Danielle Helme, Temps Modifié

Par |2025-05-06T08:04:02+02:00 6 mai 2025|Catégories : Danielle Helme, Poèmes|

OLIVIER MESSIAEN

Le réveil des oiseaux au lac de Laffrey

Dès cinq heures,
Une foule d’oiseaux
Donne un réc­i­tal, intitulé
Le réveil des oiseaux.

Chaque matin
Tu enregistres
Quand un oiseau soliste se lance
Dans de grandes improvisations,
Entre­croisées avec d’autres chants
Brefs et codés.

Une atmo­sphère à déguster sans bruit,
Accom­pa­g­née d’un concert
En rossig­nol majeur.

Une buse donne de grands coups d’éventail
En atterrissant.
Un cor­beau surveille
En cri­ant des insultes stridentes.

Dès cinq heures
Les oiseaux sont les maîtres du son,
De jeunes mâles dragueurs sifflent
De longues tirades impertinentes,
Tan­dis que des femelles faire-valoir
Leur ren­voient trois notes en riant.

Tu enreg­istres
L’onomatopée du loriot.
Ton oreille
Retiendra
Le rire du pic-vert.
Ecou­tons l’inépuisable quatuor
Pour fin du temps
Inoubliable
Dans l’église saint Théoffray
Où la présence de Mes­si­aen est palpable.

*

LE TILLEUL REMARQUABLE

Trép­i­da­tion de la terre
Craque­ments titanesques,
L’arbre de la fraternité
Pat­ri­moine naturel,
Ce phare si célèbre dans le quartier
S’affaisse
Cat­a­pulté, arraché.

Alors là, c’est fantastique
Toutes ses racines en l’air, l’humus,
Les bac­téries qui sont dans les intestins
De l’arbre depuis trois cents ans.

J’ai cinquante ans de souvenirs,
Enfant je grim­pais jusqu’à la fourche de l’arbre.

Les images défilent,
Les repas sous le feuillage,
Le feu avec du bois mort,
Mélangé à un peu de genévrier,
Le goût sauvage de la viande
Plan­té d’une brindille de mélèze
Col­lante de résine.

Ce tilleul remarquable,
J’en con­nais chaque branche horizontale,
Le bruisse­ment des ramures du feuillage
Et com­ment ça se propage
D’un bout de rameau à l’autre,
En sou­p­lesse, au moin­dre souffle.

Com­ment ça se transmet
Simultanément,
Et com­ment, lorsqu’on est en-dessous,
On béné­fi­cie d’une bouffée
D’un air renouvelé
Les soirs de canicule.

*

L’AUTRE DIMENSION

Le mag­nétisme des lieux m’attire
Devant celle que j’appelle la demeure,
Et qui demeure de siè­cle en siècle.

Je ressens forte­ment la présence
Des anciens, les dis­parus qui ne sont
Ni chez les vivants, ni chez les morts.

J’entre dans une autre dimension
Où la mémoire de mes aïeux vibre
Dans une sorte d’effet de réverbération
Qui transperce ces murs imprégnés
De leur présence.

Bien ancrée dans la réalité,
La demeure garde la mémoire.

A la façon des arbres de la propriété,
Plusieurs fois centenaires,
Avec des racines égales à l’envergure
Des branch­es hor­i­zon­tales étalées
Et des ram­i­fi­ca­tions ver­ti­cale­ment dressées.

Les gens du bourg perçoivent également
L’autre dimen­sion de ce refuge
Maître du temps
Qui les ignore.

*

SOUVENIRS PULVERISES

Depuis ta mort
Se télescopent
Des frag­ments de sou­venirs informes,
Des débris de souvenirs
Dis­lo­qués, désassortis.

Je suis éton­née de m’apercevoir
Qu’une seule image immo­bile m’obsède,
Le père est jeune, l’allure décidée
Dans un pull à pied-de-poule
Bleu marine et gris.

En ce moment,
Je n’ai pas d’antivirus, de pare-feu,
Simul­tané­ment se pré­cip­i­tent, se dispersent,
Se détru­isent des souvenirs.
Ils sont tous pulvérisés,
Je suis inca­pable d’en attrap­er un entier
Au vol.

Je ressens l’éclatement
De tout ce que j’ai vécu avec lui,
Comme des par­tic­ules que je n’arrive
Pas à arrêter et qui remontent.

Je suis dans l’impossibilité de formuler
Mes sen­ti­ments avec des paroles.
Seules les sonorités de la musique
Ont un sens.

*

VERT VERONESE

J’avance dans un temps sourd et muet,
Le ciel absorbe les cris des oiseaux,
Le soleil n’éclaire rien,
Per­siste une sta­bil­ité de mau­vais temps.

Vient la per­fec­tion de la géométrie
Frac­tale des fougères
Vien­nent les bourgeons
D’un vert Véronèse si cher à Van Gogh.

Un renard roux détale au quart de tour,
Sans un cri, il disparaît.

Longtemps après
Le pas­sage ful­gu­rant de l’animal
Et des vibra­tions dans les bourgeons,
Je reste sous l’emprise de sa présence.

La Combe, Asperjoc

Présentation de l’auteur

Danielle Helme

Poète et roman­cière Danielle Helme d’origine grenobloise, vit à Mont­pel­li­er. En prise directe avec la poésie con­tem­po­raine, elle pro­duit et réalise une émis­sion de radio dif­fusée en Drome et Ardèche. Elle a étudié les écri­t­ures dra­ma­tiques con­tem­po­raines. Elle est dom­inée par un puis­sant sen­ti­ment de lib­erté, où bien sûr la Nature, la Nature humaine et le Livre sont sacrés.

Elle explore des formes dif­férentes, en suiv­ant son chemin d’écriture : une poésie du dedans, l’Oulipo, abécé­daire, et le roman réal­iste. La qua­trième de Gus­tav Mahler qu’elle écoute en boucle rythme ses écrits depuis vingt-qua­tre ans. J‑Pierre Spilmont écrivait en pré­face de son 1er recueil : on vient de pénétr­er sur un ter­ri­toire d’écriture, sur la terre d’un lan­gage exigeant tout du chemin qu’il parcourt.

Elle a pub­lié neuf livres. En per­pétuel plaisir et sens des mots, elle pub­lie en 2024 son qua­trième recueil de poésie jeunesse, pré­facé par Paul Four­nel, prési­dent de l’Oulipo. Et a reçu le Prix Goncourt de la nou­velle et Prix Renau­dot. Une lec­ture de Temps Mod­i­fié aura lieu dans un spec­ta­cle à l’auditorium de la Cité des Arts de Mont­pel­li­er, le 6 mai 2025. Avec : James sacré, Danielle Helme, Éric Chas­se­fière, Jacques Guigou.

Bibliographie

Par­mi ses ouvrages les plus récents : Le Radin, roman, Ed. Amandi­er, (2015) ; Glos­saire du ça, (2016), livre Oulip­i­en, Illus­tra­tions de Huub Niessen Ed. Du Jais ; Temps Mod­i­fié, poésie, Edi­tions de l’Aigrette, (2021) ; C’est curieux j’ai le trac, poésie jeunesse, Illus­tra­tions Mick Elli. Via Domi­tia Edi­tions, (2024).

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