Erwan Quesnel, La complainte du bipo, extrait

Par |2019-11-06T17:02:29+01:00 6 novembre 2019|Catégories : Erwan Quesnel, Essais & Chroniques|

Erwan Ques­nel décrit les trou­bles bipo­laires dans un one man show musi­cal tra­gi-comique. Les délires psy­chopara­noïdes de cette patholo­gie men­tale sont resti­tués grâce à un texte morcelé et servi par des dis­posi­tifs qui ren­dent par­faite­ment compte du mode de fonc­tion­nement cog­ni­tif induit par ces trou­bles (langues mul­ti­ples, asser­tions cour­tes et décousues, syn­taxe hachée et déstruc­turée). Mais c’est la dimen­sion orale, le rythme et la scan­sion de la mise en œuvre du texte qui per­met d’abor­der la ques­tion des trou­bles men­taux hors des tabous et de toute stigmatisation.

∗∗∗

La Complainte du bipolaire, première partie

Ik ben gek ! Ich bin ver­rückt, total ver­rückt ! Loco, paz­zo, fuori di mel­one ! Et j’éructe !

E triste, pero e la veri­ta ! Un beau jour la rai­son me quitta.

In francese, si dice : « Mon­sieur vous souf­frez de trou­bles bipo­laires . »

Alors… Suis-je aus­si dingue que j’en ai l’air ?

C’est ce que je vais vous con­ter dans cette con­férence, vous livr­er quelques morceaux de mes errances.

 

Quin­di… Ben­venu­to a tut­ti ! E sop­prat­tuto a tutte le donne, las mujeres, chi sono venute spe­cial­mente per me. Lo so, non e facile di stare cal­ma di frente a un mon­u­men­to de la poesia.

Oggi, aujour­d’hui, andi­amo a par­lare de una cosa molto triste, de una cosa molto dif­fi­cile, de una cosa che nes­suno sa spie­gare, d’une chose que per­son­ne ne sait expli­quer : a malat­tia men­tale… la mal­adie mentale !

Ach ! Ach ! Ach ! Sie haben Angst ? Vous avez peur ? Fürcht­en Sie mich ? Me craignez-vous ? Ich bin sehr nett, bleiben Sie ruhig ! Je suis très gen­til, vous pou­vez rester calme.

Quoi ? Quoi ? Quoi ? Pourquoi pas en alle­mand ? C’est inter­dit ? Oui mon­sieur, le spec­ta­teur français exige un spec­ta­cle en français. Oui, mais nos ancêtres sont les Gaulois ; donc, logique­ment, je dois vous le faire en gaulois. Ah ! Je remets en cause l’i­den­tité française. Mais, au fond, qu’est ce que c’est la France si on y réflé­chit bien, si on est hon­nête intel­lectuelle­ment, si ce n’est un tas d’émi­grés africains. Eh oui, l’afrique a gag­né la coupe du monde! Euh.. la France. Et  les Africains de l’est, Les Teu­tons, die Ger­ma­nen nous ont envahis 55 432 fois. Na ja, na ja, na ja, na ja, eh Oui das ist ein grosse Prob­lem : die Arro­ganz der Fran­zozen. Un petit peu d’hu­mil­ité, apprenez l’alle­mand : Arbeit macht frei, le tra­vail rend libre, pour les incultes que vous êtes, eh oui parfaitement !

Ah mam­ma mia ! Con ques­ta sto­ria ho dimen­ticha­to di pre­sen­tar­mi. Alor­ra mi chi­amo Erwan Ques­nel, ex-pro­fesseur de Math­é­ma­tiques et inter­mit­tent… de l’hôpi­tal psychiatrique.

Entre par­en­thès­es :

Ne vous inquiétez pas pour mon intermittence,

Les cachets quo­ti­di­ens assurent ma pitance.

En ik ben erg gel­lukig om hier te zijn. En ik hoop dat ik een goed expli­catie zal geven…

Et je suis très heureux d’être ici et j’e­spère que je vais vous don­ner une bonne explication.

Oui, du néer­landais. Vous n’êtes jamais tombé amoureux d’une Hollandaise ?

Vous êtes à Ams­ter­dam : « Où sont les cof­fee shop? Où sont les cof­fee shop ? »

Et là, une bicy­clette. Achtung ! Achtung ! Achtung ! Bon, je le fais en alle­mand pour la péd­a­gogie. Je vais met­tre de côté pour l’in­stant les langues exo­tiques. Atten­zione ! Atten­zione ! Atten­zione ! Mais il est déjà trop tard et c’est l’ac­ci­dent. Vous vous relevez. Et qu’est-ce que vous voyez ? Un man­nequin, mot d’o­rig­ine hol­landaise, et on le com­prend : de longues jambes, un corps par­fait… Eh oui, la bicy­clette et voilà, vous êtes amoureux. Cent ans de malheurs !

