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Olivier Larizza, La Condition solitaire

Olivier Larizza : texte et paratexte

Suis sorti (j’avais rendez-vous avec un
poème) inscrire l’air du temps

Revenu des Antilles qui lui ont inspiré une trilogie poétique réunie sous le titre « La vie paradoxale »1, Larizza nous conte ses aventures sur la Côte d’Azur, puisque c’est désormais aux étudiants toulonnais qu’il s’efforce de communiquer le goût de la littérature anglaise. Il cultive avec bonheur dans ce nouveau recueil la même verve primesautière, parfois doucement mélancolique que dans les précédents. Il y conforte une tendance déjà visible auparavant à vouloir s’expliquer au-delà de la lettre des poèmes, le paratexte ayant désormais considérablement enflé puisque « du même auteur », préface, notes de la préface, note de l’éditeur, exergue, « notes bonus », « l’auteur » et la table occupent en tout quarante-huit pages, soit presque autant que les cinquante-et-une pages de poèmes (le reste correspondant aux pages de tête et de titre, à quelques pages blanches et à une liste d’ouvrages publiés par Andersen).

Loin des brèves annotations que l’on trouve parfois au bas de la page chez certains poètes, le paratexte est donc élevé ici à peu près au même rang que la poésie pure et gageons qu’aucun lecteur ne voudra se priver du plaisir d’y découvrir, au-delà des poèmes volontairement allusifs, le Larizza le plus intime. Certes, la pratique de la poésie conduit presqu’inévitablement à s’épancher, mais Larizza exprime bien davantage que ses états d’âme face au spectacle de la nature ou de la femme aimée ou convoitée. Il se livre, il nous livre sans modestie excessive mais avec ce qu’il faut d’autodérision une exploration de lui-même, son moi et son ça, à l’exclusion du sur-moi qui ne pourrait que brider ces confessions sans concession.

Les poèmes se prolongent et s’amplifient à la fin de l’ouvrage dans vingt-deux pages en petits caractères intitulées « notes bonus ». Instructives et souvent amusantes, elles sont parfois assez éloignées du contenu du poème concerné, au risque pour ce dernier de paraître alors un simple prétexte à raconter toujours plus (le texte prétexte du paratexte !). Pour ne prendre que deux exemples, tandis que le poème intitulé « FNRS III » évoque simplement en passant la coque rouillée d’un sous-marin jaune et cramoisi, il n’était certes pas inutile de préciser en note que le titre du poème n’est autre que le nom de ce sous-marin, un batyscaphe siglé FNRS comme Fond National de la Recherche Scientifique (belge en l’occurrence). Mais n’est-ce pas par pur plaisir que Larizza nous narre la destinée de cet engin et conclut par une boutade : Qui dira que les Amerloques étaient superficiels (puisqu’ils se sont lancés à leur tour dans la course aux profondeurs) ?

Le poème précédent, « Le meilleur du monde » débute ainsi :    

Je ne file rendez-vous à personne / sur mon Elops Davidson

Olivier Larizza, La Condition solitaire, Paris, Andersen, 2023, 120 p., 9,99 €.

Pastiche d’une chanson célèbre. Si l’on est gré au poète de préciser que « Elops » est la marque de son vélocipède, il ne faudra pas s’étonner de trouver dans le même bonus la ferme profession de foi en faveur du raisonnement intuitif versus le raisonnement analogique, appuyée sur une citation d’Einstein, cet obscur employé des brevets suisses. On le voit, les notes de fin ne sont pas là seulement pour nous distraire !

Les poèmes écrits dans une langue qui paraît familière font néanmoins surgir quelques préciosités (esperluette, bigaradier, s’amuïr, polymathe, osbornite) et une brassée de néologismes (intranquilliser, éternellité, automner, verrerer, écrevisser, chlordéconer, dandyner, multicolorier, arnacœur). L’orthographe peut se trouver malmenée pour renforcer la dérision (l’élite politiko-médiatik), de même que la syntaxe (les voyelles ont des couleurs qu’on ne connaisse pas). Tout cela n’empêche pas le lyrisme : la soierie du silence me drapait.

