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Florence Saint Roch, L’Invention du jardin (extraits) et autres textes

1/Extraits deL’Invention du jardin, Les Cahiers du Museur, 2016.

 

  

D’en haut le jardin

Depuis la mansarde ouverte

 

 

Le cerisier s’élance

On le reçoit en pleine face

 

L’épaisseur de ses feuillages

La puissance du vert

Données là

 

 

Sa densité nous éprouve

On creuse la sensation

 

 

On se tient au rebord de la fenêtre

Non qu’on ait le vertige

Seulement cette modestie

Qui nous vient

 

 

Le jardin occupe tout l’espace

 

On observe  le silence

Un silence solide et précis

Que dans sa hauteur

Il nous prescrit

 

 

Il se laisse détailler

 

 

Il faut bien le reconnaître

On est un peu dépassés

 

Même si les murs font leur important

Il respire plus large qu’eux

 

D’aplomb pulsé jusqu’à nous

 

 

On n’a jamais essayé d’engager conversation

Certains paraît-il s’y entendent

Pour parler aux arbres aux oiseaux

 

On n’en est pas là

 

 

L’évidence devant nous

Le jardin comme il est

Sans qu’on y soit pour rien

 

 

La pelouse s’est oubliée

Depuis longtemps

Entre les murs immobiles

 

Lui tout ouvert

Tenace dans ses développements

 

 

Pas facile de trouver

Le jardin d’où l’on vient

 

 

Ceux qu’on avait traversés avant

Si décevants à chaque fois

 

Celui-là

On l’a reconnu tout de suite

 

 

Son fouillis nous confirme

 

Après tant de tentatives

Notre jardin premier

 

 

 

2/Extrait d’Embarque, Les Venterniers, 2017.

 

 

jette-toi à l’eau il fait nuit encore qu’importe monte dans ton bateau sans rame ni voile ni gouvernail pliées les vergues et les bâtardes relégués les cordages oublie manœuvres courantes ou dormantes sans aide et sans recours ose les tours et les détours les passes improbables les impasses certaines n’aie pas peur la rivière te prend aujourd’hui ni arrêt ni escale qu’importe si la dérive est bon plein ou travers tu cours ta plus belle chance ta volonté se suspend en advienne que pourra quelle sera l’arrivée quel sera l’arrivage ne t’en inquiète pas en cette affaire tu ne décides rien réduits à néant ta commande et ta gouverne ton avis ton suffrage ton ordinaire hâte ta précipitation si souvent tu regimbes renâcles à obéir mais cette fois cela va de soi cette parole est faite pour toi embarque laisse tout là

 

 

3/ Premières pages d’Éclipses, à paraître chez Vincent Rougier, juin 2018.

 

1

 

Tandis que le ciel
Lentement vire au gris
Autour s’éloigne s’assombrit

 

Des bandes d’étourneaux s’affolent
Vrombissements d’insectes
Brassages à l’étourdie

 

Plus rien là-haut qui tienne
Avec ce soleil en train de disparaître

 

 

En cette heure particulière
L’espace s’est amolli
La lumière devenue confondante
Le monde flou et circonspect

 

On comprend l’inquiétude des oiseaux
Comme eux on oscille
Entre ce qui n’est plus
Et ce qui va venir

 

 

2

 

Gris tendu sans un nuage

 

On se sent dessaisis
En suspens
Dans cette lumière étrange

 

Oubliés la transparence et l’éclat

 

 

 

Les cris des oiseaux se perdent

 

Vols désordonnés
Trajectoires nerveuses
Comme pour vérifier que le ciel
Reste le ciel

 

 

À chaque déroute pense-t-on
Son explication

 

 

 

3

 

D’un coup la folie de l’air se tait

 

 

L’estompe s’est généralisée
Le ciel vidé de ses occupants
La lumière tout entière partie
De l’autre côté

 

 

Avec ce gris d’argent de tantale
Immobile au-dessus de nos têtes
On accède à un moment
D’avant le premier jour
L’éternité avant qu’elle ne songe
A devenir le temps

 

 

 

On entre dans de nouvelles considérations
Impressionnés de voir dehors
Ce qui se passe souvent
Dedans

 

 

 

4/ Rouge peau rouge, premières pages, en préparation pour Tarabuste.

 

 

On fait corps avec lui

 

 

Rouge dedans rouge dehors

On n’est pas très doués

Pour la dissimulation

 

Toujours il bouge

Variables son épaisseur

Ses rapides ses coups d’éclat

 

On ignore les pâleurs diffuses

Les mondes décolorés

 

 

On vit rouge

 

 

 

 

 

 

 

 

I

Notre sang parle vif

 

Nos jours comme notre peau

Cinabre posé dans son cri

 

 

 

La plaine s’étire devant nous

On ne s’y perd jamais

 

On l’aborde dans les grandes largeurs

Les chevaux la terre brûlée

Les herbes concises

 

 

 

L’impalpable est notre cause

 

On est des drôles d’Indiens

 

 

 

Nos campements sont provisoires

On s’établit dans la course et le saut

La source et sa suite

 

On n’a pas grand-chose entre les mains

Juste un peu de terre

Et contre nos dents

L’amertume des baies sauvages

 

On efface nos traces derrière nous

Notre usage du monde

Tenu et léger

 

Un jour bien obligé

Nous partirons en fumée

Ne restera de nous qu’une poignée de braises

Confiées au vent

 

 

 

On n’a jamais rien déserté

 

L’air vibre sec et court

Déplace la poussière

Fer et souffre mêlés

 

 

 

Rouge esprit

Infusé en tout

 

On fait face

Notre totem planté là

Devant tous

 

Nos colères sont derrière

Flèches au carquois

Bien serrées dans le dos

 

 

 

Que le vent se mette à parler haut à la plaine

Avec lui on flaire les pistes

On déchiffre le secret

Des présences passagères

 

On devine  l’arbre

Tout entier contracté

Dans la graine

 

Sans le voir on sait le torrent

Là-bas qui s’ébroue et attend

 

Les mots comme des images

Oracles courageux

 

 

 

Qu’importe si nos fables paraissent rafistolées

Les voix qu’on entend sont si confuses

Si difficiles à démêler

 

Elles soufflent dans le feu qui crépite

Le frémissement des viornes

L’envol tranquille des oiseaux

 

On n’a pas peur d’elles

 

Avec constance

On leur paye notre tribut

 

 

Poissons plantes fruits gibier

Toutes choses à leur place dans le grand cercle

 

Nous séparer de la terre

Serait comme vendre l’air et les nuages

 

Sûr qu’on est ici

Pour de bonnes raisons

 

 

 

L’autre monde est là

Prêt à sortir de sa réserve

 

Si un jour il nous paraissait petit

C’est que nous aurions diminué