Francis Coffinet, Le signe vertébral sécable

Par |2023-01-06T13:22:58+01:00 28 décembre 2022|Catégories : Francis Coffinet, Poèmes|

Poésie et Fic­tion­nal­isme scientifique

Ou cette part du souf­fle glis­sée dans la mort que l’on incise.

***

1/ Si l’on con­sid­ère la sub­stance de notre lende­main comme l’unique pos­si­bil­ité de  nous iden­ti­fi­er dans le temps, nous pou­vons alors ten­ter par le sub­terfuge de la langue poé­tique d’en entrou­vrir la cham­bre, que nous définirons comme secrète : glisse­ment à l’intérieur de notre bouche d’un cail­lot de verbe qui pour­ra  déploy­er dans notre corps frac­tal et fic­tion­nel  [éter­nel ] le principe act­if romanesque, la for­mule chim­ique: le sel des possibles. 

Tous les écrits sacrés sont nés ce même principe de Fondation.

L’écriture comme nou­velles tables de la loi revient, con­glomérée, comme un boomerang vers la grande épopée romanesque de chacun.
Elle nous  fixe ain­si  un coin dans le cœur — et  le tient entrouvert — 
Elle vam­pirise le vide  et nous assure une descen­dance  réelle dans la pensée. 

2/  Le jour où nous pour­rons mesur­er les con­stantes san­guines de nos rêves nous remon­terons le fleuve des morts.

La fic­tion est en quelque sorte un art quan­tique, et la rétine  est pour cha­cun «  la boîte de Schrödinger ». Qui  se risque à bris­er l’oeil con­naî­tra la fin de l’histoire. 

Dans l’enlèvement de Patro­cle par Achille de Fus­sli / on assiste à un com­bat cos­mique où à l’inverse des  straté­gies déployées en ce monde la fic­tion aspire  notre vie et notre sang.

« Vis­ite l’in­térieur de la terre ». · « En rec­ti­fi­ant ». · « Tu trou­veras la pierre cachée. » peut on enten­dre dans la tradition.

« Avec de l’ici on biffe du là-bas » écrit Michaux 

Il faut non seule­ment analyser toutes les com­bus­tions mais sans relâche jeter la fic­tion  dans le foy­er du réel pour l’alimenter et ten­ter la mise en orbite du sens.

“Patience, patience, patience dans l’azur ! Chaque atome de silence est la chance d’un fruit mûr !” écrit Paul Valéry- Notre his­toire c’est aus­si  cette patiente obser­va­tion de la ger­mi­na­tion des sym­bol­es… [ à regarder longue­ment mûrir la foudre  on en devient le maître plus que la victime].

3/ Mâch­er la fic­tion comme du kath, en écras­er les aspérités sous la dent , et avancer, à tâtons , dans le sys­tème nerveux central. 

Ain­si nous con­duisons le Vais­seau fan­tôme dans les coronaires.
Nous hissons le grand mât du fic­tion­al­isme à hau­teur du réel — et nous pou­vons répon­dre au chant des fées qui nous appelle.

Paul Élu­ard intro­duit une phase qua­si­ment choré­graphiée du verbe :« On rêve sur un poème comme on rêve sur un être »  / ain­si il existe une séman­tique géni­trice dans l’écriture, ( une cap­ta­tions d’image(s) et de racines  qui équiv­audrait, par un geste de la main, à la cap­ture d’un papil­lon  en plein vol — / au réveil nous en gar­dons les traces sur les doigts/.
Figer  le vivant à hau­teur de lévi­ta­tion et de mytholo­gie comme un lac d’huile nous  met à l’arrêt tel un  fixeur devant le réel.

***

Un texte reprend forme comme une fleur de thé dans le pavil­lon de l’oreille et vient porter la promesse jusqu’en l’aire de Wer­nicke, là où se for­ment, en quelque sorte, la lave et  la com­préhen­sion du mot. Voilà ce qui ini­tie le nour­ris­son à la durée et à la con­struc­tion du soi.
Un monde de chair nom­mé croît dans le jardin des fic­tions . Mais il faut le nom­mer et le renom­mer sans cesse afin qu’il persiste.

Con­cept per­cé au foret le jour ou trans­mis comme un onguent par  impo­si­tion du verbe la nuit. Golem et cat­a­plasmes de terre humide ne nous quitte plus. Il faut savoir se bat­tre avec la fièvre [ derme, épi­derme et organes] comme avec un tigre.

