LIRE CHARLES RACINE AUJOURD’HUI

Charles Racine (1927–1995) est un poète suisse dont l’œuvre fut par­tielle­ment pub­liée de son vivant. Out­re une pla­que­tte, Sapristi, (Zürich, Hür­li­mann, 1963), il pub­lia sous son nom deux livres : Buf­fet d’orgue (Zürich, Hür­li­mann, 1964) et Le Sujet est la clair­ière de son corps (Paris, Maeght, 1975). Il col­lab­o­ra par ailleurs à de nom­breuses et pres­tigieuses revues en France, dont Le Nou­veau Com­merce, La Tra­verse, L’ÉphémèrePo&sie et Argile.

Il fut ain­si le con­tem­po­rain ou l’ami de nom­breux poètes qui écrivirent l’histoire de la poésie des années 60 et 70, comme Jacques Dupin, André du Bouchet, Jean Daive ou Michel Deguy, et fut soutenu par d’éminents cri­tiques tels Georges Poulet ou Jean Starobin­s­ki, pour ne citer que quelques noms. Jusque dans l’effacement de ses écrits, Charles Racine et sa langue « posthume » témoignent de l’existence de la poésie. Cette œuvre qui sem­blait vouée au secret est désor­mais sor­tie de l’ombre où se tient l’étincelle du poème qui luit sous un Ciel éton­né. Ce fut le titre du recueil posthume qui reprit en 1998, à l’initiative de Mar­tine Bro­da et de Jacques Dupin, Le Sujet est la clair­ière de son corps (Maeght, 1975) avec les prin­ci­paux écrits de Charles Racine pub­liés dans dif­férentes revues français­es. Ain­si dans sa tra­jec­toire soli­taire avait-il croisé l’aventure édi­to­ri­ale de la revue L’Éphémère créée sous l’impulsion de l’éditeur d’art Aimé Maeght. Avec le souci d’interroger la matière du poème, élargie à la ques­tion de l’art, l’écriture de Charles Racine trou­va un port d’attache tem­po­raire dans les pages de L’Éphémère puis de la revue Argile, de promet­teuses revues qui accueil­lirent ses textes grâce aux ren­con­tres avec les poètes de l’époque. L’étonnant recueil qui parut aux édi­tions Maeght en 1975 don­nait à lire un sub­til assem­blage de textes, véri­ta­ble alliage poé­tique accom­pa­g­né de qua­tre gravures d’Eduardo Chill­i­da. Par-delà son titre générique, Le Sujet est la clair­ière de son corps, ce recueil qui n’ouvrira pas un chemin vers d’autres pro­jets de pub­li­ca­tion, con­stitue en lui-même un art poé­tique, et à sa manière sin­gulière d’exister, « un lieu hors de tout lieu », ain­si que le définit le poète et ami Claude Este­ban. Cette excep­tion­nelle pub­li­ca­tion reste pour les écrits de Charles Racine qui se pour­suiv­ront dans un retrait de plus en plus mar­qué jusqu’aux années 1990, un espace unique de dévoile­ment qui ne lais­sa pas indif­férents les lecteurs du moment. Ain­si ce fut dans le pre­mier numéro d’une nou­velle revue fondée en 1977 par Michel Deguy, la revue Po&sie, que parurent en ouver­ture un ensem­ble de poèmes de Charles Racine datés de 1942 à 1968. Cette poésie vouée à l’exil de l’écriture et qui met en ques­tion la lec­ture même du poème jusque dans le sus­pens d’une langue qui s’abîme dans ses repris­es inces­santes, a pris le risque d’exposer son échec, sans jamais oubli­er l’injonction de Paul Celan dans son dis­cours Le Méri­di­en pronon­cé le 22 octo­bre 1960 : « Prends plutôt l’art avec toi pour aller dans la voie qui est le plus étroite­ment la tienne. Et dégage-toi. »

 

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Les Carnets d’Eucharis

Conçue sous forme de trip­tyque, cette pub­li­ca­tion rassem­ble tous les arti­cles pub­liés dans les numéros annuels des Car­nets d’Eucharis des édi­tions 2016 et 2017, aug­men­tée en 2018 de doc­u­ments inédits, dont un long entre­tien avec Gudrun Racine, l’épouse du poète, déposi­taire des Archives Charles Racine à Zurich. Placée sous le signe de « la ren­con­tre de Charles Racine », elle a pour des­sein d’éclairer les lecteurs autant sur la vie que sur l’œuvre d’un poète longtemps dissimulé.

