Fabien Marquet, Par la fenêtre

Par |2019-04-05T11:17:22+02:00 4 avril 2019|Catégories : Fabien Marquet, Poèmes|

 Il y a ceux du feu, il y a ceux du lieu. Ceux dont la parole est de
feu, ceux dont la parole est de lieu. Ceux du lieu sans feu sont
 les maîtres, froids. Ceux du feu sans lieu brû­lent éperdument…

                                                                                               Michel Ser­res, Le Par­a­site

 

*

 

En me repli­ant sur les mots, je délim­ite ce lieu pour en faire une serre chaude où, suiv­ant l’état de 
mon angoisse, les bruits de la ville se répan­dent comme amor­tis et s’étendent à une vitesse variable 
comme des végé­ta­tions capricieuses tan­tôt fluettes, tan­tôt grasses. 
Ma serre chaude est un lab­o­ra­toire. Les bruits, qui ne sont rien par eux-mêmes, y deviennent 
vis­i­bles par vagues, par four­mille­ment, par per­les, par monts. Quand, les jours d’insomnie, l’esprit
ne peut se repos­er dans la prox­im­ité bien­faisante de la mémoire, il attend de son angoisse que le 
voile tombe, aux mille formes, devant la fenêtre ouverte.
Sans doute ma mémoire, que vient touch­er cette matière agres­sive, se replie-t-elle, 
se réfugie-t-elle dans un lieu incon­nu. Et peut le soir, non se lever spon­tané­ment avec son lot d’images,
mais se rap­procher lente­ment de la fenêtre ouverte et respir­er lorsque les bruits de la route se taisent ou 
n’ont plus le pou­voir de bous­culer,  dehors, l’ombre plus sere­ine et plus pâle.

Mais par­fois la nuit tombée, ces bruits vien­nent s’amalgamer comme des fumées à la lumière 
bien­faisante de ma lampe. Comme dans un rêve, l’esprit ne sent plus la bar­rière qui sépare le 
dedans du dehors qu’il absorbe con­tinû­ment et peut venir se réchauf­fer dans l’air. Et s’il tente de 
s’approcher de la source de ces bruits pour l’étudier, il ne le peut : l’épreuve est au-delà de ses 
forces. Mais lorsqu’il s’en détourne pour chercher ses mots et creuser, ils retrou­vent, ces bruits, 
toute lat­i­tude et, s’aventurant dans l’espace réso­nant de ma cham­bre, restituent à l’or­eille, aux 
mots de plus claires visions. 

 

Et si, pour vous, ces mots se détachent noir sur blanc pour dire leur absence, ils con­stituent pour 
moi la couche, la mem­brane la plus super­fi­cielle et la plus essen­tielle de ces formes. C’est eux qui 
les font reluire et ressem­bler à ces bijoux mul­ti­col­ores tail­lés d’une main habile qui imi­tent les 
fruits, les fleurs et autres végétaux.

 

*  

 

L’aigu­il­lon

Vous bal­ancez molle­ment, vous gig­otez, on ne sait quelle parole vous échangez avec le vent. Puis 
tout rede­vient immo­bile silen­cieux. On sent alors tant de las­si­tude peser sur vous. Car vous pendez 
déjà… et quand vous tomberez ma main con­tin­uera sans vous à grat­ter sous mon front dégar­ni (car
lorsqu’on cherche, dedans son œil la flamme exténuée, on vous trou­ve devant soi comme au fond 
d’un miroir une main sec­ourable agite sa lanterne).

 

*  

                                                                             

Oui, creuser. Et sans aller chercher trop loin appro­fondir notre coïn­ci­dence. A chaque fois le même 
geste, en m’ex­auçant dans l’heure, nous soude l’un à l’autre.

Car si je m’é­clipse en cédant au devoir d’écrire mon geste me recon­duit tou­jours là où m’attendent 
pour me faire signe les choses vues cent fois et cent fois délais­sées. Et dans cette exacte proportion 
entre elles si hum­bles et moi dimin­ué après m’être ingénié là où il n’y a rien à voir à dire se lève le 
paysage. Mon regard s’est posé sur lui comme un oiseau pour y faire son nid d’expédients.

