Louison Delomez, La distance et l’exil (extrait)

2018-03-04T15:59:18+01:00

 Écrire le monde
Cela ressem­ble à une flamme peu sûre
Par­mi le vent, la nuit, les rires.

On ne sait pas trop où l’on va,
Berg­er que les ronces enser­rent jusqu’à presque le sang
Quand, à la lisière du champ
La brume se mêle âpre aux rêves,
Le froid fait pliss­er le front.

Peut-être est-ce inutile
Voire impu­dent, cette manière de retrait
Quand les hommes s’ébrèchent, se courbent.

Quand les hommes jouent,
Les ques­tions écartées, avec la force
De s’in­ven­ter un des­tin friable,
Le fil et les ciseaux, et le vis­age des vieilles sorcières,
Moires cap­tives der­rière un écran sans lendemain,
Ou dans un livre si vite perdu.

Et puis
Il faudrait, à la rigueur,
S’in­téress­er à l’amour fou, qui enlace, tranchant,
Parce que le désir efface les souvenirs,
Dis­perse les heures.

Mais dire
Dire le monde, qui ne fait qu’envelopper,
Qu’être évident…

Qui n’a rien de tran­chant comme l’amour,
‑On dirait une res­pi­ra­tion lente,
Un som­meil lointain
Infran­chiss­able comme serait la mort.

Ou même rien,
Seule­ment un mirage que la pluie suf­fit à changer,
Que la chaleur trou­ble ou presque.

Presque : c’est ain­si que l’on s’élance et c’est ain­si que l’on trébuche
Au seuil de la mai­son d’en­fance, ensoleillée.

*

On pour­rait certes ten­ter de dire la pointe mystérieuse
Du regard, quand empli de désir,
On l’en­tend vibr­er comme une mer impatiente.

Une espèce de Gabin, qu’étreignent la peine et la résolution,
Devant les ver­res vides et le cendrier,
Les yeux cernés par le rouge des bais­ers absents,
Chante la dis­tance d’Amour :

“Et quand elle dis­ait mon nom,
Mon beau nom Salomon,
C’é­tait t’sais comme l’aveu d’une tendresse
Où je vivais en paix.
Nous nous aimions moi comme le lis de la vallée,
Elle
Comme une gazelle, un jeune faon.

” Oh pis tiens j’sais pas dire l’amour ;
Elle s’est débinée pis les mots moi j’sais pas !
Depuis où que j’aille…”

*

On pour­rait dire l’en­fant qui,
Devant les mille et une couleur de la féerie,
Les mon­stres, les forêts dessinées,
Les gestes qui racon­tent mieux la vie que la vie elle-même,

A les yeux grand ouverts, ronds à se bris­er dans une nuée d’images,
— Étoiles ani­mées, vio­lence sim­ple, facile à apprivoiser…

Il regarde la télé
Où se meut le monde avec le sens
Jusqu’à ce que le corps s’af­faisse, se creuse comme
On râcle, à la pelle, les graviers de l’âge. 
Et les mem­bres cessent d’obéïr aux rêves,
Les méchants et les bons se mêlent et le jour
A la nuit ; le savoir
Se disperse
Si lente­ment, lentement,
Qu’on finit par se deman­der où puis­er la force
De met­tre, à tout ça,
De l’or­dre, rien qu’un peu…

C’est comme si
A vingt ans déjà, le regard s’écartelait
Entre désir et mort,
Au milieu d’un vent muet, de rires
Que bris­erait n’im­porte quelle ombre,
N’im­porte quel caprice (les jou­ets cassés,
L’é­touf­fe­ment, les portes qu’on sec­oue presque en vain…)

*

On pour­rait dire com­ment, d’âge en âge,
De plaines en royaumes,
De brig­ants et de loups en supermarché…

Com­ment les pas ont creusé le sol ;
Des chemins s’y sont tracés ; puis
Les roues de tracteurs les ont pétris
Jusqu’aux microbes, pressés dans les ronces, les flaques !

Tracées, les autoroutes ; mon­tés, les bâtiments ;
Ten­dus, les câbles ; dif­fus, d’or­eille en oreille ce qui était bruit
Qui est devenu vol­ume sonore ;
Mor­celle­ment, dis­per­sion, absence
Faite de son envers : oh ce monde-Arle­quin où
Je veux n’être qu’un Pier­rot, dans la lune !

*

On pour­rait dire…

Cette matière est vieille comme le monde moderne,
Qui accuse non pas la douleur mais, moins dici­ble au fond,
Ce qu’un poète, un jour, entre­vit sous la fumée d’un houka,
Une des­tinée où les yeux s’exilent
En même temps que les mots, vidés, fragiles,

- Mince cloi­son d’indifférence,
Voix d’ex­il endormie…

*

L’ex­il est la terre des hommes.
Ce n’est pas grave, bien sûr !
Nous ne sommes pas comme les arbres, qui croissent
Tel que les branch­es et la lumière
S’élèvent en brindilles d’air, en feu bleu-ciel, ajouré.

