Pinar Selek

2023-09-05T16:41:55+02:00

Née en 1971 à Istan­bul, Pinar Selek con­stru­it sa vie, ses engage­ments et ses recherch­es autour de l’adage « la pra­tique est la base de la théorie ». Sa mère, Ayla Selek, tenait une phar­ma­cie, lieu d’échanges et de ren­con­tres, et son père, Alp Selek, est avo­cat, défenseur des droits de l’Homme. Son grand-père, Haki Selek, est un pio­nnier de la gauche révo­lu­tion­naire et cofon­da­teur du par­ti des Tra­vailleurs de Turquie (TIP). Après le coup d’État mil­i­taire de 1980, Alp Selek est arrêté et main­tenu en déten­tion pen­dant près de cinq ans. Pinar Selek pour­suit alors des études au lycée Notre-Dame de Sion où elle apprend le français et ren­con­tre des objecteurs de conscience.

En 1992, elle s’inscrit en soci­olo­gie à l’université de Mimar Sinan d’Istanbul car elle pense qu’il faut « analyser les blessures de la société pour être capa­ble de les guérir ». Tout en pour­suiv­ant ses études, elle passe beau­coup de temps dans les rues d’Istanbul avec des enfants et des adultes sans domi­cile fixe. Elle y liera de pro­fonds liens d’amitié, mais choisira de ne rien écrire sur le sujet pour des raisons éthiques qu’elle développe dans son arti­cle « Tra­vailler avec ceux qui sont en marge ». En 1995, elle cofonde l’Atelier des Artistes de Rue, dont elle sera la coor­di­na­trice et auquel par­ticipent des per­son­nes sans domi­cile fixe, des enfants, des tzi­ganes, des étu­di­ant-es, des femmes au foy­er, des trav­es­ti-es, des transsexuel·les, des prostitué·es.

Son mémoire de licence inti­t­ulé « Babîali à Ìkitel­li : de l’odeur de l’encre aux immeubles de grande hau­teur du quarti­er d’affaires » porte sur la trans­for­ma­tion des organes de presse (jour­naux, radios et télévi­sions) en Turquie. En 1997 elle obtient son DEA de soci­olo­gie avec un mémoire inti­t­ulé « La rue Ülk­er : un lieu d’exclusion », recherche menée sur et avec les trans­sex­uels et trav­es­tis. Cette recherche est pub­liée en 2001 sous le titre « Masques, cav­a­liers et nanas. La rue Ülk­er : un lieu d’exclusion ». Durant cette péri­ode et au-delà, les trans­sex­uels se bat­tent con­tre la vio­lence poli­cière et nation­al­iste et ce livre, pre­mier dans ce domaine, est alors très utile pour touch­er l’opinion publique et con­stru­ire la sol­i­dar­ité. Par­al­lèle­ment, elle entame ses recherch­es sur la ques­tion kurde et effectue plusieurs voy­ages au Kur­dis­tan, en France et en Alle­magne, pour réalis­er une soix­an­taine d’entretiens des­tinés à ali­menter un pro­jet d’histoire orale.

Elle a 27 ans et elle redou­ble d’énergie pour con­tribuer à enray­er les guer­res et les mécan­ismes de pou­voir. Le 11 juil­let 1998 elle est arrêtée par la police d’Istanbul et tor­turée pour la forcer à don­ner les noms des per­son­nes qu’elle a inter­viewées. Elle résiste et une nou­velle forme de tor­ture est alors util­isée : elle est accusée d’avoir déposée la bombe qui aurait, le 9 juil­let 1998, fait sept morts et plus de cent blessés au marché aux épices d’Istanbul. Plusieurs rap­ports d’expert ont beau cer­ti­fi­er qu’il ne s’agit pas d’une bombe mais de l’explosion acci­den­telle d’une bouteille de gaz, c’est le début d’un acharne­ment politi­co-judi­ci­aire qui est aujourd’hui dans sa vingt-qua­trième année. Elle passe deux ans et demi en prison et une grande sol­i­dar­ité se met en place qui réu­nit de nom­breux avocat·es, des intellectuel·les et beau­coup de per­son­nes qu’elle a croisées au cours de ses engage­ments et de ses recherch­es. Sa sœur Saï­da quitte alors son tra­vail et reprend des études de droit pour se join­dre à la défense de Pinar en tant qu’avocate.

En prison, Pinar Selek écrit beau­coup, mais tous ses textes sont con­fisqués. En décem­bre 2000 elle est finale­ment libérée et, con­créti­sant un pro­jet mûri en prison, elle met à prof­it sa notoriété pour organ­is­er une grande « Ren­con­tre des femmes pour la paix » à Diyarbakir. Cette pre­mière mobil­i­sa­tion sera suiv­ie d’autres ren­con­tres qui auront lieu à Istan­bul, Bat­man et Konya.

En 2001 elle fonde avec d’autres fémin­istes l’association Amar­gi qui s’engage dans les mobil­i­sa­tions con­tre les vio­lences faites aux femmes, pour la paix et con­tre toutes les dom­i­na­tions et qui ouvre la pre­mière librairie fémin­iste au cen­tre d’Istanbul.

