Yves di Manno, Terre sienne

Par |2025-11-06T12:45:36+01:00 6 novembre 2025|Catégories : Critiques, Yves di Manno|

Yves di Man­no, je le con­nais comme tra­duc­teur. Je lui dois la décou­verte de Georges Oppen, d’Ezra Pound et de William Car­los William. Ce n’est pas rien. Qu’il soit poète ne saurait sur­pren­dre. Seul un poète peut traduire un autre poète. Aus­si, tombant au Marché de la poésie sur ce recueil, je n’ai su résis­ter. Voilà pour l’anecdote. Main­tenant, nous sommes en juil­let. Je suis en ter­rasse à Paris et j’ouvre le recueil.

Des vers brefs, sans verbe, avec des jeux de par­en­thès­es qui don­nent une une couleur à l’hiver. Appa­rais­sent une terre, de la pluie, un pré, des herbes. Je devine l’œil, l’esprit du poète cher­chant à capter l’indicible qui dore le moment qui passe. Puis, je m’interroge : est-ce un paysage ou une pein­ture (chevalet, car­ré, tri­an­gle vien­nent de se gliss­er dans le poème) ? Après tout, il y a des couleurs sim­ples (noir, vert et on se sou­vient du titre : « Sienne » qui appelle aus­si l’Italie et sa pein­ture). Et déjà une preuve sur­git sur un vers : le mot pinceau. Nou­velle inter­ro­ga­tion : s’agit-il d’un tableau ou d’un livre d’art, puisqu’il y a des pages ? J’hésite, tan­dis que le poème me par­le d’une chair, d’un œil étroit, d’un corps mutilé, puis de « chantiers aban­don­nés / hissant dans la nuit claire / leur out­ils » (p. 30). Et à nou­veau le vert, le noir, des four­rés, de l’humus et « ces plaies plus que ces plaintes ». Le silence a gag­né en épais­seur. Fin du pre­mier poème.

Un autre arrive. Il enchaîne des spi­rales visuelles l’une après l’autre, puis affirme : « la terre comme porte // (mais ne don­nant / sur rien » (p. 44, la par­en­thèse ne se referme effec­tive­ment pas). Plus loin, sur­git une chevelure « (ou une dune / mor­dorée » (p. 46) qui apporte une douceur « bleutée ». Mais cela reste frag­ile comme « le sol d’un / gre­nier vac­il­lant » (p. 48). 

Yves di Man­no, Terre sienne, Isabelle Sauvage, 2012, 72 pages, 14 €.

Se dressent sous mes yeux un tableau noir et une ligne blanche. La noirceur gagne, une noirceur « aux con­fins d’une // autre ténèbre » (p. 56), que rien n’arrête, ni les volets entrou­verts, « ni le vis­age apparu » (p. 58), ni la traînée verte « des talus d’herbe sèche » (p. 59), ni les autres choses qui sont comme des « ori­flammes / en loques » (p. 62). Tout est sil­lon­né « par le noir // du pinceau » qui enferme « la vision // dans les plis / du papi­er ». Ain­si sommes-nous les vivants spec­ta­teurs d’une nuit sor­tie d’un « jour ayant dû // ignor­er le corps qui la signe… » (p. 67). Derniers vers.

Pour con­clure, dévoilons le secret de fab­rique de cet étrange recueil : oui, il s’agit bien de poèmes sur deux vol­umes de livres d’art. Je le savais (l’éditrice me l’avait appris et la dernière page le rap­pelle). J’ai voulu l’oublier pour mieux baign­er dans la tem­po­ral­ité visuelle dans laque­lle nous entraîne Yves di Man­no et mieux appren­dre ce qu’on vit quand on voit.

Présentation de l’auteur

Yves di Manno

Yves di Man­no, né en 1954, a pub­lié une ving­taine de recueils dont, pour ne citer que le dernier, Champs, un-livre-de-poèmes (2014, reprise, chez Flam­mar­i­on, de deux vol­umes parus en 1984 et 1987), ou d’essais, par­mi lesquels « endquote », digres­sions (Flam­mar­i­on, 1999), Objets d’Amérique ou encore Terre ni ciel (José Cor­ti, 2009 et 2014).
Il est aus­si tra­duc­teur de poésie améri­caine (William Car­los Williams, Ezra Pound, Jerome Rothen­berg ou George Oppen) et dirige la col­lec­tion « Poésie/Flammarion » depuis 1994 .

