AU FOND D’UN PUITS
Ainsi rétracté sur lui-même (nœud fixe, noir) le chaos nourricier exhume de sa mémoire le
souvenir d’une mécanique de vies. C’est le choc premier :
les murs se lézardent,
les mues s’égrènent en spirales, d’où
de vagues écritures s’échappent, dérivent selon
d’anciennes équations de marées qui, absorbées
une nuit
sous leur propre niveau, se jettent
un jour
sur nos espaces actuels.
La précision est telle que l’on peut voir,
dans la singularité
d’un saut, d’un vol, d’un trou,
le souffle continu d’existences et de morts
que ne suivent rien d’autre
que de nouvelles naissances :
un océan brûlé où plongent
des formes, des ombres
de matière que nous frappons tels
nos crânes contre les murs
pour recoudre les plaies
ballantes et l’ondulation bleue
du sang sur l’élastique des mers —
avant que l’oubli ne tarisse nos veines.
SEUL CET ESPACE
Toi. Là — où depuis sa mort
éternelle une étoile habille
ton ombre de fantôme glisse
sa main dans la gesticulation
de ta peau
découpe le vide sous tes pas
de pantin seul avant d’essorer
son éclat entre les trous et les piles
sales de ton cerveau qui sauvagement
s’accroche au grillage
tors de la gravité —
n’oublie pas
les continents
les édifices
les histoires sont des prétentions d’hommes sur une Terre écumeuse et blanche. Elle vieillira
rouge au zénith d’un désert.
EXIL
I
Horizon de solstice.
Hiver recourbant.
Dehors le froid opère sa victime
démunie de sa peau de bête
meurtrie de l’os à la moelle
elle a un sursaut —
jet de pierres
ciel devenu disque.
À l’instant
le corps se souvient de ses métamorphoses.
EXIL
II
Tu poses ta brosse à cheveux.
Tu viens te coucher contre moi.
Tu éteins la lumière.
Je ne bougerai pas. Je ne me trahirai pas.
Ressens la vacuité qui nous sépare, qui seule emplit les extrémités de la chambre, qui change
l’espace. Regarde-moi,
j’ai de nouvelles étoffes, j’en ai fait ces larmes dans lesquelles tu sombres comme sous un
drap. Je le déchirerai
afin que tu caresses mes autres écailles dressées sur le tas de notre vie.
Tu as développé tes racines dans l’éther. Tu crois toujours en tes planètes.
Moi, être-mutant, en prise avec la précession des axes,
je m’efface de l’évolution,
je sors du lit,
je rallume.
Ma peau se distend.
Mes côtes s’allongent.
Voici les Créatures. Elles m’emmènent.
RETOUR À L’ATOME
Soleil — boule d’hélium, étoile en gros plan — va gonfler ailleurs, laisse-moi tout le
diamètre de la Terre.
Je ne veux pas savoir quel sera le prochain pays où j’irai.
Je ne pars pas.
Du fond de mon aven (où j’ai conservé les derniers fruits des champs)
je m’endors, loin des océans et de leurs fosses
mises à jour, prêt à m’effacer
dans le feu de l’orge.
Stéphane Mongellaz