J’ai décou­vert Artichaut par hasard au Marché de la poésie 2017. Non, je ne cher­chais pas des légumes, mais La moitié du four­bi et, ce faisant, j’ai trou­vé Artichaut. J’ai été immé­di­ate­ment frap­pée par les qual­ités édi­to­ri­ales du #1 | révolutions.

Le car­touche, com­prenant le logo (qui représente un artichaut styl­isé) et le titre de la revue (« artichaut : revue de créa­tion lit­téraire »), est sus­pendu au cen­tre du bord supérieur de la cou­ver­ture, qui met en avant une des œuvres de l’artiste invité(e). Le long du bord inférieur, le titre du numéro. Cette géo­gra­phie de la cou­ver­ture fonc­tionne à mer­veille, et attire immé­di­ate­ment l’œil.

Sur la pre­mière page de la revue, le MANIFESTE CHAUD, dont je repro­duis ici le texte (sans sa mise en page) :

C’est un chardon brûlant que l’on a domes­tiqué, cul­tivé et mangé froid. Il a un cœur comestible deux fois l’an – trois fois les bonnes années – qui est une inflo­res­cence sans fleurs. Il a un bon fond, généreux récep­ta­cle des maux des autres qu’il accueille sans préjugé, encour­ageant tou­jours la mise en mots. Une après-midi mélan­col­ique il est né, dans la chaleur d’Afrique du Nord où son nom est une épine de la terre. Il con­tin­uera d’être cul­tivé tant qu’il nour­ri­ra ; de l’art du chaud nous forg­erons demain un cœur plus vaste — ou nous étoufferons.

Le som­maire présente le détail des œuvres des 7 auteur(e)s retenus lors de l’appel à textes, de l’auteur(e) et de l’artiste invité(e)s. Chaque auteur(e) est introduit(e) par une page biographique pro­posant un « accom­pa­g­ne­ment » à la lec­ture de son texte. Ain­si, pour Nous irons pieds nus comme l’Ire des Vol­cans, poème de Raphaël Sar­lin-Joly pub­lié dans le #1 (un autre de ses poèmes, Révélant sur la Grève Quelques Corps immo­biles, est pub­lié dans le #2), il nous est pro­posé de regarder Alphav­ille de Jean-Luc Godard. Les accom­pa­g­ne­ments peu­vent être des livres (essais, fic­tion…), des œuvres pic­turales, des films, des séries télévisées, des chan­sons ou même des promenades…

Les con­tri­bu­tions sont le plus sou­vent des nou­velles dans le reg­istre du réal­isme mag­ique, mais la revue est égale­ment ouverte aux propo­si­tions poé­tiques. Très cohérentes, elles don­nent une couleur d’ensemble, non seule­ment aux numéros, mais à la revue.

Un monde ouvert, absurde, à la lim­ite du rêve et de la dystopie, sym­bol­isé par le choix des artistes invités à ce jour : Fan­ny Bégué­ly pour le #1, et Seung-Hwan Oh pour le #2. Ils ont en com­mun de tra­vailler à par­tir du papi­er pho­to­sen­si­ble. Fan­ny Bégué­ly réalise ain­si des Chimi­grammes, ou « peinture[s] sur papi­er pho­to­sen­si­ble. L’artiste des­sine sur des sup­ports argen­tiques rares et anciens à l’aide de pro­duits chim­iques, sus­ci­tant des réac­tions qui se pour­suiv­ent par­fois dans la durée. » Seung-Hwan Oh, quant à lui, a procédé ain­si pour sa série Imper­ma­nence : il « a déposé un champignon sur le film pho­tographique. Après un ou deux étés d’incubation à Séoul, la pel­licule dévorée révélait les sil­hou­ettes fan­toma­tiques de ses sujets : por­traits brisés, lacérés, usés par le temps. » Ces pro­jets artis­tiques pro­posent une réflex­ion sur la nature de la pho­togra­phie et sa matéri­al­ité, sur le temps qui passe, sur la sub­li­ma­tion provo­quée par l’introduction d’un élé­ment étranger (des pro­duits chim­iques, un champignon). Quelque chose dis­paraît, quelque chose se crée.

Les textes des auteures invitées sont posi­tion­nés l’un en fin de numéro (Le Jardin aux ros­es de Cristen Hem­ing­way Jaynes, pour le #1) et l’autre en ouver­ture (Nom féminin d’Anne-Charlotte Hus­son, pour le #2). Notons que la nou­velle Le Jardin aux ros­es, écrite par l’arrière-petite-fille d’Hemingway, est pro­posée en ver­sion française (tra­duc­tion par Lau­rent Barucq et Jus­tine Gran­jard) puis américaine.

