Alberto Comparini, Fribourg

Par |2024-05-06T11:58:34+02:00 6 mai 2024|Catégories : Alberto Comparini, Poèmes|

9.

encore tu cherch­es mes adhérences dans le monde 
tu dis­tingues l’ostéosynthèse des tis­su cica­triciel fibreux 
allongée sur le lit tu peux percevoir les fron­tières effleurées 
acceptes ses effets touchant les autres coupures superficielles 
sur l’omoplate droite tu sai­sis un autre point d’ancrage
je fuyais moi-même quand je par­lais en alle­mand et anglais 
le médecin voulait m’appeler syn­drome douloureux régional 
c’est une dys­tro­phie sym­pa­thique réflexe chronique complexe 
il m’avait diag­nos­tiqué la recherche de ce champ de sens
nous sommes vêtus de chair et paroles tu te sou­viens scrutais 
les formes sur le canapé ensem­ble nous avons tracé un angle 
con­vexe il ne faut pas deux côtés pour en mesur­er l’amplitude
en degrés la solu­tion appar­tient à la pro­lon­ga­tion de tes mains

 9.1.

C’est libre cet endroit si tu veux tu peux t’asseoir
l’espace s’est rétré­ci tu viens d’accélérer les temps
ver­baux les paus­es les pronoms au dîn­er-con­férence tu 
me deman­des qui je suis ce que tu es devenu pourquoi
nous nous sommes ren­con­trés avec deux ans de retard

9.2.

je suis passé aus­si par Bologne pour plusieurs mois j’avais partagé 
une cham­bre dou­ble avec quelques colo­cataires du Sud d’Italie
presque tous sont restés au deux­ième étage de l’Institut Rizzoli 
tu le con­nais pourquoi je devrais te par­ler d’eux écrivez-vous
encore dans le groupe Alber­to Com­par­i­ni est le seul survivant

9.3.

il est tard com­ment le sais-tu la mon­tre est arrêtée
sur le fuse­au horaire d’une autre vie ça te dérange
si je mesure le ray­on de tes hanch­es la cuisine 
ferme à 21 heures nous devons nous dépêcher 
Alber­to est-ce que je peux caress­er tes cicatrices

9.4.

sur le bord de la route les fumées mon­taient haut entre les fil­tres les câbles 
les aigu­illes et les engrenages en fil­igrane le plomb fon­du de tes cheveux 
réchauf­fait notre grille de parole com­ment ils auraient pu ignor­er le reflet 
des pupilles nous sommes seuls les sec­ours ne seraient jamais arrivés

9.5.

ce dimanche matin c’était encore l’hiver sur le quai de la gare de Fribourg 
il fai­sait un froid typ­ique­ment suisse-alle­mand der­rière les portes automatiques 
d’un train prêt à par­tir nos doigts essayaient de s’exprimer avec une grammaire 
floue de gestes privés peut-être que seul le chien en laisse aura remarqué 
les chaus­settes dépareil­lées le frot­te­ment des vête­ments frois­sés les corps
fatigués et con­sumés par l’incertitude des pas avant de mon­ter à bord

9.6.

tu adhères au lit comme une sil­hou­ette de verre
la jambe trace un arc mal­adroit
autour des draps 
pas de plis d’échappatoire
les voisins
ont tout enten­du peu importe de savoir 
où tu as caché les traces de ton séjour à Trente
le cou l’épaule le bras engour­dis sous ton poids

9.7.

décem­bre la troisième vague le retour de la mal­adie les pre­miers con­trôles sont 
prévus en Jan­vi­er je ne pense pas m’en sor­tir pour la ses­sion d’été ça te dit si 
on se voit en piaz­za Mag­giore les masques ont bien fonc­tion­né tu es positive 
je suis négatif si tu veux on peut pass­er Noël à Bologne pour la quarantaine 
j’ai encore un peu de pesto un livre de poésie une tra­duc­tion de Paul Celan

9.8.

une soirée au K comme dans quelle local avec vue sur la Sari­na en voiture 
tu écoutais les frag­ments d’os s’accumuler dans les reflets des ver­res vide
les réc­its avaient pris une forme liq­uide sur tes vête­ments ils n’appartiennent
plus au présent le dernier rap­port et les ver­dicts ter­minaux main­tenant nous 
nous sen­tons sus­pendus sur la ligne à grande vitesse entre Bologne et Trente

9.9.

après un voy­age en Espagne le 21 avril 1960
Frank O’Hara a écrit Hav­ing a Coke with You
en 2008 un util­isa­teur améri­cain a téléchargé 
une vidéo sur YouTube l’amour dure presque 
deux min­utes on peut le répéter en boucle
il suf­fit d’avoir une con­nex­ion internet

Présentation de l’auteur

Alberto Comparini

Alber­to Com­par­i­ni, né à Gênes en 1988, a étudié et tra­vail­lé à l’université de Stan­ford, le City Col­lege of New York et à l’université libre de Berlin. Actuelle­ment il enseigne Lit­téra­ture com­parée et théorie de la lit­téra­ture à l’Université de Trente. 

Bibliographie

Il a pub­lié des séquences et pros­es lyriques dans les jour­naux ital­i­ennes « Nazione Indi­ana », « GAMMM » et « L’Ulisse ». Fri­bourg est sa pre­mière pub­li­ca­tion en français et fait par­tie d’un pro­jet mul­ti­lingue inti­t­ulé Sur une échelle de un à dix.

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