Rémi Froger, Ciel et terre

Par |2024-05-06T10:40:25+02:00 6 mai 2024|Catégories : Poèmes, Rémi Froger|

Marche

Ou bien marcher le long de l’eau, un peu ruis­seau ou lac, d’un pas indif­férent, indi­quant d’un geste 
la branche tombée, la feuille lev­ée, le bam­bou d’un jour.

Ou bien il s’est assis sur un bloc de pierre tail­lé, il s’est assis, il a plongé les yeux dans un livre et 
tout se passe dans ce pli d’un homme et d’une pierre, et rien n’y fera.

Ou bien un dessin don­né par la main der­rière la nuque, une lente lumière au long de la pente aux 
oliviers, la main et cette courbe.

Ou bien celle qui serait la même rég­nant sur le milieu des végé­taux, tout cet ailleurs ten­ant la terre

droite, la stat­ue par­faite­ment reine, les passés et bien d’autres faits.

Ou bien un peu de jeu, franchir un désert, franchir la lumière brûlante, la bar­rière brûlante et 
con­tin­uer jusqu’à la prochaine ligne où roule un ballon.

Ou bien sait-on ce que nous sommes, une course brève sur un sol bat­tu et rebat­tu, les arbres, les 
façades, par­al­lèles, courir droit ou de tra­vers en descen­dant vers la porte verte.

 

Le sens se glisse

Le sens se glisse le long des flancs, des tors­es, des hanch­es. Le sens se plie, se niche – c’est une 
phrase qui ne vient pas d’autre chose, une esquisse – une phrase que nous ne com­prenons pas 
autrement que l’enfant qui fait des ronds sur le sable avec ses pieds, que la femme qui passe la main 
dans son cou pour réu­nir ses cheveux, que l’éphémère ray­on de lumière entre les buts – une phrase 
que nous effacerons plus tard quand d’autres signes arriveront.

 

Un autre sens

Un sens ou bien l’autre ne serait qu’un brouil­lon. Les signes fument, les images appa­rais­sent à la 
ren­verse, des branch­es séchant à terre, des chem­inées d’usine encore improb­a­bles, facettes de 
paysages d’hier, d’hiver, tout en brouil­lards, en givres, en fos­sés – images retenues par quelque 
bar­rage entraî­nant le mou­ve­ment des tur­bines, la pro­duc­tion d’une énergie invis­i­ble, inaudible, 
impal­pa­ble mais mortelle. Le sens n’en est pas plus éclair­ci s’il n’est que con­séquence de toutes les 
péripéties, pas­sages d’un for­mat vers un autre, con­séquences fix­ant et encad­rant le déroulé, le défilé, 
le brouillon.

Sol­lic­ité, c’est à dire arrêté dans la marche, nous nous efforçons, mais d’automatismes et non 
d’efforts, nous cachons le signe dans la cir­con­stance quel­conque. Ou bien dans sa 
cir­con­stance, sa venue et son allée. Le signe, ou le sens qui serait cette chute.

 

Boue

La boue, per­son­ne ne la con­naît, elle n’a pas de lieu par­ti­c­uli­er. Nous nous efforçons de nous y 
adapter.

De la boue sont sor­tis les noms et les let­tres, et le nom­bre des morts, et les tâch­es accomplies.

De nos mains sont sor­ties les posi­tions des étoiles dans les cieux, et celles qu’elles tien­nent quand 
elles tombent sur les champs.

Nous n’avons pas par­lé. Nous avons sim­ple­ment réa­gi aux ter­mi­naisons des doigts, aux vibrations 
du manche en bois.

Nous comp­tons les choses, nous les dis­posons devant nous, et les rayons d’un trait fin.

Nous avons gran­di avec les noms. Nous n’avons pas fini de les chercher.

Celui qui avait scié la pierre con­nais­sait bien cette falaise. Son vis­age était humide. Les chèvres 
broutaient les chardons.

 

Faire autre chose

Voir et faire autre chose. Une longue coulée verte entoure le canapé, atténuée sur la gauche par la 
lumière tombant de la fenêtre. Faire autre chose où le vert est plus pâle, la coulée bien plus floue. Le 
rec­tan­gle est ain­si fait qu’il est le canapé cerné d’une bande verte. Sur la droite est posée une 
com­mode basse. Le tableau posé dessus est éclairé par la fenêtre, nous le voyons mal. Au-dessus du 
rideau la lumière est la même mais tein­tée d’orange, elle va plus bas vers le pied du fau­teuil posé près 
de la commode.

Tun­nels de lumière. Faire autre chose n’est pas aisé. Si l’on fendait légère­ment les bor­dures, les 
murs et les portes, planch­ers et pla­fonds, le tra­vail serait facil­ité. Ou si l’on glis­sait vers un autre angle, 
mon­tait sur le fau­teuil, ouvrait les portes et les fenêtres, pour voir autrement ou voir d’autres tunnels.

Mais traiter une autre chose, com­ment traiter une autre chose, cette autre chose, depuis quand est-
elle rouge ?

Présentation de l’auteur

Rémi Froger

Né en 1956.

Bib­li­ogra­phie 

Pour­suites, Tara­buste, 2023

planch­es, P.O.L, 2016

quelque chose de lis­i­ble, Con­tre-mur, 2013

reliefs, lnk, 2011

regarde ça, P.O.L, 2011 

lignes de déri­va­tion, ed. de l’At­tente, 2009 

des pris­es de vues, P.O.L, 2008 

Trans­ferts, Triages / Tara­buste, 2008

Routes, repérages, publie.net, 2008 

chutes, essais, trafics, P.O.L, 2003

Échelles, Tara­buste, 2000 

Rémi Froger pein­tures et revête­ments, Carte blanche, 1999

Des fétus, des noms, Cahiers du Con­flu­ent, 1983

Les Bruits qui meurent, Le Dé bleu, 1980

Poèmes choi­sis

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