Bibliographie 

Poésie

  • Les Célébra­tions, Bedou, 1980
  • Champs, Flam­mar­i­on (col­lec­tion Textes), 1984
  • Le Méri­di­en, Édi­tions Unes, 1987
  • Champs II, Flam­mar­i­on, 1987
  • Kam­bu­ja, Stèles de l’empire khmer, Flam­mar­i­on, 1992
  • Par­ti­tions, champs dévastés, Flam­mar­i­on, 1995
  • Un Pré, chemin vers, Flam­mar­i­on, 2003
  • Terre sienne, édi­tions Isabelle Sauvage, 2012
  • Champs (1975–1985), édi­tion défini­tive, Flam­mar­i­on, 2014
  • une, tra­ver­sée (avec Anne Calas), édi­tions Isabelle Sauvage, 2014
  • Terre anci­enne, Mono­logue, 2022
  • Lavis, Flam­mar­i­on, 2023

Narration

  • Qui a tué Hen­ry Moore ? Ter­ra Incog­ni­ta, 1977
  • Sol­stice d’été, Édi­tions Unes, 1989
  • Dis­paraître, Didi­er Dev­illez, 1997
  • La Mon­tagne rit­uelle, Flam­mar­i­on, 1998
  • Domi­cile, Denoël, 2002
  • Dis­ci­pline, Héloïse d’Ormes­son, 2005

Essais

  • La Tribu per­due (Pound vs. Mal­lar­mé), Java, 1995
  • “endquote”, Flam­mar­i­on, 1999
  • Objets d’Amérique, José Cor­ti, 2009
  • Terre ni ciel, Edi­tions Cor­ti, 2014

Anthologies

  • 49 poètes, un col­lec­tif, Flam­mar­i­on, 2004
  • Un nou­veau monde: poésies en France 1960–2010 (avec Isabelle Gar­ron), Flam­mar­i­on, 2017

Nouvelles

  • Ari­ane hors Flaubert (1976)

Traductions

  • William Car­los Williams, Pater­son, Flam­mar­i­on, 1981
  • George Oppen, D’être en mul­ti­tude, Édi­tions Unes, 1985
  • Ezra Pound, Les Can­tos (en col­lab­o­ra­tion), Flam­mar­i­on, 1986
  • George Oppen, Prim­i­tif, Édi­tions Unes, 1987
  • George Oppen, Itinéraire, Édi­tions Unes, 1990
  • Des “Objec­tivistes” (en col­lab­o­ra­tion), Java, 1990
  • Ezra Pound, La Kul­ture en abrégé, La Dif­férence, 1992
  • Jerome Rothen­berg, Les Vari­a­tions Lor­ca, Belin, 2000
  • Ezra Pound, Les Can­tos (en col­lab­o­ra­tion), Flam­mar­i­on, 2002 (nou­velle édition)
  • William Car­los Williams, Pater­son, José Cor­ti, 2005 (ver­sion revue et corrigée)
  • Jerome Rothen­berg, Les Tech­ni­ciens du sacré, José Cor­ti, 2008
  • George Oppen, Poésie com­plète, José Cor­ti, 2011
  • Ezra Pound, Les Can­tos (en col­lab­o­ra­tion), Flam­mar­i­on, 2013 (troisième édi­tion, revue et augmentée)
  • George Oppen, Poèmes retrou­vés, Cor­ti, 2019

Bibliographie

  • Renaud Ego, “Un poème, scène 1”, La Bib­lio­thèque de midi. La Pen­sée de midi, 13(3), 112–134, 2004.
  • Autour des Objets d’Amérique, Fusées n° 18, 2010.
  • Mar­tin Rueff: “Non iden­ti­fi­able: la tâche du poète-tra­­duc­­teur”, Agen­da de la pen­sée con­tem­po­raine n° 18, 2010.
  • Europe, n° 1153, William Car­los Williams / Yves di Man­no, Paris, 4 mai 2025.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

