Christophe Esnault, Lettre à la liberté, extrait de Pistolet à bouchon sur la tempe

Par |2025-11-10T15:35:58+01:00 10 novembre 2025|Catégories : Christophe Esnault|

Je ne suis libre de rien, mais je pour­rais l’être bien davan­tage. Pour te penser un peu, en mon esprit défile ce qui s’oppose à toi ou te ren­force dans des êtres par­fois plus libres que je ne le suis et ne le serai jamais. Sujé­tions, oppres­sions, enlève­ments, séques­tra­tions, déten­tions, sévices, actes de tor­ture. Je ne te con­nais pas puisque je n’ai eu à peu près de tor­tion­naire que moi-même. Je m’observe en asservi volon­taire ordi­naire. Rivé à ma paresse sans savoir la fendre. Je pense que tu con­cernes exclu­sive­ment des per­son­nes de courage. Je n’ose devant toi jouer le grand roman­tique. Homme trans­par­ent ou éthylique. On écrira peut-être à la chance.  Ai-je été libre de sucer ma névrose, d’aimer, de créer ou de me droguer ? Je pressens que les grands sur­sauts du vivre sont der­rière moi. Reste l’écriture. L’amour a par­fois été une réécri­t­ure de qui on a été sans savoir l’être véri­ta­ble­ment. Une femme m’aidait à naître à quelqu’un que je pou­vais aimer. Lib­erté / courage. Je revendique la con­fu­sion. Mon corps est assis devant un ordi­na­teur. Je peux jouir du silence. Si j’en éprou­ve l’urgence, il m’est pos­si­ble d’appeler une amie et de lui grap­piller un peu d’attention. La ques­tion­ner pour me sauver de n’avoir par­lé à per­son­ne de la journée. On est libre aus­si d’aimer ou de haïr et de percevoir un écart. D’admirer, d’atomiser ou d’insulter copieuse­ment qui on voudra en théâ­tral­ité et en invec­tives dans notre cui­sine. Ou d’être blessé et triste d’avoir investi pen­dant des années une rela­tion qui tombe dans la vase et en a le goût. Mal dormir pour les raisons qui seront les nôtres. Se croire en lucid­ité brûlante, même si on est en déni ou en angle mort. Libre de choisir ses addic­tions. De s’inventer une rai­son de vivre ou de s’occire. Aller chercher une deux­ième bière à la supérette, me pren­dre une piz­za si j’ai encore faim, ma lib­erté ne va pas au-delà. Je ne crie pas ton nom, ne le mur­mure même pas. Être vivant ouvre des sim­u­lacres de pos­si­bil­ités ou de choix. « Le sui­cide est la seule preuve de la lib­erté humaine » nous con­fi­ait Stig Dager­man, nous habitons cette phrase. Qui sait te vivre ? Se cacher par­mi des mil­liards de pleu­tres. S’enrober d’une valeur à notre con­ve­nance. Maudire ou décrier l’existence pour se don­ner con­sis­tance. Pré­ten­dre et affirmer que l’on est arrivé au bout et qu’on ne peut pas aller plus loin depuis déjà trente années fleuries de ridicule. Reste tou­jours une prochaine phrase. On est très indul­gent avec ces phras­es que l’on écrit. Notre lib­erté à nous, puérile, la seule, c’est de leur trou­ver une cer­taine tenue. Une cer­taine puis­sance. Regarde comme on est libre de se racon­ter une his­toire ras­sur­ante. Et qui nous revig­ore. Ou nous rabougrit. Le corps tout entier.             

Christophe, presque poète,

Présentation de l’auteur

Christophe Esnault

Christophe Esnault ne dort pas la nuit. Presque poète et frag­men­tiste. Il écrit comme un damné une œuvre qui tend vers le texte tes­ta­men­taire ou le rire. Ses livres sont parus chez Les Doigts dans la prose, Tin­bad, Con­spir­a­tion, Publie.net, Le Cac­tus inébran­lable, Mila­gro, Des Rues et des Bois, Louise Bot­tu, Ars Poet­i­ca, Æthalidès, La nage de l’ourse, et dans de nom­breuses revues. 

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