Catherine Lamagat, Il tremble (extraits)

Par |2021-09-05T12:51:48+02:00 6 septembre 2021|Catégories : Catherine Lamagat, Poèmes|

 

Son vrai tra­vail c’est vieil­lir, vieil­lir avec l’enfance, vieil­lir sans 
âge, être ce qu’il est, ce qu’il sera. Il se demande pourquoi on dit 
c’est bien d’être né, ce qui est si mer­veilleux alors qu’on ne 
con­naît rien d’autre. Si j’étais arbre, après tout, qu’on se soit 
trompé de vie, de des­ti­na­tion quand je suis né.
Il pense à ce qu’il lit, ce qui s’écrit, ce qu’écrivaient les morts qui 
con­tin­u­ent d’écrire à l’in­térieur de lui. Les mots, pense-t-il 
encore, il faut les dire un par un, comme une saveur, et la garder.

 

∗∗∗                                                               

Toute la journée, il dit, on mécanique la pen­sée, on passe les 
doigts sur des écrans, des heures, des années, toute la journée on 
vient d’où on va nulle part.
Il oublie tout sauf le présent. Comme les livres quand il les lit, 
comme lui quand il s’émiette et se reconstitue.

 

∗∗∗

                                                

L’oiseau, le brin d’herbe, quelle est ma forme à leurs yeux, il se 
demande, et qui de moi ou d’eux trem­ble le plus.
Il est dans un endroit qui le sépare et d’autres jours le lie à tout, 
il marche sur la ligne, entre les eaux, entre les temps, les 
mon­des, c’est ça, le trem­ble­ment, l’endroit qui s’ou­vre en 
per­ma­nence, qui fait qu’on est sans cesse une forme puis une 
autre.

 

∗∗∗

 

Quand il sort, il prend l’e­space, il prend les gens, les émotions, 
il prend ce qui est là, vis­i­ble et invis­i­ble. Par­fois n’é­coute plus 
telle­ment le monde entre en lui. Trop d’autre, trop de mots, 
ren­tre chez lui comme per­du, éparpil­lé, puis l’horizon se rétablit, 
il voit au loin tout le loin­tain, comme une géo­gra­phie restituée.

 

∗∗∗

Il attend de  la  lumière, du c’est pas grave, du c’est rien, ça 
passera. Ça  passe tou­jours, comme les nuages. Ils passent 
jaunes, là, il pense ce pour­rait être la fin du monde.
La nuit il red­oute une pluie sans fin qui fini­rait par débor­der du 
ciel sur sa tête, le craque­ment d’un arbre vieux, red­oute le jour 
qu’il ver­ra, qu’il ver­ra pas, écoute les bruits, s’ar­rête dans le 
silence. Au matin, il s’en remet à lui.

 

∗∗∗

 

Par­fois il ne fait rien. Il voit ce que ça fait, rien. Il se désosse, 
réveille des choses au fond du corps.
C’est son regard qu’il doit attein­dre, dans le miroir, et se 
con­va­in­cre qu’il est vivant dans un monde qui existe.

 

∗∗∗

Il passe sa vie à voir et ne plus voir. Ce qu’il voit, les autres ne 
le voient pas. C’est quand il ne voit pas qu’il est avec les autres. 
C’est sans fin deux mon­des qui se croisent, s’exé­cu­tent, et 
s’exténuent.
Avant il écrivait pour les autres, un faux les autres. Main­tenant il 
écrit, c’est tout, mais le poème, telle­ment le coupe, ne reste rien. 
Cette habi­tude, couper, dévêtir, finir tou­jours par désosser. 
Écrire, il pense, ça n’a pas de sens, ça circule.

 

∗∗∗

Ce qu’il voit n’est pas ce qu’on voit tous. C’est là, à cet 
endroit que lui il trem­ble, qu’il ne sait pas vrai­ment s’il est 
vivant, s’il existe, s’il est libre, s’il a le droit, le choix. S’il
con­sul­tait on lui dirait mon­sieur vous êtes atteint du défaut 
d’être.
Mais les oiseaux il sait les voir, en vol ou pas en vol, les voit 
cha­cun, les reconnaît.

Présentation de l’auteur

Catherine Lamagat

Cather­ine Lam­a­gat est née à Brive (Cor­rèze) en 1962. Chanteuse et vio­loniste, elle enseigne puis col­la­bore à des créa­tions théâ­trales et choré­graphiques. Elle écrit poèmes, pros­es et nou­velles fan­tas­tiques. Elle vit désor­mais dans les Pyrénées Atlantiques.

Cather­ine Lamagat

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