« Chair, os, plumes et poils. » Tels sont les premiers mots que le lecteur retrouve dans ce premier numéro d’Animal. Cette revue biannuelle « en voie d’apparition » ne compte pour l’instant que deux numéros. Par ailleurs, elle a la particularité de paraître en hiver en édition papier à trouver en librairie, et au printemps en édition numérique à lire sur www.revue-animal.com.
Portée par l’association Lettres Verticales (les organisateurs du festival POEMA), la revue Animal se partage entre une grande liberté sauvage et une simplicité extrême. La liberté est celle d’un fauve qui « suit ses instincts poétiques : [qui] va où bon lui semble, rôde, guette, vagabonde et se laisse surprendre ». La simplicité tient au nombre restreint d’autrices et d’auteurs publiés dans chaque numéro : six poètes et un artiste graphique au printemps, qui sont ensuite rejoints par sept autres écrivaines et écrivains en hiver. Pour ce numéro, ce sont les Paysages incertains de l’artiste peintre Arman Tadevosyan qui sont mis à l’honneur.
Toutes les contributions d’Animal sont inédites. Elles sont également étonnantes en ce qu’elles font dialoguer la vie intime avec la vie politique, le quotidien avec le sublime, la beauté de la nature avec la crise sanitaire ou encore la guerre en Ukraine.
Ainsi, la suite de poèmes Sangs mêlés de Claude Favre fait coexister dans l’espace du poème la maladie et l’émerveillement, l’actualité journalistique et l’éloge de la poésie. Cette tension est sensible dans une prose qu’elle brise, scande et violente tout en gardant une certaine fluidité de lecture. Ce paradoxe est possible grâce à l’utilisation des virgules qui signifient à la fois une rupture et un lien : « de la foule je préfère, fermer les yeux, les jours les pires sont à, venir nuit, répercutées pas assez sentinelles ». Claude Favre fait ainsi exister dans sa poésie des termes comme « crise migratoire » ou encore « corps écorchés » qui partagent la page avec « des milliers d’hirondelles » ou des expressions comme « heureusement il reste la poésie ».
Peut-être cette intrication entre la vie intime et la vie publique constitue-t-elle l’une des caractéristiques de notre contemporanéité poétique. Les fragments de Jean-Louis Giovannoni, sous l’intitulé Nous fantômes sont des silences, en offrent une belle illustration dans une écriture où le journal intime tend vers l’aphorisme. Le poète y est en promenade pour nous rapporter les dires des gens qu’il croise, ses pensées et observations, pour ensuite présenter dans un autre fragment des assertions qui rappellent les Feuillets d’Hypnos : « N’insiste pas trop avec les mots, ils sont impuissants à nous loger. »
Nous dirons, pour finir cette note de lecture, qu’Animal est une revue à suivre dans sa démarche sauvage. Il s’agit d’une publication où le soin, l’attention, et surtout la passion pour la poésie sont manifestes. Une revue ouverte à l’altérité dans son rapport à la peinture, dans son ouverture à des nouvelles voix lors des numéros d’hiver, et dans ses dialogues avec l’histoire de la littérature (Sophie Loizeau y publie, dans une filiation avec Rainer-Maria Rilke, Mes cahiers de Malte). Ce printemps, guettez absolument la prochaine sortie d’Animal de sa tanière !
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