1
vers sept huit heures un soir
je cherchais une écharde
dans un jeune auriculaire
mon garçon la voyait, la voyait
il finira bien par oublier
pourquoi il a mal
et fermer les yeux
ce qu’on appelle grandir
j’allais éteindre, il m’a dit : je suis
pas mal sûr que je peux prédire
la moitié de l’avenir
j’ai dit : pour vrai ?
et lui : ça va être
la nuit
la moitié du temps
2
alors j’ai vu, la nuit
c’est un couloir devenu forêt
un monastère sauvage
mon territoire sous les eaux
la marge illimitée des formes
des paroles qui fixent
les contours du moi dans une brique
l’heure où quelqu’un sort du frigidaire
Neptune et ses pluies de diamants
la nuit nous attire dans sa bouche
avec des reflets
un voyage de quelques mètres au pays
de la fermeture des frontières absolue
3
dormez bien – je creuse le noir avec une cigarette, je perds
le rythme circadien, je décroche, je fais le zéro insondable
à l’entière disposition d’on ne sait quoi, des chiens reniflent
dans les zones gazeuses au commencement de nos histoires
brûlant d’arriver comme un pèlerin dans l’escalier d’Escher
quelque chose au milieu n’a pas de fond ne vieillit pas
4
ta forme de vie va aux ténèbres
pour éclore
elle pousse la tête en bas
agenouillée près du lit
en signe d’abandon
déplie la main et la bête
en-dessous
vient boire
5
le contremaître de nuit
nous rattrape en marchant dans les rangées de cases
les allées de verre du jardin de givre de la cité des morts
encore gelé sur la voie du vide parfait
personne n’a envie qu’il enlève son capuchon
se retourne et
nous ressemble
sosie sans bouche
6
certains mots chatoient ici plus que d’autres
condominium oculaire craie fée muraille yamaha
encodée dans un mur de la forteresse
une brique
donne des vies
7
j’ai tendance à t’oublier, Lune
maîtresse des inversionnistes
comme toi je vis à l’envers
de la programmation et m’entoure de pénombre
pour fleurir, je descends dans mes paramètres
à la recherche d’une fonction désactivée
je retourne mes poches, je tends vers toi
ma défectuosité comme une offrande
au dieu pour les nuls, un signe obscur
dans les viscères du crapet-soleil
8
minuit approche et plus on est égaux
moins il fait noir dans le noir
on entend murmurer les rivières
dans les oreilles sales de nos ancêtres
le faible éclat des fronts nous apparaît
ce qu’on appelle le jour est la nuit d’un autre jour nous le sentons
d’autres ont dérivé qui forment une chaîne et la brisent en tournant
pour nous laisser entrer
9
soudain la certitude qu’on peut voir
dans la nuit héréditaire
par le bout des doigts
long lignage
aimanté comme les minéraux de l’esprit dans les veines
d’eau de l’orgue défibrillisé par le dégel
caillots praniques aspirés par les pupilles nerveuses
la vie intérieure du monde est stroboscopique et trop
de vie affole
j’abandonne la tête dans le courant qui me traverse
je recommence à grandir
j’émerge
10
vues du ciel
nos villes ressemblent à de la moisissure
qui chatoie
un filet de neurones jeté
sur un beau néant navigable
nous l’espèce élevée
dans la peur du noir, on fait clignoter
la maison du dedans (le dernier vœu
de la vie éparpillée : se voir
se voir en ce moment précis
de l’univers)
mais c’est une carie vermeille
dans la bouche d’ombre
ma fenêtre
11
on sort deux par deux fumer de l’air et les étoiles, des trous
dans le couvert de la boîte à respirer par les yeux
des notifications lointaines dans les poches de l’univers
le vingtième siècle n’a rien changé à l’immense paix régnante
je vote pour une heure de noir mondial à méditer le bras d’Orion
la Terre émet une pulsation
aux vingt-six secondes et personne ne sait pourquoi
ce qui se passe est réellement inséparable à l’infini
je baisse le son et j’ouvre les fenêtres
je touche la myriade en te touchant toi
12
déjà habitués à vivre
on oubliait l’autre nom qu’on porte en dormant
veilleuse qui folâtre à minuit moins deux
égarée dans les veines de la mine aux idées
à la recherche d’un corps pour s’enfouir
et parler