la poète au bord du tombeau. A travers l’évocation de ce grand-père disparu, c’est la fin d’une enfance et d’un monde dont il s’agit. Mais ce qui en demeure se nomme lien – d’amour. De l’homme attentif mais taiseux, loup de mer  «  en bleu de travail », Cécile Guivarch veut « toucher la présence », et ressusciter son mode de vie simple, son courage sa tendresse retenue et l’ancrage de la relation qui les unissait. Comme l’écolière de jadis écrivant sa rédaction, elle tente « d’écrire ses yeux », leur couleur si particulière, «  leur transparence d’eau » désormais « invisible ». Dans la deuxième partie des poèmes, un autre distique aux vers plus brefs, souligne le va-et-vient de la pensée de la narratrice entre ce passé perdu et le présent en train de vivre l’adieu. Le deuxième vers des distiques toujours en italiques exprime le monologue intérieur de la poète : « (c’est rapide de mourir) », constate-t-elle mais il est possible de « redonner une deuxième vie », car écrire comme «  se souvenir nous met au monde ».

Cette « deuxième vie »  battante, celle de l’écriture, mêle le plus intime au plus universel. Dans ces vers écrits à la première personne, Cécile Guivarch choisit l’ellipse et un lyrisme discret qui nous invitent à poursuivre avec elle un voyage intérieur personnel. Ne traduit-elle pas en effet ce qui traverse chacun de nous, corps, pensée et âme, à la mort d’un être cher, aussi âgé soit-il ? Et quand celui-ci appartient à la geste familiale, le poème qui en vient accomplit le retour inévitable vers l’enfance qui nous fonde et nous habite interminablement. Grâce au flux des souvenirs et à l’intensité des perceptions suscitées par les lieux et les choses revisités, nous la suivons dans ce passage qui est descente et remontée. Cécile Guivarch en ce petit recueil construit une maison de mémoire où tout ce qui revient de l’oubli va trouver sa voix sur la page. Certes le poème n’effacera pas la séparation ni l’absence mais, en nous apprenant à parler la mort, il nous apprend aussi à parler la vie. Ces poèmes de l’adieu sont aussi poèmes de l’amour qui unit les vivants aux morts par-delà toute séparation.

                                         

Présentation de l’auteur

Cécile Guivarch

Cécile Guivarch est franco-espagnole, née près de Rouen en 1976. Elle vit actuellement à Nantes où elle anime le site de poésie contemporaine Terre à Ciel.

Bibliographie

Prix Yves Cosson 2017 pour l’ensemble de l’œuvre

  • Terre à ciels, Les Carnets du Dessert de Lune, 2006
  • Planche en bois, Contre-Allées, Poètes au potager, 2007
  • Te visite le monde, Les Carnets du Dessert de Lune, 2009
  • Coups portés, Publie.net, 2009
  • La petite qu’ils disaient, Contre-Allées, Collection Lampe de poche, 2011
  • Le cri des mères, La Porte, 2012
  • Un petit peu d’herbes et des bruits d’amour, L’Arbre à paroles, 2013
  • Vous êtes mes aïeux, éditions Henry, 2014
  • Du soleil dans les orteils, La Porte, 2013
  • Regarde comme elle est belle, Le petit flou, 2014
  • Le bruit des abeilles, La Porte, 2014 (avec Valérie Canat de Chizy)
  • Gestes printaniers / Xestos primaverais, Amastra-n-gallar, 2014 (traduction Emilio Araúxo)
  • Felos au galop / Felos ao galop, Amastra-n-gallar, 2014 (traduction Emilio Araúxo)
  • Renée, en elle, éditions Henry, 2015
  • S’il existe des fleurs, L’Arbre à paroles, 2015, prix des collégiens Poesyvelynes 2017
  • Sans Abuelo Petite, Les Carnets du Dessert de Lune, 2017
  • Cent au printemps, Les cahiers du loup bleu, Les lieux dits éditions, 2021
  • C’est tout pour aujourd’hui, La tête à l’envers, 2021, Sélection Prix francophone international du Festival de la poésie de Montréal 2022
  • Tourner rond, Petit Va !, Centre culturel de la poésie jeunesse Tinqueux, 2023
  • Sa mémoire m’aime, Les carnets du dessert de lune, 2023
  • Partir, L'atelier des Noyers, 2023

Participation à des anthologies et recueils collectifs :

  • Avec tes yeux, éditions en forêt, em verlag
  • La fête de la vie n°5, éditions en forêt, em verlag
  • Creuser les voix, éditions Samizdat, 2012
  • Métissage, L’arbre à paroles, 2012
  • Momento nudo, L’arbre à paroles, 2013
  • DUOS – 118 jeunes poètes de langue française né.e.s à partir du 1970,
    Anthologie dirigée par Lydia PADELLEC, Bacchanales, 2018
  • Sidérer le silence – poésie en exil, dirigée par Laurent Grison, éditions Henry, 2018
  • La Beauté - Éphéméride poétique pour chanter la vie, Editions Bruno Doucey, 2019
  • Le Système poétique des éléments, 118 poètes, éditions invenit, 2019
  • Polyphonie pour Antoine Emaz, Hors série 2019 N 47 Revue de poésie, 2019
  • Nous, avec le poème comme seul courage – 84 poètes d’aujourd’hui, éditions Le Castor Astral, 2020
  • Le désir en nous comme un défi au monde – 94 poètes d’aujourd’hui, éditions Le Castor Astral, 2021
  • Quelque part, le feu, éditions Henry, 2023

Autres lectures

Cécile Guivarch, Renée en elle

« Renée, mon aïeule », ce sont les premiers mots du récit bouleversant que nous livre Cécile Guivarch et déjà avec ce titre Renée, en elle, toute la présence puissante de cette aïeule dans le corps [...]

Le prix Yves Cosson 2017 : Cécile Guivarch

La rencontre de Cécile Guivarch avec l’écriture du poète argentin Roberto Juarroz a été fondamentale, ce fut pour elle la découverte de la poésie contemporaine facilitée ensuite grâce à des sites comme celui [...]

Cécile Guivarch, Sans abuelo Petite

Cécile Guivarch dans nombre de ses recueils creuse la question de la lignée, des transmissions d’une génération à la suivante. Comment existe-t-on dans ce mouvement ? Comment à partir des absences ,des silences,  des [...]