Je con­nais­sais, par ailleurs, le tra­vail d’Anne-Charlotte Hus­son à tra­vers la bande dess­inée doc­u­men­taire Le fémin­isme, pub­liée chez Le Lom­bard dans la col­lec­tion La petite bédéthèque des savoirs. Nom féminin vient par­ticiper, de manière brève et per­cu­tante, au débat actuel autour de l’écriture inclusive.

En fin de numéro, dans une sorte de mise en abîme de ce que nous avons décou­vert, une bib­li­ogra­phie sélec­tive nous est pro­posée. Un jeu sur la typogra­phie en varie les entrées qui, par leur diver­sité, font feu de tout bois et nous invi­tent à la sérendip­ité. On ouvre alors de nou­veau le rabat du numéro, et on lit, sur la page de garde finale, « Pour par­ticiper à nos appels à textes : www.lechardonlitteraire.com/ ». L’envie est déjà là. On attend le prochain appel, et il est cer­tain qu’on y répon­dra. Irré­sistible­ment. Et qu’on ira assis­ter à la ren­con­tre « Nais­sance et per­spec­tives d’Artichaut », pro­posée dans le cadre du Salon de la Revue le dimanche 12 novem­bre, salle Chris­tiane Tri­coit, de 16h30 à 17h30.

Artichaut, revue de création littéraire #1 - révolutions

Artichaut, revue de créa­tion littéraire 
#1 | révolutions
140x205mm, 128 pages, broché, rabat couvrant
15 €

Artichaut, revue de création littéraire #2 - personne

Artichaut, revue de créa­tion littéraire 
#2 | personne
140x205mm, 128 pages, broché, rabat couvrant
15 €