Des arti­cles, des poèmes, des let­tres, des notes, des man­u­scrits, des entre­tiens et des témoignages ont aidé à la réal­i­sa­tion de cet ouvrage excep­tion­nel dif­fusé en France et en Suisse. Cette édi­tion spé­ciale « Charles Racine – Dans la nuit du papi­er » con­stitue la pre­mière mono­gra­phie con­sacrée au poète suisse et a été pub­liée en décem­bre 2018 avec le sou­tien de la Fon­da­tion Jan Michal­s­ki par la revue Les Car­nets d’Eucharis que dirige Nathalie Riera. Cet hom­mage a été́ ren­du pos­si­ble grâce au con­cours de ceux qui ont été́ proches du poète, mais aus­si de ceux qui ont pressen­ti une œuvre à venir.

 

Les Car­nets d’Eucharis, édi­tion spé­ciale « Charles Racine — Dans la nuit du papi­er », 104 pages (dont un Cahi­er visuel de 8 pages), 2018.

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BRÈVE ANTHOLOGIE DES ÉCRITS DE CHARLES RACINE

Légende posthume

Lorsque je viens
les cail­loux craquent
sous mon pas
mes mains cherchent
ton endroit sur la pierre
ami où es-tu ami sous la pierre

le silence des fleurs blanch­es est-ce ta voix
le mur­mure de la feuille ta joie de me voir
est-ce la plume qui court
sur les ombres les feuilles couchées dans les fleurs
les mots que tu laisses

le souf­fle chaud qui s’ap­puie à mes jambes
est-ce la caresse d’une vie
les larmes qui baig­nent la fleur
est-ce l’ivresse de ces lieux
est-ce le long de ta mort
que s’in­cline ton ami

1953, Charles Racine, extrait de « Le Sujet est la clair­ière de son corps »,
in Légende Posthume, Édi­tions Grèges, 2013, p.21.

 

Charles Racine – Légende posthume, Édi­tions Grèges, 2013.

 

Poésie tu donnes lieu à la rescision
Tu l’ac­com­plis cet acte
Que ne me reste-t-il quelque mie
sur la page Poésie tu es pulpe
jusqu’à même les con­tours de ton corps
présence tran­chante d’avoisinage
du corps médiatif
qu’elle assume d’ailleurs incorpore
Non que ne me reste-t-il quelque mie sur la page
sinon que rap­a­tri­ant qui ne vient
dans mes poches
le cray­on se déploie dans l’hyp­nose sèche
moi au bas de ses moyens
du bas de ses moyens regar­dant vers le stylite
Je ne suis que cette girouette
qui par­fois déploie un bras
qui l’at­trape à la nuque qui ne laisse rien. 

 

1964, Charles Racine, extrait de Légende posthume, Édi­tions Grèges, 2013, p.74.

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mon traîneau d’enfance s’est perdu
je pleure plus fort que d’enfance
je l’avais alors pleuré ce traîneau
je le pleure plus fort que de neige
je ne saurai jamaisle breuvage
dont je suis en reste
qui me cède à l’écart
où j’emblave une panique

 

//

 

Les signes à pleines mains dressent
leurs bar­rières dans la houle
Un divin naufrage est souhaité
mais le poème est face à ces lames
qu’abandonne la mer qui se retire
Économie du trait évo­quant le relief
Des mains adressent leur paume
au pont qui chante et s’illumine
dans la voirie

 

//

 

je suis un livre
ouvert à la lecture
pour­suiv­ie et pour­chas­sée inhumée
filet de vie qu’affirme le pas­sage de la grille
de vie qui s’élit
sur le par­cours infirme
au fil des pier­res tombales

 

1964, Charles Racine, extrait de Légende posthume, Édi­tions Grèges, 2013, p.58, 59, 60.

