Les œuvres poé­tiques com­plètes du cinéaste per­san, réu­nies et traduites par les Edi­tions Po&psy, ne man­quent pas de sus­citer la fas­ci­na­tion d’une ren­con­tre exclu­sive avec le Verbe. Et qui, mieux que la lune, saurait ouvrir le bal de ce recueil raf­finé ? Car c’est avec elle que nous pénétrons le monde déli­cat du poète, qui fait hon­neur à l’as­tre des nuits à l’in­star d’une com­pagne fidèle. « Comme je sor­tais de la mai­son, il y avait moi, et la lune » déclare-t-il, comme enchan­té par le disque de la déesse Makh qui « se baig­nait, loin des regards », offrant à sa vue le plus pré­cieux des spec­ta­cles. Suiv­ie par la neige, sa blanche sœur, l’en­fant, le mes­sager et l’ar­bre, elle est le pre­mier sym­bole d’un majestueux et arché­typ­ique cortège. 

Des milliers d'arbres solitaires, Abbas Kiarostami, éditions Po&psy, 2014

Des mil­liers d’ar­bres soli­taires, Abbas Kiarosta­mi, édi­tions Po&psy, 2014

Le haiku de Bashô s’y marie à l’âme per­sane d’un Rûmi, don­nant ain­si nais­sance à cette mag­nifique fille aînée qu’est l’oeu­vre de Kiarosta­mi. Tan­dis que le rêve déploie ses secrets sous l’aus­pice des plus beaux cauchemars, un « sol­dat décapité » nous appa­raît avant de se dis­siper dans les brumes de la mémoire — can­deur joyeuse du regard con­tem­platif. Lorsque le corps, au soir, s’en­dort, la vie poé­tique reprend son cours, et c’est alors que renaît au monde une vision nou­velle, tein­tée d’éphémère : « Au point du jour, mon poème a fané, au lever du soleil, mon poème a passé ». A la faveur d’un mot, au détour d’une page, l’art de Kiarosta­mi égrène les instants comme autant de grains de sable dans un désert océanique.

A « sept heures moins sept », « avec le vent », hurle « un loup aux aguets », pour laiss­er place à ces œuvres com­plètes en trois actes à l’esthé­tique soignée, où le quo­ti­di­en se mue en mer­veilleux, sus­pendu à l’é­ter­nité par le fil frag­ile des mots. « Le chien errant remue la queue pour le pas­sant aveu­gle », pas­sants que nous sommes tous, dis­traits et rap­pelés à prêter atten­tion aux signes dis­crets de l’ex­is­tence – à ces innom­brables tré­sors que nous lais­sons se fan­er sans regrets sous le joug de l’habi­tude. Car la poésie, pour Kiarosta­mi, si elle est havre de paix et refuge, n’en reste pas moins une véri­ta­ble manière d’être au monde.”

Présentation de l’auteur

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Andreea Lemnaru

Née en 1991 à Bucarest, en pays Dace, au cours d’un soir jupitérien fleu­rant bon le muguet. 

Après quelques années passées dans le Bara­gan, dont Panaït Istrati van­ta si bien les chardons, elle s’in­stalle dans la Ville Lumière qu’elle con­tin­ue d’habiter aujour­d’hui. Poétesse depuis l’âge ten­dre férue de musique et d’art (préraphaëlite, sur­réal­iste, sym­bol­iste, âge d’or de l’il­lus­tra­tion), elle chante, peint et des­sine à l’en­cre de Chine.

Etu­di­ante en philoso­phie quelque peu éthérée et sar­cas­tique, elle s’in­téresse aux rêves, à l’imag­i­na­tion, au fan­tas­tique, à l’ex­cès, au roman­tisme, à la représen­ta­tion de la mort, à la folie, la fig­ure du sage, aux mythes, à la trans­gres­sion, la con­tre-cul­ture, aux pen­sées non anthro­pocen­triques de la nature et à l’er­rance. Trakl, Rilke, Celan, Apol­li­naire, Lucian Bla­ga, André Vel­ter, Li Bai, Issa, Basho, Tsve­tae­va, Rûmi et Einar Benediks­son bercent ses escapades en pays orphique, qu’elle voudrait éternelles