 

*

 

Mais quand le ciel est cou­vert, que tout est silen­cieux, quand le feuil­lage est immo­bile, on est 
comme hébété frap­pé comme si dans le feuil­lage on pressen­tait l’éclair, cou­vait l’orage (à côté les 
lilas ont fleuri). Et si forts ces arbres peut-être cen­te­naires… et cepen­dant il pend là immobile 
comme un prodige.

 

*    

                                                                           

Cette lour­deur aujourd’hui, est-ce un sou­venir qui pèse comme un fruit encore vert ? On ne sait. Et 
l’on attend que la nuit désem­parée s’achève pour voir tomber les vieux airs de notre enfance. Au 
lieu que la main nous retenant au fond de la tanière nous lâche tout à coup au milieu d’un con­cert de 
bruisse­ment d’autobus de sirène d’oiseau.

 

*  

 

Être comme une bête aveu­gle qui flaire le mufle à terre (oubliant le coup d’aigu­il­lon qu’elle a reçu) 
et qui s’arrête pour repar­tir du même point en redres­sant la tête et pos­er sur le soir de grands yeux 
étonnés.

Ces arbres ne sont là que pour celui qui cherche tout le jour. Peut-on se redress­er sans un signe de 
vous… sans un signe… pour prof­iter encore du don que vous nous faites au soir d’été… personne 
dans le jardin, aucun bruit sur les routes.

 

*

 

Notre poésie est retournée dans le giron de la nature. Mais elle porte l’empreinte de la modernité. 
Ambitieuse elle est sor­tie affaib­lie de sa lutte. Elle est pau­vre elle est pâle et médiocre devant celles 
qui l’ont précédée. Elle creuse mais n’a plus la force de se sou­venir. Mais elle pré­tend tir­er de 
l’oubli ses ressources hal­lu­ci­na­toires qui le jour la diver­tis­sent et attend le soir pour se contenter 
d’un accoudoir où se repos­er en regar­dant silen­cieuse­ment par la fenêtre ouverte d’humbles et 
pais­i­bles paysages à l’horizon borné un arbre une façade baignés dans la pâleur du soir.

                                                     

 

Extrait (vari­ante) de Par la fenêtre je me suis fait feuillage
Édi­tions Unic­ité (2017)

 

Présentation de l’auteur

Fabien Marquet

Biogra­phie :

Né en 1974 en Isère, Fabi­en Mar­quet vit actuelle­ment à Per­pig­nan. Il a étudié les let­tres et la philoso­phie. A exer­cé divers petits boulots. Touché à l’en­seigne­ment avant de se con­sacr­er au théâtre et à l’écriture.

Bib­li­ogra­phie :

En revue :

Europe, A l’In­dex, Les Cahiers du Sens, Les Cahiers de l’U­ni­ver­sité de Per­pig­nan (PUP), Les Impromptus.

Chez un éditeur :

-Par la fenêtre je me suis fait feuil­lage, Édi­tions Unic­ité (2017)

-La Main sur l’essieu, Encres Vives col­lec­tion Encres blanch­es (2017)

-Cent noms d’oiseaux que je n’ai pas appris, Encres Vives (2015)

-Chemin n’est que pous­sière (suivi de La rose Cray­on­née), inédit

-Renais­sance et je me dis ce mot sera bien le dernier, inédit

Son tra­vail (Par la fenêtre je me suis fait feuil­lage, Chemin n’est que pous­sière) inter­roge le rap­port de dépen­dance de l’homme (des villes) à la nature, leur prox­im­ité. Le motif du jardin, lim­ite de l’e­space urbain, y occupe dans son ambiguïté une place cen­trale, à la fois comme miroir et comme lieu d’é­man­ci­pa­tion (par le biais notam­ment des  images dont il est le creuset).

On peut retrou­ver un aperçu de son œuvre sur son siteLe temps de l’a­madou(https://letempsdelamadou.com)

 

Autres lec­tures

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