 

//

 

Soleils frais blanchissent
ce regard que baigne la rivière
qu’elle met en montagne
absence qu’elle met dans la neige
pour recevoir la jeune fille
quié­tude qu’investit l’hiver
cou­vre le creux qui cerne l’être
dés­in­vol­ture que par­courent les cernes
de l’arbre qu’ils n’aient ramené l’étendue
déso­la­tion tracée dans la terre
ne leur vienne choyée
qu’ils ne lais­sent tomber l’hiver
sur une branche ramassé

 

1967, Charles Racine, extrait de Légende posthume, Édi­tions Grèges, 2013, p.102.

 

//

 

[AUTOBIOGRAPHIE]

Étant corps éclairé du sujet qui en est la clair­ière, corps abrégé qui danse
à la lueur du sujet, eau ver­sée corps ver­sé dont le sujet est la clairière

L’eau me dompte me singe  La nuit-le corps s’empare d’une corde dont elle
joue  Et l’heure tôt apparue  Clair­ière de l’eau ver­sée, du corps versé

Ériger la for­mule  Stature de l’homme

Ain­si la nuit-le corps emportée par une lueur qui me révèle

Tout règne et songe  La let­tre pleure ailleurs par­fois pleure sous une horloge,
vacance du temps qui lui serait sujet, dont elle serait sujette ?

Le sujet se penche sur la vit­re, d’où résulte un regard
Mourante qu’à tra­vers un regard ver­sé le chant me désigne

 

1974, Charles Racine, extrait de « Le Sujet est la clair­ière de son corps », in Légende Posthume, Édi­tions Grèges, 2013, p.189.

 

 

 

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Y a‑t-il lieu d’écrire ?

 

Je ne suis pas là moi-même.
Ma tête est un sabot,
une élision,
aux­quels on ne fait pas fête, il me semble.
Je ne crois pas aux poètes
qui pren­nent le sens, le pouls de la vie.
Il par­courait déjà des chemins de ronde.
Ces poèmes qui sont venus sous votre plume,
dans cette sit­u­a­tion priv­ilégiée, la plus étrange,
ce porte-à-faux poétique.
Il y a plusieurs années, j’avais écrit un texte
que je ne retrou­ve pas et vers lequel convergeaient
72 asso­nances : c’était la légende qui sous la plume
emmène par la main autant d’encre répandue.

 

1962, Charles Racine, extrait de « Le regard laiti­er », in Y a‑t-il lieu d’écrire ? Édi­tions Grèges, 2015, p.102.

 

 

Charles Racine – Y a‑t-il lieu d’écrire ? Édi­tions Grèges, 2015.

 

 

Chez AT
dis­sim­u­la­tion et sim­u­la­tion se portent
l’une vers l’autre affrontant, pour
l’amener à leur lieu de rencontre
le tra­jet des masques et de la simulation,
dans la syn­cré­tude (syn­crétisme)
du regard plis­sé (de l’œil plissé),
en quelque sorte, défaite
temporaire–précaire de l’être capturé,
alors qu’il tue, dans sa visibilité,
par le regard qu’il dis­pute à la
per­sis­tance en laque­lle ce dernier
est intro­duit, insinué.

La lutte du masque (et de la métaphysique) : 
AT installe le con­flit (sa corrida) 
en ce lieu déporté de la let­tre, du tracé ;
du tracé de la lettre.

AT, c’est le masque troussé où se porte
l’assaut du masque.

AT installe le con­flit (sa corrida)
en ce lien déporté de la let­tre, du tracé ;
du tracé de la lettre.

Tout est répliqué.

 

1967, Charles Racine, extrait de « Ren­con­tre de Tàpies », in Y a‑t-il lieu d’écrire ?Édi­tions Grèges, 2015, p.208.

 

//

 

Sans cause je tra­vaille — une riv­ière tran­quille et subitement
la houle qui la grossit, empor­tant la vie et ses papiers de la berge,
prière auprès de la voirie toute-puissante —
quand la tristesse m’ac­ca­ble je traduis Hölderlin,
quand le sang émet sa fatigue, je traduis.