4/ Muta­tion de l’être / lent déplace­ment  dans l’espace men­tal, il n’en tient qu’à nous que la choré­gra­phie du mot ouvre un geste, une échap­pée dans le monde physique. Le léviathan som­meille tou­jours à nos pieds. 

Nos corps prêts à danser sous l’impulsion de la sec­ousse tel­lurique qui dessi­nent notre futur par frottis. 

L’épistémologie, c’est le babil des dieux.

Une sym­bol­ique des arcanes de la séman­tique et de la gram­maire qui à chaque fois  donne un tirage différent.

Ce nou­veau codex recèle sur le rec­to de chaque page les grif­fures écrites et sur le ver­so la cristalli­sa­tion de la matière même du vivant. Le papi­er qui porte l’une et l’autre, c’est cela que nous appelons fiction. 

***

Le livre de la grande sci­ence humaine se tien­dra là, ouvert,  tant que quelqu’un pour­ra sans hésiter, sans peur du risque, se saisir à main nue de la lame aigu­isée qui à la fois pour­rait lui ouvrir les veines et lui per­me­t­tre en même temps la découpe de cha­cune des pages. 

Toute la sub­stance du temps , selon saint Augustin, tient dans l’in­stant indi­vis­i­ble qu’est le présent.

***

« C’est l’alouette ou c’est le Rossig­nol ?  » écrit Shake­speare dans Roméo et Juli­ette bien avant que Deleuze et Guat­tari ne songent à mêler ( dans la philoso­phie du rhi­zome) le chant des deux oiseaux don­nant ain­si tous  trois la réponse dans une même trille. 

***

Poèmes extraits du Signe vertébral sécable

Le corps non exempt de corps

et l’œil :  petit cad­ran qui implose

 sous la ligne de flot­tai­son du visible.

Pre­mier principe alchimique :

à chaque fois que tu me tournes le dos, une sai­son se fane -

ou bien : 

en raclant les cel­lules de l’intérieur de la bouche 

on y trou­ve ton sché­ma, ta crête biologique-

ou encore : 

ouvrant une toute petite trappe dans ta joue

                       j’y glisse un des­tin à ton insu. 

  ∗

Une langue pour désapprendre,

une langue, à l’inverse du baiser,

 pour dénouer une à une les 

                                   ban­delettes du sens.

Lig­a­ture

 

parole dis­soute 

 

lumière criblée de sel

 

petit ange lingual.

 

Grain de fleur et pres­sion sur la pha­lange de la tendresse-

 

l’aube évide le jour de sa matière

 

- dans cha­cun de tes os résonne l’une de tes vies –

 

qua­tre baies posées sur ton corps suff­isent à m’en ouvrir les portes.

Toute lumière s’accroît de la somme des sourires qu’elle incise-

une chirurgie sans fin

où chaque corps touché reste en équili­bre sur le fil –

je mords la chair

j’ouvre les deux plaies

j’appelle en toi tous ceux de l’intérieur-

le poids de chaque organe est un code chiffré :

même den­sité pour le cœur, l’âme et la rétine.

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Francis Coffinet

Fran­cis Coffinet est un acteur, poète et plas­ti­cien français.

Il a tourné dans de nom­breux films de fic­tion [ciné­ma, télévi­sion] et par­ticipe régulière­ment à des enreg­istrements radio, pour France Cul­ture notam­ment, ain­si que pour d’autres pro­grammes et sup­ports. Il inter­vient égale­ment sur scène lors de lec­tures (spec­ta­cles de lit­téra­ture et de théâtre).

Il est auteur et a écrit à ce jour une trentaine d’ouvrages / Poésie (livres clas­siques et livres d’artiste) beau­coup ont été traduits en de mul­ti­ples langues – il est présent sur la scène inter­na­tionale et dans les émis­sions lit­téraires et fes­ti­vals de lit­téra­ture. Indépen­dam­ment de cela, il est directeur de la col­lec­tion « Les Cahiers Bleus / unicité ».

Son par­cours plas­tique et pho­tographique est en quelque sorte une pour­suite du poème par le signe. Ses travaux sont dif­fusés sur des sup­ports tra­di­tion­nels, mais égale­ment con­tem­po­rains (on peut le retrou­ver dans de nom­breux livres, galeries, revues, lieux con­sacrés et sur­faces virtuelles).

