Antoine Azpitarte, Cinq poèmes

Par |2025-11-06T12:40:04+01:00 6 novembre 2025|Catégories : Antoine Azpitarte, Poèmes|

ENCRE

Lorsque la clarté des encres humides transpercera ta 
glace vol­canique et lactes­cente, loin des mur­mures de la 
foule, une tâche d’univers expan­sifs miroi­t­era sur les 
vagues frag­iles de ma res­pi­ra­tion, de cette let­tre et ses échos 
pour­chas­sés par les ombres lan­guis­santes tressées d’un dé
‑à-coudre ! où se débat­tront les mots qui naîtront peut-être, 
ces petites pattes noires et bril­lantes nim­bées de Bilbaos 
de fleuves Urumea…

sera un fin ruis­selle­ment der­rière ces mains et ces feuilles ; le 
rêve y dansera jusqu’à l’éveil paré pour un tardif Éden ; je 
t’emmènerai – et dans la fraîcheur des ciels et de la large 
Ilargia ; opi­acée câline azyme toute lai­teuse, oui !… le berger 
sera un homme riche et vien­dra trou­ver la pléni­tude aux 
abîmes, aux entrailles de tes yeux doux comme des vallées 
dont les sources guériront encore… mon trou­peau de milles 
bleues obscurités…

          l’irradiant…

∗∗∗

SAN SEBASTIAN

Au coin de la rue le libraire mourait dans des bars assassins. 
Sa sève s’écoulait dans le souf­fle de la lumière. Le frotte-
ment était ténu. Il racon­tait si bien l’Histoire de Garcia 
Mar­quez et les livres hal­lu­cinés, des lib­er­ti­cides con­tre les 
ours des comp­toirs, des anéan­tisse­ments de nos consciences 
qui subirent les nuages…

         de notre enthousiasme…

Et tou­jours sur les ailes de la basil­i­ca del Coro, les 
oiseaux juchaient… les songes d’or… Le temps argent 
d’un fleuve alti­er qui remon­tait le courant s’ouvrait. Il 
fai­sait son nid bien à l’abri des gui­tares de Castille. Il 
empor­tait dans son porte­feuille le sou­venir des peignes 
du vent…

         ces falais­es romanes…

Noirs de ver­sets aux oreilles à l’orée d’un été clandestin 
nous grim­pâmes der­rière l’Igeldo. Une nuit vallonnée 
con­sumait ses cen­dres. Un sen­tier res­pi­rait des portées de 
silences et d’ombres… quand nous atten­dions de nous y 
éveiller, hagards sous une averse ! … des k des x et des z se 
crashaient aux vapeurs de nos âmes…

         ô le chant des pluies…

Anark­istak vous fil­iez du vin blanc, veniez au bas du 
vent impos­si­bles endormis… et par­fois l’on se pre­nait à 
vous aimer

∗∗∗

LE VILLAGE EUSCARIEN

La den­sité funeste s’y raré­fi­ait comme… sur les ailes d’une
pierre envolée dans un silence – ce chant d’éternité bleu 
marine envis­ageait le lam­padaire qui me tra­ver­sait, et où 
s’extasiait le reflet d’une bour­gade : une ter­rasse éployée de 
roche phos­pho­res­cente. C’était mon vil­lage qui parait de 
lumière vive,

             la nuit cristalline et rêvant !

Elle s’y lovait. Nous dormions dans sa robe – nous y nocions 
et brûlantes, les Oréades répandaient l’encens des Profondeurs 
dont l’air bleu se dan­sait dans la brise ! et les par­fums de la 
myrrhe peignaient de jaune le tor­rent des Nymphes étoilées ! 
l’épaule de ces demeures glis­sant déli­cate­ment me ravi­va d’un 
bon­heur sponsal,

             où la neige flam­boy­ante m’épousait !

Et la rumeur du print­emps arrondit aux nar­ines la Calliopé 
légère des chants d’oiseaux, les sentes sin­ueuses fraîchi-
rent  ! le hameau frémit sur un pâturage de collines, de 
fragilités – je recon­nu la Fiancée au long de la chaste 
enfance, qui dansa un jour à l’as­cen­sion de la paupière 
lactée,

             sur l’or­eiller des reflets d’argent !

∗∗∗

ÉIRE

                                                  (à mon père décédé
                                                sur le Lough Caragh)

— Le trou­peau pais­sait sur ta peau auro­rale et je mourais 
ras­sas­ié      je pares­sais par­mi les lys sus­pendus au pay-
sage abyssal de mon délaisse­ment      oh laisse de tes 
entrailles insond­ables et des collines de l’avenir…

         ploy­er le nuage… 

- Viens trou­ver les saumons doux d’amour et embrasser 
mes grâces     et boire mon lait sur l’abîme où le berger 
demeure      remonte aux sources des reflets une barque 
t’y bercera vieil homme, 

         t’endormira…

Et ce nuage de bleu et d’or s’ouvrira sur l’immensité de 
cette Terre nou­velle où tu t’éveilleras      où la riv­ière et 
le cygne attein­dront la pléni­tude     au clair de mes on- 
des ces Naïades annon­ceront le fiancé des collines…

         Ici vois !