L’association organ­ise, en 2002, « la marche des femmes les unes vers les autres » où des mil­liers de femmes con­verg­eront de toute la Turquie vers la ville de Konya. C’est aus­si l’année où la mère de Pinar Selek meurt d’une crise cardiaque.

En 2004, Pinar Selek pub­lie Barisamadik (« Nous n’avons pas pu faire la paix ») sur la cul­ture mil­i­tariste et les mobil­i­sa­tions pour la paix en Turquie. Elle crée avec d’autres en 2006 la revue théorique fémin­iste Amar­gi qui est encore aujourd’hui ven­due à des mil­liers d’exemplaires dans toute la Turquie et dont elle est tou­jours rédac­trice en chef.

En 2006 elle est finale­ment acquit­tée après un tra­vail énorme du col­lec­tif d’avocats pour faire tomber une à une toutes les accu­sa­tions basées sur de faux témoignages extorqués sous la tor­ture et la fab­ri­ca­tion de fauss­es preuves. Mais la Cour de cas­sa­tion s’acharne et fait appel du ver­dict. Pinar Selek con­tin­ue à organ­is­er et à par­ticiper à de nom­breuses ren­con­tres et man­i­fes­ta­tions anti­mil­i­taristes. Elle écrit égale­ment dans divers jour­naux et mag­a­zines con­tre le mil­i­tarisme, le nation­al­isme, l’hétérosexisme, le cap­i­tal­isme, et toutes les formes de domination.

En 2008 elle pub­lie Sürüne Sürüne erkek olmak (« Devenir homme en ram­pant ») sur la con­struc­tion de la mas­culin­ité dans le con­texte du ser­vice mil­i­taire. À la suite de cette pub­li­ca­tion, elle fera l’objet d’intimidations, de men­aces télé­phoniques et d’articles diffam­a­toires dans la presse. Elle pub­lie aus­si Su damlasi (« La goutte d’eau »), un con­te pour enfant qui sera suivi de Siyah pelerin­li kiz (« La fille à la pèler­ine noir ») et de Yesil kiz(« La fille en vert »).

Elle est de nou­veau acquit­tée en 2008 mais un nou­v­el appel de la Cour de cas­sa­tion casse le ver­dict et la pousse à par­tir de Turquie. Elle reçoit une bourse du Pen Club Alle­mand dans le cadre du pro­gramme « Écrivains en exil » et c’est à Berlin qu’elle ter­mine son pre­mier roman Yol geçen hani (« L’auberge des pas­sants ») pub­lié en Turquie en 2011 et en Alle­magne la même année. Le 9 févri­er 2011 elle est acquit­tée une troisième fois mais, fait extrême­ment rare dans la jurispru­dence turque, le pro­cureur refait appel auprès de la Cour de cas­sa­tion, pour la troisième fois également.

Le 24 jan­vi­er 2013, la 12ème Cour d’Istanbul qui a été remaniée, annule sa pro­pre déci­sion d’acquittement et la con­damne à la prison à per­pé­tu­ité. Ses avo­cats font appel et dénon­cent ce déni de jus­tice et l’illégalité des procé­dures. Ils obti­en­nent l’annulation de la con­damna­tion auprès de la 9ème Cour de cas­sa­tion le 11 juin 2014. Mal­gré ce con­texte, Pinar Selek parvient à ter­min­er sa thèse de doc­tor­at sur « l’interdépendance des mou­ve­ments soci­aux en con­texte autori­taire. Les mobil­i­sa­tions au nom de groupes soci­aux opprimés sur la base du genre, de l’orientation sex­uelle ou de l’appartenance eth­nique en Turquie », qu’elle sou­tient le 7 mars 2014 à Stras­bourg. Le procès qui recom­mence auprès de la 15ème Cour pénale, se sol­de par un 4ème acquit­te­ment le 19 décem­bre 2014. Une nou­velle vic­toire pour ses avo­cat-e‑s et toutes celles et tous ceux qui la sou­ti­en­nent inlass­able­ment et parta­gent ses luttes en Turquie et ailleurs!

Mais le pro­cureur fait de nou­veau appel.

Com­mence alors une longue péri­ode d’incertitude en atten­dant la déci­sion de la Cour Suprême, qui finit par tomber huit ans plus tard : l’acquittement sera de nou­veau annulé.

Pinar Selek vit aujourd’hui en exil en France et résiste à la tor­ture psy­chologique que représente cet acharne­ment de 24 années con­tre elle et ses proches. Après avoir obtenu en 2013 le statut de réfugiée, elle est nat­u­ral­isée française en 2017.

Met­tant en pra­tique ses analy­ses sur la néces­sité de la con­ver­gence des luttes face à l’intersectionnalité des sys­tèmes de dom­i­na­tion, elle con­tin­ue d’écrire et de par­ticiper à de nom­breuses ren­con­tres un peu partout en France et en Europe. Elle tient une rubrique régulière dans le mag­a­zine Rebelle San­té, con­tribue à la revue Silence et pub­lie des arti­cles dans des ouvrages col­lec­tifs. Elle s’investit au sein de l’association les­bi­enne et fémin­iste La Lune de Stras­bourg, chante dans une chorale de chants révo­lu­tion­naires à Lyon puis co-fonde le Groupe d’Action et de Réflex­ion Fémin­iste à Nice.

