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Un regard sur la poésie Native American (1)

Une chronique qui dure, et qui permet encore à nos lecteurs de découvrir des merveilles, des poètes et auteurs engagés dans une réalité sociale et économique que Béatrice Machet nous fait appréhender à la lumière de leurs œuvres. ce premier épisode est paru sur Recours au poème en février 2013. 

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La poésie de Diane Glancy

Auteur prolifique, Diane Glancy est née en 1941, d'un père Cherokee et d'une mère d'origine Germano-Anglaise. Comme tous les métis "Indiens" devenus écrivains, elle reconnaît que c'est la culture Indienne qui l'a le plus nourrie. Diane aime à dire qu’elle ne cherche pas à prendre la parole, mais à la donner à ceux qui ne l'ont jamais eue, afin de leur rendre la voix, afin de réécrire l'histoire trop souvent transmise au travers du filtre d'anthropologues ou d’ethnologues conditionnés, déformés par les a priori, n’offrant d’interprétations que celles attendues d'une culture blanche dominante et oppressive. Diane écrit de la poésie, des essais, des scripts, de la fiction. Elle a reçu de nombreux prix littéraires. Elle est professeur Emérite de l’université Macalester de St-Paul dans le Minnesota, où elle a enseigné la littérature Anglaise et Amérindienne. Elle pense que la salle de classe est une embarcation prête pour un voyage, un endroit où ses étudiants et elle-même prennent des risques et repoussent des frontières. Actuellement, elle vit dans le Kansas auprès de sa fille et de ses petits-enfants.

Disponibles en Français : Pour Iron Woman, aux éditions Wigwam
                                         Cartographie Cherokee, aux éditions de l’Attente.

Job 13 :15--  Briseras-tu la feuille à la dérive ?

Boucle  

Un pinson qui apprend le  mauvais chant a des ennuis. Apparemment, de temps en temps, au lieu d’apprendre le chant de son propre père, un pinson mâle apprend le chant d’un voisin ; chaque trente-six du mois, il apprend la chanson d’un voisin qui n’est pas de la bonne espèce.   
Jonathan Weiner, Le bec du pinson.

Une fois les feuilles sur un arbre
elles seront envoyées à terre vers ce qui
inconnu d’elles
boucle leurs bords.

Elles n’appartiennent à personne
qui soit de leur propre espèce.
L’ombre du cheval
est une feuille, disent-ils
ratissée jusqu’au sein de leur décomposition
laissant le soleil dans la cour
courir
brisé.
Si vous alignez toutes les feuilles tombées
combien de fois feront-elles le tour de la terre ?
Qu’est-ce qu’un cheval ?
Une feuille ?
La signification de briser ?

Miniature Américaine

Elle est
plus petite que
l’histoire, son
acte de naissance non
enregistré. Comme
elle est sévèrement
capturée
par l’huile sur
un petit médaillon
ovale, cheveux
séparés
depuis le milieu,
attachés derrière
la tête
pour tenir
ses oreilles
ouvertes à
sa voix à lui,
qui est
quelque chose comme
un trottoir
encroûté après
la chute du grésil sur
la neige. Sa propre voix
est une
pile de feuilles dont les
langues sont
veinées et
fourchues après
les guerres Indiennes,
farcies dans
la marionnette
de sa
bouche, une
chaussette-singe tordue
et nouée
en une
forme qui n’est pas
la sienne.

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Ajustement

Pour  que son portrait s’adapte à la pièce, elle a fait la maison petite, les chaises petites, le divan. Elle a fait les enfants petits, comme des chaussures séchées qu’elle aurait passées au four.
                                                                                                                                                            Nos sorties au musée ; les halls et les pièces vides, les hauts plafonds, l’endroit vide de meuble : l’imaginer petit, disait-elle, si petit qu’elle pourrait tenir  le musée dans sa main. Regarder seulement la collection de miniaturistes : George Catlin, John Copley, Thomas Cummings, William Dunlap, Charles Fraser, George Freeman, Robert Fulton, Ann Hall, Henry Inman, John Jarvis, Edward Malbone, Anna Peale, James Peale, Henry Pelham, Gilbert Stuart, Thomas Sully, Benjamin Trott, John Trumbull, Benjamin West, Joseph Wood; leurs portraits punaisés là; il y en eut d’autres beaucoup d’autres, leurs petits pinceaux comme des feuilles dans la forêt où les arbres sont trop nombreux pour en faire état dans un  endroit petit comme celui-là petit comme il est.

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Remuda  II Procession

Les bestiaux  grimpent la rampe
traînant leur croix.
Leurs voix telles des chants grégoriens
s’élèvent vers le ciel bleu,
les nuages froids.
leurs yeux sont blancs et larges.
Les vaches flamboient.
Elles iront sauvages au paradis
où des places sont installées
dans des tentes ondulées
avec tables et chaises pliantes
avec  des écriteaux portant leur noms.
Un poisson sera attaché sur leurs têtes.
Elles tiendront leurs cornes dans la gueule.
C’est la foi par conséquent
qui vient
élever les morts.