  • Le corps s’occulte, Bran­des, 1982.
  • Instants, Bran­des, 1984.
  • D’air et de boue, Les Cahiers bleus, 1985.
  • La terre et la tempe, bilingue fran­­co-bul­­gare, tra­duc­tion par Nico­laï Kantchev, Les Cahiers bleus, 1992.
  • L’argile des voy­ous, Le Mont Ana­logue, 1993.
  • Une aigu­ille dans le cœur, Le Givre de l’éclair, 1996.
  • Con­tre le front du temps, Le Mont Ana­logue, 1997.
  • Marche sur le con­ti­nent en veille, bilingue fran­­co-roumain, tra­duc­tion par Horia Bade­s­cu, Les Cahiers bleus, 1998.
  • Je t’ai con­stru­it dans la promesse, bilingue fran­­co-anglais, tra­duc­tion par Patri­cia Nolan, Ana­grammes, 1998.
  • Les Armes du silence, Édi­tions L. Mau­guin, 1999.
  • Épreuves chamaniques, Ali­dades, 2006.
  • Les Fleuves du six­ième sens, Dumerchez, 2006.
  • Je suis allé au soufre natif, Zurfluh/Cahiers Bleus, 2009.
  • Les Ambas­sades du vide, L’Or­eille du Loup, 2010.
  • Je t’ai con­stru­it dans la promesse, réédi­tion, Les Ambas­sades du vide, 2011.
  • La nuit tri­an­gu­laire, Ali­dades, 2014.
  • Voyageurs des sept songes, Ali­dades, 2014.
  • Je suis de la mai­son du songe, pré­face d’Alain Bor­er, édi­tions Unic­ité, 2020.
Livres d’artiste
  • Une fleur sous l’acide, pein­tures de Jean-Pierre Thomas, 2000.
  • En une seule nuit, La tiédeur des formes, La mys­tique du rossig­nol, Brocéliande, Qua­tre livrets numérotés man­u­scrits et peints par J.P. Thomas. Col­lec­tion « Papil­lons », 2004.
  • Ligne de vie en rhi­zome, avec qua­tre gravures de Thérèse Bou­craut, 2005.
  • Une grande réso­lu­tion vibrée, La table des sim­ples, Un champ de sel où tu te roules, avec J.P. Thomas. Col­lec­tion “Les éven­tails Mal­lar­mé”, 2006.
  • J’incise le défi, lith­o­gra­phies de Jérémy Chabaud. Edi­tions du Mau­vais Pas, 2008.
  • Aux effluves comme aux estu­aires, pein­tures d’E­wa Wellesz-Car­ré, Tran­signum, 2010.
  • J’ou­vre les soli­taires dans leur longueur, pein­tures orig­i­nales de Gérard Serée. Ate­lier Gestes et Traces, 2011.
  • Je lis ton his­toire à tra­vers la finesse de tes paupières/Leggo la tua sto­ria attra­ver­so la sot­tigliez­za delle tue palpe­bre, avec Gius­to Pilan, édi­tions Le Cinigie, Vicen­za, 2012.
  • Un requiem dans le viseur, avec Wan­da Mihuléac, Tran­signum, 2012
  • Per­fu­sion d’ob­scur, avec des pho­togra­phies de Mireille Pélindé Rian, 2014
  • De quelques pra­tiques mag­iques sur les corps, édi­tions Entre Terre et Ciel, 2016
  • La fleur me ralen­tit, avec des encres de Danielle Loisel, édi­tions Signum, 2018
Tra­duc­tions
  • Adap­ta­tion de Print­emps et ashu­ra de Ken­ji Miyaza­wa. Tra­duc­tion du japon­ais par Françoise Lecœur, Fata Mor­gana, 1998.