Cécile Guivarch, Cent ans au printemps

Se souvenir nous met au monde Pour Cécile Guivarch Comment garder ceux qui partent à jamais, si ce n’est en voyageant encore avec eux, les invisibles, dans « la barque » des [...]

Cécile Guivarch, Cent ans au printemps

C’est presque rien. Pendant trente pages, avancer la main dans la main de Dédé Guivarch, ou plutôt : Grand-père marche vers moi me cueillir dans le verger C’est son souvenir [...]

Cécile Guivarch, Sa mémoire m’aime

Le livre, de totale empathie, eût pu s’intituler « Le livre de ma mère » car ici respire l’hommage d’une fille à sa mère, dont l’attachement précieux a subi, en fin de parcours, le travail [...]

Rencontre avec Cécile Guivarch : De la terre au ciel

Cécile Guivarch est poète, et créatrice d'une revue de poésie incontournable, qu'elle diffuse généreusement, et où elle crée le lieu d'u. travail pluriel, et de publications ouvertes à de multiples voix, Terre à [...]




Guy Perrocheau, D’un phrasé monde

Où sommes-nous dès que nous ouvrons le livre de Guy Perrocheau, D’un phrasé monde ? Comme l’indique le poème liminaire, « vivre a poursuivi / son glissando » (p. 9).

Ce monde n’a rien d’un monde contemplé, ni observé qui le constituerait en objet. Le glissando que ce livre accomplit en sept parties, qui sont comme autant de mouvements, fait tout le contraire : du monde, il écrit le récitatif. Le « phrasé monde » de Guy Perrocheau concentre une énergie de la parole par une écriture : il la concentre et en même temps l’élargit, car le propre de l’écriture, dans ce livre, est de mener la parole, la moindre pensée qui la traverse, vers une dimension d’écoute que jamais cette parole n’aurait eu sans elle.

Il est troublant que, dès son titre, D’un phrasé monde soulève cette si ancienne relation du poème à la musique et qu’elle rende manifeste un rapport que l’on peut comprendre ainsi: que la musique est ici musique du poème ou que le poème, dès les premières lignes, rencontre sa musique, à savoir son glissando, son phrasé, son récitatif, qui sont la poursuite de son « vivre ». Dans ce premier poème du livre, le glissando découle de ces glissades, de la première ligne « … à ces bords de tertres usés de glissades ».

Guy Perrocheau, D’un phrasé monde, éd. Tarabuste, 2020, 132 p., 14 euros.

Happés par une phrase qui a déjà commencé, et qui est prise en un milieu, on y lit un peu le passage, en un glissement, d’une évocation paysagère à une évocation des opérations d’un phrasé intérieur au poème, aux dernières lignes « vivre a poursuivi / son glissando ». Entretemps : « les ténèbres de soi qui ont couru », « imaginez le sable qui vous enlise en dansant », « et le désert même ajusté / pile à ses poussées de sève ».

Ce premier poème semble alors poser une chose cruciale : que c’est dans ce phrasé, par cette musique à soi, qu’est reconnu – et vécu – le monde : « aube et nuit comme une seule friche on croirait / les stries de clarté qui raient le fond du monde ». C’est ce quelque chose du monde que l’on trouve en soi et dont le poème est la « répondance », au sens où Péguy entendait par là des séries d’échos, de reprises. De « friches » à « stries de clarté qui riaient », le livre de Guy Perrocheau montre une poésie de l’instant unique et d’une expérience subjective de l’intimité dans le langage. Il nous apprend, ou nous pousse à reconnaître, que dire « monde », c’est rejoindre le monde par une densité de langage. Entrer dans le monde, c’est entrer dans le langage, un peu comme avec Vargaftig, quand il écrit pour titre d’un livre Le Monde le monde (éd. André Dimanche, 1994) : si le mot se fait écho, c’est en deux instants, ce qui fait qu’il n’est jamais le même. Reprendre n’est jamais répéter. Dire ne crée pas une essence, mais un passage et une fiction. Le « phrasé monde » en est la création, l’invention, le franchissement ainsi que le basculement d’une ontologie et d’une phénoménologie vers une anthropologie.

La clarté est le problème poétique angulaire du livre. On le retrouve dans le motif ténébreux du début, qui se prolonge « jusqu’à / plus rien que la lumière » (p. 9) et se retrouve dans l’obscur, très présent au fil des pages. Sans doute y a-t-il là quelque chose d’une lecture de Rimbaud, dont les Illuminations sont citées  à chaque nouvelle section. La lumière est certainement à l’intersection du monde et de la phrase ; elle renvoie à ce que c’est qu’être un sujet dans le monde, un sujet dans le langage ; et l’on pourrait dire que cette phrase devient phrasé parce qu’elle se poursuit d’un bout à l’autre du livre, ce qui fait dire que ce n’est pas un recueil que nous tenons, mais un poème qui se cherche et s’écoute, se construit à chaque page. De sorte qu’à chaque fois nous sommes face à une page de ce poème, lieu d’écoute, d’attention et de vertige (« je m’envertige », p. 33). Et aussi le lieu d’une improvisation qui ne sait pas vers quoi elle va à force de s’y trouver. Ainsi chaque partie recommence-t-elle aussi le livre par cette lumière, non exempte d’obscur : la « supposée présence / muée jour nuit / secousse à secousse en un / phrasé monde » (p. 13), puis « l’issue par un tunnel / et je reçois le soleil » et « des rimes s’embrouillent tant / qu’on ne sait plus où / son petit printemps sur le dos / la lumière coule » (p. 31). Alors, « la lumière semble / ne plus devoir finir » (p. 53) et l’ « aube et nuit sur cette friche » (p. 59) reviennent pour que « des voix prennent leurs couleurs de la nuit » (titre de la cinquième section, p 71), avant cette question qui est aussi une affirmation en suspens : « vers quel autre / aujourd’hui » (p. 91). Enfin, la traversée de l’obscur dans la lumière, la lumière perçant l’obscur s’écrivent dans leur réciprocité parce que c’est de la traversée d’un sujet qu’il s’agit, l’un des « voyageurs du comment dire » : « autant de fois en un jour / que je suis entré dans cette spirale / et que j’en suis sorti […] j’avance dans aujourd’hui je tourne à / l’autre bout comme au centre » (p. 111). Le poème est « aujourd’hui » : sa clarté pousse ce je, résolument autre que celui assigné à une identité, à constituer un temps spécifique, celui de la reprise et du continu, autant de fois en un jour.