Driving  Conduire

Le problème c’est les feuilles et le ratissage
de la mémoire est un acte faisant se dérouler ce qui tombe ici

L’objet vers lequel le râteau se déplace
n’est pas ce qui se trouve ici
mais un verbe à la suite du sujet des feuilles
qui désigne les feuilles comme son objet

Le grand érable dans la cour plus large que la cour
couvre aussi la cour du voisin mais ses feuilles tombent dans la vôtre
vagues après vagues elles ondulent sur la pelouse
la cour nue s’ouvre au soleil que l’arbre
réquisitionne en grande partie

Le problème c’est les feuilles elles viennent chaque année sur l’arbre
et tombent dans la cour et tombent
elles changent du vert au rouge ou du vert au jaune
peut-être quelques-unes brunes comme un feuilleté dans le four

Une feuille a le goût de crème glacée
si vous mangez du raisin avec

Les feuilles ont l’odeur des noms elles
déroulent la mémoire de l’automne
le problème des feuilles
est l’objet direct de la désaffection

Une fois vous avez donné des feuilles à votre belle-sœur
pour son anniversaire
votre frère a dit comme s’il n’y en avait pas assez dans la cour
mais elles étaient rouges et son anniversaire tombe en automne

Pendant que vous tirez le râteau
vous recevez le paquet de ce que vous pourriez appeler courrier
à récupérer

Ratisser fait arriver d’autres noms
pelouser par exemple
qui pourrait être un nom ou un verbe potentiel
du genre des feuilles pelousent la surface de la cour

Et si votre place au paradis dépendait des feuilles que vous ratissez ?

C’est la non fiabilité des mots
leurs sens pareils aux feuilles qui tombent               
selon des motifs déconstruits par le vent qui pousse
toutes les feuilles du voisin dans votre cour

Pendant la nuit vous entendez les griffes des feuilles courir
dans la rue
elles s’accrochent à votre porte et tentent d’entrer

Les guerres ont commencé avec des feuilles

Dans les rêves parfois vous ratissez dans l’après-vie
les feuilles ne manquent pas de tomber
vous vous rêvez comme une série de ratissages

Une fois les voisins ont essayé toute une journée de charger une jeep
avec  plus qu’elle ne pouvait contenir
ils arrangeaient et réarrangeaient
et rien ne pouvait changer l’espace libre dans la jeep
sauf la pensée que  la vie est une série
de bagages
pour laquelle le véhicule est plus petit que la charge qu’elle doit transporter

Les feuilles sont-elles uniquement ratissées en Amérique ?

Vous pensez à l’Allemagne
d’où une partie de vos ancêtres sont venus depuis la frontière ouest
d’une forêt
des râteaux dans les bateaux ils ont traversé l’océan 
parce qu’il y avait plus de feuilles en Amérique

Le problème c’est les feuilles
les vagues empilées avec elles
continuellement déversées sur le rivage

vous conduisez votre voiture au travers de feuilles qui courent dans la rue
de la façon dont les crabes déguerpissent

Vous avez vos repères
dans les voitures que vous conduisez à travers les feuilles en Amérique
les petits amis des Impalas pesant deux tonnes
la remorque verte de la gare
et la brune que vous écartez de la voie du mariage
Un mot est plus que le son qu’il produit
au passage de l’air poussé par la bouche
il tombe comme des feuilles sur l’oreille

Le problème c’est les feuilles vous ne pouvez pas vous éloignez d’elles
elles peuplent la cour comme des squatters que vous devez ratisser

Si la neige tombe dessus elles resteront tout l’hiver
et tueront l’herbe en dessous
avez-vous bougé une plaque de feuilles ayant gelé
tout l’hiver
avez-vous vu le sol en dessous de la plaque ?
Le problème c’est les feuilles qui tombent et tombent chaque automne
elles dormiraient dans votre lit si vous les laissiez faire

Vous entendez l’océan pendant que vous ratissez
mais plus que l’eau  c’est le ratissage
de la première voiture que vous avez possédé en propre
vous étiez mariée et  jeune mère
vos voisins un couple de militaires à la retraite
vous avait vendu la voiture qu’ils avaient ramené de Californie
une Ford verte de l’armée rouillée par l’air salé et par l’océan
bordant la base militaire où ils étaient stationnés
et votre mari l’avait achetée pour que vous puissiez aller
faire les courses

Cette voiture est parmi les feuilles que vous ratissez
les vertes feuilles devenant brunes

L’importance des feuilles quitte le désir
amer dans la cour
le son du ratissage à travers elles
le fracas d’une ancienne bataille
les feuilles fuient le râteau et  se retirent

Et si la façon dont vous ratissez vos feuilles est celle dont vous traitez les nations ?

