Tomasz Cichawa, Aperceptions

Par |2021-05-06T12:18:46+02:00 6 mai 2021|Catégories : Poèmes, Tomasz Cichawa|

amour est rêve

 

l’amour est un rêve où mon amoureuse

s’en­v­ole par la fenêtre et s’écrase au sol

l’oiseau détesté sans nid sans clarté

que sa mère ven­dit pour quelques prières

 

triste comme un poète mon amour est inquiet

mon désir est dif­fus et borgne il me rend      

furieux et latent mon amour n’est pas complice

les vic­times n’ont jamais sauvé l’espoir

 

ce songe est sans avenir son espoir est vide,

le mur du réveil fera pli­er les ailes — l’er­mite du rêve

cul­tive la plante de l’e­spoir dans le désert de pierre

tant qu’il y aura la pluie qui irrigue ce rêve

 

si la fleur se mute en fruit je le porterai dans le monde

et nous par­lerons au monde de l’amour sans bornes

et nos con­ver­sa­tions chang­eront le monde

j’at­tends ta parole avant que le monde ne se brise

 

mon amour est frag­ile mon rêve terne mon oiseau muet

les paroles l’ef­fraient et blessent l’amour sans paroles

dont les jours sont inde­scriptibles — silence  est absence

les seules paroles qu’il con­naît sont trau­ma  et fin

 

rêve  est blessure  silence  est mort

 

corps

 

puisque mon idéal me trahit

avec la pute aux cheveux verts

 

au milieu de la nuit vêtue

je laisse place

à l’in­con­nu

 

je t’of­fre le papillon

qui s’é­bat en moi

 

ma lyre élec­trique s’épuise

le néon vom­it son vif-argent

la chape de froid écrase

 

j’ôte des jupes et des bas

par­a­sites de la séduction

 

            mon corps sage

 

cycles des nuits

 

Désor­mais, mes nuits durent qua­tre-cent-qua­tre-vingt-quinze minutes.

En fin de chaque cycle de som­meil se révèle à moi l’im­age d’un livre

aux prophéties opaques.

L’ensem­ble de glyphes ressem­ble à un archipel, dont les ter­res, immergées

par la grâce d’un déluge, com­men­cent à peine à resur­gir de sous les eaux

qui cèdent.

Le texte est lis­i­ble par zones, dif­fi­cile­ment, mais chaque nuit, il se dévoile davantage.

L’eau trou­ble se retire. L’énigme de la vérité se décompose

à chaque réveil.

La clé du monde cherche la serrure.

Je lis les mots à l’endroit :

 

…amère vie…

…empreintes des miroirs …

…hisse-toi jusqu’à la ligne bleue…

…éructe en larmes devant un ange gai…

…marche seul la nuit…

…déflo­re des idées de la femme lubrique…

…invente le tarot dont tu ignores les règles…

…sou­viens-toi de l’or­tie chromée…

…livres vierges…

…à corps ouvert crâne ouvert…

srevne’l à stom sel siv ej

ate­lier

 

1.

jusqu’aux con­fins des jours il œuvre

devine le relief au-delà de l’atelier

— limes gouges pointes planes

wastringues com­plices

 

il hume l’huile rance sent le bois rouillé

creuse l’âme de l’i­dole creuse l’âme de l’idole

flam­bent avec hor­reur copeaux avortés

le sol se déchire le toit se déchire

 

2.

démi­urge ivre aux mains sectionnées

nour­ri de silences d’in­tu­itions incultes

renonce à la gloire molle qui compte des écus —

la pous­sière se pose attentive

 

l’art l’emporte la vie s’absente

ne sub­sis­tent que des entailles dans la peau des souvenirs

 

le roi poète

 

le print­emps est admirable et le parc resplendit

le soleil bien­veil­lant invite à la promenade

dans le jardin secret où court un ru fébrile

le roi aime à s’asseoir et à s’inspirer

il ne se sent libre que seul

les ser­vants se dissimulent

 

le roi com­pose un poème, exerce son regard,

goûte aux pâtis­series boit le vin d’au­tomne préféré

envoie les coupes vides dans les veines du ruisseau

elles tour­nent et se heur­tent leur tintement

sur­prend des grues qui pêchent —

le pinceau trace : ce qui n’est pas écrit ne pour­ra être lu

 

le roi dit son affec­tion pour le peu­ple dont il est inséparable

comme le pois­son et l’eau comme la lune et son reflet

il par­le à une absente qu’il ne veut con­train­dre de l’aimer

même s’il dis­pose de tous les pou­voirs dont celui de la mort

mais l’amour ne se com­mande pas ne se met pas aux fers

le roi soupire : ce qui n’est pas dit ne pour­ra être entendu

 

le soir quand la reine s’oc­cupe à par­faire ses gammes

le roi tâche d’ou­bli­er des affaires du pays il ferme les portes

se mire dans la soli­tude des nuages merveilleux

le temps est imper­cep­ti­ble la pen­sée se fait chair

et pen­dant que les copistes mul­ti­plient le poème

il joue aux dames chinoises

 

Présentation de l’auteur

Tomasz Cichawa

Tomasz Cichawa est né à Varso­vie (Pologne). Il s’établit à Paris en 1985, après avoir achevé ses études de ciné­ma à la très réputée École nationale supérieure de ciné­ma, télévi­sion et théâtre de Łódź. Il est cinéaste (directeur pho­to, réal­isa­teur, mon­teur), pho­tographe, auteur-com­­pos­i­­teur et poète.

Haïku bicéphales / Dwugłowe haiku (2014) Recueil de 318 haïku et sen­ryu bilingues, en français et en polon­ais.http://tomaszcichawa.fr/haiku/

instan­ta­nés (2015) Ce recueil a été adap­té par T.C. en un réc­i­tal poésie-piano d’une heure, avec la com­plic­ité du com­pos­i­teur et pianiste de jazz, Sébastien Lova­to. http://tomaszcichawa.fr/instantanes/

otium (2017) Infos, vidéos, extraits du recueil : http://tomaszcichawa.fr/otium_poesies/

Femme asymétrique suivi de Aper­cep­tions (2019) http://tomaszcichawa.fr/femme-asymetrique/

Il est l’au­teur des dessins, encres de Chine et pho­togra­phies qui illus­trent ces recueils.

Il est égale­ment le co-auteur d’un roman-dia­­logue (écrit à qua­tre mains avec Dominique Biteau) Post­face (2019).

Site Inter­net : http://tomaszcichawa.fr

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