Bernard Pikeroen, Ages et voyages

Par |2021-03-06T16:50:11+01:00 5 mars 2021|Catégories : Bernard Pikeroen, Poèmes|

CONDENSATION D’ENFANCE

    Papil­lon au ciel, tu t’envoles par dessus l’église où, in-
vis­i­ble, oscille le fil. Paumes enfan­tines, plus rien ne vous 
relie aux nuages tant aimés.

    Un cri s’échappe.

    Les sil­hou­ettes lentes dis­parais­sent du parvis, sans 
con­science de ce boule­verse­ment, habituées, d’âge en âge,  
à con­tem­pler la terre.

    De cette perte, une lib­erté se conçoit, silen­cieux ac-
com­plisse­ment, cristalli­sa­tion secrète. Où l’enfant s’émer-
veille aux qua­tre points car­dinaux de la girou­ette, l’adulte, 
gorgé d’infini, se condense.

          cerf-volant rouge au couchant
         –  seul le chant des psaumes
         file vers la nuit

 

APRÈS

    Que le rosier avait soif !

    Au bout de l’allée des tombes, les hautes falais­es, emb-
rasées au soleil d’or, s’ouvrent au vis­i­teur du soir.

    Ané­mones, vous jail­lis­sez, mauves, aux inter­stices des 
scel­lés. Qui entend l’infini mur­mure de vos par­dons aux 
étoles du silence ?

          immenses, les ombres
          des ifs fran­chissent les murs
          – crissé du gravier

 

SUIVANT UN PAPILLON

 

    Je me promène seul au désert des feuil­lages. Là-bas 
dans la plaine, le socle pesant d’une char­rue ne s’est pas af-
franchi des labours. On entend au loin­tain les bribes d’un 
moteur. L’air soudain est dense, pour­tant nul orage. 

    Com­pagnon, tu viens vers moi, papil­lon aux ailes de 
rouille et de hasard. Le ron­ron­nement d’un moteur à hélice, 
se rap­proche, douce complainte.

    Tu quittes la fleur d’ombelle, dont l’oscillation est im-
per­cep­ti­ble. Tu te pos­es sur celle de l’églantier, rosier des 
chiens dont la racine guéris­sait les mor­sures. Tu te nour­ris à 
ces corolles inno­centes qui fleuris­sent, tu le sais, cette terre 
de maquisards. 

    Com­pagnon, dans tes yeux myoso­tis s’élide le dernier 
éclat du jour au P38 Light­ning de Saint Exupéry.

          le papil­lon rouille
          vole vers le ciel -
          
          à peine les voix des hommes

 

EN TRAIN

    Tu apercevras, dans les feuil­lages des vit­res, dans la 
bra­sure des wag­ons, dans le sil­lon d’un 
quai, l’ombre d’un visage.

    Emporté par le roule­ment lourd et irréversible, il dis-
paraîtra.

    Tu le chercheras au bord du fleuve, au lent défilé des 
lumières.

          croisé des regards
          entre les quais –  s’il vous plait
          un bil­let pour l’ange

 

DANS LA BASILIQUE 

 

     Je foule vos épis con­stel­lés de stig­mates, vos meurtris-
sures vives.

    Sous vos airs de chêne sécu­laire, vous suin­tez la fumée 
des cierges et l’encens déposé des litur­gies ferventes.

    Par­quets de la vieille église, gar­di­ens pos­ses­sifs des 
cires, la litanie des ans a noir­ci vos veinures.

    Vous luisez, lourds des con­fes­sions secrètes, creusés 
de con­ver­sions trou­bles, nour­ris des voca­tions saintes.

           une chevelure
          se défait à l’oratoire
          –  craque­ment du bois

 

Présentation de l’auteur

Bernard Pikeroen

Bernard Pikeroen, né en 1961, est ingénieur, après des étude sci­en­tifiques, com­plétées d’études de musique et de langues ori­en­tales. Pas­sion­né de let­tres et de poésie, écrivant des haïkus depuis l’âge de dix ans, il appro­fon­dit depuis cinq ans plus par­ti­c­ulière­ment l’esthétique de la poésie japon­aise, sous ses formes brèves et en rela­tion avec la nature et les êtres. Mem­bre du kukaï de Paris (réu­nion de poètes de haïkus), et de plusieurs groupes en ligne, il a pub­lié en 2019 un livre de haïkus et de tankas, « Frag­ments de silence », aux Edi­tions Unic­ité. Sa recherche poé­tique le porte actuelle­ment vers l’esthétique du haïbun, textes en prose poé­tique asso­ciés à des haïkus ou tankas, per­me­t­tant un croise­ment entre une poésie en prose con­tem­po­raine et l’art japon­ais de l’expression du secret et de la lumière des choses par la forme brève. 

Les textes pro­posés ici sont de type haïbun. Leur fil con­duc­teur est celui d’un voy­age à tra­vers le temps ou l’espace. En ce sens, ils s’inscrivent dans la tra­di­tion de ce genre qui était ini­tiale­ment réc­it de voy­age. Mais ils s’en écar­tent, rad­i­cale­ment dans la let­tre et sans doute beau­coup moins dans l’esprit, par le style per­son­nel de la prose poé­tique qui tisse les haïkus. Ain­si le voy­age tra­di­tion­nel, sim­ple réc­it, devient ici voy­age intérieur.

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