Pilo­tis, piquets, forêt de lances vers le ciel,
affir­ma­tions sur­gis­sant du sujet de la syncope.
Rien n’est moins loin­tain du voy­age à tra­vers lequel
j’en­tre­pris de me quitter.

1966/67, Charles Racine, extrait de « Ce qu’a tramé le pas », in Y a‑t-il lieu d’écrire ?Édi­tions Grèges, 2015, p.215.

 

//

 

Ce que j’écris sans déploy­er un mythe vers hier
oppose un frontal entête­ment à demain.
Que le cœur rabat­tu dans ces lignes pour­voie à sa sagesse !
L’heure suc­combe à l’heure.
Il y a dehors un soupçon qui règne, qui veille pour les hommes.
Pour moi, les yeux font le tour du regard
pour aller se taire en lui ; le regard qui n’est pas hébergé.
Qui ! se traî­nait encore, endurant la dernière flamme.

 

1966/67, Charles Racine, extrait de « Ce qu’a tramé le pas », in Y a‑t-il lieu d’écrire ? Édi­tions Grèges, 2015, p.217.

 

 

 

 

 

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Poésie ne peut finir

 

quand toutes tes nuits, Eurydice
s’endorment en moi
s’emportent en moi
le vers dans le recueil
est irremplaçable
que le recueil ne remplace
quand toutes tes nuits, Eurydice
eurent fomen­té leurs troubles
la musique fut vaine
quand toute nuit perdue
en pail­lette de jour
forme le livre de ma séparation
le jour à tra­vers la nuit
s’éloigne
quand toutes cel­lules nouvelles
toutes nuits
se meurent d’être mis­es à jour
quand toutes nuits
réduites à l’aboiement de l’aube
s’emportent de leur berceau
nul est le mot
que lutte sourde ne remonte
à tra­vers les saisons

 

1971, Charles Racine, extrait de « Nuit mais que la nuit s’achève », in Poésie ne peut finir, Édi­tions Grèges, 2017, p.40.

 

 

Vol­ume III Charles Racine — Poésie ne
peut finir
— Édi­tions Grèges 2017

 

Il n’y a de sueur
qu’elle ne propage l’homme
entre la mort et l’amour.

Je veux châtr­er ma baraque
(y) met­tre d’autres serrures.

Le bleu et le dit.

Il me suf­fit d’être ce que je suis,
ce dont je souffre.

L’amour, s’il n’est conjoint,
fait regret­ter l’enfance
et son chant.

C’est un homme qui aime et court
autour d’une couronne sans y
être jamais.

Mon oreille n’est point sourde
à la mort.

 

1975, Charles Racine, extrait de « Fable déflorée », in Poésie ne peut finir, Édi­tions Grèges, 2017, p.157.

 

//

 

Je m’éveillerai de la mort
c’est cer­tain ! Je traverserai 
les lignes, les courbes de ma texture
les enjam­bant toutes, je serai libre de tout opprobre
je serai la route et le vaisseau
je serai l’eau voy­ante, l’eau voy­ant ceux qui existent

Je n’irai pas por­tant mon sac vide de pain

 

1975, Charles Racine, extrait de « Il faut avoir tra­ver­sé l’écriture », in Poésie ne peut finir, Édi­tions Grèges, 2017, p.177.

 

//

 

Riveraine ô regret de ce
qui eût pu être. Ô maison
autre que celle-là que j’aurais
pu habiter. Ô paysage m’en
cachant le visage
que j’aurais pu voir.
Ô tor­rent m’en cachant la
fenêtre que j’aurais pu du regard
abrit­er. Ô terre dont l’avoir m’éloigne
et me fait per­dre pied.

 

1985

 

//

 

Une mis­sive

Je ne suis là,
sans com­mence­ment ni fin.
Phras­es courtes.
tra­jets rapi­de­ment parcourus
pour éviter les rup­tures et les silences.

 

1988, Charles Racine, extrait de « Une mis­sive », in Poésie ne peut finir, Édi­tions Grèges, 2017, p.279 et 303.