Larizza écrit sous la pression de l’instant et s’accorde toutes les licences (poétiques) possibles, y compris quelques rimes. S’il s’imagine, par exemple, avec une majorette sur les genoux, cela s’énoncera ainsi :

Elle me bécoterait sur les bancs impudiks / et je me rajeunirais en public J’aurais l’avantage / d’être un auteur mineur (un tel écrivain fait beaucoup moins que son âge…)

Dans la même veine, en plus cru :

… (c’était une Mauricienne de Mulhouse / sensuelle & peu jalouse) / Un jour un étudiant lui montra / sa mauricette…

La poésie de Larizza abonde en images insolites. Exemples : L’oasis qui lagunait en mon cœur ; Le temps d’ici se limace jusqu’à l’infini ; Le T-Rex de Russie.

Le poète cultive aussi les contrastes comme, dans « Mistral perdant », celui qu’il établit entre les clients-terrasse vautrés sur leurs délices / voraces limaces engloutissant leurs radis & / paradis […] et Moi [qui] batifole parmi les / vierges folles & le varech de la déréliction.

Cabrioles et gaudrioles. Il ne faudrait pourtant pas s’y méprendre, celui qui se définit comme l’éternel teenager le mercuriel arnacœur ne se dupe pas lui-même quand il s’attribue l’étiquette « SDF » : sans destinée fixe.

… Balzac / de bazar Melmoth irréconcilié docteur Larizza & / mister Olivier je n’étais – dear pretty flower – / que l’anachorète sur sa péninsule qui cachait sa / PROFONDEUR.

Note

[1] L’exil (2016), L’Entre-Deux (2017), La Mutation (2021), les trois chez Andersen.




Olivier LARIZZA , L’exil, Jean-Paul KLÉE, Kathédralí

Olivier LARIZZA , L’exil

Écrire des poèmes de manière ininterrompue, comme vivre. À cheval sur le réel et le rêve, comme Olivier Larizza a nourri le vif de son lyrisme à cheval sur deux continents, le Grand Est et la Martinique (cf. Avant-Propos). Dans l’entre-deux de ce qui s’écarte des sentiers battus, comme les auteurs ambitionnés par les éditions Andersen +. L’exil constitue une sorte de journal intime sous forme de poèmes incluant les années 2006-2009. Rédigé au long cours durant douze années entre Strasbourg et les Caraïbes.

Olivier LARIZZA, L’exil, , Andersen+ éditions ; 2016, 107 p., 8 €

L’ensemble de l’œuvre formera un triptyque, agencement de trois tomes dont L’exil constitue le premier volet. Si L’exils’étend de novembre 2006 à l’été 2009, L’Entre-Deuxcaptera les années 2009-2010, La Mutation les années 2010-2014. L’alliance de la voix lyrique à celle plus objective du documentaire (documentaire d’une vie, autrement dit autobiographie) donne corps à une singularité étonnante, confère une place à part à Olivier Larizza dont l’inventaire de la poésie française contemporaine ébauche un état des lieux tout en exposant son "art poétique" dans une postface-manifeste rédigée en 2016.

D’entrée le rythme du poème entraîne « dans la moi/teur de (l)a solitude » quand, « perdu », le narrateur-poète « (…) se retrouv(e) planté là nu/d’amour et plein de froid (...) » alors que celle à qui il « n’arrive pas à dire/tout le bleu-vert inondant son/cœur chaque fois qu’elle/plong(e) dans ses yeux » quitte les Antilles et le laisse seul avec son impossibilité d’avoir pu dire je t’aime. Alors, l’écriture se conçoit, l’Écrire est conçu, le fœtus du Verbe - de la parole poétique - accroché aux parois de la respiration du Vivre : 

 

Alors il prit sa pieuvre pitoyable plume &
 comme un train fou il glissa
lui le hanté des mots et il mit
tout son fardeau paradoxe permanent
dans une improbable poésie une nuit
où elle avait pris l’avion quittant le pays
du soleil où le crépuscule majestu
eux & magenta se meurt et le tue
depuis lors.