C’est ainsi qu’il y a un sens du passage dans cette poésie. Pour le dire autrement, avec la page 47, « pas le décompte / des choses vues / mais la traversée ». Dans une proximité avec la poésie de Meschonnic, voyage et passage (Voyageurs de la voix et Nous le passage, éd. Verdier, 1985 et 1990) construisent une intériorité critique de la personne dans et par l’intime. L’intime n’est pas la personne, chaque page le rappelle, et celle-ci l’énonce : « chaque fois la page tourne / une mémoire met bas / ses petits / ce qui fut / sera / l’aorte / comme un tronc » (p. 76). Avec cette mémoire qui se réinvente page à page, l’intimité qui affleure compose un récit irréductible à toute narration, un récit inénarrable pour ainsi dire et qui se construit comme continu : à lire le livre, on est surpris par tout ce qui s’y continue, chaque ligne tendant une sorte de perche à l’autre. Le tronc fait l’arbre et les branches : on pense aux « poussées de sève » du premier poème, à l’ « arbuste en fleurs / sitelle voletant / mes sentiers à l’aveugle ont ouvert / par mille et mille les plus longs / jardins de l’enfance » (p. 20), à « la forêt d’errance » (p. 34), à « la / lenteur arrêtée d’un feuillage » (p. 37). Enfin, « chaque arbre bouge / ou bien c’est une aube » (p. 48). Expérience subjective, donc artistique, le récit est un récitatif. Nous sommes donc au milieu d’un monde dans une phrase continue, dans ce qui ne cesse de « reprendre en nous les parcours / d’un phrasé monde » (p. 125), comme on le lit au final.

L’arbre pluriel de ce poème, mémoire et oubli composant l’aujourd’hui obscur et lumineux, est encore mis en mouvement : un « enrythmement » (p. 101) faisant une poésie de la page, de l’improvisation maîtrisée et finement travaillée, toute en abandon et ressaisie. S’y construit une écoute, qui en retour construit l’improvisation, le geste de l’écriture : « cette oreille qui écoute / où la beauté recommence » (p. 103). Cette maîtrise garde fidélité à « la dérive » qui pousse à (s’) écrire, sans jamais s’en tenir à du calcul ou de l’intention : « un langage advient / plus large que je n’ai pensé / plus fort que je n’ai voulu » (p. 41). Le vol et le chant d’un oiseau en donnent une idée, avec le parcours en élévation terrestre-aérienne de l’arbre : « toute douceur entre les mille / manières d’oiseaux en liesse / trouant les matinées pensives pour / quel point haut dans l’air / à nous toujours » (p. 123). Et le lecteur y retrouve des mots qui sont les siens : « chacun dans sa rencontre à l’infini de / chacun » (p. 94). Il y est écrit. C’est dire que D’un phrasé monde est à lire pour s’entendre dans sa trajectoire. Ce n’est pas tant être dans un lieu qu’être dans un mouvement.

Présentation de l’auteur

Guy Perrocheau

Guy Perrocheau est un poète français.

Bibliographie (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

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La minute lecture : Margaret Atwood, Circé, Poèmes d’argile

Dans ce recueil à l’écriture saisissante, Margaret Atwood renverse les rôles, les points de vue et donne du personnage de Circé un émouvant portrait.

Du mythe, on se souvient de la sorcière, des compagnons d’Ulysse métamorphosés en porcs, symbole de la domination des Dieux sur les hommes, mais aussi d’une femme sur les hommes.

L’autrice change le visage de la magicienne : la voilà désunie, s’éloignant d’elle-même, cherchant à échapper aux mirages, aux mensonges. En quête de vérité. Elle nie toute responsabilité dans les métamorphoses, déclare amour et fragilité, désire, souffre, jalouse Pénélope (au fond plus sorcière qu’elle), se dévoue à Ulysse jusque dans l’écriture de ses mémoires, le sert, se fait femme d’argile, réduite à son seul ventre. Elle s’adresse au guerrier que l’on découvre amant brutal, bestial, prenant terre et chair, possédant et quittant sans regrets. Lui aussi est transformé sous la plume de l’autrice, et comment ! Mais l’épreuve de la passion aura offert à cette attachante Circé un autre pouvoir : celui des mots, avec lesquels s’écrivent les prophéties et les histoires « sans pitié ».

Margaret Atwood, Circé, Poèmes d’argile, traduction de Christine Évain, éditions Bruno Doucey, 2021.

En attendant de commander ce très beau recueil chez ton libraire, tu peux en écouter un extrait ici :

Présentation de l’auteur

Margaret Atwood

Margaret Atwood, née à Ottawa en 1939, est l’auteure d’une quarantaine de livres – fiction, poésie et essais critiques. Traduite dans plus de cinquante langues, elle est l'une des plus grandes romancières de notre temps. Sont notamment parus chez Robert Laffont Le Tueur aveugle (« Pavillons », 2002), La Servante écarlate (« Pavillons Poche », 2017), un classique qui ne cesse d'être redécouvert et aujourd'hui une série TV unanimement saluée, ainsi que Captive (« Pavillons », 2017), également porté au petit écran.

