Le numéro 47 de la belle revue Voix d’encre pro­pose des textes de sept poètes : Muriel Stuck­el, Daniel Mar­tinez, Emmanuel Mer­le, Isabelle Lévesque, Agnès Adda, Calou Semin et Monique Saint-Julia. Le vol­ume s’ouvre sur un poème émou­vant et fort de Muriel Stuck­el, dont les mêmes édi­tions ont pub­lié un recueil il y a peu, 
Le poème est dédié à Béa­trice Douvre :

 

Sous les nuages écarquillés

Tes pas de poète vacillent
Endo­loris de rêves gris

Soudain tes larmes de cristal
Transper­cent la halte brève

De l’été matinal

Et ta voix funèbre saigne
De la sur­dité du monde

Là-bas

Sous les nuages recroquevillés
Autour de ton étoile morte

 

Béa­trice Dou­vre est par­tie bien trop vite. Nous ne pou­vons qu’engager les lecteurs de Recours au Poème à se tourn­er vers son œuvre, éditée en par­tie par L’Arrière-Pays, Voix d’encre et Galaade. Il faut remerci­er Muriel Stuck­el, mais aus­si, par ailleurs, Gérard Bocholi­er, Pierre Maubé, Jean-Yves Mas­son ou encore Alain Blanc, par­mi d’autres, de per­me­t­tre que son œuvre demeure acces­si­ble à qui veut la découvrir.
C’est plus qu’un hom­mage à Dou­vre ici, un dia­logue en ami­tié et pro­fondeur. Ainsi :

 

Quand la douleur se disperse
À tous ciels à tous vents

La voici qui prend corps et lettres
Pour nous tra­vers­er l’âme

La voici ta voix d’ange
Qui se pose sur la page

 

Qui a regardé le vis­age de Béa­trice Dou­vre sait ce dont par­le Muriel Stuck­el, un vis­age où « se froisse la splen­deur de vivre ».
Plus loin, Emmanuel Mer­le nous entraîne dans les neiges arpen­tées par Perce­val, cheva­lier d’effroi dont nos pays main­tenant en par­tie dénués de légen­des auraient bien besoin, en une époque où « Les âmes atten­dent devant des portes, / et regar­dent la patine du temps » :

 

L’éclat noir sur­gis­sait tou­jours de la neige,
schiste, déchi­rant cri d’oiseau.

Je foulais,
chas­seur dans la neige sur ce chemin
entre la mai­son et la route.
Le ciel et la glace étaient verts,
cha­cun mor­dant l’autre de son feu éteint.

Pein­dre alors des arbres noirs
sur le blanc du papi­er était simple
comme l’hiver, et c’étaient signes
d’un alpha­bet du manque.

Il neigeait beaucoup,
on aurait dit une famille immense.

 

Suit L’écrire, suite de textes dédiés par Isabelle Lévesque à Claude Lévesque, son père, philosophe, écrivain qui est décédé l’an passé. Les mots touchent au cœur.
En son ensem­ble, ce numéro de Voix d’encre est de toute beauté, une beauté triste sou­vent. Sans doute les poètes invités ici por­tent-ils en eux « toutes les voix enfer­mées en nous / égrenant le silence de la nuit » (Monique Saint-Julia). Une belle occa­sion de décou­vrir, si besoin, une revue qui fait beau­coup, et depuis longtemps pour la poésie française contemporaine.

 

revue Voix d’encre, BP 83. 26202 Mon­téli­mar cedex. 
Semes­trielle, le numéro 10 euros.
www.voix-dencre.net

 

 

Plus d’une ving­taine d’auteurs con­vo­qués pour ce numéro 22 de la revue A l’index ani­mée par le poète Jean-Claude Tardif. On y lira notam­ment l’ami Christophe Dauphin pour­suiv­ant son inlass­able tra­vail afin de faire redé­cou­vrir l’importante poésie de Marc Patin, l’un des poètes qui maintin­rent, sou­vent au péril de leur vie, l’existence du sur­réal­isme à Paris sous l’occupation alle­mande. Leur groupe s’appelait La Main à Plume, plusieurs numéros de revue ont alors paru clan­des­tine­ment. Sur Patin : https://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/marc-patin

Patin est à l’évidence un grand poète trop mécon­nu, vic­time de son non con­formisme poli­tique après 1945. Sur La main à Plume, on lira l’anthologie pub­liée chez Syllepse en 2008 (une par­tie des textes avaient été réu­nis, à la demande de Richard Wal­ter, par Matthieu Bau­mi­er et Nadine Lefebu­re, laque­lle fut, jeune, mem­bre de ce groupe).

On lira aus­si des poèmes de Christophe Dauphin dans cette même livraison.

A l’index mêle des poètes habitués des revues de poésie et de jeunes ou nou­velles voix. Cer­tains appa­rais­sant ici pour la pre­mière fois. Il faut louer l’abnégation de cette revue qui, avec d’autres, s’échine à faire décou­vrir des voix nou­velles, démon­trant par l’exemple que la poésie n’a pas abdiqué toute vigueur, n’en déplaise aux oiseaux de mau­vais augures égarés par­fois dans l’aigreur. Ce numéro s’apparente ain­si à une sorte de « lien » entre hier et main­tenant : out­re les voix nou­velles, on y trou­ve un hom­mage à l’aventure du nou­veau mar­ronnier, revue qui sévis­sait du côté de Rennes au cré­pus­cule du siè­cle passé. Les pages qui suiv­ent don­nent à lire des poèmes de belle tenue, dont, selon mon goût per­son­nel, ceux de Michel Cossec ou Chan­tal Dupuy-Dunier. On lira aus­si avec force atten­tion les trois poèmes inédits de Fer­ruc­cio Brug­naro pub­liés en bilingue, ain­si que le Dia­logue des élé­ments d’Emmanuel Golfin ou les inédits de Claude Ser­reau. Une revue riche.