 Interview par mail de Justine Granjard, 28 octobre 2017

Quel a été le point de départ de votre projet ?
Artichaut est née d’une pra­tique per­son­nelle. Je cher­chais des revues sus­cep­ti­bles de me don­ner envie d’envoyer des textes. J’ai fait de jolies décou­vertes, mais qui m’ont surtout don­né envie de créer ma pro­pre revue ! Je tra­vail­lais déjà dans l’édition, j’avais envie de mon­ter un pro­jet toute seule, Artichaut en a été l’occasion. 
Je con­nais­sais presque tous les mem­bres du comité aupar­a­vant : ce sont d’anciens cama­rades de l’école, ce sont des ami·es. Je souhaitais com­pos­er un comité de lec­ture avec des femmes et des hommes aux per­son­nal­ités toutes très dif­férentes, aux sen­si­bil­ités par­fois opposées, qui se retrou­vent dans le plaisir du texte et le désir d’adopter une pos­ture bien­veil­lante. Je ne savais absol­u­ment pas ce qu’allaient don­ner les pre­mières réu­nions. Mais ça a fonc­tion­né tout de suite. 
Com­ment vous est venue l’idée d’utiliser le con­cept de l’ar­tichaut comme sym­bole de votre revue ?
Ce n’était pas du tout un con­cept. J’écrivais un texte (tou­jours en cours) inti­t­ulé pro­vi­soire­ment « Artichaut ». Les deux pro­jets nés simul­tané­ment ont pris le même nom dans mon esprit. Et j’aimais la réac­tion per­plexe des per­son­nes à qui j’ai dit le nom pour la pre­mière fois. Cet objet du quo­ti­di­en, hum­ble et pour­tant sophis­tiqué, rond et piquant, acces­si­ble et com­plexe… tout ce qu’évoque ce mot me plaît, et fonc­tionne de manière très cohérente sans que cela ait été for­cé­ment pen­sé au préal­able. Main­tenant, tout le monde vient me voir avec des his­toires autour de l’artichaut, tout le monde m’envoie des pho­tos d’artichauts : cet objet banal s’est trou­vé soudain investi de sens, et de sens très variés. 
Com­ment ont été élaborés les principes graphiques de la revue (le tra­vail sur la typogra­phie, le rabat, les pages de couleur…) ? Sont-ils con­comi­tants ou con­sé­cu­tifs de votre pro­jet lit­téraire ? Et, ques­tion sub­sidi­aire : quel est le pro­fil des mem­bres de l’équipe (au vu de la beauté plas­tique de votre revue) ?
Je suis éditrice et je viens du monde de ce qu’on appelle les « beaux livres » : livres d’art, livres illus­trés qui néces­si­tent un traite­ment graphique et de fab­ri­ca­tion par­ti­c­uliers. Dans ce monde-là, nous adorons toutes les petites orig­i­nal­ités de fab­ri­ca­tion ! J’ai pen­sé à ce rabat cou­vrant immé­di­ate­ment, en référence à une mai­son indépen­dante appelée Les édi­tions du Chemin de Fer qui a pub­lié un mag­nifique inédit de Claude Simon il y a quelques années. Ensuite, j’ai tra­vail­lé avec une tal­entueuse jeune graphiste, Mélis­san­dre Pyot, pour la con­cep­tion de la maque­tte et du principe de cou­ver­ture. Elle a conçu le logo à par­tir d’un dessin qu’avait réal­isé une artiste tatoueuse, Maïs­sa Bénal­lègue, qui est aus­si mem­bre du comité de lec­ture. Je tenais à ces jeux typographiques que l’on retrou­ve en ouver­ture et en fer­me­ture de la revue : le jeu typographique et la typogra­phie en elle-même sont les lieux où l’écrit et l’art graphique se rejoignent. Et, comme j’ai longtemps fait des bib­li­ogra­phies uni­ver­si­taires dans les règles de l’art (je suis issue d’une for­ma­tion lit­téraire), je trou­vais amu­sant de décon­stru­ire la bib­li­ogra­phie à tra­vers ces jeux typos, pour réin­tro­duire de la vie et du mou­ve­ment dans ces formes figées. Mélis­san­dre a donc signé la maque­tte du #1, qui a été reprise et légère­ment mod­i­fiée par un autre graphiste, Noël Pin­sard, pour le #2. Je touche moi-même de plus en plus à la ques­tion graphique, par intérêt bien sûr, mais aus­si pour des ques­tions de budget !
Les mem­bres du comité, qui font par­tie de l’équipe per­ma­nente d’Artichaut, ont des pro­fils très var­iés : j’ai men­tion­né Maïs­sa Bénal­lègue qui est tatoueuse, mais il y a aus­si Cyril Barde, pro­fesseur en CPGE et doc­tor­ant en lit­téra­ture, Elara Bertho, chercheuse au CNRS et spé­cial­iste des lit­téra­tures africaines ; Eléonore Devevey, doc­tor­ante et éditrice qui s’intéresse aux liens entre anthro­polo­gie et lit­téra­ture ; Vladimir Hugot, danseur à l’opéra et acteur ; et Lau­rent Barucq, tra­duc­teur lit­téraire qui a une con­nais­sance impres­sion­nante de l’édition indépendante. 
Com­ment décidez-vous du thème des numéros ? Avez-vous élaboré un plan sur plusieurs numéros en prévoy­ant les appels futurs ? Je me pose ces ques­tions du fait même de la cohérence des textes pub­liés et des thèmes des numéros.
Je tra­vaille de manière assez intu­itive, en fonc­tion des envies, des intérêts (ou lubies) du moment. Je soumets mes propo­si­tions de thèmes au comité, qui les valide ou non. J’ai déjà les trois prochains thèmes en tête oui, ain­si que les artistes invité·es qui ont déjà été, pour la plu­part, contacté·es. 