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Pierrick de Chermont

Pier­rick de Cher­mont né en 1965) : Poète, cri­tique, ani­ma­teur et dra­maturge, il a pub­lié une dizaine de recueils, dont récem­ment M. Quelle à l’Atelier du Grand Tétras (2024) et un essai d’anthropologie poé­tique et spir­ituel, Les Limbes chez Cor­levour (2022). Après avoir organ­isé pen­dant quinze ans (2003–2018), un fes­ti­val de poésie, de lit­téra­ture et de musique con­tem­po­raine Présences à Fron­te­nay (Jura), il renou­velle l’expérience, avec Les Esti­vales de Lods (Doubs), en l’élargissant à la philoso­phie grâce à un sémi­naire ani­mé par Jean-Luc Mar­i­on. Il a été mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Nunc (51 numéros de 2002 à 2021) et pro­pose des recen­sions depuis de nom­breuses années à des revues papi­er ou en ligne (Arpa, Europe, La forge, Les Hommes sans épaules, Pos­si­bles, Recours au poème, Spered Gouez, Terre à ciel). Recueils de Poésie : Je ne vous ai rien dit, édi­tions Club des Poètes, 1995. Poème pour vingt-et-une voix, édi­tions Club des Poètes, 1996. Un poëte chez Hanz Arp, édi­tions Club des Poètes, 1997. Des cit­ron­niers et une abeille, édi­tions Librairie-Galerie Racine, 2000. Le plus beau vil­lage du monde, en col­lab­o­ra­tion avec Elo­dia Tur­ki, édi­tions Librairie-Galerie Racine, 2001. Portes de l’anonymat, à l’usage d’un long voy­age en Chine, édi­tions Cor­levour, 2012. La nuit se retourne, édi­tions Librairie-Galerie Racine, 2012. Par-dessus l’épaule de Blaise Pas­cal, édi­tions Cor­levour, 2015. M. Quelle, L’atelier du Grand Tétras, 2024. Essai Les Limbes, édi­tions Cor­levour, coll. Revue Nunc, 2022. Théâtre Ido­line, édi­tions Éclats d’encre, 2004. Pub­li­ca­tions de poèmes en revue Arpa, n° 89 de juin 06 Nunc, n° 10 de juin 06 Les Hommes sans épaule, n°12, 2002 ; n° 23/24, 2007 ; n°35, 2013 ; n°37, 2014, n°40, 2015 Recours au poème (recoursaupoeme.fr) : Poème ultime recours, Une antholo­gie de la poésie fran­coph­o­ne con­tem­po­raine des pro­fondeurs, de Matthieu Bau­mi­er et Gwen Gar­nier-Duguy, Recours au poème édi­tions, 2014. Prin­ci­paux arti­cles « Michaux, let­tre ouverte aux Eman­glons », revue Vivre en Poésie, n° 34, 1994. « Un an au Club des Poètes », con­férence 1995. « Lec­ture con­tin­uée de bon­té d’Ange de Jean Celte », Cahiers de la Baule N 81, 2003. « Claudel et la mys­tique du verbe », dans la revue Arpa, oct 2000, dans les Cahiers de la Baule n° 81 & 82, sep­tem­bre 2003, sur le site ecrit-vains « L’appel de la muse chez Elo­dia Tur­ki », avril 2003, pub­li­ca­tion en cours « Vous avez dit poésie ? », Col­lec­tif, Sax-à-mots Edi­tions , 2003 « Paul Fare­li­er : à la présence du monde », 2005 sur le site ecrit-vains « Pierre Oster et Michel Deguy : les poètes de l’échec », paru dans Nunc 2010 et en ver­sion tris­te­ment mod­i­fiée dans Pierre Oster, Jus­ti­fi­er l’inconnu, Coelvour, 2014. « Frédéric-Jacques Tem­ple, Tel un veilleur guet­tant l’aurore », Nunc n°30, sept 2013 « Le courage d’être, Lim­i­naire Nunc, juin 2013. « La revue Les Hommes sans épaules ou la com­mu­nauté des invis­i­bles », Recours au Poème, 2013 « Faut-il ? » Recours au poème, 2013. « La poésie française d’aujourd’hui, une poésie de l’anonymat », Nunc n°32, 2014. « Post­face de l’Entretien devant la nuit, de Paul Far­reli­er, Les hommes sans épaules édi­teur, 2014. « Seuls nos yeux bril­lent, poésie croisée de Christophe Dauphin et Régi­nald Gail­lard », oct. 2015. « Croire au monde, Trip­tyque improb­a­ble autour de Roger Mar­tin du Gard, Robert Bolaño et Mo Yan », essai à paraître.

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