∗∗∗

L’ASTRE AU FOND D’UN PUITS

Tou­jours tu survins au milieu des encres obscures comme les plumes blanch­es de l’aube
Tou­jours tu bril­lais comme l’as­tre au fond des eaux
La minu­it n’en dis­ait pas plus mais une onde de milles so-leils déchi­ra ma douleur :

Ton enfance qui éveil­la ma vie sur le pas incer­tain d’un doute
Et qui blesse cette nuit encore le bord de mes lèvres miroi­tantes de flammes où m’aveuglèrent !
Les promess­es d’une grève mourant chaque matin dans les larmes.

J’y vis les reflets verts du Negev tombant en cas­cade de lumières sur le bitume des nébuleuses
La lumi­nes­cence tressée des filets sur le sable sénégalais
J’y déchiffrais les petits car­ac­tères ge’ez inspi­rant un chœur de cierges blancs qui pas­sa au tra­vers le ciel…

J’y goû­tais l’Extase et la Folie qui ren­trent dans la terre le soir livr­er leur secret
Une délec­table petite éblouie de papi­er trans­portant son abîme au réveil
Et la fraîcheur euphonique des filles de la Naïade et du Soleil sur mon texte !

J’y entendais le dialecte des chèvres sèches 
Et les craque­ments de papi­er de ma colonne à regarder les nuages craquants comme du papi­er quand revinrent 
Leurs ombres sur­na­turelles humec­tant le bon­heur des collines au mois d’avril,

Et les accents des rames sur l’aile de l’alpha-syllabaire ryth­mant la corne d’Afrique d’un écoule­ment léger
Ces san­glots qui réchauf­faient la paupière de la Muse des poètes que l’on eut dite une algue écumeuse
Dont les reflets flot­taient en écharpe d’Iris…

Je touchais l’ombre humide coulant comme des cheveux dans le silence
Et les notes de rosée se lev­ant à mesure que s’avance encore la Nuit Noire du Froid
Le brûlot inver­sé d’Eubulie…

J’y touchais le mys­tère d’une res­pi­ra­tion tressée d’Absen-ce entre mes doigts
En ressen­tais l’effroi lorsque son ven­tre glacial de bruire comme une dérangeante Pen­sée vide
L’azur était un fruit mûr gorgé de Clarté…

Et j’y res­pi­rais ces raisins piét­inés pour­chas­sés brûlés par la guardia
Et ce roseau brisé des musi­ciens bat­tant aux vents de la Véhémence
Et les essences des vil­lages des lacs des aubes nou­velles le Chaos au pied du phare paré d’éclats mystiques,

Il me revient le frémisse­ment des miroirs 
Où ton esquisse per­lant pré­cieuse se moulait aux prières d’oiseaux étranges qui grat­tent piquent encore la sur­face de ma prose
Y resur­gis­sent mes pertes de conscience !

Je n’oublierai pas ces par­fums puis­sants comme l’Absinthe
Dont la gorgée la plus petite éclatait une étoile jail­lis­sante du plus grand Espoir l’espoir qui s’en vint
Quand tes sourires d’autrefois comme des vagues ruisse-laient des pays cha­toy­ants des polyphonies…

Et allumaient du fond de mon trou les sou­venirs d’un som­meil tra­ver­sé d’air alerte dans mon crâne ô mon amour
Me voilà enseveli !
Et l’éternité me sem­ble un out­rageux désas­tre et me laisse incon­solable de ne sem­bler jamais détenir tes charmes…

Une amère sen­sa­tion en monte dans la fumée
Ces ori­peaux de let­tres ces paysages s’évanouissent dans le ciel d’une fièvre toute puissante
Dont les lacets brûlants coulent des nuits de ténèbres et sem­blent s’enlacer au lait noir de l’envers des temps…

Pour­tant
Jadis
Une nuit
Comme une pré­cieuse guérison
Nous nous tressâmes jusqu’au jour et
Sur une ter­rasse de reflets de l’aurore sur la hauteur…
Tu frôlas mes lèvres…
De nou­veaux échos de myr­i­ades façon­naient le matin d’un siè­cle d’or !
Le ciel était une étable qui n’a pas de mots.

*      *

Le sou­venir brûle     à tou­jours. Mirac­ulé des flammes, il se 
joue comme

                       d’une harpe.

Présentation de l’auteur

Antoine Azpitarte

Antoine Azpi­tarte est né en 1982. D’origine basque, après des études d’architecture à Paris, des années à pra­ti­quer la musique, il partage main­tenant son temps à Lour­des, entre l’écriture et la vie con­tem­pla­tive. Il cit­erait comme poètes préférés Hölder­lin et J.P. de Dadelsen.

Bibliographie

Il a pub­lié ses textes dans dif­férentes revues – le jour­nal des poètes,  poé­tique tac, le lichen, tra­ver­sées – depuis 2019. 

Autres lec­tures

image_pdfimage_print

Sommaires

Aller en haut