Romans

La Servante écarlate, Robert Laffont, 1987 ((en) The Handmaid's Tale, 1985).
Les Testaments, Robert Laffont, 2019 ((en) The Testaments, 2019), Prix Booker 2019

Le Dernier Homme, Robert Laffont, 2005 ((en) Oryx and Crake, 2003)
Le Temps du déluge, Robert Laffont, 2012 ((en) The Year of the Flood, 2009)
MaddAddam, Robert Laffont, 2014 ((en) MaddAddam, 2013)

Autres romans

La Femme comestible, Robert Laffont, 2008 ((en) The Edible Woman, 1969)
Faire surface, Grasset, 1978 ((en) Surfacing, 1972)
Lady Oracle, Étincelle, 1980 ((en) Lady Oracle, 1976)
La Vie avant l'homme, Robert Laffont, 1981 ((en) Life Before Man, 1979) publié également sous le titre La Vie devant l'homme aux éditions Quinze en 1981
Marquée au corps, Étincelle, 1983 ((en) Bodily Harm, 1981)
Œil-de-chat, Robert Laffont, 1991 ((en) Cat's Eye, 1988)
La Voleuse d'hommes, Robert Laffont, 1994 ((en) The Robber Bride, 1993)
Captive, Robert Laffont, 1998 ((en) Alias Grace, 1996), adapté en 2017 sous la forme d'une mini-série de six épisodes intitulée Captive (Alias Grace) par Netflix
Le Tueur aveugle, Robert Laffont, 2000 ((en) The Blind Assassin, 2000). Prix Booker 2000
L'Odyssée de Pénélope, Flammarion, 2005 ((en) The Penelopiad, 2005)
C’est le cœur qui lâche en dernier, Robert Laffont, 2017 ((en) The Heart Goes Last, 2015)
Graine de sorcière, Robert Laffont, 2019 ((en) Hag-Seed, 2016)

Albums jeunesse

Tout là-haut dans l'arbre, Rue du monde, 2010 ((en) Up in the Tree, 1978). Adaptation par Alain Serres
Trois Contes très racontables, Seghers, 2019 ((en) Trio of Tolerable Tales, 2017)

Recueils de nouvelles

Les Danseuses et autres nouvelles, Quinze, 1986 ((en) Dancing Girls, 1977)
Meurtre dans la nuit, Remue-ménage, 1987 ((en) Murder in the Dark, 1983)
L'Œuf de Barbe-Bleue, Libre Expression, 1985 ((en) Bluebeard's Egg, 1983)
Through the One-Way Mirror1986
Mort en lisière, Robert Laffont, 1996 ((en) Wilderness Tips, 1991)
La petite poule vide son cœur, Serpent à plumes, 1996 ((en) Good Bones, 1992). Réédité sous le titre La Troisième Main aux éditions La Pleine Lune en 2005
Good Bones and Simple Murders1994
Le Fiasco du Labrador, Robert Laffont, 2009 ((en) The Labrador Fiasco, 1996)
The Tent, 2006
Moral Disorder, 2006
Neuf Contes, Robert Laffont, 2018 ((en) Stone Mattress: Nine Wicked Tales, 2014)

Recueils de poésie

Double Persephone, 1961
Le Cercle vicieux, Prise de parole - Du Noroît, 2000 ((en) The Circle Game, 1964)
Expeditions, 1965
Speeches for Doctor Frankenstein1966
The Animals in That Country1968
Le Journal de Susanna Moodie, Bruno Doucey, 2011 ((en) The Journals of Susanna Moodie1970)
Procedures for Underground1970
Politique de pouvoir, L'Hexagone, 1995 ((en) Power Politics, 1971)
You Are Happy1974
Selected Poems1976
Two-Headed Poems1978
True Stories1981
Love Songs of a Terminator1983
Interlunar1984
Matin dans la maison incendiée, Écrits des Forges, 2004 ((en) Morning in the Burned House1996)
Eating Fire: Selected Poems, 1965-19951998
The Door, 2007

Essais

Essai sur la littérature canadienne, Boréal, 1987 ((en) Survival : A Thematic Guide to Canadian Literature, 1972)
Days of the Rebels 1815-18401977
Cibles mouvantes, Boréal, 2006 ((en) Second words: Selected Critical Prose1982)
Strange Things: The Malevolent North in Canadian Literature1995
Negotiating with the Dead: A Writer on Writing2002
Cibles mouvantes, Boréal, 2006 ((en) Moving Targets: Writing with Intent, 1982-20042004)
Writing with Intent: Essays, Reviews, Personal Prose--1983-20052005
Comptes et légendes : La dette et la face cachée de la richesse, Boréal, 2009 ((en) Payback: Debt and the Shadow Side of Wealth, 2008)

Poèmes choisis

Autres lectures




Claude Albarède, Buissonnières

Claude Albarède est le poète de la fidélité au terroir. Il sait d’où il vient, où il va et pourquoi. Fort d’une œuvre écrite sur le motif dans les grands espaces du Causse, il poursuit un travail essentiel de veilleur, dont il rend compte ici avec des itinéraires en terrain connu, dans la lumière d’une méditation poétique de haute tenue.

C’est la vie passante qui a voix au chapitre, la lente respiration du vent, l’ondulation coiffée / du paysage. L’écriture s’accomplit au tournant du chemin et nulle part ailleurs. Elle prend note du temps, de la vie et de la mort, avec la patience des entreprises qui ont du temps devant elles. Se hâter n’est pas de mise. Il faut avant toute chose se rendre disponible, ralentir, s’arrêter. Reprendre souffle pour ne pas brusquer ni repousser / ces voix éteintes qui parlent encore néanmoins au silence qui suinte du paysage. Les mots sont rares, précis. Mesurés. La page est une mise en ordre, une ode à ce qui est. Un hommage au pays calciné par la solitude et l’abandon, mais qui fait face à ce qui s’annonce et menace, debout dans le soleil. La poésie résiliente de Claude Albarède aide à voir la vérité de la vie en face.

Claude Albarède, Buissonnières, aquarelles de Joseph Orsolini, éditions L’Herbe qui tremble, 2020, 104 p, 14€.

Il s’agit d’être dans sa distance / au plus près de soi-même. En pleine conscience. Comme si l’heure était venue enfin de vivre dans la liberté retrouvée des berges de mots et de patiences / qui contredisent / tout ce qui meurt.