Filmographie

Cinéma

  • 1989 : Deux de Claude Zidi
  • 1990 : Il gèle en enfer de Jean-Pierre Mocky — Le chasseur
  • 1991 : L’Opéra­tion Corned-Beef de Jean-Marie Poiré — Georges Favart
  • 1993 : Tox­ic Affair de Philomène Esposito
  • 1994 : Trois Couleurs : Blanc de Krzysztof Kies­lows­ki — L’employé de banque
  • 1996 : Un same­di sur la Terre de Diane Bertrand — Huissier 1
  • 1996 : Les Deux Papas et la Maman de Jean-Marc Long­val et Smaïn
  • 1997 : Fran­corusse de Alex­is Miansarow
  • 1997 : La Bal­lade de Titus de Vin­cent De Brus
  • 1997 : Ton­ka de Jean-Hugues Anglade — Le juge
  • 1999 : L’A­mi du jardin de Jean-Louis Bouchaud — L’ad­joint au maire
  • 2000 : Mer­ci pour le geste de Claude Far­al­do — Le commissaire
  • 2000 : Quand on sera grand de Renaud Cohen
  • 2000 : Les bûch­ers qu’on ignore de Vanes­sa Bertran et Diane Morel — Le porti­er — (court métrage) -
  • 2001 : Les Jolies Choses de Gilles Paquet-Bren­n­er — Réceptionniste
  • 2004 : Albert est méchant de Hervé Palud — Le contrôleur
  • 2006 : Mon cher voisin de Julien Eger — (court métrage) -
  • 2006 : Jean-Philippe de Lau­rent Tuel — Missonnier
  • 2007 : Les Vacances de Mr Bean, de Steve Ben­delack — le croquemort
  • 2009 : Ban­lieue 13 : Ulti­ma­tum de Patrick Alessan­drin — Le comptable
  • 2010 : Les Aven­tures extra­or­di­naires d’Adèle Blanc-Sec de Luc Besson — Le doc­teur égyptien
  • 2010 : Opéra­tion 118 318, sévices clients de Julien Bail­largeon — Jacques Leandri
  • 2010 : La Blonde aux seins nus de Manuel Pradal — Le journaliste
  • 2010 : Les Mains baladeuses de Noémie Gillot — (court métrage) -
  • 2014 : Le Dernier Noël de Har­ry Bozi­no — L’in­specteur du tra­vail — (court métrage) -
  • 2016 : La Papesse Jeanne de Jean Bresc­hand — L’évêque affable
  • 2016 : Entre­tien avec Jean Croque de Marc Charley et Pierre Sullice -
  • 2018 : Tout le monde debout de Frank Dubosc — le Prêtre

Télévision

  • 1989 : Les Nuits révo­lu­tion­naires (TV Mini-Series)
  • 1990 : Haute Ten­sion — épisode : Les amants du lac (série TV)
  • 1991 : Cas de divorce — épisode : Belfort con­tre Belfort de Gérard Espinasse (série TV) — Paul Belfort
  • 1991–1993 : Mai­gret (série TV) — 2 épisodes : 
    • 1991 : épisode 1 : Mai­gret et la grande perche de Claude Goret­ta — Dambois
    • 1993 : épisode 7 : Mai­gret et les caves du Majes­tic de Claude Goret­ta — Désiré
  • 1998 : Le rachat de Pierre Boutron — Huissier maître Germond
  • 1998–2013 : Le juge est une femme (TV Series)
  • 2000 : Blague à part — épisode #2.4 : Au bal masqué — Le réparateur
  • 2002 : L’En­volé, télé­film de Philippe Venault
  • 2006 : Fête de famille — épisode 3 : Quand on a tout pour être heureux — L’huissier
  • 2006 : Avo­cats & asso­ciés — épisode : Plaisir fatal de Denis Mal­l­e­val — Le juge Blanchard
  • 2008 : Duval et Moret­ti (TV Series) — Drôle de jus­tice — Le médecin légiste
  • 2009 : Reporters — Episode #2.4 — Concierge club privé
  • 2009 : Au siè­cle de Mau­pas­sant : Con­tes et nou­velles du XIXème siè­cle — épisode : Claude Gueux de Olivi­er Schatzky — L’homme élégant
  • 2009 : Ce jour-là, tout a changé — épisode 2 : L’é­va­sion de Louis XVI d’Ar­naud Séli­gnac — Bailly
  • 2010 : Notre Dame des bar­jots, télé­film de Arnaud Séli­gnac — Proviseur
  • 2012 : Pro­fi­lage — épisode : Le plus beau jour de sa vie de Alexan­dre Lau­rent — Pro­fesseur Leroy
  • 2013 : Blessures invis­i­bles: 1ère par­tie de Éric Le Roux — Médecin légiste
  • 2016 : Chefs — sai­son 2 — Le sénateur

Autres lec­tures

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