So let’s try in Eng­lish. Ca, ça doit être à la portée du tout peti­ti, tout petit, tout petit cervelet que vous avez! Do you know what ? I am hap­py and .… crazy. So if you want neu­rolep­tics, I have got a lot : Risperdal, Abil­i­fy, Xeplion, Solian, Ter­cian, Hal­dol, Clop­ixol, Zyprexa, Xero­quel, Lep­onex, Qué­ti­ap­ine, Olanzapine.

You will sleep a lit­tle bit and you will have a very lit­tle… bite !

Ach so Deutsch…

 

Guten Abend Dames und Her­ren und her­zlich Willkom­men zum unsere kleine Speck­takel. Ich bitte Sie ihren Handys aus zu schal­ten. Ver­ste­hen sie nicht ? Ihren Handys aus zu schal­ten. Bon oui, je sais mon portable est pour­ri mais bon… Pitié pour les hand­i­capés men­taux !

Ah ! Toi, t’es un petit malin, t’as remar­qué que mon portable était un faux. Non mais, tu crois sérieuse­ment que je vais te mon­tr­er mon Iphone. Je suis un acteur, je suis riche à mil­lions. Donc, vous éteignez votre portable. Schnell ! Schnell ! Das ist ein Befehl ! Sie haben keine Wahl !

Alor­ra, que coisa e a bipo­lar­i­dade ? Antigua­mente chama­do a psy­chosa mani­a­co-depres­si­vo, e car­ac­ter­isa­do por fase maniaco :

(en chan­tant et en s’excitant)

Today I m very very very happy,

Heute kan ich alles machen,

Gavar­i­ou parousski,

Tchouts tchouts vod­ka nazdrowie !

Un peu de vod­ka s’il vous plait !

E la fes­ta ! Sono il cam­pi­onis­si­mo ! Il piu grande artista del mondo !

Il piu forte ! Il piu bel­lo ! Il piu diver­tente ! Il piu, il piu, il piu, il piu, il piu, il piu, il piu.… Il piu rigolo.

Quin­di, vado a fare un show in 97 lingue… 97 lingue. (en mimant)

Omdat ik spreek erg goed ned­er­land, een erg moeie taal !

Ik weet dat je niet mij begreep, maar het is niet belangrijk !

Chi se ne fre­ga ! Nessuno !

Je sais vous ne com­prenez rien mais je m’en bats euh… les coquillettes!

¡ Puedo tam­bi­en hablar espanol sin prob­le­ma ! Me gus­tan mucho los… neu­rolep­ti­cos. ¡Risperdal, olé ! ¡ Abil­i­fy, olé ! ¡ Xeplion, olé!

Ich spreche also Deutsch wie eine span­ish Kuh Meu­uh ! Une vache espag­nole mit… Neu­rolep­ti­ka. Risperdal, sieg Heil! Abil­i­fy, sieg Heil ! Xeplion sieg Aïe aïe aïe ! (en mimant la piqûre)

O brazileiro nao tem secre­to para mim com .… os neurolepticos !

“Olha que coisa mais lin­da, Mais cheia de graça. É ela, meni­na, Que vem e que pas­sa, Num doce bal­anço, A cam­in­ho do mar. » (A Garo­ta do Ipane­ma, Vini­cius de Moraes)

Eh oui, les femmes du Brésil sont si belles, si jolies que… ce ne sont pas des femmes.

Bueno, ecco la mia sto­ria. Décem­bre 1995.

Ho 17 anni, dieci sete anni e voglio diventare un pro­fes­sore di sport.

Quin­di que cosa fac­cio ? Sport.

Jede Mittwoch und jede Son­ntag, Fuss­ball. Mar­di et jeu­di, course à pied.

Ade­mas al cole­gio, 4 oras de deportes: escal­a­da y badminton.

Un dimanche, je fais un cross-country.

Esta muito, muito, muito, muito frio !

Un homme me conseille :

- Ne mets pas ton bon­net, tu vas avoir trop chaud !

No escu­cho. Mal m’en a pris ! J’ai foiré ma course.

La sera, sono del­lu­so, abbat­tuto e triste.

Then I want to change my mind.

Pues me voy a la bib­liote­ca. Mi padre tiene todo Vic­tor Hugo. Dus ik neem Cromwell en ik lees het voor­wo­ord… de introductie.