Présentation de l’auteur

Claude Albarède

Claude Albarède, né à Sète en 1937, retraité de l'enseignement, vit en région parisienne. Sa poésie, marquée par ses racines languedociennes et son enfance au Larzac, se développe en une quinzaine de recueils, tous parus à compte d'éditeur, dont les 2 derniers, Résurgences aux éditions Folle Avoine (2009) et Un Chaos Praticable aux éditions L'Herbe qui Tremble (2011). Saluée par Luc Bérimont comme "une oeuvre de premier plan, avec son arrière goût de pierre-à-feu et la retenue d'une eau secrète" (Le Figaro Littéraire 1981), l'oeuvre poétique de Claude Albarède a obtenu le prix François Villon en 1980, le prix du Lion's Club International en 1984, la Bourse de Poésie Guy-Lévis-Mano en 1985, le prix A. Murat en 2004, le prix Aliénor d'Aquitaine en 2009. Elle a fait l'objet d'attentions dans le cadre de manifestations culturelles diverses (Printemps des Poètes, Poésie en lycée, expositions en médiathèques, Chemin des poètes de la ville d'Yerres, articles de presse, publications à la N.R.F et autres revues telles que l'Arbre à Paroles, Diérèse, Arpa, Traces etc... ainsi que dans diverses anthologies - comme Visages de poésie - Jacques Basse 2009, et sur le net : Printemps des Poètes, l'Arbre à Paroles, Thau-Info.

Poèmes choisis

Autres lectures

Claude Albarède sur le Causse

Un homme arpente son pays. En quête de signes, d’empreintes d’un temps révolu. Des mots surgissent : « source », « vent », « garrigue », « sentier », « buisson », « village », « herbes », « pierres »… Nous sommes sur le Causse du Larzac, le pays [...]

Claude Albarède, Le Dehors Intime

C'est au plus près du silence de la réflexion qu'écrit Claude Albarède. Non parce qu'il se réfère au silence et ce, dès le début de Dehors Intime ("Marcher à pas lents / pour [...]

Claude Albarède, Buissonnières

Claude Albarède est le poète de la fidélité au terroir. Il sait d’où il vient, où il va et pourquoi. Fort d’une œuvre écrite sur le motif dans les grands espaces du Causse, [...]

Claude Albarède, Buissonnières

Claude Albarède est le poète de la fidélité au terroir. Il sait d’où il vient, où il va et pourquoi. Fort d’une œuvre écrite sur le motif dans les grands espaces du Causse, [...]




Aurélie Foglia, Comment dépeindre

La poète et artiste peintre Aurélie Foglia rend compte dans son dernier livre d’une triple expérience : celle d’une poète qui écrit sur l’acte d’écrire, d’une peintre sur celui de peindre (quels liens entre les deux ?), enfin d’une femme victime d’articide de la part de son compagnon violent.

Comment commencer un tel  livre ? Dans son ordre chronologique des quatre saisons (À la manière de ma main / Avoir à voir / Peindre avec la langue / Vous désarticulées) ou bien à rebrousse-temps ? Pour moi qui ai tendance à lire d’abord dans le désordre, je débuterai cette note par la dernière saison (pages 109 à 203) qui occupe la plus grande partie de l’ouvrage. On remarque d’ailleurs que la pagination s’arrête à la page 199, les derniers poèmes n’étant pas foliotés. Est-ce une erreur de maquette ou un choix signifiant comme si les feuilles restaient désormais sans repères ?

Dans cette quatrième partie intitulée « Vous désarticulées », avec son accord au féminin, l’auteur s’adresse à ses toiles comme à ses enfants. 

Aurélie Foglia, Comment dépeindre, Éditions Corti, novembre 2020, 208 pages, 19 euros.

Que s’est-il passé dans la vie de l’artiste ? Une note explicative nous le précise en toute fin : son compagnon, prédateur violent, a en son absence détruit toute son œuvre, soit 150 toiles. Un articide-féminicide car la peintre et ses créations sont charnellement liées, indissociables l’une de l’autre. Un prédateur sait toujours où porter ses coups, son but étant la mort de sa proie.

Ne reste au bout du compte du « massacre » que la seule œuvre qu’il connaisse : « l’œuvre de la violence ». Qu’on ne s’y trompe pas, il s’agit d’un crime, par démantèlement et dépossession. Faut-il être un artiste, un poète, pour le comprendre ? La police, la justice ont minimisé l’impact de l’articide sur sa victime, comme certaines personnes de son entourage : « heureusement tu / es saine et sauve / ce sont tes toiles / qui ont trinqué / ce ne sont que des toiles / après tout... » Les œuvres sont de la chair, du sang, du temps, de l’amour, elles vivent comme des « enfants du bout des doigts », comment l’ignorer ? Quelle est cette société où l’on tolère autant de violences à l’égard des femmes ? Où ce n’est pas si important « après tout » ? Faut-il attendre que la femme perde la vie pour que l’on intervienne ?

 

un pan d’œuvre est mort
de mon vivant

le corps atteint
se replie et se tait

un arbre à qui on a
arraché ses bourgeons

quand on touche à l’œuvre
l’œuvre crie

c’est plus fort que moi

 

Cette métaphore de l’arbre n’en est pas une, on le comprend en reprenant le livre à son début. Le lien de la peintre-poète avec l’arbre est organique, consubstantiel. Son nom même Foglia ne signifie-t-il pas qu’elle est feuille ? Le rapport est intime, ontologique. L’arbre, pérenne, silencieux, profus dans ses formes et couleurs, est source, lumière, vie, ressource inépuisable. Il est là depuis la nuit des temps, présence tutélaire que la main heureuse ne peut asservir.

 

les arbres sont mes aiguilles
pinceaux mètres étalons
échelles béquilles
/…/

 

Aurélie Foglia peint les arbres avec son corps, à mains nues, au plus près de la matière et des éléments, comme dans un retour aux origines de l’humanité. Seule la toile-paroi est l’interface. Il lui faut dépeindre, désapprendre à peindre comme on désapprend à écrire pour retrouver la source vive du surgissement, son point d’émergence. Elle recherche l’instant premier qui permet la libre création, désentravée de tout.

 

ma pratique remonte

à l’époque où l’homme avait plus
de mains

s’en remettait aux rites avant de
ses corps

tapis dans ses viscères à l’image de
la touffeur dehors

pour conserver l’animation ma-
gique des ombres sur les parois à
nu

d’une caverne

 

Cette expérience directe et intense de la peinture est particulièrement émouvante car elle dit la réappartenance à soi-même, au monde, à ses éléments, à son histoire. Plus rien n’est séparé. La main caresse, devient musique, main d’harmonie, de don et non de prédation.