 

revue À l’index, asso­ci­a­tion Le Livre à Dire. Jean-Claude Tardif, 11 rue du stade. 76133 Epouville. 
revue.alindex@free.fr
Le numéro 15 euros

 

La revue de lit­téra­ture L’intranquille, pub­liée sous l’égide des édi­tions Ate­lier de l’agneau et de Françoise Favret­to, pub­lie son numéro 2, en suc­ces­sion affir­mée de feue Chroniques errantes et cri­tiques. Un beau for­mat et une qual­ité de papi­er qui ne sont pas sans rap­pel­er Pas­sage d’encres, la revue de C. Tri­coit. D’autant que le numéro 2 de L’intranquille s’ouvre sur des textes de Christophe Stolow­ic­ki, poète habitué de la revue et des édi­tions Pas­sage d’encres. Peu d’autres points com­muns : la revue de Françoise Favret­to déroule ses choix poé­tiques et lit­téraires du côté de ce qu’il est de cou­tume de nom­mer les « poésies expéri­men­tales », faute de mieux. Point trop de con­fort revendiqué ici, plutôt une référence à Pes­soa. On lira donc avec atten­tion les textes de Stolow­ic­ki et Colaux, suiv­is de ceux de trois « nou­veaux auteurs », Anne Pes­li­er, Rorik Dupuis et Emmanuelle Imhauser. Vien­nent ensuite des œuvres graphiques et poé­tiques pub­liées sous le titre « dégra­da­tions du triple A », un ensem­ble poli­tique, engagé, où il nous plaît per­son­nelle­ment de retrou­ver Hort­ense Gau­thi­er. A lui seul, l’ensemble de ces travaux vaut le détour par les pages de la revue. Mais Françoise Favret­to pub­lie aus­si ici un impor­tant dossier con­sacré à une poète d’origine autrichi­enne (pour peu que la nation­al­ité ait un sens du côte de l’Atelier de l’agneau) que ses édi­tions défend­ent, Friederike Mayröck­er : textes, poèmes et entre­tien. Incon­tourn­able. L’intranquille ferme ses pages sur la pour­suite de la pub­li­ca­tion du jour­nal intime de Michel Val­prémy. Qui a dit qu’il n’y a plus de revues de lit­téra­ture et de poésie orig­i­nales de qual­ité dans l’hexagone ?

 

revue L’intranquille. Edi­tions Ate­lier de l’agneau. 1 moulin de la couronne. 33 220 St Quentin de Caplong.
Le numéro 13 euros
www.at-agneau.fr

 

 

En son numéro 1003/1004 (impres­sion­nant, même pour de vieux ronds de cuir comme les mem­bres de Recours au Poème), Europe offre cinq superbes dossiers à ses lecteurs : la poésie chi­noise actuelle, Kather­ine Mans­field, Clarice Lispec­tor, Claude Louis-Com­bet et François Lal­li­er. Il faut absol­u­ment par­tir à la décou­verte de l’œuvre de ce dernier, à com­mencer par l’entretien qu’il a don­né à Patrick Née. Il y développe sa pen­sée de ce qu’est la poésie. Les lecteurs de Recours au Poème liront cela comme l’on boit du petit lait. Ain­si que ses poèmes au beau titre : Les tem­ples de la mer.  Sur le poète, des con­tri­bu­tions de Patrick Née, Yves Bon­nefoy et une pas­sion­nante étude de Michèle Finck. Le dossier inti­t­ulé « Une poésie en quête de réel », con­sacré par Chan­tal Chen-Andro à l’actuelle poésie s’écrivant en Chine, est un som­met mené de main de maître par la tra­duc­trice du pre­mier Nobel de lit­téra­ture chi­nois. Les décou­vertes sont ici excep­tion­nelles et cet ensem­ble fera date. Europe, comme tou­jours, et encore, une revue essentielle.

 

Europe. 4 rue Marie-Rose. 75014 Paris.
Men­su­elle. Le numéro 20 euros.
www.europe-revue.net/

 

La revue Arpa dirigée par Gérard Bocholi­er en est à son 105e numéro. Elle s’est main­tenant large­ment imposée comme l’une des prin­ci­pales revues fran­coph­o­nes de poésie, et nous aimons cette revue, ici, comme nous aimons défendre la poésie pro­fonde de son prin­ci­pal ani­ma­teur. Ce numéro est, c’est presqu’une habi­tude, de toute beauté. Superbes poèmes de Sébastien Labrusse, par ailleurs spé­cial­iste d’un poète turc con­tem­po­rain, à nos yeux essen­tiel, Fazil Daglar­ca. De ce poète, on lira un vol­ume dans la col­lec­tion de poésie étrangère des édi­tions Cheyne, on lira aus­si un dia­logue avec sa poésie pub­lié dans nos pages : https://www.recoursaupoeme.fr/chroniques/il-reste-le-monde-du-mime/matthieu-baumier

Le numéro com­porte par ailleurs des voix très fortes, ain­si celles d’Emmanuel Mer­le, Pas­cal Boulanger, Alain Guil­lard, Roland Nadaus, François Teyssandi­er, Claude Kot­te­lanne, Jean-Pierre Farines… Impos­si­ble de tous ou toutes les citer tant ce vol­ume est riche.

Les pages de la revue se fer­ment sur un bel hom­mage à Bernard Mazo.

 

Arpa. Gérard Bocholi­er. 44 rue Morel-Ladeuil. 63 000 Clermont-Ferrand. 
Le numéro 8 euros.
www.arpa-poesie.fr

 

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