Quoi, quoi ? Vous ne com­prenez rien ? Bon, cette fois-ci je laisse vrai­ment tout tomber, vous n’êtes pas à la hau­teur aujour­d’hui. D’ailleurs, le serez-vous un jour ? Je vais le faire en français, para los debi­los mentalos.

Ah ! Ça vous com­prenez. Dès qu’on vous insulte, vous com­prenez. Ca ne me sur­prend pas ça, mais ce n’est pas de l’es­pag­nol, eh… oui !

Donc je suis triste. Je vais à la bib­lio­thèque et je prends Cromwell, une pièce écrite par… Vic­tor Hugo. Ben oui, je l’ai déjà dit. Il n’y a vrai­ment per­son­ne qui suit. Pub­bli­co di mer…ci beaucoup !

Et je lis quoi ? La pré­face, ben oui de intro­duc­tie : l’introduction.

C’est une his­toire du théâtre. Vic­tor Hugo explique à tra­vers l’his­toire du théâtre notre civil­i­sa­tion. C’est un démon­tage en règle de la règle des trois unités : unité de temps, de lieu et d’ac­tion. Bon oui je sais, ces détails sont inutiles et bar­bants, mais en tant qu’ex-pro­fesseur, j’es­time qu’il est bon que la cul­ture entre dans nos chères têtes blondes. Cette pré­face est aus­si un hom­mage aux maîtres : Homère, Molière, Shake­speare… Eric Zem­mour. Et une ten­ta­tive d’ex­pli­quer ce que c’est que l’art d’écrire une œuvre.

Le lyrisme de Vic­tor Hugo me sub­jugue ! Il jon­gle avec les paraboles, les cita­tions latines et espag­noles. Son esprit de syn­thèse me souf­fle. Il sem­ble tout con­naître, tout maîtris­er… comme Eric Zemmour.

Je prends con­science de ma vacuité. Et je dévore les pages une à une…

Je ne sais rien. Et tout à coup s’of­fre à moi cet univers infi­ni qu’est le théâtre.

Je ter­mine la pré­face. 1827, Vic­tor Hugo a 25 ans.

Et moi, j’ai 17 ans et je suis un igno­rant com­plet. J’ai passé mon ado­les­cence plongé dans France Foot­ball… Baballe! les jeux vidéo … Baballe sur télé . Je suis une coquille vide.

Il faut que je réagisse.

Il faut que je sache.

Il faut que je com­prenne le génie de cet homme.

Voilà la pièce : 1000 per­son­nages. Un château, la nuit. Un com­plot, la poésie.

Je veux lire, lire, lire, lire… Il faut pour­tant dormir. J’éteins. Je réfléchis. Et je plonge… Je suis estomaqué.

Une mas­sue a ouvert mon cerveau et l’a jeté dans l’eau bouil­lante de la con­nais­sance pure, du génie créatif. Mes neu­rones, tirés vio­lem­ment de leur pro­fond som­meil, sont main­tenant en ébul­li­tion. C’est un foi­son­nement, une explo­sion, une libération !

Qu’est-ce que nous faisons ici ? Quel est le sens, le fonde­ment de toutes chose ?

Qu’est-ce qu’il y a de vrai dans l’u­nivers au-delà du matériel et de l’expérimental ?

Qu’est-ce qu’il reste au bout du bout si on y réflé­chit bien ?

Dieu, la reli­gion. Il y a belle lurette que plus per­son­ne de sérieux n’y croit. Fables et Fariboles !

La sci­ence pure, les math­é­ma­tiques. Oui, mais c’est une con­struc­tion men­tale de l’homme, une suite de principes et de théorèmes. Sur quoi repose la sci­ence si on n’ad­met plus rien ?

Qu’est-ce qui nous assure que ce qui existe, existe vrai­ment ? Sur quelle idée se fonder ? Sur quel principe moral ? Sur quoi ? Il n’y a rien qui tienne. Oui mais alors, s’il n’y a rien qui tienne, c’est que ce rien est la seule vérité vraie et que le néant gou­verne le monde. Le monde ne marche à rien. Il ne se base sur rien, et tous les principes physiques et moraux ne résis­tent pas au fameux rien qui explique tout, démon­tre tout, et sur lequel tout est à construire.

J’ai dix-sept ans, mais je me leurre plus. Je peux désor­mais avancer. La vie s’ou­vre à moi, sur le néant certes, mais elle s’ou­vre quand même.

Je suis retourné par la puis­sance de mon nou­veau savoir. Je sais… rien. Je suis le déten­teur de la plus grande des con­nais­sances. Je suis au som­met du monde du haut de mon néant !

Présentation de l’auteur

Erwan Quesnel

Erwan Ques­nel est un poète et slameur français.

Poèmes choi­sis

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