La bouche aussi est une « cave ». C’est elle le lieu premier de la poète, qui précise : « je ne suis pas / peintre à l’origine ». Sa peinture, toute instinctive, relève du geste. Elle avance sans intellect, sans mots, − pour leur échapper peut-être − dans un jaillissement libre comme l’est celui du poème. Ce dernier est un arbre sur la page, filiforme et aéré dans ses ramures, filtrant sa lumière goutte à goutte. Il se cherche, se sculpte à son rythme, crée son espace, voudrait se « peindre avec la langue ». On le voit, arbres, poèmes, peintures sont étroitement liées dans une même énergie vitale. Ils procèdent du même rituel sauvage, dépourvu de nom car il ne sait ce qu’il cherche, toute trace créant son chemin, son inconnu jubilatoire libre de toute attache.

Les mots, eux aussi, sont libérés de leurs attaches. Ils frayent sur la page directement, sans l’aide des liens grammaticaux traditionnels, comme les couleurs qui, juxtaposées en touches sur la toile, changent de valeur au contact l’une de l’autre. Dans la création, tout s’interpénètre, mots, couleurs, matière, corps en un même acte d’amour, une même quête d’absolu : « le jaune est la couleur du jouir. »

L’auteur use dans ses vers de coupes signifiantes, un mot en contenant un autre que la césure inattendue éclaire tout à coup. Le mot n’est pas seul mais pris dans un réseau de sens qu’il fait entendre par divers procédés lexicaux, une façon de rappeler que tout sur cette terre a partie liée, les arbres comme les humains, comme leur langage. Alors on lit, on relit, on revient en arrière sur la fine « marquèterie » pour capter un autre reflet, une autre vibration. « Où êtes-vous / mes arbres ar- / rasés ». Un mot dit toujours plus qu’il « n’en a l’art ». Et s’il est impuissant à dire, il se renouvelle : «  langue coupée / d’avoir vu l’invoyable » ou se réinvente : « je doigts / faire de la toile une page ».

Mots mobiles comme les couleurs qui jouent ensemble, s’appellent en miroir, mots qui excèdent leur rôle commun pour se mêler à leur guise dans la fluidité de la langue, la spontanéité originelle. Et sur la page l’œil aussi se fait mobile comme la main sur la toile. Le titre lui-même « comment dépeindre », question ou assertion, joue sur différentes épaisseurs sémantiques : comment décrire l’acte de peindre, celui d’écrire, comment faire abstraction de tout ce que l’on sait pour atteindre la nudité du surgissement, comment raconter le crime et le deuil, comment vivre sans peinture, amputé de soi ?

Souhaitons à Aurélie Foglia de retrouver l’énergie pure de ses mains, pour l’amour des arbres, des mots et des couleurs. Et que justice lui soit rendue.

Pour connaître les œuvres d’Aurélie Foglia : http://www.a-foglia.com/

Pour participer au collectif contre l’articide créé par Aurélie Foglia et Maud Thiria :

 https://www.fabula.org/actualites/collectif-contre-l-articide_100014.php

 

Présentation de l’auteur

Aurélie Foglia

Aurélie Foglia est maître de conférences à l’Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle et poète. Sous le nom d’Aurélie Loiseleur, elle a consacré ses premiers travaux de recherche au romantisme.

Sa thèse a donné lieu à un livre, L’Harmonie selon Lamartine, utopie d’un lieu commun (Champion, 2005), et elle a consacré de nombreux articles à Hugo, Vigny, Baudelaire, Flaubert, Rimbaud ou Verlaine, entre autres. Elle est l’auteure d’une “Histoire de la littérature du XIXème siècle” dans la collection 128 (Armand Colin, 2014).

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

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Christian Bulting, Maryvonne Janine Berthe et les autres 

L’enfance au cœur.

Ce nouveau livre clôt la tétralogie commencée avec le récit Madeleines paru en juin 2011 également aux éditions du Petit Pavé1.

 

En ce récit aussi, la quête du temps perdu et retrouvé grâce à la force de l’écriture.

Une fois encore Christian Bulting brosse des portraits dont il a le secret ; une nostalgie lumineuse plane sur ses souvenirs. On s’attache à ces jeunes femmes, le regard du narrateur y est toujours bienveillant, elles surent chacune à leur façon veiller sur son enfance et l’éclairer. Elles furent toutes « bonnes »… cet adjectif désuet aujourd’hui qui les désignaient alors socialement convient parfaitement à ce qu’elles furent pour lui, « bonnes » fées penchées sur cette enfance dans les années 60.

Chaque portrait est comme un tableau de Manet, il oscille entre réalisme et impressionnisme :

Christian Bulting, Maryvonne Janine
Berthe et les autres
éditions du Petit
Pavé, 2020, 72 pages, 10 €.

Maryvonne, sur la photo, l’unique photo, seule, dans la cuisine, lève légèrement la tête de son ouvrage vers le photographe. Elle a les cheveux mi-longs bouclés, chatain clair, avec une mèche sur le front à droite. Sur la gauche une raie. Son visage est large, de forme ovale, le nez droit, de taille moyenne, la bouche ouverte sur un sourire modeste et franc. A ce sourire je la reconnais, et au regard de ses yeux marron, espiègle et direct. La joie irradie de ce visage, pas une joie tapageuse, une joie simple et sûre d’elle-même. Il y a chez elle une solidité tranquille, très rassurante pour des enfants, une vigueur enjouée qui n’exclut pas la douceur. Cette douceur traverse le sourire sur la photo. 

Des portraits comme autant de photos que le père photographe n’a pas prises ; deux photos seulement seront retrouvées car tout en vivant avec la famille en journée, elles n’étaient pas de la famille, elles restaient en lisière de cette petite bourgeoisie provinciale, elles appartenaient toutes à un autre monde, ouvrier ou paysan …

Cette bourgeoisie, Christian en dresse aussi un portrait sans complaisance et toujours avec justesse.

Maryvonne, Janine, Berthe… ont fortement marqué l’enfance de l’auteur, elles sont l’une des facettes de cette France des années 60 aujourd’hui disparue ; quand elles quitteront la maison, à l’adolescence du narrateur, c’est tout un pan de la société qui disparait avec elles, mais il reste au cœur tous ces petits bonheurs qui traversaient les jours et son enfance, ils sont encore aujourd’hui des pépites qui nourrissent l’écriture de Christian Bulting.

