Place de la Sor­bonne change d’édi­teur : les Édi­tions du Relief sont rem­placées par les Press­es de l’U­ni­ver­sité Paris-Sor­bonne. Mais la revue reste la même : présen­ta­tion sem­blable, péri­od­ic­ité annuelle et archi­tec­ture générale inchangée ; les rubriques sont iden­tiques : l’in­vité et l’en­tre­tien, celle des poètes con­tem­po­rains de langue française, celle des poètes du monde, con­tre­points, vis-à-vis, échos, de l’autre côté du miroir et compte-ren­dus/livres reçus… Un  index des 6 numéros parus (très utile pour les chercheurs) com­plète cette fois-ci la livraison…

            L’in­vité et l’en­tre­tien mon­trent bien le rôle jouée par l’U­ni­ver­sité dans la défense et l’il­lus­tra­tion de la poésie. Rôle qui est loin d’être nég­lige­able : Michel Murat, qui n’est pas poète (et qui n’a donc nulle école à défendre !) par­le très libre­ment : “Ren­dre hom­mage à un maître, et con­tribuer à une his­toire de la poésie française dans cette péri­ode d’après les avant-gardes : je crois que c’est ce que nous pou­vons faire de mieux” (p 17). Il y a tou­jours quelque  chose à appren­dre dans une telle démarche et le temps fera son affaire, à tort ou à rai­son… Diver­sité des écri­t­ures des poètes fran­coph­o­nes : telle est la car­ac­téris­tique du dossier Poésie française. Tout est intéres­sant depuis le jour­nal de bord de Jacques Demar­cq (poésie nar­ra­tive ce qui n’empêche pas les aspects savants ‑dont les références au son­net- qu’­analyse excellem­ment CF [Cather­ine Fromil­h­ague ?] dans sa notice, pp 75–78) jusqu’à la voix sin­gulière de Pierre Dhain­aut qui, par­lant de choses intimes, par­le aus­si du lecteur et nous fait adhér­er pleine­ment à ses poèmes : une démarche entre doute et con­fi­ance… J’ai par­ti­c­ulière­ment aimé la poésie d’Em­manuelle Sor­det pour sa dénon­ci­a­tion des crimes com­mis en Syrie, rap­pelant l’hypocrisie des puis­sances occi­den­tales qui, il n’y a pas si longtemps, trou­vaient fréquentable le régime de Damas… Il faut encore not­er la grande atten­tion portée à la poésie fran­coph­o­ne du monde   et la présence mas­sive des uni­ver­si­taires dans ce choix.

            La rubrique Langues du monde per­met de décou­vrir des poètes dans leurs langues d’o­rig­ine (espag­nol, alle­mand, slovène) et en tra­duc­tion française grâce au tra­vail des meilleurs spé­cial­istes du moment (je pense en par­ti­c­uli­er à Max Alhau en ce qui con­cerne la langue espag­nole). Les notes sur la tra­duc­tion de Chris­t­ian Pri­gent sont du plus grand intérêt et met­tent en évi­dence la dif­fi­culté de traduire. Une large place est faite à l’a­vant-garde, une atten­tion de tous les instants au lan­gage, au courant des pen­sées et des asso­ci­a­tions, à la moder­nité (une moder­nité par­fois emprun­tée à d’autres domaines que la poésie) ; on appréciera ou on détestera ! Surtout que l’on se perd par­fois dans les dif­férences  sibyllines entre moder­nité (dans tous les sens du terme) et postmodernisme…

            Le dossier Con­tre­points fait dia­loguer le pho­tographe Yves Muller (qui prend des clichés de livres ou d’archives à l’é­tat brut) et Chris­tiane Herth qui l’in­ter­roge, le poète James Sacré et le pein­tre Mustapha Belk­ouch. Analysant une toile de Belk­ouch (repro­duite) Sacré donne à lire des poèmes (11 en prose et 3 en vers libres) qui procè­dent par approx­i­ma­tions suc­ces­sives, une façon orig­i­nale de revis­iter la cri­tique d’art ; il faut sig­naler que la notice (pp 87–89) de Lau­rent Four­caut (le rédac­teur en chef de Place de la Sor­bonne) met bien en évi­dence la façon de faire de James Sacré…  La par­tie Bouts rimés mon­tre des mem­bres du Comité de rédac­tion de la revue s’es­say­er au son­net à par­tir de rimes imposées. C’est à la fois sérieux (le rôle de la con­trainte) et amu­sant (car par­fois le son­net est irréguli­er : dis­po­si­tion trophique, vers non comp­tés, rimes…).

            Le reste de la revue (une cen­taine de pages !), avec ses rubriques var­iées, met en lumière la vie et la diver­sité de la poésie. Poèmes et com­men­taires s’é­clairent mutuelle­ment  (ain­si avec Yves Brous­sard et Joëlle Gardes). Il ne s’ag­it pas d’en finir avec la vieil­lerie poé­tique (du passé faire table rase) mais bien d’é­clair­er la poésie plus ou moins anci­enne du savoir théorique con­tem­po­rain (cf Irène Gayraud, pp 217–227). Cepen­dant, dialec­tique­ment, PLS, n’ig­nore pas la moder­nité de la forme poésie. Alain Fron­tier (le fon­da­teur de la revue Tar­ta­lacrème) donne avec La Mer d’Iroise un texte qui amène le lecteur à réfléchir au statut de tout texte : comme l’écrit si bien Lau­rent Four­caut, La Mer d’Iroise est “un texte […] éminem­ment, quoique indi­recte­ment, poé­tique parce qu’il a pour objet, non pas le réel, mais la lit­téra­ture, étant un texte entière­ment au sec­ond degré, qui réécrit, est-on ten­té d’a­jouter, sans avoir l’air d’y touch­er, toute lit­téra­ture pos­si­ble”. Dont acte… La rubrique De l’autre côté du miroir rap­pelle oppor­tuné­ment que, si les poètes sont mor­tels, les poèmes restent. Lisons-les ou écou­tons-les avant qu’il ne soit trop tard. Les hom­mages ren­dus aux poètes dis­parus éclairent sin­gulière­ment leurs écri­t­ures respec­tives et ce n’est pas rien, PLS se con­tentant de don­ner à lire les dits hom­mages. Les comptes-ren­dus con­cer­nent 17 livres reçus (ou auteurs réper­toriés) dont les notes sont dues, pour 12 d’en­tre eux, à Lau­rent Four­caut dont il faut sig­naler le tra­vail très fouil­lé. Cer­taines d’en­tre elles font écho aux poèmes pub­liés par ailleurs dans la revue…

Place de la Sor­bonne est dev­enue au fil du temps une revue indispensable.

 

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