Non les hommes
Poussent en se con­sumant dans l’espace
Comme une branche que lèche la flamme,
Un arbre tombé
Que le temps étreint jusqu’à la cendre.

Les hommes : un feu de branch­es mortes,
Un feu d’ex­il, qui troue la terre.

C’est un peu Ulysse quand il sort de la mer,
Ivre de vent, il brille d’une eau salée, tumultueuse,
Se couche et s’en­dort dans les ronces.

Les voitures four­mil­lent droites, brillantes,
Par­mi les arbres du boule­vard, le brouillard…
C’est un peu comme se retourn­er sans cesse, éperdu,
Les yeux creusés et leur lourde hâte
Dans les reflets des vit­rines, puis en l’air !

Recoudre, tiss­er con­tre l’ex­il, faire marche arrière ;
C’est là la dis­tance du marcheur,
Là le chemin où les orties, l’herbe haute,
Bal­an­cent entre les pier­res silencieuses.

Là, aus­si, où fuient les rues entre les toits et les fleurs ;
On y plonge un regard rapi­de, on passe
Comme le long de portes entrouvertes.

Il y luit de douces ombres,
Un chien dont le muse­au pointe plus loin que notre élan peut-être…

On s’im­misce dans les trous d’oiseaux,
Le tran­chant de l’air nous guide
Jusqu’à ram­per avec les insectes, dans les coins d’araignées,
Sous les draps et les rêves reptiliens.

On ouvre les livres, les aventures,
On aime les his­toires, les contes ;
On marche, on suit la tran­shu­mance en mots,
La trace lais­sée par le pas des héros.

On aura cher­ché, dans la pous­sière proche,
Com­ment se gliss­er, ser­pents, dans l’embrasure des choses mortes.

 

 

 

 Des pas, des mots en herbe

 

Les bergers

Comme une flûte dressée, le matin étin­celle, calme.
Etre un berg­er qu’accompagne le vent dans les roseaux rustiques,
Le vent de Pan enroulant comme une flamme la cire de l’instrument,
On pour­rait penser que c’est être à l’écoute d’un éveil sonore
Par­mi les chênes prophé­tiques, la tombée de leurs feuilles brûlées d’air.

Un pré d’hiver ensom­meille les trou­peaux blancs…

Et tan­dis que la fumée tra­verse l’air
Le froid se mêle aux épines et les ronces n’ont, dirait-on, pas de sens.

Et rien d’ailleurs,
Et c’est cela qui fait taire les hommes quand, avec les mots
Som­brent au midi de l’obscur les mon­des, les étoiles qui bril­lent tou­jours pareil,
Même à la sur­face de l’eau noire, la nuit.

Quand dis­paraît le sens
Ce n’est ni la peur ni le mal­heur qui mon­tre sa gueule,
Mais comme une marée invis­i­ble dans l’étendue des jours qui se suivent,
L’ombre étrange­ment famil­ière de tout ce dont on s’est lassé
Et tout au bout de quoi se tapi­rait comme en une brume épaisse,
La brûlure soudaine des fleurs sauvages, ou
Des insectes, des serpents…

Et moi je veux, quitte à ne faire que des images sans consistance,
Trou­ver des mots qui iraient en deça d’eux-mêmes, creusant
Ou presque dans le temps et cueil­lant une rose non l’absente ;
La rose sauvage, secrète comme Diane !

Forcer somme toute les pas d’un berg­er presque éteint
Pour ne pas per­dre ces points chétifs qui sem­blent coudre l’espace :
L’herbe aux cimes les cimes au ciel, et le feu qui les love !
Peut-être est-ce beau ces mots ain­si jetés
Mais je dois admet­tre que ce ne sont certes pas ceux-là

Qui feraient pli­er les arbres, danser les bêtes et les pier­res, qui descendraient
Jusqu’au fond des enfers en pas­sant par le fron­ton ultime,
Per­du dans la forêt obscure : ah des mots
Qui auraient une puis­sance de feu, à résonner
Dans les loin­tains des hommes…

Etre un berg­er, avec un bâton de noisetier,
A l’appel de tout un monde proche…

Echap­per au reste, à la sci­ence et aux certitudes ;
La vérité dans les astres, plus loin qu’eux même, et pourquoi
Ne serait-elle pas le nœud des méta­mor­phoses, se dénouant au moment où
Dans la bouche avide, éclate, glisse enfin
Le sang des mûres, celui des arbres…

Beauté et vérité dans un même soleil,
Une lumière d’eau brève qui peut être
Simplement
Les bruits frag­iles et les jolies couleurs
Comme une rue qui tourne et descend, l’alerte fauve d’un chevreuil ;

Remuent la boue de la mémoire et celle qui recou­vre le bois mort
Et j’ai la sen­sa­tion d’être un enfant dont les rires atteignent la cime des peupliers.