Note

  1. MadeleinesChristian Bulting éditions du Petit Pavé
    Noémie une femme indépendante Christian Bulting éditions du Petit Pavé
    Eve Christian Bulting éditions du Petit Véhicule
    Maryvonne Janine Berthe et les autres Christian Bulting éditions du Petit Pavé.

Présentation de l’auteur

Christian Bulting

Christian Bulting est né en 1953 à Guérande (44). Professeur de philosophie, il vit à Orvault près de Nantes. En 1979, il fonde la revue et les éditions À contre-silence (54 publications entre 1979 et 2000).

En 2011, il obtient le Prix de Poésie de l’Académie de Bretagne et des Pays de la Loire pour l’ensemble de son œuvre.

Il participe à différentes institutions poétiques : la Demeure de René Guy Cadou (président de 1992 à 1994), la Maison de la poésie de Nantes (secrétaire de 2001 à 2004).

Il a publié 19 livres. Il a également publié dans une cinquantaine de revues et anthologies. Il est traduit en allemand, portugais, hongrois, géorgien.

Poésie

- Bis ( le Nadir - 1979 )
- La brûlure d’être ( A contre-silence - 1985 )
- Nu ( Traces - 1985 )
- D’un été l’autre ( A contre-silence - 1988 )
- Sur la page où naissent les mondes ( en collaboration avec
Daniel Briolet et Gérard Vermeersch - Acl-Crocus - 1989)
- Sculpter la lumière ( A contre-silence 1990 )
- Fieffé rêveur ( Petit véhicule - 1994 )
- La saison violente ( Echo Optique - 1995 )
- La joie reverdit ( La Bartavelle - 1997 )
- Aujourd’hui ( La Bartavelle - 2001 )
- Visuelles ( Alain Benoit - 2001 )
- Ceci n’est pas un livre ( Gros Textes - 2003 )
- La poésie de Daniel Biga ( anthologie - Gros Textes - 2006 )
- Avec ton corps ( Petit véhicule - 2006 )
- Vieux bluesmen ( Gros Textes - 2007 )
- L’homme qui faisait parler les choses ( postface - conte-portrait - à « Humour blanc et autres fabliettes » - Guillevic - Seghers- 2008 )
- Un jour d'exercice sur la terre ( Gros Textes- 2011)

Roman

- La photo sur le bureau ( Memoria - 1998 )

Essai

- J’écris des poèmes ( Ecrire aujourd’hui - 2001 )

Poèmes choisis

Autres lectures




Phœnix n°35 : sur les poèmes de Franck Merger

En parcourant le très beau numéro 35 de la revue « Phoenix », de textes en textes, mon regard poétique a été accroché par quelque chose de très différent qui m’a immédiatement pris dans ses rets. Trois textes superbes de Frank Merger : "Idiosyncrasie", "les larmes d’Homère" et "Homo Masiliensis". De Frank Merger, je connaissais les traductions du persan mais  pas les textes de poésie.

« C’est une ville où on s’oblige pas à grand-chose …. » Est-ce le rythme, les images contenues qui se bousculent ? Je me sens tout de suite porté par la charge poétique de ces mots de la ville « incivile agressive insalubre » Les mots se dressent comme la ville , en ont la couleur et les jeux sonores, accueillent comme un guide le fil des réflexions de l’hôte dans une poésie empathique qui ne veut pas heurter mais nous emmener dans ces rues où ce sont les images que l’on touche, sans s’arrêter à ce qu’elles apportent de débauche, désarroi , vie « où cognent les rats ».

La beauté pénètre cet univers brut où grouillent blattes cafards et rats, dans l’horizon d'immeubles et de rues  ponctuées de drogue de sexe et d'effondrement. On imagine le poète marchant dans ses rues et sans forcément chercher à comprendre, énumérant la ville :  il n’y a que le regard qui touche.

Et curieusement, moi qui viens d’adorer « Méditerranée romance»((Méditerranée romance, Yann Mirallès, Unes 2018)) je retrouve ici un esprit cousin, évocateur de ce passé- présent sombre et lumineux où le poète laisse la vue solaire et maritime se mêler à ce qu’il en sait, de ce passé grec,réminiscence de toutes les méditerranées. Les accents et les mots de Marseille sont toujours en partance, se joignent dans un même temps.

Ici l’écriture n’a rien d’abstrait, elle est juste, vraie et sensible, l’œil et la voix osent le mot, le fixent dans ce moment qui rejoint la lumière émerveillée résonnant dans les quartiers.

Quand Soudain calanques est le titre qui fait que l’on cause
« la calanque » c’est l’esprit de la ville
beauté lumière et dureté
les gens d’ici sont bruyants
mais ils se taisent à l’intérieur. 




Thierry Radière, Entre midi et minuit,

Thierry Radière, auteur d’une œuvre importante en poésie, romans, nouvelles, récits et essais, publie un livre-somme en trois parties, un triptyque plutôt tant tout est lié, relié sur un même fil de vie. Le poète dans ce recueil trois-en-un entreprend d’élucider, avec précision et ténacité, ce qui constitue la trame intime de sa vie : lire, écrire, vivre, une tresse aussi indissociable que l’air, le souffle et les poumons.

Le premier ensemble, riche de quelque 115 pages, intitulé Poèmes totémiques, fait écho à tous les poètes, hommes et femmes, lus, aimés qui ont laissé une trace durable sur sa plaque hypersensible de lecteur. Chacun d’eux, accompagné de son dédicataire, se dresse sur le seuil, compagnon bienveillant, ouvreur de piste, propagateur d’ondes ou magicien des visions. Tous unis sur « le petit cahier intérieur » dans une conversation qui se prolonge par-delà le temps et l’espace, étrange « proximité » comme si leur chair, leur âme étaient passées d’un bloc dans celles de leur lecteur. Car, pour Thierry Radière, la poésie est une énergie qui circule, qui donne sens et vie à ce qui est perçu. Lire, c’est entrer dans la tête de l’autre, dans tout son être, coins et recoins, dans son aura, unique. C’est le ressentir de l’intérieur, être changé par lui de façon intime, profonde. Priorité à l’émotion − ce mouvement au fond de soi − les mots lus vivent en lui comme des êtres à part entière, leurs cellules imprégnant son sang, sa chair, jusqu’à le constituer au même titre que tout le reste. « Où sont les heures intermédiaires / celles où on est à la fois / homme femme enfant animal / tout naturellement / entre les minutes diluées / et les repas à venir ? » Le poète est un être éminemment poreux, diffracté, éparpillé en un « gigantesque puzzle » où cohabitent tous les événements, tous les êtres du jour ou de la nuit comme autant de « bribes d’existence » qui remontent à la surface sans ordre particulier sinon la vie qui les capte. Car le temps de l’écriture est autre : il chamboule les frontières communes, les abolit.

