« L’avenue
qui mène
à l’autre pays »

La lec­trice que je suis est touchée une fois encore par la finesse de l’écriture de Guil­laume Boppe et sa justesse. Son élé­gance aus­si. Le coude est le troisième recueil d’une série pub­liée chez le même édi­teur. Trois recueils qui témoignent de la même exi­gence de pré­ci­sion et d’exactitude. Vague en 2012, Toi en 2014.

Le dernier, porte un titre énig­ma­tique. Le coude. Le corps, la route. Deux sens comme deux indices pos­si­bles. Il est com­posé de deux par­ties Le Coude, sous-titrée “réc­it” et Rue des ambas­sades, sous-titrée “sou­venirs”. Ce qui est assez inhab­ituel en poésie.

Guillaume BOPPE, Le Coude, Propos2éditions, 2017, 74 pages, 13 euros.

Guil­laume BOPPE, Le Coude, Propos2éditions, 2017, 74 pages, 13 euros.
Pho­to de cou­ver­ture de Mar­jo­ry Salles et graphisme de Michel Foissier

La rue, le trot­toir, la sirène, la voiture, ces élé­ments se mêlent en une atmo­sphère urbaine onirique qui devient rapi­de­ment famil­ière dans son étrangeté même. Peut-être une ville du sud à cause des pla­tanes de l’avenue, en tout cas une ville de « l’autre pays », celui de la mémoire et des souvenirs.
On pense à des paysages urbains de Chiri­co. Cette ville qui ne sera jamais nom­mée sem­ble déserte. Seuls les sou­venirs du nar­ra­teur-poète lui don­nent une épais­seur et ses mots nous la ren­dent vis­i­ble dans son efface­ment. Comme ces gens qui s’extraient d’une voiture et que Guil­laume Boppe nomme « les prévenants ».
Il y a là un univers sin­guli­er mar­qué par le silence et qui nous donne à voir un monde resser­ré dans l’espace d’une ville qui ne sera jamais nom­mée. L’enfance ? Un espace étouf­fant et pour­tant tra­ver­sé par le poème, qui devient prom­e­nade entre la vie et la mémoire. Le regard du nar­ra­teur-poète rap­pelle celui d’un enfant. Une inno­cence du regard qui mon­tre juste ce qu’il voit :

« le bras se rapproche 
des hanch­es »

Et nous, lecteurs, nous rap­pro­chons, comme le poète de ses sou­venirs.  Puisque nous mar­chons rue des ambas­sades, sous les pla­tanes d’une ville incon­nue. Chaque lecteur l’arpente à son tour et la recon­naît, parce que Guil­laume Boppe nous y entraîne dans la retenue. Lec­ture devient ici cheminement.
Les poèmes con­stituent une suite mar­quée de jalons dont ceux de la dernière par­tie con­stituent une étape impor­tante dans la pro­gres­sion vers le sou­venir retrou­vé. Leur étrange atmo­sphère se révèle par­fois douloureuse et, en même temps, telle l’eau souter­raine dont se nour­ris­sent les morts (et les mots), essentielle.

« une ville dont on voudrait se faire un voile 

un dimanche sans but
sauf sa dernière lumière venue »

Est-il écrit à la dernière page. On y retrou­ve la pudeur et la déli­catesse du poète pour dire ce qui, du passé et du présent a per­mis le sur­gisse­ment du poème.
La cou­ver­ture de Michel Foissier rend jus­tice au texte, bleue et tra­ver­sée d’un arc lumineux. Le coude.

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Sylvie Durbec

Sylvie Durbec est née à Mar­seille en 1952.
Vit  au sud. A qua­tre fils. Ecrit depuis une ving­taine d’années.
Poète, plas­ti­ci­enne, traductrice.

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