Le leitmotiv du « Paris-Tambouctou », « Paris-Tambouctou », « Paris-Tambouctou »... de Blaise Cendrars revient à l’oreille de notre souvenir ici où le voyage est de Strasbourg à Fort-de-France aller-retour, et  comme un rythme de prose du transsibérien saisit le lecteur plongé in media res, à peine posté sur le tarmac du recueil. Une nouvelle syntaxe du réel apparaît au cœur même des mots, miroirs de ce qui fragmente/se défragmente dans la vie, dans le cours de ses (par-)chemins à la fois palimpsestes de l’imprévu/de l’imprévisible et déconstructions en perpétuelle recommencement de ses édifices, pour que puisse se réinventer en se reformulant, le langage du réel, le réel du langage : le Verbe de L’exil pour que tout recommence.

Se disloque « l’impossible rivage » comme est traversé l’auteur -de la tête aux pieds, écharde encore debout dansant sur l’étincelle- par « l’improbable poésie ».

Olivier Larizza, L'Entre-deux, Andersen éditions, Paris.

Quelque chose indubitablement rappelle la voix du fantaisiste lunaire si singulier poète Jean-Paul Klée et sa « poësie » accrochée aussi à ne pas se voir sombrer avec le monde via la falaise effritée du réel et du Dire qui s’érode comme « le cœur qui fond se décompos(e) ».

Le regard poétique dans cette envergure où s’allume et dure le moteur des éditions Andersen + est de feu puissant, à couper le souffle dans un phrasé ardent. "Et (même si) l’insatisfaction perdure", la "fulgurance du soir" veille, source souterraine, à l’instar des « pêcheurs d’éternité » guettant leurs poissons dorés, loin des « poètes (qui) marinent dans la/ complaisance l’obtenu le compassé ».

 

Jean-Paul KLÉE, Kathédralí

La "Préface à une fantaisie-miracle" signée par l’écrivain Olivier Larriza, par ailleurs chercheur en littérature anglaise et professeur à l’Université de Toulon, nous prévient de la grandeur splendide de ce nouvel édifice érigé par le "lunaire" et si singulier poète éblouissant et fantaisiste Jean-Paul Klée : « Ce poème nous rédimera-t-il ? Lisez-le. Laissez-vous troubler par cette cathédrale virtuelle, sorte de Palais idéal -curieux & merveilleux bric-à-brac d’un architecte follement inspiré. Appréciez son infinie variété, ses bizarreries baroques, ses drôleries gothiques, la vibration du plus infime vitrail et de la plus géniale ferveur. Celle aussi bien sûr de la mystique (catholique) et du coeur d’un homme qui, à l’image d’un Wordworth, écrit de la poésie pour parler aux hommes ».

 

Nous voici à Strasbourg, berceau natal et natif du poète,

 

                                                                      Strasbourid’impériale mémory oh l’idéa-
                                                                      le cité parfuméed’angélisme (…)

où, chante le poète,

 

                                                                      (…) ce soir-là j’étais assis là,
                                                                      au pié de l’énormité nommée KATHÉ-
                                                                      DRALI (pas de soleil ni d’eau pluvi-
                                                                      euse qui mouillerait notre dos) J’ai longé
                                                                      le portail St-Laurent (...)