Thierry Radière, Entre midi et minuit, poésie, La Table Ronde, mars 2021, 336 pages, 17 euros.

Ainsi, dans ce premier ensemble, se côtoient sans souci de dates des poètes d’hier et d’aujourd’hui, connus, moins connus, peu importe puisque, nourris de la même énergie vitale, ils forment la même tresse. Lire, aimer, est-ce autre chose que créer ? Qu’« aller de totem en totem / et de les faire tenir debout / du mieux possible » ?

Le poète, « secrétaire » de lui-même, parle avec beaucoup de lucidité de cette alchimie secrète qu’est l’écriture. Et s’ouvre le second ensemble « Je n’aurais pas pu voir », pages 127 à 240. Les mots, les siens, ceux des autres, donnent à voir, à vivre, permettent de ne pas, de ne plus mourir. Les mots savent de nous davantage que nous ne savons d’eux, on peut leur faire confiance. Ils flottent au bord de la conscience puis remuent, petits poissons entre deux eaux, avant de nager en liberté sur la page. Tous participent de « cette fascination pour la magie / dont j’essaie de comprendre les tours / assis à mon bureau / ligne après ligne / texte après texte / aussi déterminé / et nonchalant/ qu’un lapin blanc / échappé du haut chapeau / d’un prestidigitateur étranger. » Car le poète, aveugle-né qui a appris à « s’adapter le plus poétiquement / qui soit » se reconnaît dans chacun d’eux, tous l’aident « à voir plus clair », menus grains de lumière qu’il peut à sa guise faire danser au bout de ses doigts.

L’écriture possède son rituel, son lieu, son heure, son attitude. Son temps est à l’image du sentiment : « élastique » : « Il sera bientôt minuit / avant même d’avoir été midi / parce qu’écrire / c’est se perdre dans le temps / c’est en trouver un autre / jamais visible au bas de l’écran. »

Le titre dit assez ce qu’est le geste : un rite initiatique naturel, devenu solaire au mitan de la vie, mots de « plein jour », de « midi », heure où la lumière est à son zénith, heure de la pleine conscience, de l’ouverture grand champ après le long apprentissage des années, l’endurance acquise, moment le plus propice au croisement des antennes sensorielles et du savoir-faire.

Le poète, tel un éternel maçon aux « joues heureuses », le sait, ne s’inquiète pas, l’œuvre est en cours et se prolongera jusqu’à « minuit », terme du compagnonnage, âge de la sagesse conquise. Point de métaphysique ou de dogme ésotérique dans cette appréhension du monde mais le temps travaillé, juste lui, qui humblement fait son œuvre de la « première heure » à « la tombée de la nuit ». L’imaginaire peut voguer entre souvenirs et réalités, présences et absences, le tout est de « rester maître » dans son laboratoire à rêves. Le but : « absolument comprendre » ce qui pousse à créer, être en somme « mieux vivant ». Ou la poésie-la vie, comme une construction de soi-même, le meilleur moyen de faire advenir le monde en soi, qui n’existerait pas autrement. Une œuvre œuvrée doublement. Une durée.

Dans « J’avais déjà dit un jour », troisième ensemble, le poète peut tout redire car tout est toujours nouveau. Il peut emprunter les mêmes trains, péniches, voitures ou avions, enjamber les mêmes ponts, parcourir les mêmes routes, revoir le même film, tout a changé car lui-même a changé. Et le voyage ne peut finir pour l’aventurier de soi pris dans ses rêveries. Il ne va nulle part ailleurs qu’au fond de lui-même, point de fuite illusoire, inatteignable mais qui le guide sur la pellicule en cours. Depuis sa « cabane d’enfant sauvage » jusqu’à son bureau-vigie qui fait acte de résistance, « le cinéma intérieur » peut continuer de partager en douceur ses fantasmagories « Entre midi et minuit ».

Aucune effusion de style chez Thierry Radière qui écrit « sans prétention », « sans paillettes », aucune envolée lyrique mais des mots simples, justes, sans masques ni « mascarade », qui résonnent au plus près des sensations. Des mots que l’on reconnaît. Nul vocable savant ou alors en clin d’œil amusé comme ce « postprandial » qui clôt gaillardement un déjeuner dominical. «Tout est là sans discours / ni cravate ni robe de soirée / avec des contours et un relief / si parlants / qu’on en oublierait/ sa langue maternelle.»

Aussi, yeux fermés après la lecture du livre de Thierry Radière, ai-je moi-même oublié ma propre langue pour entrer dans la sienne et ajouter un dédicataire aux « poèmes totémiques » d’ouverture. Que leur auteur voie dans ce sillage impromptu l’une des innombrables traces qu’inscriront ses poèmes dans l’âme de leurs lecteurs.

À Thierry Radière

De la page qu’il lit à celle qu’il écrit
tout se multiplie démultiplie
c’est une cellule pas comme les autres
une du cœur (du cœur du cœur)
reliée à tout le reste
un organisme vivant à longs cils
qui vibre fusionne ramifie
il n’y peut rien il est né comme ça
− et même d’avant −
pour dire ce qui importe
les voyages improbables à dos d’étoile
ou de pince à linge les bribes de rien
choses menues ou grands soleils
qui tournent dans le ventre
à la vitesse de comètes
ou de tortues oubliées
tout cet indicible qu’il aime
soudain transvasé
renouvelé − intact.

Marilyse Leroux

 

Présentation de l’auteur

Thierry Radière

Thierry Radière est né en 1963 dans les Ardennes. Il écrit, roman, nouvelle, autofiction, poésie, et publie en revues et webzines.

Bibliographie (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

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