Com­bi­en avez-vous reçu de textes pour cha­cun des 2 numéros ? Quand un nou­v­el appel à textes sera-t-il pro­posé ? J’ai l’im­pres­sion que vous con­cevez chaque numéro comme une méta-œuvre, collective.
Pour le #1, nous n’avions reçu qu’une trentaine de textes, et nous avions été impressionné·es par la qual­ité des propo­si­tions. Nous n’en avions que trente, mais nous avons eu le luxe de choisir, et même de nous con­fron­ter à quelques dilemmes dans ces choix. Pour le #2, nous en avons reçu une cen­taine, donc le tra­vail a tout de suite été plus impor­tant, notam­ment pour répon­dre à tout le monde indi­vidu­elle­ment (chose que je souhaite con­tin­uer de faire le plus longtemps pos­si­ble). Le nou­v­el appel à textes sera com­mu­niqué dans les semaines à venir, avant le Salon de la Revue.
Oui, j’aime cette idée d’une oeu­vre col­lec­tive, où les indi­vid­u­al­ités s’expriment pour­tant dans leurs dif­férences. Chaque feuille d’un artichaut présente des teintes, des tailles, des formes divers­es. Pour­tant, tout se tient, autour du cœur. 
L’au­teur invité ne par­ticipe pas à l’ap­pel à textes ? Vous le con­nais­sez déjà et lui pro­posez de par­ticiper ? L’artiste invité égale­ment ? Com­ment con­cevez-vous leur rôle de piv­ot dans le numéro ? Une sorte de fil rouge, de tamis ori­en­tant notre vision du thème ?
Les autri­ces invitées (car, pour l’instant, il n’y a eu que des femmes) ont eu carte blanche sur le thème. Elles n’ont pas par­ticipé à l’appel, puisque la pub­li­ca­tion de leur texte est assurée. Nous les invi­tons car nous les savons sus­cep­ti­bles de pro­pos­er des éclairages sin­guliers sur le thème, ou adop­tant des formes, représen­tant des courants d’écriture qui font sens pour nous, tou­jours en lien avec led­it thème. Je ne conçois pas vrai­ment les oeu­vres repro­duites au cen­tre du vol­ume comme un piv­ot. Plutôt un coeur ! Je crois que l’idée du fil rouge est bonne, mais j’ai sou­vent eu l’impression à la lec­ture des numéros finis que ce fil rouge reli­ait les textes de manière très naturelle, très organique, et assez imprévis­i­ble. Il y a par exem­ple des effets d’échos entre des textes sélec­tion­nés à l’issue de l’appel, que nous ne remar­quons qu’au moment d’éditer les textes après sélec­tion. Je pense que cela s’est pro­duit pour les deux numéros exis­tants, et j’espère que ça va con­tin­uer de se pro­duire sur les prochains. Nous ne forçons pas la cohérence de cet ensem­ble si hétérogène : elle se des­sine naturelle­ment, et c’est très bien ainsi !
Les références men­tion­nées après la biogra­phie des con­tribu­teurs sont-elles pro­posées par l’équipe et/ou par l’au­teur ? Quel rôle joue pour vous la bib­li­ogra­phie en fin de vol­ume ? Et l’édito ?
Les accom­pa­g­ne­ments sont pro­posés et choi­sis par les autri­ces et auteurs, en accord avec l’équipe édi­to­ri­ale. La bib­li­ogra­phie per­met de définir l’univers qui a accom­pa­g­né les mem­bres du comité tout au long de la con­cep­tion du numéro. L’édito est le seul endroit où je m’exprime en mon nom (mais tou­jours « pour Artichaut ») sur le pro­jet : je ne le voulais pas for­cé­ment si per­son­nel au départ, mais c’est ain­si qu’il est né et lorsque j’essayais de l’écrire de manière moins intime, ça ne col­lait pas. Alors je me suis faite à l’idée d’y écrire « je ». 
Par­lez-moi de la ren­con­tre prévue pour le salon de la revue.
C’est une grande chance pour nous, et je remer­cie encore André Chabin et Yan­nick Ker­avek d’Ent’re­vues qui nous ont pro­posé cette tri­bune pour présen­ter la revue. Nous pen­sons dire quelques mots du pro­jet, répon­dre à quelques ques­tions sur le fonc­tion­nement, sur l’avenir de la revue et les développe­ments que nous envis­ageons, et, surtout, laiss­er à deux auteurs que nous avons pub­liés (Raphaël Sar­lin-Joly et Vanya Chokrol­lahi) l’occasion de lire leurs textes. Sou­vent je dois faire face à des réac­tions mit­igées lorsque je par­le de “jeunes auteurs et autri­ces » : les gens ne s’attendent pas à lire des textes aus­si bons. J’aimerais que notre inter­ven­tion lors du Salon de la Revue soit l’occasion de décon­stru­ire ces a priori !
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Angèle Casanova

Angèle Casano­va vit et tra­vaille dans le Ter­ri­toire de Belfort. Née en 1976 à Libourne, tout près de Saint Émil­ion, elle a gran­di au milieu des vignes et des livres qu’elle emprun­tait à la bib­lio­thèque munic­i­pale. Après ses études de philoso­phie, elle s’est ori­en­tée vers le méti­er de bib­lio­thé­caire, qu’elle exerce avec pas­sion depuis 15 ans.

A par­tir de 2006, elle développe un weblivre, Gadins et bouts de ficelles. Les gadins, pour les chutes, les ficelles, pour l’astuce et la capac­ité à se relever.

Depuis 2014, elle envoie des textes aux revues et son pre­mier livre, Là où l’humain se planque, vient de paraître aux édi­tions Tar­mac, dans la col­lec­tion Com­plé­ment de lieu.