 

où, l’on trouve d’entrée toute la fantaisie dans la forme : orthographe de sang neuf, lexique revisité, langue personnalisée melée de traits dialectaux, d’emploi normalisé-ancien-moderne, combinant les registres (ainsi « volupté » flirte avec « vachement »), enjouant la langue dans son expressivité (ponctuations expressives, élans lyriques syncopés, …) où, le  temps  contemplatif croise  ses  lignes d’envergure avec  un présent actif & vivant à l’aune  de l’ « énormité » de l’edifice, « monstrueux massif de/ pierreries & d’absolu ». Cette cathédrale figure la vie ardemment et totalement traversée par le poète J.-P. Klée, en ses flamboyances (ferveur & fulgurances) fixées par l’Ecrire comme les pierres parlent en chaque centimètre cube rayonnant du « plus haut monument du monde ». L’écriture de J.-P. Klée est à l’instar de sa « cathédrale virtuelle » (architexture in progress) édifiée « à coups de burin et de folie », « prodige d’invention, de puissance et de grâce rose qu’il faut voir(qu’il faut« lire », concernant l’Oeuvre « énaurme » de Jean-Paul Klée) pour le croire et dont aucun mot ne pourrait jamais rendre compte... » Posture névralgique/stratégique/épique paradoxale donc que d’écrire cette Kathédralí, de même que nous jubilons à nous (é-)mouvoir dans ses hautes lignes de mots montés sur intelligence fine, fantaisie, divergations, dans la lumière démentielle (démencielle) de ses « chevaux du JOUR (qui) monte(nt) parmi la/banalité du Ciel ».

La beauté gothique qu’est la cathédrale de Strabourg, merveille de grâce rose, fine fleur de pierre élevant ses racines comme celles d’une humanité spirituelle, visant la cime vertigineuse, cherchant  le ciel de ses « yeux de pierre » par vitraux et verrières, cristallise un vœu pieux formulé depuis que l’Homme "civilisé" existe : qu’advienne un humanisme au coeur du monde comme rosace de ses bifurcations. Monde éboulé dans sa genèse dans des ravins de pertes en hommes tués à la tâche de la construction de ses cathédrales métaphoriques ; éboulé dans ses massacres : « (…) mais d’issi-là (hélas),/quels massacres nous saisiront & quels/nouveaux bombardiers feront-ils/saigner LE CIEL encore une fois ?... » …  mais monde relevé par les prières de mains orantes toujours à l’oeuvre pour que demeure, vierge, le palimpseste de son écriture fondatrice, cyclique, rédemptrice, de « l’encre-ci » d’un poète-là, vivant parmi la pluie et le beau temps pour en jouer la vie aussi vraie qu’elle se vit absolue, dans l’éternité d’écrire ; 

Jean-Paul KLÉE, Kathédralí,, éditions Andersen, 2018

relevé par la force éblouissante mystérieuse d’une voix dressée depuis l’autel modérée d’une foi intacte en l’Homme -voix non pas tournée intégralement vers la foi religieuse (d’ailleurs le poète s’interroge : « Nous sauveront-ils ces/Empereurs à cheval que notre souvenir/ne nomme plus ? »), ni voix totalement tournée vers le bruit du monde (que Klée appelle ailleurs en ses coauacs historiques/humanitaires : « merdoyance », en résonance peut-être avec ces déchets-rejets-déchets en ce monde-ci contemporain si luxuriants…), mais voix versée dans le poème de l’éternité, « nourriture d’ambroisie » donnant jouvence à la parole :

 

                                                                       (...)                          –Bientôt le temps
                                                                      me fera-t-il défaut & la vue se brou-
                                                                      illera, les genoux concasseront (mais
                                                                     ma parole restera
                                                                     jusqu’au dernier jour)

 

"Confidences" d’un livre-fondateur, cette " bible" de Jean-Paul Klée réenfante le poète en même temps qu’il déroule le parchemin d’une Humanité vue dans son dédale de clairs-obscurs, de « massacres », de faits tissés déroulés dans la grande tapisserie du monde et sous nos yeux, comme les « yeux de pierre » d’une cathédrale peuvent garder traces/stigmates/cicatrices du temps qui passe, traversé par les Hommes. En même temps qu’il réengendre le Livre des livres en le réécrivant en ses artères, ses veines, en quelques évangiles revisités de pseudos-saints, à l’assaut impétueux d’aller y voir sans jamais en finir, puisque l’Arbre en sa sève de survivance approche à la cime ce qu’il aspire sans fin à toucher : l’originelle éternité….