 

//

 

Let­tres posthumes (Légende posthume)

Légende où les let­tres posthumes con­fig­urent les plumes
tombales.

Le sujet est mort au poème.
La let­tre m’est posthume (elle est à lire après ma mort).

Mes let­tres paci­fiques, non conflictuelles,
dans l’enclos poétique.

La poésie serait le réc­it de l’absence.

Le poète suc­combe à la let­tre qu’il trace. Mais il « pour­suit sa vie »
en traçant la sec­onde let­tre, le sec­ond mot, la sec­onde phrase.

J’ai des let­tres, j’ai des mots, j’ai des phras­es et j’ajourne
l’incarcération phraséologique.

 

1994, Charles Racine, extrait de « Une mis­sive », in Poésie ne peut finir, Édi­tions Grèges, 2017, p.313.

 

 

 

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Texte de présen­ta­tion de l’éditeur à l’occasion de la paru­tion du vol­ume III des écrits de Charles Racine Poésie ne peut finir. Pour toute com­mande auprès des édi­tions Grèges, voir le site www.greges.net

 

Les éditions Grèges

Inau­gurée avec la pub­li­ca­tion « orig­i­nale » des textes pub­liés de son vivant, Légende posthume (Grèges, 2013), cette édi­tion des œuvres du poète se ter­mine avec ce nou­v­el ouvrage prin­ci­pale­ment com­posé de textes inédits. Il vient com­pléter Y a‑t-il lieu d’écrire ? (Grèges, 2015), dont la sélec­tion de textes cou­vrait les années 1942–1969. Cette fois, c’est la péri­ode 1970–1994 qui est tra­ver­sée, c’est-à-dire à nou­veau une ving­taine d’années. Ce deux­ième moment de la vie poé­tique de Racine est emblé­ma­tique. Il sem­ble en effet pro­pos­er deux mou­ve­ments suc­ces­sifs con­tra­dic­toires : une per­cée (les années soix­ante-dix) et un retrait (les années qua­tre-vingt). Ce qui frappe dans ces textes qui cul­tivent par­fois l’inachevé comme un art poé­tique, c’est la cohérence d’une œuvre qui aura fait de sa recherche per­pétuelle le proces­sus en cours de son élab­o­ra­tion. Une œuvre proces­suelle en effet, où se lit l’affirmation d’un style et d’un matéri­au, de thèmes ou de motifs, entre inno­va­tion (étrangeté syn­tax­ique ou lex­i­cale) et sim­plic­ité (évi­dence des propo­si­tions, nudité du geste d’écriture). Une poé­tique des restes, de l’éparpillement, à tra­vers laque­lle le poète « étripé », sup­pli­cié à la let­tre, con­fronte son corps autant que son esprit à ce désir d’incarnation poé­tique qui le meut, jusqu’à souf­frir d’une telle –improb­a­ble sinon impos­si­ble – transsub­stan­ti­a­tion. « Le poème me récolte et me dénude et me laisse là, dému­ni. » La ques­tion du sujet (de l’individu ou indi­vis poé­tique) con­stitue en effet le cœur de sa poésie. Cette poé­tique de la dis­per­sion et de l’inachèvement, cette dif­fi­culté de se rassem­bler, se reflè­tent bien évidem­ment dans les papiers lais­sés et archivés par le poète, pro­posant sou­vent des textes dans un état pré­caire, sus­pendus à l’instant d’un tra­vail tou­jours en cours. Nous ne présen­tons pas une édi­tion cri­tique ni com­plète, mais un par­cours sin­guli­er ren­dant compte d’un tel tra­vail à l’œuvre. Une exhuma­tion. Cer­tains textes étaient comme en attente de pub­li­ca­tion, d’autres plus rétifs, sai­sis dans le tra­vail de leur pré­cip­ité. Comme pour les vol­umes précé­dents, et plus par­ti­c­ulière­ment dans la lignée de Y a‑t-il lieu d’écrire ?, nous avons procédé à des choix, choix de poèmes ou de mis­es en forme. Nous avons glob­ale­ment respec­té la chronolo­gie de textes le plus sou­vent datés, par­fois avec pré­ci­sion. Afin d’organiser l’afflux épars de ces derniers, nous avons découpé des séquences en suiv­ant la logique de cer­tains ensem­bles ; les titres pro­posés sont extraits de poèmes ou provi­en­nent des mul­ti­ples notes ou nota­tions, réflex­ions ou ajouts, qui jalon­nent les man­u­scrits et les tapuscrits : Nuit mais que la nuit s’achève (regroupant des textes des années 1970–1972), Le pain défait que rejoigne la mie (1971–1973), La voix de l’eau per­chée (1973–1975), Il faut avoir tra­ver­sé l’écriture (1975–1979), Le feu éteignit le feu (1980–1984), Une mis­sive (1985–1994). Par­al­lèle­ment à ce découpage rel­a­tive­ment arbi­traire se dis­tinguent des cycles ou de grands ensem­bles poé­tiques délibéré­ment con­sti­tués et, pour la plu­part, nom­més : Une femme au bord de l’heure (1969/70), Ondée des cordes (décem­bre 1971), Fable déflorée (mars 1975), Pérouse (octo­bre 1975), Rome (septembre/octobre 1978), Le Tes­ta­ment (mars 1983) ou Con­venir du poème (jan­vi­er 1984).

