Je ne suis libre de rien, mais je pourrais l’être bien davantage. Pour te penser un peu, en mon esprit défile ce qui s’oppose à toi ou te renforce dans des êtres parfois plus libres que je ne le suis et ne le serai jamais. Sujétions, oppressions, enlèvements, séquestrations, détentions, sévices, actes de torture. Je ne te connais pas puisque je n’ai eu à peu près de tortionnaire que moi-même. Je m’observe en asservi volontaire ordinaire. Rivé à ma paresse sans savoir la fendre. Je pense que tu concernes exclusivement des personnes de courage. Je n’ose devant toi jouer le grand romantique. Homme transparent ou éthylique. On écrira peut-être à la chance. Ai-je été libre de sucer ma névrose, d’aimer, de créer ou de me droguer ? Je pressens que les grands sursauts du vivre sont derrière moi. Reste l’écriture. L’amour a parfois été une réécriture de qui on a été sans savoir l’être véritablement. Une femme m’aidait à naître à quelqu’un que je pouvais aimer. Liberté / courage. Je revendique la confusion. Mon corps est assis devant un ordinateur. Je peux jouir du silence. Si j’en éprouve l’urgence, il m’est possible d’appeler une amie et de lui grappiller un peu d’attention. La questionner pour me sauver de n’avoir parlé à personne de la journée. On est libre aussi d’aimer ou de haïr et de percevoir un écart. D’admirer, d’atomiser ou d’insulter copieusement qui on voudra en théâtralité et en invectives dans notre cuisine. Ou d’être blessé et triste d’avoir investi pendant des années une relation qui tombe dans la vase et en a le goût. Mal dormir pour les raisons qui seront les nôtres. Se croire en lucidité brûlante, même si on est en déni ou en angle mort. Libre de choisir ses addictions. De s’inventer une raison de vivre ou de s’occire. Aller chercher une deuxième bière à la supérette, me prendre une pizza si j’ai encore faim, ma liberté ne va pas au-delà. Je ne crie pas ton nom, ne le murmure même pas. Être vivant ouvre des simulacres de possibilités ou de choix. « Le suicide est la seule preuve de la liberté humaine » nous confiait Stig Dagerman, nous habitons cette phrase. Qui sait te vivre ? Se cacher parmi des milliards de pleutres. S’enrober d’une valeur à notre convenance. Maudire ou décrier l’existence pour se donner consistance. Prétendre et affirmer que l’on est arrivé au bout et qu’on ne peut pas aller plus loin depuis déjà trente années fleuries de ridicule. Reste toujours une prochaine phrase. On est très indulgent avec ces phrases que l’on écrit. Notre liberté à nous, puérile, la seule, c’est de leur trouver une certaine tenue. Une certaine puissance. Regarde comme on est libre de se raconter une histoire rassurante. Et qui nous revigore. Ou nous rabougrit. Le corps tout entier.
Christophe, presque poète,




