Gram­inées
Herbes sauvages
En longues pelouses
Échevelées
Tiges folles
Fruits secrets

Gram­inées
Stri­ant le ciel
Cordes de violon
Détachées
S’en vont jouer
L’air du vent

Gram­inées
Par­ti­tions célestes
Quand je me roule
A vos pieds
Per­me­t­tez que je vole
Un peu de vos parfums

Gram­inées
Qui font le pain
La galette
Le ven­tre plein
Depuis que les hommes
Vous ont cultivées

Gram­inées
Incendie de sève
Où je marche
Comme sur des braises
Dans le crépitement
Des sauterelles

Gram­inées
Innombrables
En fou­ets, en plumes
En aigrettes
Et même étoilées

La nuit vous respire
Et vous fait transpirer
Et galope entre vos jambes
La mul­ti­tude des prés

Gram­inées
Je vous aime
Je vous le dis
Je vous aime

∗∗∗

Le Chant de la vieille

Corps tor­du
Incendie
Calcinée
Je suis

Soumise
Tel fut mon satori
Ma beauté demeure
Hors de ta portée

Vie et mort
J’ai la connaissance
Des profondeurs
C’est pour cela
Que le ser­pent m’a aimée

Toutes les bêtes
M’ont apprivoisée
Pattes griffes
Plumes toisons
Je règne animale
Sur toute la création
Ma flèche touche au cœur
Tout pré­da­teur nom­mé homme

J’ai ini­tié bien des peuples
Qui m’ont nom­mé lunaire
De la génisse à la brebis
Pour m’asservir
Nom­bres de lois
Ont été dictées
Mais joug après joug
Je demeure l’Indomptée.

Je par­le la langue des oiseaux
Qui lisent dans mon cœur
Les mau­vais augures
Ne por­tent pas de plumes
Mais des bâtons cracheurs de feu
Des couteaux et des bombes

Au com­mence­ment des temps
J’étais déjà penchée
Sur le berceau de l’humanité
En moi était contenue
L’empreinte de toute forme
Et la mémoire des abysses

Ma puis­sance est immense
Je suis la porte des mondes
Je suis le cobra
Prends garde humain
Si tu ne respectes pas l’équilibre
Tu seras bal­ayé pulvérisé

A genoux homme
Ferme les yeux
Ouvre ton cœur
Ton sexe est sacré
L’as-tu donc oublié ?

Allez viens danser avec moi
Sens-tu sous tes pieds
Le fris­son des racines ?
Sens-tu le rythme du vent
Les tour­bil­lons de la sève ?
Viens danser avec moi
Viens sen­tir l’étreinte
Et la lune dans nos veines

Je con­nais les par­ti­tions du frisson
Et les pass­es secrètes
Qui font du plaisir
Un art sacré

Je con­nais les paysages intérieurs
Des quêtes et des illuminations
Vers le nord hypothétique
Je vois au loin sur les plaines
La lente péré­gri­na­tion des hommes

Pour se connaître
Il leur faut pénétr­er la terre
Eriger des totems
Pour ense­mencer les cieux
Mais ils se trompent
Et n’encensent
Que faux dieux.
Pour me connaître
Qu’ils suiv­ent la piste
Féline.

Ils pour­ront me trou­ver aussi
Nue et lisse au creux des pierres
S’ils posent leur oreille
Con­tre les os de la terre
Ils enten­dront battre
Mon cœur

Je suis l’innocence faite chair
Mais ne te laisse pas bercer
Par la douceur de mes courbes
Une part de moi ne dort jamais
Sous le regard de l’Eveillée
Tu es nu comme un nou­veau né

Mys­tère et magie
Art des saltimbanques
Depuis le début des temps
J’accompagne les nomades
Car mon nom est mouvement.

Je suis la pre­mière et la dernière
Sœur amante mère épouse
Je suis toutes en Une
Et Une en toutes
Je suis la Voie du cœur
La voix enchanteresse

J’ai pou­voir de vie et de mort
Tant de fois j’ai enfan­té les ténèbres
Huilé la nuit de mon corps
Je suis le ser­pent primordial
Qui enlac­era le monde.

Après tant de siè­cles à m’humilier
Com­pren­dras-tu enfin ?

∗∗∗

 

 

 

Celle qui manque (extrait)

Si j’écris donc, je vais mot dire. Cris, clameurs, siè­cles, foules et le chu­cho­tis d’une fleur.

C’est vrai, un rouge-gorge peut m’arracher des larmes. Une mésange au soleil. Du pain trem­pé, une flaque d’eau. Douce lumière du présent par­fait. Le sourire intérieur s’épanche aux lèvres.

Partager ? Alors j’écris, je te par­le, du fleuve, du cœur. Je te par­le du labyrinthe et je crois savoir que tu m’attends là. Au cen­tre, au cœur de la cible.

Noces dans un jardin adossé à la dor­mance. Éro­sion de l’épice. Mon nom tracé au parfum.
La con­science décousue ray­onne. Une volup­té vio­lente gicle des fis­sures d’enfance.

Tout se fond, se con­fond, ombres dans la nuit. Périple vers la gorge douce et verte des grottes tapis­sées d’eau. Le château et la source, auto­bus de mes rêves, bou­ton à press­er d’un blanc de lait.

Je cherche un lieu qui me cherche.

Aide-moi, ouvre-moi, sors-moi de ce trou où je suis tombée ! J’ai cru un instant, oui je t’ai cru. Je nav­igue seule pour­tant. Je devine des sons, des mots, des odeurs, des sen­sa­tions. Les vastes possibles…

Pourquoi cet entête­ment ? Je me tords en point d’interrogation. Ver­tige de let­tres. Je voudrais par­fois être nor­male, c’est-à-dire comme tout le monde, mais com­ment font-ils ?

Dites-moi, com­ment font-ils pour avoir cet air-là ? Rien ne les étonne ? Tout est déjà pesé, soupesé. Rien qui n’ait son étiquette ?

Je les arrache celles qu’on m’a col­lées, je les déchiquette.

(…)

Il y a dix, vingt, trente ans et la vie passe. Incon­sciente. Même nœuds, mêmes impass­es. Nos gri­maces et nos cris, étranges col­ifichets emprun­tés au théâtre d’ombres. Impasse des tour­ments, des rancœurs à déloger, des cail­lots de vanité.

Passez-moi la lame qui incise la matière du lan­gage. Sève d’étoiles, draille des signes. Babel fond sous ma langue. J’en fixe sim­ple­ment l’ombre sur le papi­er. Infi­ni fugi­tif. Mes empreintes sur les neiges éter­nelles de l’inconnaissance.

Edi­tions Aspho­dèle 2011

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