Pure sen­sa­tion.

Valérie Canat de Chizy et Cécile Guiv­arch ont choisi de con­fon­dre leurs voix. Aucune indi­ca­tion typographique par­ti­c­ulière ne per­met de dis­tinguer l’une de l’autre. D’ailleurs, il sem­ble que les poètes ont choisi de se taire d’abord pour devenir une cham­bre d’écho. Le bruit des abeilles se fait alors enten­dre. Dis­tincte­ment. À cette con­di­tion sans doute. Pour les papil­lons, silen­cieux, « ce sont leurs caress­es d’ailes / dont les fleurs se sou­vi­en­nent ». Place à l’imperceptible, cela seul, au-devant du livre : tout ce qui peut être ain­si ressen­ti devient la matière de ce recueil cousu comme il est de cou­tume aux édi­tions La porte. Quelques pages pour une atten­tion accrue à l’autre, il s’agit d’écrire à deux, et au monde. Cohérente démarche, la poésie se nour­rit de l’approche légère d’un souf­fle, d’un regard. Le « je » alors devient imper­son­nel ou man­i­feste la con­science aigüe de ce qui peut échap­per si l’on n’y prend garde. Synesthésie par­ti­c­ulière où « tout est mêlé », les per­cep­tions en par­ti­c­uli­er, les deux voix aussi :

 

« je te vois murmurer
ce que les fleurs savent taire »

 

Au déchiffre­ment, se vouer, dans l’amitié du « poème en miroir ». Le vol des papil­lons, des libel­lules, très présent dans le texte, fig­ure la ten­ta­tive men­acée de percevoir. Le poème serait cette acuité par­ti­c­ulière, ce vis-à-vis frag­ile où tout peut s’inscrire ou se per­dre, le partage lui donne l’existence des signes d’encre. Empreinte végé­tale ou ani­male, croisée d’humanité et de nature vivante, « quié­tude d’ « une feuille / sur la mousse ». Sujet qui disparaît :

 

« nous vient un jardin
par­fois une forêt »,

 

ellipse du pronom « il » ou retard d’un sujet inver­sé qui n’en est pas un tout à fait, sur le seuil d’un poème où le pronom objet « nous » devient sujet (« nous volons presque ») : ce que le poème déclenche, c’est la per­cep­tion autant qu’une saveur de « frais­es », réjouis­sance du mot en bouche quand il entre dans le texte. Ce mou­ve­ment rejoint le « bruit des vagues » qui éveille « peut-être une sirène » ou « un tré­sor / dans le silence » car la « fusion » fonde l’accueil du mer­veilleux infime. L’animal fam­i­li­er, le chat, dans cette danse, mur­mure sa pro­pre ver­sion (« dormir »).

Le bat­te­ment d’un même cœur, celui de la terre en cha­cun perçu, devient le rythme du poème. Enchaîne­ment des dis­tiques, au milieu du livre, pour évo­quer les poèmes comme une eau douce ou salée. Jeunesse à tra­vers les rires et les enfants, leurs sauts qui les poussent à touch­er le ciel de leurs secrets (« bal­lons dans le ciel », tête ren­ver­sée sur une bal­ançoire et les ailes, récur­rentes, présentes en cha­cun qui regarde les nuages) là où « même l’abeille / a un bruit de fleur ». Et la page écrite du livre pour enten­dre se rejoin­dre les poèmes à deux voix comme une seule.

 

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