Les édi­tions Rafael de Sur­tis pub­lient depuis plus de quinze ans de beaux livres cousus et pliés main, à l’image de la revue Mange Monde. Paul San­da, poète et ani­ma­teur des édi­tions a tou­jours aimé et dévelop­pé des revues, que l’on pense à Pris de Peur autre­fois et à son activ­ité de redé­cou­verte du sur­réal­isme con­tem­po­rain et/ou souter­rain, en prox­im­ité de la revue Supérieur Incon­nu de feu Sarane Alexan­dri­an. Ces aven­tures font par­tie, si l’on veut, du « monde de la poésie », par néces­sité ou acci­dent sans doute, mais elles s’inscrivent aus­si dans une autre his­toire, celle d’un regard dévoilé sur le réel, et de cela la poésie est un des moyens ou bien l’un des modes opéra­toires. Il en est d’autres, et ils ne sont pas for­cé­ment incom­pat­i­bles. Paul San­da ne s’est sans doute pas instal­lé à Cordes sur Ciel, en plein pays cathare, sous l’égide de Saint Michel, pour rien. La poésie, ici, est plus que de la poésie, elle touche au plus de réel autre­fois revendiqué par le sur­réal­isme, un sur­réal­isme que l’un des cor­re­spon­dants habituels de Mange Monde, Patrick Lep­etit, a récem­ment rat­taché aux courants souter­rains de l’ésotérisme occi­den­tal, en un essai fort convaincant.

L’un des mem­bres fon­da­teurs de Recours au Poème a pub­lié ses pre­miers livres chez Rafael de Sur­tis, con­tribué à Pris de Peur, ani­mé une petite col­lec­tion dédiée à la fic­tion et coor­don­né, en com­pag­nie de Paul San­da, une belle Antholo­gie de l’imaginaire, en dix vol­umes. C’était entre 1997 et 2000, Rafael de Sur­tis pre­mière époque en somme. Ce n’est donc peut-être pas entière­ment un hasard si Recours au Poème croise cer­tains de ses amis, anciens ou actuels, proches ou éloignés, dans la « liste » des ani­ma­teurs et des cor­re­spon­dants de Mange Monde : Marc Petit, Paul San­da, Jean-Philippe Gonot, Jacques Basse, Nico­las Brard, Christophe Dauphin, Pierre Grouix…

Ce cinquième opus s’ouvre sur un texte de Marc Petit, « Aube, à jamais », que l’on voit avec plaisir fidèle à son ami­tié avec Paul San­da. On recon­naît sa plume acérée et sans con­ces­sion avec Das Sys­tem : « D’habiles Sollers exer­cent leur mag­istère auto­proclamé dans l’indifférence générale, à com­mencer par celle des lecteurs. Houelle­becq est désigné comme un nou­veau Shake­speare, le débagoulage de Chris­tine Angot com­paré à un solo de vio­lon­celle. Prof­i­tant de l’ignorance et de la cré­dulité des nababs, une camar­il­la de singes savants réus­sit à faire pren­dre Jeff Koons, Damien Hirst ou Mau­r­izio Cat­te­lan pour des artistes ». Le reste à l’avenant. Et surtout : « Voilà qui nous ramène à l’aube d’été. A l’aube de tout. A cet ado­les­cent rêveur sur­pris un jour par l’étrange beauté de quelques mots, trou­blé par eux comme par le froisse­ment d’une robe de soie dans l’escalier. Car cela seul, cette émo­tion, suf­fo­ca­tion, est poésie, et tout le reste n’est que (mau­vaise), lit­téra­ture, n’en déplaise aux cuistres. Vous n’avez pas changé, Marc Petit. Les pages de Recours au Poème vous sont ouvertes, sachez le. 

La parole est ensuite à Paul San­da, en sa « chronique des temps poé­tiques actuels » en laque­lle il pour­suit son com­bat jus­ti­fié, c’est le moins que l’on puisse dire, con­tre ce qu’il appelle « la poésie de patron­age ». Il suf­fit d’avoir « lu » une fois une revue comme Décharge, pour peu que ce soit une revue, pour saisir ce que San­da veut dire. On est ému aus­si à l’évocation de l’ami poète Alain-Pierre Pillet.

Le som­maire pro­pose ensuite de très belles choses, à com­mencer par un entre­tien revig­o­rant avec Julien Blaine. Les revues des édi­tions Rafael de Sur­tis ont tou­jours fait la part belle à de longs entre­tiens per­me­t­tant de ren­con­tr­er véri­ta­ble­ment des poètes de « l’underground ». Vient ensuite un ensem­ble inti­t­ulé « Regard sur… les poètes à Voix haute », l’expression nous plaît. La hau­teur de la voix est une élé­va­tion de l’âme ou du tem­ple, quelque chose de la troisième dimen­sion sans laque­lle on ne perçoit guère le réel. On lira dans ces pages des textes de San­dra Moussem­pès, Yves Gaudin, Dominique Mas­saut, Edith Azam, Benoît Bastide dit Zob, Franck Doyen et San­drine Gironde, Pierre Solet­ti. Un sec­ond entre­tien pointe ensuite son nez, comme il est d’usage dans Mange Monde, cette fois avec Jean-François Bour­dic, un des créa­teurs des édi­tions Les fondeurs de briques, à Toulouse. La dernière par­tie, « Créa­tions actuelles », donne la parole à Frédéric Vitiel­lo, Pierre Mironer, Eric Bar­bi­er, Almosni­no, Irène Gayraud, Julien Grassen Barbe, Jean-Jacques Dorio, Alain Raguet et Michel Carqué.

Tout cela forme un ensem­ble de grande force, affir­mant une iden­tité claire et sans dis­cus­sion, avec laque­lle tout un cha­cun ne sera pas en accord, on s’en fiche, le pro­pre d’une revue est d’être… une revue. Le lecteur ferme ces pages en se dis­ant qu’il lira le prochain Mange Monde avec gourmandise.

 

revue Mange Monde n° 5/juin 2013
Directeurs de pub­li­ca­tion : Paul San­da et Serge Torri
Rédac­teur en chef : Vin­cent Calvet
Edi­tions Rafael de Sur­tis. 7, rue Saint Michel. 81170 Cordes-sur-Ciel.

      Le numéro : 15 euros.

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