Arnaud Beaujeu, Pays calcaire

2017-12-30T01:06:23+01:00

 

Le chemin fait une courbe entre deux masures aban­don­nées. Un peu plus loin on arrive à un ancien relais de poste dont une seule fenêtre éclairée laisse à sup­pos­er qu’il est habité. Cepen­dant nul ne vient ouvrir au voyageur, comme si ce lieu était han­té. Au reste, la fenêtre demeure allumée durant des nuits entières, sans que per­son­ne ne puisse sur ce point-là vous ren­seign­er. Il faudrait enfon­cer la porte, ce que per­son­ne encore n’a osé faire.

 

Il se dit aus­si qu’au haut de la colline, une chapelle a été aban­don­née, une chapelle à laque­lle on accède seule­ment par les march­es de la forêt. On a creusé dans la roche la courbe de son approche et arrangé au sol la calade des escaliers, dont les pier­res peu à peu ont fini par s’enterrer, se desceller, s’éparpiller. Le lin­teau de son porche s’est lui aus­si affais­sé. La voûte à moitié éven­trée laisse voir les ves­tiges d’une abside en cul de four, sur laque­lle ne reste qu’un peu de pein­ture bleue.

 

En pour­suiv­ant la route, on arrive dans une plaine, à demi-étagée, où les mou­tons pais­sent par­mi quelques restanques. Le chien du berg­er les sur­veille de près, quand son maître debout s’appuie sur une canne. Lorsque le ciel s’assombrit ou que le soleil cogne, l’homme va s’asseoir sur une pierre à l’abri d’une borie, d’où il con­tem­ple la cam­pagne isolée.

 

Encore après, des pins, jusqu’à perte de vue. Des pins blancs espacés, à l’odeur de résine entê­tante. Ils mon­tent vers le ciel, verts ten­dus vers le bleu. Vus d’un pont ils for­ment une mer inces­sante, un paysage doux aux touf­feurs lumineuses. Leurs aigu­illes se taisent, comme pour mieux recou­vrir les drailles de renards et de sangliers. 

 

Puis le chemin soudain com­mence à mon­ter en direc­tion d’un haut vil­lage. Ce chemin muleti­er passe sous le rocher, sur­plombe un val­lon extrême­ment abrupt, au fond duquel coule un ruis­seau comme un fil au plus chaud de l’été : en remon­tant son cours, il est pos­si­ble d’accéder à des sources gorgées d’eau fraiche aux­quelles, emprun­tant les sen­tiers, les vil­la­geois vien­nent boire et leurs bêtes se reposer.

 

Après un virage en épin­gle à cheveu, envahi par le cade et le genévri­er, le plateau s’ouvre davan­tage et devient plus hos­pi­tal­ier. On aperçoit le vil­lage aux volets fer­més. Il y règne une étrange atmo­sphère, une pesan­teur lourde. On y vit de l’olivier et tous les arbres aux alen­tours sont tail­lés en gob­elets. Vastes les champs s’offrent alors au pas du voyageur sous l’œil du métayer.

 

Plus haut encore, les monts devi­en­nent plus cal­caires et les espaces désolés. Ici et là une ferme, un chêne tortueux, nés de la terre aride. En se bais­sant, on ramasse une mâchoire de mou­ton blanchie, une fleur de chardon sèche, une pierre lis­sée. Au col, on décou­vre le ciel encore plus bleu sur la ligne des crêtes, les drapés de la pierre qui tombent en plis raides et ver­tig­ineux, les hau­teurs de lumière, cor­us­cances du ciel et verticalités.

Présentation de l’auteur

Arnaud Beaujeu

Agrégé de let­tres mod­ernes, doc­teur en langue et lit­téra­ture français­es, rat­taché au CTEL, Arnaud Beau­jeu a pub­lié en 2010 et 2011 deux ouvrages :

  • Matière et lumière dans le théâtre de Samuel Beck­ett, Peter Lang ;
  • Samuel Beck­ett : triv­ial et spir­ituel, Rodopi.

Mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Nu(e), il a pub­lié plusieurs suites de poèmes dans cette même revue :

  • « D’un regard blanc », n°36 (« Michel Steiner ») ;
  • « La lumière et les mots », n°42 (« Anthologie ») ;
  • « L’été », n°45 (« Pierre Dhainaut ») ;
  • « Bleu ciel », n°48 (« Jean-Michel Maulpoix ») ;
  • « De pierre et d’eau », n°49 (« Bernard Noël ») ;
  • « Autre enfance », n° 52 (« Jokari »))

Et prin­ci­pale­ment dans les revues Arpa : « Le pays des en-allés », n°102, « la ton­nelle », prochaine­ment) ;  Thαumα : « Frères d’amour », n°5 con­sacré aux oiseaux ; « Autodafé », n°6 con­sacré au feu ; « En patience » n°10 con­sacré à la patience ; « même au-delà du raisonnable », (prochaine­ment) et Ser­ta  : « Les mots blancs ».

Il a égale­ment pub­lié des arti­cles et entre­tiens sur et avec les poètes con­tem­po­rains Bernard Var­gaftig, Jean-Pierre Lemaire, Pierre Dhain­aut, Marie-Claire Banc­quart, Charles Juli­et, François Cheng, Béa­trice Bon­homme-Vil­lani, etc.

Arnaud Beaujeu
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