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Alain Fabre-Catalan

Alain Fab­re-Cata­lan est né en 1947 dans les Pyrénées-Ori­en­tales. Il vit en Alsace depuis 1967. Après des études de let­tres à l’Université de Stras­bourg, il a été pro­fesseur de français dans l’enseignement sec­ondaire où il a ani­mé des ate­liers d’écriture. Auteur de recueils de poésie et de livres d’artiste, il a pub­lié en revues, poèmes et pros­es, frag­ments de son jour­nal d’écriture « La fab­rique des jours » et tra­duc­tions, notam­ment du poète autrichien Georg Trakl et du poète espag­nol José Ángel Valente. Son recueil Avant l’éveil paru aux Édi­tions Pier­ron a obtenu en 2001 le Prix de l’A­cadémie des March­es de l’Est. Il a pub­lié deux autres recueils de poésie aux Édi­tions Lieux-Dits, col­lec­tion Cahiers du Loup bleu, &cris-&crit, L’écriture ou le corps voisé en 2001 et La leçon du jour en 2003. Pub­li­ca­tions et pro­jets en cours : Con­tri­bu­tion à l’ou­vrage de Char­lotte Her­fray, Penser vient de l’in­con­scient — Psy­ch­analyse et “entraîne­ment men­tal”, pub­lié aux Édi­tions Erès, mai 2012. Créa­tion d’une série de livres d’artiste présen­tant des textes inédits de l’auteur Poésie & Pros­es (1990–2010), col­lec­tion Tiré à part, en micro-édi­tion. Descrip­tif et visuel à con­sul­ter sur le blog d’Alain Fab­re-Cata­lan, demeurenomade.over-blog.com Mem­bre du Comité de rédac­tion de la Revue Alsa­ci­enne de Lit­téra­ture, il est respon­s­able du blog qui rend compte de l’ac­tu­al­ité de la revue auprès de ses lecteurs et informe les auteurs qui souhait­ent con­tribuer à cette pub­li­ca­tion semes­trielle : larevue-ral.blogspot.fr Pour toute infor­ma­tion ou prise de con­tact : contact.larevue-ral@orange.fr Pub­li­ca­tions récentes : Ver­tiges, un recueil de pros­es (Édi­tions Lieux-Dits, 2013), Le Par­adis per­du de Georg Trakl, un essai avec des tra­duc­tions nou­velles (Recours au Poème édi­teurs, 2015), Vari­a­tions I Mez­za voce & Vari­a­tions II Ruba­to (Rhombes, 2015), Le voy­age immo­bile, un livre à deux voix écrit avec Eva-Maria Berg, sur « la mémoire des camps » (Édi­tions du Petit Véhicule, 2017). Depuis 2018, il est mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Les Car­nets d’Eucharis.