Sans savoir pourquoi vous vous souvenez combien vous vous vouliez conduire le camion aspirateur de feuilles qui vous faisait passer par les vieux quartiers voisins
vous les appeliez avec le ton du vendeur de glaces
et les feuilles couraient
attention disiez-vous et vous les regardiez s’écraser
dans le paradis des feuilles que vous saviez là

L’Illiade en fait parle de feuilles
la longue guerre entre les Grecs et Troie
Don Quichotte était une feuille
les matadors depuis l’Espagne
dirigent les feuilles dans les rues en jouant des castagnettes.

Granted   Accordé

Court avertissement pourtant
vous saviez que cela viendrait
sol (nu)
feuille (ratissée)
arbre (avec branches)
si chéries
les distillées
bien que n’étant pas parmi
(dehors) nations
le nettoyage
un compost
un genou de feuilles ratissées
laisse-moi m’y assoir
(toute) l’ombre
d’hier
vous pouvez
passer la main (au travers).

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Les feuilles s’écrasent sous le râteau de leur mouvement

L’histoire (américaine)
tire une boulette __________
à la tête
couvre les sentiers de la guerre
les massacres
les territoires lotis
maintenant ré-empile
les feuilles empilées (sur elles-mêmes).
Redonne à la terre son ancienne apparence
celle d’avant la chute
au-dessous
il y a des sauvages
qui dansent
au son de leur musique.

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Pousseurs de feuilles

Tout au long des années les feuilles sur la pelouse
ratissées je ne peux m’empêcher de penser
que nous donnons nos vies
à leurs rouges manteaux
à venir
tellement de combinaisons
dans ce qui ratissé ratissé ratissé ratissé ratissé ratissé ratissé ratissé
ratissé ratissé ratissé ratissé ratissé ratissé ratissé ratissé ratissé ratissé ratissé
ratissé ratissé ratissé ratissé ratissé ratissé
un tout ayant de la valeur
nous apprenons pour finir
les couloirs des arbres
le petit (auto) portrait
des feuilles.

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Parce que c’était sur eux

il lui fallait marcher sur des dalles de marbre qui faisaient mal et qui étaient également glissantes.
Parce que sa maison était un sol de marbre dur comme des vagues, parce que les dalles avaient des tourbillons de verre en elles elle les vit comme des milliers de Terres. Et parce qu’elles étaient sous ses pieds, les nuages vinrent et vécurent dans sa tête. Les Etres Tonnerre et l’Eclair. L’Eclair d’abord parce qu’il était plus rapide. Langue de serpent zigzagante. Les Etres Tonnerre plus lents parce qu’ils étaient chargés lourdement du bruit de l’Eclair. Tonnerre . Tonnerre, disaient les Etres Tonnerre. Ils grondaient  depuis sa bouche. C’était la haute atmosphère. Les nuages des essaims d’abeilles dans sa tête. Les Eclairs tirés depuis ses yeux. Il faisait craquer les dalles de marbre jusqu’à ce que les tourbillons terminés par une queue s’élèvent hauts par-dessus les cieux dans sa tête. Loin au-dessus des vagues au sol pareilles à des lames de verre si brisé qu’elle ne pouvait séparer les morceaux les uns des autres. Tous lui hachaient les pieds alors qu’elle allait sur les terres brisées. Elle versait son sang. Alors que les Etres Tonnerre tempêtaient depuis sa bouche.

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Grosse légume

La femme a perdu prise. Elle boit
du 7-Up quoiqu’on veuille que cela signifie.
Oh  Seigneur. Une épaule déboîtée.
Un Figolu. Et pourquoi doit-
elle être tremp’ejaborée ?
Pas dans le ton non plus. Vous pensez
qu’elle aurait rectifié maintenant.
Sa propre langue. Son propre espace.
Bénie soit-elle. La femme a vécu comme une
abeille de ruche. Une palissade binée.
Dont la vie est un jour de lessive avant
l’électrification des campagnes. Dont les changues
s’élèvent contre l’aube. Bénissez son un-jour-
libérée. Son ouplala. Roule-
nationale
. C’est encore devant elle.
Son sniff-encombré. Bing-de-hanche. Pow Wow.
Toutes ses fiestivités.

• Ouplala pour Opila, cérémonie d’action de grâce, de give away chez les Sioux ( Lakota)

Squaw

Une squawl une squawk ou bien entre. Je le serai donc.  Ramasse la terre roule-là sous un buisson à proximité du champ de maïs labouré. Je peux dire comment prendre en charge le langage, souffler dedans comme dans un sac de papier kraft, le frapper de mes mains. Je suis le reste après la division de mes numéros qui ne tombent pas juste.  Pas la voix de l’absolu ou de l’agression, mais voici ma gamelle, haka, voici ma gamelle.

Poèmes traduits par Béatrice Machet