Depuis son instal­la­tion en France fin 2011, sept de ses livres ont été pub­liés en français : Loin de chez moi… mais jusqu’où ? aux édi­tions iXe en mars 2012, La mai­son du Bospho­re, son pre­mier roman, aux édi­tions Liana Lévi en avril 2013, Ser­vice mil­i­taire en Turquie et con­struc­tion de la classe de sexe dom­i­nante . Devenir homme en ram­pant, une analyse soci­ologique aux édi­tions l’Harmathan en févri­er 2014, Parce qu’ils sont arméniens, un essai poli­tique majeur aux édi­tions Liana Lévi en févri­er 2015, Verte et les oiseaux puis Algue et la sor­cière, deux con­tes philosophiques pour enfants aux édi­tions des Lisières en 2017 puis 2021, et enfin Azu­ce­na ou Les four­mis zinzines aux édi­tions Des Femmes en 2022, son sec­ond roman paru ini­tiale­ment en turc en 2018 (Cümbüşçü Karın­calar) puis en ital­ien en 2020 (Le Formiche fes­tanti). Un livre de dia­logues avec Guil­laume Gam­blin paraît en 2018 et rend compte de l’itinéraire et de l’œuvre de Pinar Selek : L’Insolente, dia­logues avec Pinar Selek, édi­tions Cam­bourakis avec la revue Silence.

Le 4 octo­bre 2019, elle est lau­réate du Prix de la Cul­ture méditer­ranéenne 2019 (sec­tion « Société civile ») décerné par la Fon­da­tion Car­i­cal en Italie.

Aujourd’hui, elle enseigne la soci­olo­gie et les sci­ences poli­tiques à l’Université Côte d’Azur, où elle est maître de con­férences et mène dif­férentes recherch­es au sein de son lab­o­ra­toire, l’URMIS. Elle co-ani­me notam­ment l’Observatoire des migra­tions dans les Alpes-Mar­itimes et a coor­don­né avec Daniela Truc­co l’ouvrage col­lec­tif Le Manège des fron­tières. Crim­i­nal­i­sa­tion des migra­tions et sol­i­dar­ités dans les Alpes-Mar­itimes paru en 2020 chez Le Pas­sager clandestin.

En par­al­lèle, elle pour­suit son engage­ment inter­na­tion­al par l’intermédiaire de la revue fémin­iste Amar­gi et au sein de réseaux fémin­istes transna­tionaux. Le mou­ve­ment fémin­iste représente pour elle une dis­si­dence dont le pro­jet va bien au delà d’une lutte pour l’égalité. Pinar Selek s’inscrit dans les luttes locales et inter­na­tionales con­tre toutes les formes de dom­i­na­tion en espérant con­tribuer à réin­ven­ter la poli­tique mal­gré la vio­lence extrême et voir un jour un monde de paix et de jus­tice, pour toutes et tous. ( source : https://pinarselek.fr/biographie/)

Bibliographie

  • Tra­vailler avec ceux qui sont en marge, Socio-Logos, avril 2010, no 5
  • Loin de chez moi mais jusqu’où ?, Don­nemarie-Don­til­ly, Édi­tions iXe, coll. « La petite IXe », 2012, 56 p. (ISBN 979–10-90062–11‑5)
  • La Mai­son du Bospho­re, Édi­tions Liana Levi, Paris, 2013, 400 p. (ISBN 978–2867466694)
  • Devenir homme en ram­pant, Paris, L’Har­mat­tan, 218 p. Paris, 2014 (tra­duc­tion de Sürüne Sürüne erkek olmak paru en 2008) (ISBN 9782343024417)
  • Parce qu’ils sont Arméniens, Édi­tions Liana Levi, Paris, 2015 96 p. (ISBN 978–2867467646)
  • Verte et les oiseaux, avec Elvire Reboulet & Maud Leroy (ill.), con­te illus­tré traduit du turc par Lucie Lavoisi­er, Édi­tions des Lisières, Sainte Jalle, 2017, 64 p. (ISBN 9791096274031)
  • Algue et la sor­cière, avec Elvire Reboulet & Maud Leroy (ill.) con­te illus­tré traduit du turc par Lucie Lavoisi­er, Édi­tions des Lisières, Curnier, 2021, 56 p. (ISBN 9791096274277)
  • Azu­ce­na ou Les four­mis zinzines, des femmes, 2022, 224 p.
  • Le Chau­dron mil­i­taire turc, des femmes, 2023.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

Pinar Selek, Lettre ouverte contre horizon fermé

Plus que des para­graphes, qui ne pour­raient restituer l’hor­reur de ce que vit Pinar Selek, fémin­iste, anti­mil­i­tariste, soci­o­logue, écrivaine, uni­ver­si­taire et mil­i­tante per­sé­cutée depuis 25 ans par les autorités turques, voici une chronolo­gie des […]

Sommaires

Aller en haut