Barbara Le Moëne, Maisons

Par |2019-04-09T06:22:33+02:00 4 avril 2019|Catégories : Barbara Le Moëne, Poèmes|

Maisons

 

Ce n’est pas la mai­son qui voit, c’est moi. 
Der­rière la vit­re sou­vent, les jalousies parfois,
j’ob­serve encore et encore. Je con­nais la célèbre 
pho­togra­phie de Picas­so en pull marin, j’ai vu son 
regard, ses yeux écarquillés. 
Depuis j’es­saie de faire grandir la taille de mes 
yeux. 
Vivantes plantes vertes.
Plus que d’un lémurien dont les yeux ronds 
réfléchissent la lumière amoureuse, je voudrais 
pos­séder les yeux d’un Picas­so en pull marin. 
Avec ces yeux-là, je n’au­rais plus besoin de mes 
jambes pour fouler le monde auquel je n’ai pas 
accès. 

 

 

Un chemin de pierre tra­verse le jardin. Sur les 
dalles où se posent mes pas me sont apparus 
fugi­tive­ment les traits d’un vis­age naïf, puis deux 
pois­sons, aus­sitôt enfuis. 
Je scrute à nou­veau la pierre, mais cette fois-là je 
ne vois rien. 
C’est que tu cherch­es, dis-tu, à percevoir quelque 
chose. 
Ta soif est trop grande. 
Ignores-tu que chercher précède par­fois per­dre ?

 

 

Cer­tains jours je rumine dans les recoins de ma 
mai­son. Je passe entre les bras des mots, 
dia­loguant avec moi-même —  réc­its recomposés 
du passé, scé­nar­ios imag­i­naires —­  con­ver­sa­tions
à voix basse avec les morts. 
Un épuisant bavardage. Ne me laisse pas de répit. 
Je m’en­fonce au pro­fond des images. Une image 
après l’autre. Se for­ment comme les nuages, 
mod­è­lent toute une ménagerie au ciel. 
Un épuisant défilé. Ne me laisse pas de répit.
Je m’égare.
Ces jours-là je n’en­tends pas l’ap­pel du dehors. Je 
ne vois pas le bal­ance­ment de l’ar­bre der­rière ma 
fenêtre. Il m’ap­pelle pour­tant, me fait signe de ses 
grands bras mou­vants, tan­dis que je vacille 
doucement.

 

 

Par­fois, tapie dans l’om­bre de la croisée, j’épie les 
mou­ve­ments de la mai­son voisine. 
Est-ce le moi fraîche­ment né du jour ou bien celui 
de l’époque enfan­tine qui me bous­cule, me passe 
devant et me sup­plante devant la fenêtre. 
L’en­fant a pris ma place et gouverne. 
Epi­ant comme autre­fois il épi­ait les autres enfants 
jouant. 
Attiré, fasciné, par l’hyp­no­tique bal­let de ceux qui 
font la ronde ensem­ble sur le théâtre des hommes. 
La blessure secrète est un ru qui court en découpant la 
verte chevelure du pré. 
Elle est la sève du saule soli­taire et robuste qui 
échappe à la hache.

 

Respire la mai­son silencieuse. 
Une colline de chair au loin s’arrondit. 
Quelle est cette présence qui dénoue les mains de 
celui qui dort ? 
Une évi­dence sourd comme eau fraîche dans 
l’ap­parte­ment clos et boisé. 
Un être se con­tente d’être.
Et nos sim­ples vies alors dans son souf­fle passe et 
se reconnaissent.

 

Présentation de l’auteur

Barbara Le Moëne

Bar­bara Le Moëne partage son temps entre Lyon, et le sud. Diplômée de l’EM Lyon, tour à tour cadre com­mer­ciale, pro­fesseure agrégée, for­ma­trice, se rend compte qu’elle a vécu longtemps un peu à côté d’elle-même et décide enfin de se con­sacr­er pleine­ment à la pein­ture et à l’écriture.

Cul­tive le respect du vivant, atten­tive à cueil­lir la moin­dre par­celle de beauté et d’intelligence dans un monde qui malmène trop sou­vent nature, bêtes et hommes. Poésie et pein­ture lui sont en cela indispensables.Expose régulière­ment ses créa­tions pic­turales depuis 2017. Ses poèmes sont une ten­ta­tive de déchiffre­ment du monde et du mys­tère du vivant, en même temps qu’un chemin de décou­verte de soi. 

Recueils :

  • Exils, voy­ages, édi­tions L’Harmattan, col­lec­tion Témoignages poé­tiques, 2017
  • Sur la pous­sière du chemin, édi­tions Léda, 2010
  • Passe et demeure, édi­tions Manoirante, 2009

Par­tic­i­pa­tion aux revues :

Trac­­tion-Bra­bant, Ecrits du nord, Contre-Allée(s), Cabaret, Ver­so, Bac­cha­nales, Terre à Ciel

Ouvrages col­lec­tifs : La Cause des causeuses, Col­lec­tion Ven­dan­ges poé­tiques (Aigu­il­lages, La faran­dole des chaus­sures)

 

 

Site : http://barbara-le-moene.wixsite.com/artiste

 

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