La Vérité, sur une urne de marbre,
Des astres à moi,
J’aimerais la dire comme si elle jail­lis­sait en espérance brusque
Juste au devant du regard : telle
Vénus sculp­tée par les vagues du désir,
Qui tend la main, qui appelle !

Mais le berg­er sous le feuil­lage noir, le regard appe­san­ti vers les ombres, le toit des fer­mes qui fument,
Déjà cesse de chanter le nom d’Amaryllis :
Des ailes rasent la terre comme une faux, et les oiseaux des ténèbres,
La chou­ette et l’orfraie,
Rap­pel­lent en leur vol déployé toute la pour­ri­t­ure, le sang ver­sé après le pas­sage des loups,
La mort qui assèche les mem­bres et fait des trous par où passent les fourmis.

Etre un berger,
Ce serait ce regard dans l’énigme des jours
Au moment où la flûte se heurte, discrète,
A la brume et aux bêle­ments du monde.

 

Pas à pas

Un nuage de branch­es, cet éche­veau vert que, la porte ouverte
On s’obstine à tir­er en nous, sur les chemins, le pas pressé.
Un fil dont on attend les épines en feu, et qui nous tient en équilibre,
Nous recen­tre, nous et l’espace avec, ses oiseaux, leur ciel, son silence inouï !

La flûte s’épointe en descen­dant, pierre à pierre, fleur à fleur,
Et les pas sem­blent pénétr­er en une eau calme,
Nappes vertes, lam­pes d’ombre où se détache lentement,
Comme une écorce usée, le fan­tôme qui nous suit dans les jours sans consistance.

En nous, c’est comme une sorte de craque­ment inaudi­ble, léger,
Au rythme des pas qui tour­nent vers leur centre ;
La riv­ière et les fougères réson­nent con­tre, creusent un chemin
Où l’horizon s’ouvre pour de bon, mon­tre ses lointains.

Les pas sem­blent descen­dre vers le haut, où le bruit des peupliers
Fait du ciel un ruis­seau, de la terre une fumée ten­dre ; où
D’un arbre à l’autre, les cris d’oiseaux retendent le ciel,
Jusqu’à en trac­er les déchirures invis­i­bles, qui sont des lumières d’air…

Et les pas suiv­ent un fil d’air qui nous tire, écarte les membres
Pour gliss­er, entre les fibres, une série d’évidences retrouvées ;
La pre­mière, bien sûr, est cette dis­tance d’avec l’immense toile tendue
Après avoir franchi les bar­rières noires, où s’arrêtent les rêver­ies inutiles, les idées aux rem­parts de sable…

Je marche autour de l’étang ; per­son­ne qui puisse venir ici et
Par-delà les ques­tions inutiles, c’est au milieu de moi-même que je m’enfonce ;
Le sang, comme dans les sec­ouss­es d’une mâchoire canine, se purge pas à pas :
Pas à pas affolés, blessés, vers un point de lumière chétif…

Ils me mènent au gré des chemins, une fois par­cou­rues les routes du vide,
Les chemins verts que le vent et les feuilles font réson­ner tou­jours plus bas ;
Un fil d’eau troue les bar­belés ; en moi, il écarte les leurres,
Et les pas ser­pen­tent, comme cette eau des jours clairs, au tra­vers des ombres.

Pas d’eau calme, par­mi les feuilles de lumière, dans l’invisible…
Autour volti­gent des papil­lons, comme de l’air qui prend feu ; ici
On dirait que l’ombre jaune des tour­nesols cache l’univers, d’où s’échappe
Vers les chemins d’air, un oiseau dont, sous la pluie, les ailes ont l’odeur du temps…

Ces pas d’été, c’est comme s’ils réveil­laient en moi un vieux désir
Que le temps éti­ole peu à peu, mais qui demeure mal­gré tout ;
Comme si, pour quelques heures, un cocon d’air les protégeait,
Empêchait, de dis­tance en dis­tance, qu’ils ne trébuchent trop bas, trop haut !

 

 

 

Présentation de l’auteur

Louison Delomez

Je suis né dans le départe­ment de la Nièvre en 1989.  J’y ’ai vécu jusque l’âge de vingt ans, et j’écris de la poésie depuis mon ado­les­cence (vers l’âge de quinze ans à peu près). 

 

Louison Delomez

Il m’importe de dif­fuser, préal­able­ment, quelques poèmes d’un recueil à paraître, que je compte inti­t­uler Les lents chemins, par l’intermédiaire de revues avant de m’adresser à une mai­son d’édition. J’ai été pub­lié il y a deux ans par la revue REVU, située à Nan­cy, où je vis depuis sept ans, je le suis depuis octo­bre dans la revue élec­tron­ique Lichen, je viens de l’être dans la revue Comme en poésie et je le serai prochaine­ment dans la revue Tra­ver­sées : ces ten­ta­tives de pub­li­ca­tion ont tout juste com­mencé, à l’ex­cep­tion de la revue nancéïenne.

 

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